Q203 | Comment la prospective enrichit-elle les processus d’innovation dans les organisations ?

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La rapidité et la complexité accrues de l’environnement économique et international exigent des organisations qu’elles développent de nouvelles approches pour anticiper et interpréter les tendances à venir et les traduire en un avantage concurrentiel. Il existe ainsi aujourd’hui un relatif consensus, chez les praticiens comme chez les chercheurs, sur le fait que la prospective nourrit l’innovation. Ainsi, Quentin Ladetto concluait dans son article de mars 2021 sur le lien entre prospective et innovation, qu’« ensemble elles sont certainement plus fortes, l’une nourrissant et inspirant l’autre dans un cercle vertueux où le moteur créatif s’appelle tout simplement synergies ».

Ces synergies ont été théorisées par René Rohrbeck et Hans Georg Gemünder dans un article académique de 201o largement repris. Ils estiment que la prospective stratégique joue trois rôles dans les activités d’innovation :

  1. un rôle de stratège, en orientant les activités d’innovations et en explorant de nouveaux marchés ;
  2. un rôle d’initiateur, en identifiant de nouveaux produits, de nouveaux besoins clients ou de nouvelles technologies ;
  3. un rôle de débatteur, en identifiant les possibles risques qui pourraient remettre en cause les projets en cours de recherche et développement (R&D).

Pourtant, bien que l’intérêt pour la prospective stratégique semble augmenter dans de nombreux secteurs d’activité, la mise en œuvre de la prospective au sein des organisations, et en particulier son articulation avec les activités d’innovation, reste limitée.

Plusieurs études menées dans les années 2010 auprès de grands groupes internationaux ont montré que seuls 1% à 5% des répondants estimaient que leur organisation avait développé des compétences en prospective stratégique. Ce manque d’investissement dans la fonction prospective s’explique par la crainte des dirigeants selon laquelle la prospective resterait un exercice théorique sans retour sur investissement.

Dans cet article, l’objectif est de présenter, de manière non exhaustive, trois des principales valeurs ajoutées qu’apporte la prospective lorsqu’elle est mise au service de l’innovation : penser autrement pour enrichir et renforcer la stratégie d’innovation des organisations ; soutenir le développement par l’identification de nouveaux métiers, produits et services ; et réduire l’incertitude dans la stratégie d’innovation.

Penser systémique : avoir une approche de l’innovation ancrée dans la complexité du réel

La plupart des méthodes de prospective, qu’elles soient dites stratégiques, comme la construction de scénarios, ou créatives, comme l’élaboration de futurs désirables, sont des outils de construction d’une vision future et partagée de l’organisation et de sa place dans la société. La prospective est une démarche intrinsèquement collective qui permet, si elle est bien menée, d’intégrer toutes les parties prenantes clés de l’organisation à l’élaboration de la stratégie. Elle contribue donc à créer une discussion collective indispensable, en amont d’un processus d’innovation, à élargir le champ des alternatives envisagées et à éviter les pièges de la pensée de groupe.

La prospective constitue dès lors un outil important pour penser autrement. Elle amène les praticiens de l’innovation à se doter d’une vision systémique qui permette de saisir la complexité de l’environnement dans lequel évolue leur organisation ainsi que les différents éléments susceptibles de peser sur son développement. Cette approche holistique permet de réintroduire une innovation potentielle dans son environnement large. 

Elle amène les équipes innovation à désaxer leurs approches et à imaginer des solutions novatrices en phase avec les enjeux globaux auxquels font face les organisations. En cela, les démarches de prospective permettent de clarifier, premièrement, l’écosystème futur dans lequel l’entreprise sera amenée à se développer, et deuxièmement, le positionnement que l’entreprise souhaite adopter dans ce futur anticipé.

Ces démarches de prospective peuvent être facilitées par l’application de méthodes de prospective ouverte et l’intégration d’experts transdisciplinaires, à la fois internes et externes, qui augmentent la force de créativité de la réflexion prospective. Les organisations peuvent ainsi surmonter l’inertie cognitive et l’inertie de leurs actions, identifier collectivement des lignes de conduite à mener et tenter d’en anticiper les conséquences.

Prospective pour systèmes complexes : Et si appréhender collectivement la complexité de vos futurs devenait plus simple ?

Soutenir le développement : identifier de nouveaux produits, de nouveaux marchés, et de nouveaux clients

Le développement de l’innovation implique de réaliser une articulation pertinente des connaissances que l’entreprise a de la demande du marché (clients) avec les connaissances sur les technologies émergentes et la faisabilité technique pour produire une innovation.

Si la recherche de technologies émergentes et la prospective technologique constituent des pratiques établies dans de nombreuses entreprises, les entreprises cherchent de plus en plus à explorer les évolutions futures du marché.

La prospective stratégique peut ainsi contribuer à améliorer la compréhension des besoins émergents et futurs, à identifier de nouveaux groupes de clients pour des produits et services, à explorer de nouveaux marchés potentiels ou mieux comprendre le fonctionnement des marchés actuels et leurs évolutions.

De plus, les équipes travaillant dans l’innovation peuvent être nourries par les données qui sont traitées par les équipes de prospective, que ce soit en amont d’un projet ou tout au long du processus de R&D. Dans le traitement de l’information, on distingue d’une part la collecte de l’information, et d’autre part l’interprétation de l’information.

De nombreux outils peuvent être mobilisés pour la collecte de l’information, comme l’engagement de sociétés d’étude de marché externes, la conduite de veilles en interne, la réalisation d’états de l’art scientifiques ou la mobilisation régulière d’experts. La collecte de l’information est d’autant plus efficace si elle permet à tous les employés, y compris les équipes techniques ou métiers, de pouvoir contribuer à tout moment et ainsi faire remonter les signaux faibles du terrain. Elle implique donc la mise en place de systèmes d’informations adaptés.

