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Q021 | Quel leadership face aux incertitudes des futurs possibles ?

Scénarios, futurs possibles… au pluriel tant qu’ils se trouvent encore en devenir, tôt ou tard, une version de ceux-ci se matérialisera et portera son lot de changements, voir d’incertitudes temporaires. Quelles qualités sont attendues de celui ou celle qui devra garder le cap pour mener à bien cette transition ?
Soucieux d’en savoir plus sur le sujet, nous avons fait appel à une experte en la matière…

Au moment où l’humanité traverse une crise profonde et totalement inédite, une grande partie des cerveaux de ce monde se penchent sur la prospective en termes stratégique. Quels scénarios de sortie de crise possible ? Quelle probabilité de réussite associée à chacun ? Comment intégrer l’évolutivité de la situation aux scénarios envisagés ?

Si ces questions sont majeures, une autre se pose également et relève de la prospective en termes de leadership. Quel leadership pour aider les équipes à faire face à ces incertitudes? Quels comportements les leaders devront-ils donner à voir pour traverser aux mieux cette période ?

La crise actuelle appelle un leadership exemplaire à même de guider les équipes dans le processus d’adaptation très rapide exigé par la situation. Mais quelle forme cette exemplarité peut-elle prendre? Quels comportements incarner en priorité?

Une attention toute particulière portée aux comportements des leaders en situation de crise

En période d’incertitude, les comportements des leaders sont encore plus observés qu’à l’ordinaire. Quand un individu ne sait pas quel comportement adopter dans une situation, il observe dans son environnement ceux adoptés par les figures d’autorité. Ces figures d’autorité peuvent se trouver dans l’environnement proche de l’individu (son responsable direct dans le monde de l’entreprise, son chef dans le monde militaire, ou encore son parent dans la sphère familiale) et/ou plus distant (le dirigeant de son entreprise ou les membres du gouvernement, représentant symboliquement l’organisation ou l’état). 

Sur la base de ce qu’il observe, l’individu détermine plus facilement le comportement à adopter, voire en apprend de nouveau grâce à ce que l’on nomme l’apprentissage vicariant, c’est-à-dire en regardant un autre faire. Le fait d’observer le leader développer de nouveaux comportements va également renforcer le sentiment d’auto-efficacité des individus, c’est-à-dire leur confiance dans leur capacité à mettre en œuvre des comportements nouveaux dans cette situation de crise.

Quand un individu ne sait pas quel comportement adopter dans une situation, il observe dans son environnement ceux adoptés par les figures d’autorité.

Une exemplarité à trois niveaux pour faire face à la crise

L’exemplarité est majeure dans cette période d’incertitude, mais quels sont les comportements à incarner tout particulièrement ? Un écueil serait de penser l’exemplarité comme une forme de perfection comportementale pouvant décourager d’avance les leaders. Au contraire, l’exemplarité se dégage de la notion d’idéal par son aspect situé (qu’est-ce que le leader demande à ses équipes ?) et pragmatique (incarne-t-il lui-même ses comportements attendus ?). Sans minimiser la complexité de la situation actuelle pour les leaders, les études nous invitent à encourager une exemplarité face à la crise à trois niveaux :

1.

Une exemplarité de « l’agir »: dans cette situation évolutive et imprévisible, le leader doit être dans l’action, dans la réalité et dans la posture d’essayer. La posture à éviter est celle du repli sur soi, sur les anciens modèles mentaux (Silberzahn, 2019). La capacité cognitive à accepter l’obsolescence des scénarios stratégiques doit se refléter dans les comportements du leader. Celui-ci doit incarner une posture de l’agir face à la situation et développer une capacité avec ses équipes de l’essai-erreur et d’ajustement rapide à l’évolutivité de la situation. Cela passe notamment par la capacité du leader à reconnaître l’obsolescence de ses propositions et pouvoir en discuter avec ses équipes.

2.

Une exemplarité du « faire ensemble » : il n’y aura pas de sortie de crise sans engagement de tous. Le leader a ainsi la tâche de générer les conditions d’un nouvel engagement des collaborateurs. Comme les études le montrent, l’exemplarité du leader joue un rôle majeur dans la volonté de coopérer des individus et dans leur sentiment d’appartenir à un collectif. Quand le leader s’astreint aux mêmes exigences que celles qu’il déclare attendre du reste des individus qui compose son équipe ou son pays, il se positionne d’emblée comme un membre du groupe et non au-dessus. Il va ainsi favoriser le sentiment d’un collectif uni où l’engagement de tous est primordial pour le succès. Les militaires ont depuis longtemps reconnu et pensé le rôle de l’exemplarité du chef pour l’engagement du collectif, et travaillé à la développer dès l’école (De Villiers, 2018).

3.

Une exemplarité de « la régulation minimale de soi » : l’incertitude très forte caractéristique de cette crise génère un haut niveau d’anxiété chez beaucoup d’individus, et une incertitude sur leur capacité à y faire face. Le leader a ici un rôle de modèle à jouer, en montrant à travers la régulation de son propre stress et de son anxiété qu’il existe une façon de faire face. Le leader n’a pas à cacher ses propres doutes pour paraître parfait aux yeux de ses équipes. Il peut verbaliser une partie de ses questionnements mais il doit donner à voir un état de régulation minimale de soi. Il offre à ses équipes un modèle d’apprentissage vicariant sur lequel ils pourront étayer leur propre comportement face à la crise (Melkonian, 2019). 

Quel que soit le chemin qui nous attend pour sortir de cette crise, nous avons besoin de leaders qui accepteront avec panache leur rôle d’exemple et de guide, et qui nous donneront la force de changer quand les circonstances l’exigent.

Références

De Villiers, P. (2018). Qu’est-ce qu’un chef ? Editions Fayard.
Melkonian, T. (2019). Pourquoi un leader doit être exemplaire. Editions PUG UGA.
Silberzhan P. et Rousset, B. (2019). Stratégie modèle mental. Editions Diateino.
Tessa Melkonian est Professeure en Management et Comportement Organisationnel à emlyon business school. Ses recherches portent sur l’influence des perceptions de justice et d’exemplarité sur la coopération des salariés en situation de changement, et sur la performance collective en situations extrêmes. Elle est l’auteur de Pourquoi un leader doit être exemplaire paru en 2019 aux PUG. En 2013, elle a reçu le prix académique de la recherche en management décerné par le Syntec pour ses travaux sur les réactions des salariés en situation de fusions/acquisitions et, en 2016, le prix de la meilleure recherche francophone décernée par l’AGRH. Elle intervient aujourd’hui auprès de nombreuses entreprises sur la question de la performance collective et de la dimension humaine de la gestion du changement.
Tessa Melkonian

Tessa Melkonian est Professeure en Management et Comportement Organisationnel à emlyon business school. Ses recherches portent sur l’influence des perceptions de justice et d’exemplarité sur la coopération des salariés en situation de changement, et sur la performance collective en situations extrêmes. Elle est l’auteur de Pourquoi un leader doit être exemplaire paru en 2019 aux PUG. En 2013, elle a reçu le prix académique de la recherche en management décerné par le Syntec pour ses travaux sur les réactions des salariés en situation de fusions/acquisitions et, en 2016, le prix de la meilleure recherche francophone décernée par l’AGRH. Elle intervient aujourd’hui auprès de nombreuses entreprises sur la question de la performance collective et de la dimension humaine de la gestion du changement.

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