Le grand ensablement

L’arénalogue, Koa Schneider, était à Genève lors de la tempête de sable qui a bloqué Genève. Cet expert fustige l’inertie des autorités face à ses recommandations préventives.
Début

Rédaction :
Anne-Caroline Paucot (Propulseurs)
Images :
Midjourney

1. ARÉNALOGUE

Expert en tempête de sable

Le mot « arénalogue » vient du latin « arena », qui signifie sable. L’arénalogue est un expert en tempêtes de sable.

Une tempête de sable est produite par des vents violents qui soulèvent du sable en grande quantité. Le sable parcourt des centaines, voire des milliers, de kilomètres avant de retomber, en se fracturant en poussière, plus fine.

Ces phénomènes sont courants dans les grandes plaines d’Amérique du Nord, dans la péninsule Arabique et dans les déserts : Gobi (Mongolie), Taklamakan (Chine), Sahara (Afrique), Thar (Inde)…

2. TEMPÊTES DE SABLE

1930. Le Dust Bowl désigne une série de tempêtes de sable survenues en 1930 aux États-Unis.

2020. Une tempête cloue au sol des avions aux Canaries.

Tempête au Texas

2023. Le canal de Suez bloqué par une tempête de sable
Les Pékinois racontent qu’ils se sont peu à peu transformés en soldats de terre cuite sur le chemin de leur travail.

AlgoAlpes, 30 avril 2064

AlgoAlpes : Bonjour Koa, vous êtes aéronologue? Pouvez-vous présenter votre métier?

Certains pensent que l’aéronologue (1) est le marchand de sable high-tech. Ils n’ont pas tout à fait tort. Avec la multiplication des tempêtes, c’est un métier à dormir debout. Si ces tempêtes ne datent pas d’hier, (2), elles sont devenues de plus en plus fréquentes et violentes.

AlgoAlpes  : Vous étiez à Genève lors de «Désert suisse», la dernière grande tempête de sable? Comment l’avez-vous vécu?

C’était étrange, inquiétant et déstabilisant. On a beau prévoir le pire, on est toujours étonné quand il devient réalité.

À mon réveil, il faisait sombre. J’ai vite compris que mes fenêtres étaient obstruées par du sable. J’ai tenté en vain de les ouvrir.

Je suis monté sur la terrasse de l’immeuble. Le spectacle était hallucinant. On se croyait au Sahara! Toutes les rues de la ville étaient recouvertes d’une épaisse couche de sable. Par endroit, il y avait plusieurs mètres. Les véhicules autonomes étaient en mode statue de sable. Leurs capteurs étant ensablés, elles n’étaient pas près de redémarrer.

3. TEMPÊTE ET RECHAUFFEMENT CLIMATIQUE

L’augmentation des tempêtes provient de :

  • Sécheresse accrue : les sols plus secs sont plus érodés par le vent.
  • Désertification : la couverture végétale diminuant, le sol est plus vulnérable.
  • Modification des vents : des vents sont plus forts et fréquents.
  • Changements des précipitations : des pluies fortes alternant avec de longues périodes de sécheresse déstabilisent le sol.

AlgoAlpes  : Cette tempête a surpris. Pourtant, ce n’était pas la première. 40 ans plus tôt, en mars 2024, la Suisse a déjà été recouverte de 180000 tonnes de sable.

Jusqu’alors les couches de sable étaient fines, mais déjà préoccupantes. Depuis, des années, je fais en sorte qu’on installe des dépoussiéreurs de capteurs sur les véhicules et les chaussées. J’insiste en précisant qu’avec le réchauffement climatique (3), les tempêtes de sable s’intensifient. Ils m’envoient au diable en affirmant qu’ils ont pris en compte ce risque.

AlgoAlpes  : Quelles sont les mesures qui ont été prises?

Les constructeurs ont financé l’installation de chaînes de lavage automatique. Lors des tempêtes, ils offrent des réductions à leurs clients. C’est utile. Le sable est corrosif. Il endommage la peinture et les joints. Avec une peinture spéciale et des dépoussiéreurs, les véhicules ne tomberaient plus en panne lors des tempêtes. C’est comme en médecine : on préfère soigner les maladies que les anticiper!

AlgoAlpes  : Comment s’est déroulé votre journée?

Sachant qu’elle serait longue, j’ai décidé de prendre une douche. J’ai renoncé en voyant que l’eau était plus marron que mon café. Cela m’a mis en colère, car j’avais commandé et payé l’installation de filtres à sable. J’ai appelé l’artisan. J’ai eu le droit à des «C’est que… Enfin… Je suis débordé… J’essaye toujours de gérer les urgences…» C’est toujours le même refrain. Comme avant que cela soit une urgence, ce n’est pas une urgence, les travaux passent à la trappe.

J’ai donc filé au supermarché du coin pour acheter de l’eau. La file était déjà longue. Tout le monde craignait le manque d’eau potable et le rationnement de l’alimentation.

AlgoAlpes  : Cette crainte de rationnementétait-elle justifiée?