Les informations collectées sont ensuite interprétées, hiérarchisées et mises en perspective pour anticiper leurs implications futures, en identifiant des plans d’action alternatifs et en faisant émerger des idées nouvelles bénéfiques pour l’innovation. Des outils de prospective comme la réalisation de radars permettent le traitement et la diffusion de grandes sources d’informations.

Par ses méthodes de traitement des données, la prospective stratégique peut soutenir le développement de nouveaux projets de trois manières :

  • en explorant de nouveaux domaines d’innovation ;
  • en identifiant des innovations prometteuses ;
  • en stimulant les équipes de recherche et de développement tout au long du processus de R&D.
Source de l'illustration : innover-malin.com

Penser un futur désirable pour identifier des pistes d’innovation

À titre d’exemple, SELDON Conseil a accompagné une organisation dans sa réflexion sur l’évolution de son positionnement dans le secteur de la rénovation énergétique, et l’identification de nouveaux produits et services dans ce domaine.

L’intégration d’un atelier de prospective créative fondé sur la méthode des « Trois horizons » a permis de faire émerger des pistes d’actions concrètes et de nourrir directement la réflexion sur les innovations à conduire pour atteindre le futur souhaité, en prenant en compte les obstacles et les leviers de l’organisation.

La méthode des « Trois horizons » ambitionne de façonner un futur désirable et de produire une cartographie des éléments de transformation et d’innovation permettant d’atteindre ce futur. Elle se décline autour de l’identification de trois éléments :

  • à L’horizon 3 renvoie au futur désirable vers lequel les participants souhaitent tendre. Il s’agit d’identifier les besoins et les opportunités qui y sont associés. Pour le penser, les participants sont invités à se positionner en tant que visionnaires. 
  • à L’horizon 1 englobe la compréhension de la situation présente. Il s’agit d’identifier les tensions et les innovations qui commencent à émerger et qui pourraient être annonciatrices de changements plus importants. Les participants sont ici invités à adopter la posture d’un manageur.  

  • à L’horizon 2 concerne la période de transition entre les horizons 1 et 3. Il s’agit ici d’un territoire ambigu où les pratiques existantes cohabitent avec de nouvelles pratiques émergentes. Les participants doivent donc identifier les défis, les obstacles et les leviers à considérer dans le cadre de cette transition. La casquette qu’ils doivent adopter est celle de l’entrepreneur. 

Renforcer l’ambidextrie des organisations par une activité prospective permanente et pérenne

Déterminer un futur désirable facilite l’élaboration d’une stratégie d’innovation qui serve cette finalité. En cela, la prospective est directement liée à l’identification de nouvelles déclinaisons des activités de l’entreprise pour renforcer son placement, son rôle et son identité.

Au-delà de cet élargissement des perspectives, l’utilisation de la prospective contribue à renforcer l’ambidextrie des organisations qui l’adoptent.

L’ambidextrie organisationnelle renvoie à la capacité d’une organisation à articuler dans sa conduite de l’innovation des activités d’exploitation de ses actifs et des activités d’exploration de nouveaux projets.

La prospective, du fait de sa capacité à organiser le présent pour préparer l’avenir, permet aux organisations de se doter d’une vision claire à la fois sur les opportunités associées à l’évolution de nos sociétés mais aussi sur les changements à considérer aujourd’hui pour pouvoir s’en saisir. La prospective permet également, dans cette optique, d’atteindre le futur désirable préalablement déterminé, d’assurer une correcte adaptation de l’entreprise et du public cible à l’innovation en cours de production.

Plus généralement, l’utilisation de la prospective donne du sens au processus d’innovation. Il permet ainsi d’aider les organisations à engager une démarche d’innovation conforme aux préconisations de recherche et d’innovation responsables (RRI). 

En questionnant la finalité d’un processus d’innovation, la prospective permet en fait de revenir à son essence, c’est-à-dire produire un progrès organisationnel, technologique ou sociétal. En cela, l’utilisation de la prospective renforce la stratégie d’innovation en s’assurant que celle-ci contribue bien à l’émergence d’un futur désirable pour l’organisation qui l’initie.

Conclusion

La prospective s’impose comme une composante essentielle de toute stratégie d’innovation.

Elle permet tout d’abord de comprendre l’écosystème dans lequel une entreprise s’inscrit, d’en anticiper les changements à venir et les enjeux résultants de ces changements qui pourraient potentiellement impacter l’entreprise, ainsi que de penser un futur désirable qui soit une réponse à cette anticipation.

Elle agit en cela en amont de tout lancement du processus d’innovation. Elle aide ensuite à l’élaboration de la stratégie d’innovation, déclinaison de la stratégie de positionnement de l’entreprise dans son futur désirable, par l’identification de nouveaux marchés, de nouveaux besoins, et de nouveaux clients. Elle agit donc également pendant le processus d’innovation. Enfin, elle aide à s’assurer de la pertinence de la finalité de l’innovation en réduisant l’incertitude autour de celle-ci et en anticipant l’adaptation de l’entreprise et du segment cible du marché à l’entrée sur le marché de l’innovation produite. Elle agit donc également sur un volet post – innovation.

Si la valeur ajoutée de la prospective pour l’innovation peut être démontrée, le défi qui demeure est la façon dont la fonction prospective est organisée au sein de l’entreprise et en particulier sur la façon dont l’information est collectée et interprétée en faveur de la gestion de l’innovation.

La prospective et l’innovation servent en tout cas un même but, construire un futur désirable pour l’organisation.

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