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Q146 | Comment réaliser un atelier prospectif inclusif et fractal grâce au roadmapping ?

11 mins de lecture
Un des modèles du Prof. Robert Phaal de l’Université de Cambridge portant sur le roadmapping et utilisé dans le cadre d'ateliers prospectifs.

Ceux qui me connaissent le savent déjà, je suis un supporter inconditionnel du travail du Prof. Robert Phaal de l’Université de Cambridge portant sur le roadmapping. Comme vous le découvrirez dans les liens précédents, une très grande partie du matériel développé par son équipe est libre d’accès, et chose exceptionnelle pour être mentionnée, le Prof. Phaal répond à ses emails. Vous noterez également qu’au bas de chacun de ses modèles figure une invitation à le contacter pour un retour d’expérience. Je l’avoue donc avec fierté, je suis fan. 

Pourquoi, et quel rapport avec la prospective? Et bien parce-que son approche est simple, inclusive et qu’elle nous fait voyager dans le temps, tout cela en nous prenant par la main.

Elle est simple parce qu’elle cherche à répondre, pour un thème donné, aux questions de bases que sont: Pourquoi ? Quoi ? Comment ? Qui ne se pose pas à un moment ou à un autre ce genre de question ? C’est universel ! 

De la vision la plus ambitieuse à celle où le terme vision est totalement abusif, le processus fonctionne (vision momentanée / pourquoi : je veux organiser mes prochaines vacances avec des amis ; Quoi – je vais les inviter à souper ce soir pour en discuter ; Comment – je les invite à dîner, je dois donc préparer le repas: qu’ai-je à disposition? dois-je faire des courses? comment vais-je aller au supermarché? etc.).  Attention cependant, pour ce qui suit l’ordre dans lequel nous allons traiter les questions – pourquoi; quoi; comment – a son importance !

Elle est inclusive, parce que tout travail déjà réalisé au préalable, de l’analyse de signaux faibles, des scénarios, analyse SWOT ou autre récit fictionnel trouve sa place à l’intérieur du processus.

Elle nous fait voyager dans le temps car elle part du présent, et permet d’adopter les valeurs positives de l’effectuation pour passer à l’action et se projeter concrètement dans le futur, et cela tout en considérant les ressources nécessaire au passage d’un horizon temporel à l’autre!

A quoi se réfère donc la notion de fractal dans le titre? Et bien, que vous ayez 5 minutes, une demi-journée ou un mois à disposition pour réfléchir à la thématique, vous pouvez toujours appliquer le même processus de réflexion, et ce, aussi bien dans votre vie professionnelle que privée, pour un thème familial ou pour décider le futur d’une entreprise multinationale!

Encore trop abstrait? Voici donc, de manière commentée, le processus en question. Tous les documents, commentaires, canevas sont disponibles librement auprès du site du Prof. Phaal dédié au roadmapping. Ce qui suit n’est que la mise en pratique séquencée du matériel à disposition; une variation parmi une infinité.

L’atelier prospectif

Ce que nous appelons ici “atelier prospectif” a pour but, comme on le dit couramment, d’ouvrir les chakras. Nous voulons provoquer le “ah aaaaahhh” survenant lorsque l’on s’affranchit de ses biais cognitifs individuels et que l’on voit soudainement la réalité d’une autre manière.

Si déjà le présent vient perçu différemment, qu’imaginer du futur !

Les étapes

La réalisation de l’atelier va se faire en plusieurs étapes successives, toutes liées les unes aux autres. Vous vous en doutez certainement, en fonction du thème choisi, le modérateur aura plus ou moins de travail en amont à réaliser. La modération et l’organisation des différentes étape peuvent varier en fonction de la fantaisie de chacun et des thèmes abordés. 

Il n’y a pas de taille donnée non plus pour l’audience, mais prévoyez plusieurs modérateurs si le nombre de personnes devient important de façon à pouvoir répondre aux questions qui viendront immanquablement accompagner le processus. Nous n’entrerons pas non plus sur la diversité nécessaire au sein des participants, mais il est clair que cela est fondamental.

La structure sur laquelle nous allons travailler se présente comme telle:

  1. Introduction de l’atelier
  2. Pourquoi avons-nous besoin de changement ?
  3. Définition de la vision
  4. Qu’allons-nous faire pour que la vision devienne réalité ?
  5. Comment allons-nous réaliser les actions ?
  6. Mini-études d’opportunités

Ces différentes étapes peuvent être certes agrémentées de pauses ou d’espaces de plusieurs jours, semaines entre  elles. Cela dépendra de la personne en charge, du temps à disposition, mais surtout de l’importance des décisions devant résulter de cet atelier !

1. Introduction à l’atelier

Afin d’obtenir le meilleur résultat possible, le processus doit être compris et surtout accepté comme tel. Ce que l’on cherche à faire est d’extraire les informations des participants qui sont là pour leurs connaissances, indépendamment de leur position hiérarchique. Il est recommandé de faire parvenir aux participant une présentation de ce qu’ils vivront lors de l’atelier, de façon à ce qu’ils puissent s’y préparer (du moins théoriquement 🙂 ). A l’avenir, je transmettrai donc l’adresse de ce billet à mes futurs participants !