Oui, les transports étaient bloqués. Il n’y avait plus de véhicules autonomes, d’avions, de drones de livraison… Les serres locales s’étaient écroulées sous le poids du sable. Les légumes étaient recouverts de sable et il n’y avait plus d’eau pour les laver. En résumé, sous le sable, il y a des pavés de problèmes!

AlgoAlpes  : Pas que des problèmes. Le sable est bon pour les cultures?

Le sable contient des éléments nutritifs tels que l’azote, le phosphore. Il peut donc enrichir des cultures et pâturages.

Cet atout est infime face aux problèmes de santé que le sable pose.

Trois heures après la tempête, les hôpitaux genevois étaient submergés par un afflux de patients souffrant de problèmes respiratoires. Les appels aux services d’urgence se multipliaient. Vu le peu d’ambulances équipées pour se déplacer dans des rues ensablées, ils avaient du mal à intervenir. J’avais suggéré aux autorités sanitaires de s’équiper. Comme les autres, elles ne m’avaient pas pris au sérieux.

Je me suis ensuite penché sur les réseaux sociaux qui s’étaient emballés. J’ai constaté que c’était toujours la même mayonnaise. Ils ont tiré sur un fil pour inventer du faux.

4. DU SABLE RADIOACTIF

Dans les années 1960, la France a fait des essais nucléaires en Algérie. Les scientifiques ont analysé le sable. Ils considèrent que les 80 000 Bq au km2 de césium -137 ne sont pas dangereux pour notre santé.

Journaliste : Vous pouvez préciser?

Les échanges se déclinaient autour du thème «Avec le sable, vous croyez pouvoir construire des châteaux. Rangez vos pelles, le sable va vous tuer». Pour que la menace soit bien comprise, ils ont ressorti l’histoire du césium 137 qu’on trouvait dans le sable du Sahara. (4)

Enfin, quelques minutes plus tard, le danger n’était plus le césium, mais un méchant virus. D’ailleurs, il était si horrible qu’il ne tuait que les hommes.

AlgoAlpes  : un virus discriminatoire! Ça existe?

Je ne sais pas. Aucun scientifique n’a pris la parole sur le sujet. Cela n’empêche pas que l’info a vite circulé.

Les conclusions furent immédiates : si le virus du sable tue les hommes, il faut que les femmes déblayent la ville et assurent le ravitaillement! Les hommes n’ont d’autres choix que de rester dans leur canapé à donner des ordres.

AlgoAlpes  : C’était donc une tempête de sable sexiste?

Je dirais juste, des fausses informations sexistes. C’est de plus en plus fréquent. Enfin, je n’avais pas le temps d’avoir peur.

AlgoAlpes  : Comment avez-vous géré la situation?

On a improvisé! J’avais vraiment l’impression de n’avoir qu’un pistolet à eau pour éteindre un feu de forêt. 

La priorité était la distribution des masques et le secours des ensablés. J’ai fait appel aux joggers. Ces accros à l’endorphine se sont révélés être de vrais héros! Ils ont parcouru la ville en aidant les personnes en détresse. Ils ont même sauvé une femme qui accouchait.

AlgoAlpes  : je me souviens. On a parlé du «miracle du sable».

Ensuite, nous avons organisé des distributions d’eau et d’aliments dans les grands magasins.

Les clients attendaient dans les sous-sols pour éviter de manger trop de sable. J’ai eu le soutien des musiciens et chanteurs de l’Opéra. Ils ont fait des mini-concerts qui aidaient à patienter. Des comédiens sont aussi venus lire des livres. Il y a quelques années, on n’aurait pas mis la culture dans les kits d’urgence. Pourtant, lors de toutes les guerres, elle joue un rôle majeur.

AlgoAlpes  : J’imagine que vous avez ensuite organisé le déblayage de la ville.

J’avais proposé de transformer les déneigeuses en désableuses. Ma proposition est restée dans les placards. Une tempête de sable pouvait arriver, mais pas tout de suite. Ils s’en occuperaient demain. Résultat, il a fallu une quinzaine de jours pour modifier le parc de la ville.

Même scénario pour les dépoussiéreurs à capteurs solaires. On m’a ri au nez. C’était comme si je demandais un nouveau jouet. Le jour de la tempête, la ville en a commandé des milliers. Comme il n’y avait qu’une seule entreprise qui les fabriquait, il a aussi fallu attendre.

Ça ne s’arrêtait pas là. J’avais proposé l’achat de pulmiroirs pour les écoles. Ces miroirs détectent tous les problèmes respiratoires et donnent des solutions. On a aussi trouvé cela inutile, alors que cela aurait sauvé des vies et évité que les enfants attendent des heures devant l’hôpital.

AlgoAlpes  : le bon côté de la tempête, c’est que maintenant, on va vous écouter.

J’aimerais, même si j’ai quelques doutes.

La meilleure solution est connue depuis le Dust Bowl des années 1930. Il faut des plantes au sol pour éviter que le vent emporte le sable et le déplace à des milliers de kilomètres. Il faudrait aussi utiliser des techniques de permaculture pour restaurer les écosystèmes dégradés. Pas sûr que les grands pays s’assoient ensemble autour de la table parce que la ville de Genève a été recouverte de sable. On préfère attendre et assister aux dégâts provoqués par les milliards de tonnes de poussière.

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