À partir de la construction d’un modèle, le seul rapport qu’on puisse entretienir avec l’avenir est de l’ordre de la projection (ce qui échappe au projet étant à renvoyer au domaine de hasard ou de la chance); qu’on parte du potentiel de la situation, en revanche, le rapport à l’avenir est d’anticipation : épousant la courbe régulatrice de son évolution et détectant dans la situation actuelle l’amorce de la transformation à venir, on se trouve logiquement en avance sur le déroulement. Plutôt donc que de chercher à lire des signes dans l’univers, d’en interpréter le sens et d’en déployer le symbole, plutôt que de se conduire en herméneute, en somme (notre herméneutique ayant partie liée aux origines avec la divination), le stratège est attentif aux moindres indices – prodromes d’une modification. Ce qui renvoie à une différence de fond, entre la Chine et la Grèce, dans le statut de l’invisible : l’invisible de la forme-modèle (eidos) est un invisible de l’ordre de l’intelligible – celui de l’ « oeil » de l’esprit, de la théorie; tandis que l’invisible auquel s’intéressent les Chinois est le non encore visible du fond indifférencié, en amont des processus : entre l’invisible et le visible, les stades du « subtil » et de l’ « infime » permettent d’assurer la transition, et c’est sur eux que le sage/stratège s’appuie pour s’orienter. Aussi, tout en sachant qu’il ne dispose pas de règles ou de normes pour codifier le futur, puisque le cours de la réalité est en constante innovation, est-il libre d’angoisse à son égard (cela dit à l’encontre de notre dernière mode idéologique – celle de l’ « incertitude », des « turbulences » et du « chaos » …).