Cela peut paraître effrayant au premier abord, mais en choisissant ou en adaptant un canevas de roadmapping, vous obtiendrez un document qui devrait ressembler à cela:

Un des nombreux canevas de roadmapping. Source : Cambridge Roadmapping

Je vous le concède, cela peut être impressionnant et presque intimidant au premier abord.

Si c’est la première fois que vous le voyez, votre expression devrait s’approcher de cela:

Tout cependant n’est que bon sens et se construit une étape après l’autre.

Laissez-vous simplement guider et vous verrez qu’en quelques étapes vous aurez rempli le modèle sans même vous en rendre compte!

Un des modèles du Prof. Robert Phaal de l’Université de Cambridge portant sur le roadmapping et utilisé dans le cadre d'ateliers prospectifs.

Pour chaque étape, nous procéderons chaque fois en 3 temps:

  1. L’identification des éléments
  2. L’évaluation de ces éléments
  3. La priorisation des éléments

Chaque étape est réalisée individuellement. Cela est important car ce sont les variétés d’idées, les divergences de façon de penser, bref, la diversité qui nous intéresse. Les résultats appartiendront au groupe, mais le travail est individuel !

Tout au long du processus, nous allons également considérer deux espaces temporels, le court terme et le long terme. En fonction de l’organisation et du temps à disposition, il est possible naturellement d’ajouter des horizons temporels différents. Ceux-ci seront définis en fonction du contexte (jours, mois, années, décennies, etc)

2. Pourquoi avons-nous besoin de changement ?

Avoir une réponse à la question “pourquoi avons-nous besoin de changement ?” est primordiale, et c’est indirectement la raison de l’atelier. Cette première étape a pour but d’identifier ces raisons en prenant en compte tout ce que chacun des participants peut fournir comme information ou idée. 

C’est durant cette étape que nous allons considérer les signaux faibles, les différentes études quantitatives et qualitatives à disposition, les narratifs, les films ou récits de science-fiction, bref, tout ce qui fournit une motivation pour défier l’immobilise et le status-quo. 

Important à mentionner: il faut intégrer ici tout ce dont vous êtes conscient, tout ce qui a été fait par vous-même ou par d’autres et dont vous avez connaissance. Le syndrome du not invented here n’a pas place ici !!

N’hésitez pas non plus à utiliser des outils comme chatGPT pour complémenter les idées humaines!  Tout doit être noté, de l’idée la plus évidente à la plus folle!

Chaque idée sera notée sur un post-it (virtuel ou réel en fonction si la réunion a lieu en présence ou en ligne et que vous utilisez Miro ou autre). Pour chaque post-it, vous prendrez soin de mentionner une date (ou une période) quand pensez-vous que l’élément se réalisera, ainsi que vos initiales de façon à pouvoir obtenir plus d’information sur le sujet si nécessaire.

Une fois tous les post-its générés, vous passer à l’étape de classification des idées individuelles en clusters puis à la priorisation en distribuant un numéro de votes à chaque participant.

A la fin du processus, vous devez vous retrouvez avec quelque-chose qui ressemble à cela:

Attention, gardez bien toutes les idées suggérées, même si elles n’ont pas été votées. C’est parfois là que résident de vraies perles. Il est donc intéressant de pouvoir revenir sur celles-ci une fois l’atelier terminé.

3. Définition de la vision

Considérant maintenant les 3 ou 4 priorités justifiant le changement, nous allons déterminer vers quoi nous voudrions changer, c’est ce que nous appellerons la Vision !

Le contenu ainsi que la formulation varieront forcément en fonction du thème et des buts de l’atelier, si le processus regarde la création d’un nouveau produit ou de la création d’un nouveau département, par exemple.

A la sortie de cette étape, vous aurez la vision vers laquelle tous vos efforts vont tendre.

4. Qu’allons-nous faire pour que la vision devienne réalité ?

Cette partie n’est peut-être pas considérée comme de la prospective par certains, mais c’est à mes yeux la partie du processus qui permet de construire la crédibilité de la prospective dans le sens que nous allons maintenant considérer comment passer à l’action. Comme le disent si bien les anglophones, une vision sans actions n’est que hallucination (Vision without action is only hallucination).

Afin d’atteindre cette vision, nous ne partons pas de rien, nous partons du présent, avec à disposition nos compétences et bien d’autres choses encore. Peut-être vaut-il la peine de passer quelques instants à faire un inventaire de la situation (tout en étant conscient que le présent n’est pas forcément le même pour tous les participants!).

Une fois le cadre posé, ayant en tête la vision où nous voulons aller ainsi que la situation d’où nous partons, il est possible de réfléchir aux actions que nous souhaitons réaliser.

Pour chaque action, un post-it sera rédigé sur lequel, en plus de l’horizon temporel et de votre identifiant, vous allez indiquer sur lesquels des “pourquoi” priorisés dans l’étape 2, cette action aura de l’effet. A ce moment, vous ne vous occupez pas encore de comment ces actions seront réalisées. Le but ici est d’élaborer un plan disons “idéal” d’actions chronologiques.

De même qu’à l’étape 2, vous devriez obtenir quelque chose de similaire à l’image suivante :

A cette étape du processus votre plan d’actions prend forme: ce que vous souhaitez réaliser et à quelle fin se matérialise petit à petit devant vos yeux.

5. Comment allons-nous réaliser les actions ?

Finalement se pose la question de comment allons-nous réaliser ces différentes actions afin de passer du présent à cette vision ou ce que l’on pourrait également appeler ce Futur désirable.

C’est maintenant que vous allez vous rendre compte si vous disposez de toutes les ressources nécessaires pour la réalisation de vos actions.

Ces ressources peuvent être d’ordre financières, sous la forme de compétences, de technologies, de nouveaux collaborateurs ou partenaires ou d’une toute autre nature. Dans le cas contraire ce sera l’indicateur des ressources manquantes et donc que vous devrez acquérir. 

Vous maîtrisez désormais le processus et prenez désormais confiance en celui-ci. Sans grande surprise, chaque post-it se référera à une idée sur comment réaliser une action définie et priorisée à l’étape 4 :

Une fois classées et priorisés, vous obtiendrez la liste suivante :

Bravo !! Grâce au travail structuré que vous venez d’effectuer, vous avez maintenant:

  • Une vision actualisée tenant compte des forces futures externes et internes
  • Une priorisation des idées menant à cette vision
  • Des solutions pour réaliser ces idées en partant de la situation actuelle.

Vous devriez à ce moment être plus serein et enthousiaste de comment atteindre votre objectif! 

 

Ils restent cependant deux questions en suspens (et je suppose qu’il y a de fortes chances pour que le nombre soit supérieur 😀 )

  1. Compte tenu de ma situation actuelle, la solution proposée est-elle réalisable ?
  2. Quelle est l’importance des opportunités offertes par les différentes pistes ?

Afin de caractériser les différentes solutions proposées, nous allons donc analyser celles-ci sous forme de mini-études d’opportunités.

6. Mini-études d’opportunités

En groupe ou individuellement vous allez, à chaud, compléter pour chaque solution le modèle suivant. Vous allez maintenant de fait qualifier chaque solution retenue.

Les indications obtenues sur la partie droite du modèle permettent, en regroupant l’intégralité des solutions considérées, de produire un vision générale de la situation. Celle-ci se présentera sous cette forme :

Considérant peut-être qu’il faille agir rapidement ou plus vraisemblablement que vous ne disposez pas d’un budget illimité, les solutions de trouvant en haut à droite représentent celles avec le plus d’opportunités et facilement réalisables; c’est donc sur celles-ci qu’il va falloir se concentrer.

Voilà, c’est fini !

Remarques finales

Le processus peut sembler complexe, mais il peut s’appliquer en fait à chaque décision du quotidien et ce en quelques secondes. Pour pratiquement toutes les tâches à accomplir vous pouvez définir un objectif, diverses façons de le réaliser et en fonction de votre situation individuelle vous aller passer à l’action d’une manière ou d’une autre.

Un processus – ou un atelier – tel que celui-ci est donc modulable à souhait en fonction des éléments déjà à disposition ou en fonction du temps disponible.

Il est normalement le point de départ d’une aventure beaucoup plus ambitieuse aux défis innombrables s’appelant changement. La gestion du changement est naturellement complexe et en dehors du cadre de ce billet, mais ayez toujours à  l’esprit qu’en travaillant sur le futur, vous aller remettre en question des façons de faire et des façon d’être et que l’être humain a, à-priori, horreur du changement !

Pour un exercice de groupe sur du très court terme, nous conseillons le programme suivant:

Cela fait 4h20 ou 260 minutes montre en main. C’est court et rythmé, mais c’est faisable… nous l’avons déjà expérimenté plusieurs fois !!

Il est naturellement possible de renoncer à la rédaction des mini-études, ou de le commencer pour le finir ultérieurement.

Le résultat d’un sprint tel que celui-ci offre la possibilité, dans un temps relativement court, de conduire une approche systémique permettant de rendre visibles à l’ensemble des participantes et participants des éléments occultés par des biais individuels, ou par un manque de prise en compte de la globalité de la situation, ou encore parce que la réalité de chacun des participantes et participants est simplement différente.

A la sortie d’un tel parcours, vous disposerez naturellement de beaucoup d’éléments actionnables avec la valeur inestimable d’avoir été conçus par les membres présents à l’atelier et donc a priori de votre team, ou de personnes avec lesquelles vous allez devoir interagir pour la mise en place de votre futur désirable.

La fierté joint au sentiment d’appartenance se construisant petit à petit lors du processus n’auront pas de prix lorsque arrivera la phase d’implémentation !

Les illustrations sont tirées d’un document utilisé par l’auteur  qui le met volontiers à disposition mais sur demande individuelle.
N’hésitez pas à prendre contact avec lui ou pourquoi pas directement avec le groupe du Prof. Phaal, vous ne le regretterez pas!

L’auteur tient à remercier le Dr. Urs Böniger pour toutes les discussions ainsi que les ateliers réalisés en utilisant ce processus.

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