Les récits permettent à l’homme de vivre en société. Avec le réchauffement climatique, l’épuisement des ressources et la multiplication des inégalités, les histoires d’hier ne sont plus mobilisatrices. Il faut créer de nouveaux récits qui donnent du sens et incitent à agir.
Homo sapiens a un atout que les autres espèces vivantes n’ont pas : il raconte des histoires. Ces récits constituent une matière d’échange qui permet le vivre ensemble.
Les récits mènent l’humanité à travers les âges. C’est eux qui ont conduit Christophe Colomb à découvrir l’Amérique ou Franklin l’électricité. Matinées à l’imagination, ces histoires sont la base de création de toute chose. Avant de fabriquer une chaise ou une voiture, les créateurs racontent son histoire !
… les histoires d’hier ne sont plus mobilisatrices. Il faut créer de nouveaux récits qui donnent du sens et incitent à agir.
Anne-Caroline Paucot
Une page se tourne
Depuis les trente glorieuses, les récits collectifs racontent des histoires d’avenirs radieux. Ils parlent des bienfaits…
Du progrès et de la technologie
Après avoir libéré l’homme de travaux pénibles, les technologies vont résoudre tous nos problèmes.
D’un coup de baguette digitale, la fée numérique va transformer les entreprises et les organisations. Cette révolution éliminera toutes les pesanteurs du vieux monde et nous transportera dans un monde communicant et agile.
La science nous promet des remèdes à tout. On va tous vivre plus vieux et en bonne santé. Surpuissante, elle pourrait même porter un coup fatal à la mort !
De la croissance
Ce ciment sociétal garantit la stabilité du système. Si on produit plus et mieux, on gagne plus. L’aventure n’a pas de limites, car la planète offre des ressources gratuites et inépuisables. La population va pouvoir augmenter, se déplacer, consommer sans que la Terre en pâtisse.
Du capitalisme
Reposant sur la propriété privée et le libre-échange, le capitalisme assure la bonne marche de l’économie. Un de ses rouages essentiels est l’entreprise qui, outre être un lieu de socialisation et d’épanouissement personnel, garantit la subsistance des travailleurs.
Aujourd’hui, ces récits ont pris des coups dans l’aile.
Si la technologie élargit le champ des possibles, elle crée de nouveaux problèmes. Les développements des IA s’accompagnent, par exemple, de craintes pour l’emploi.
La digitalisation a perdu de sa superbe. On ne croit plus à l’application miracle qui va limiter le réchauffement climatique, réduire les inégalités et régler les vrais problèmes de la société.
La science et la chimie ont aussi mis des substances à risque dans les champs et nos assiettes (pesticides, herbicides), dans nos produits ménagers et de soin corporel (substances cancérigènes, nanoparticules..), dans l’air ambiant (automobile polluante, solvants dans nos habitations)… Pour éliminer ces pollutions qui se multiplient et s’accumulent, il va falloir supprimer tous ces produits.
On craint que la croissance nous amène à l’effondrement du système actuel. La menace est sérieuse. Avec les effets dominos et les systèmes d’amplification, un froissement d’aile de papillon peut provoquer une catastrophe qui en entraînera une autre. En prime, avec l’accélération du changement, on s’approche des limites à une vitesse exponentielle.
Face à l’épuisement des ressources de la terre, les conteurs qui incitent à continuer à surconsommer, gaspiller, gâcher et marchandiser la nature sont de moins en moins crédibles.
Il devient aussi délicat de perpétuer un système financier fondé sur la dette et une répartition de plus en plus déséquilibrée des richesses.
Grâce à ces futurs désirables imaginés collectivement, l’entreprise pourra adopter un mode de navigation lui permettant de profiter des vents porteurs.
Anne-Caroline Paucot
Un pas de côté
Face à ces nouvelles donnes, on peut se lamenter sur un passé dépassé qui ne repassera pas les plats, s’engager dans des logiques bellicistes, des replis identitaires ou des dérives mystiques pernicieuses, sauver sa peau en construisant son abri anti-effondrement. Ou encore, mettre des rustines sur la Terre en ajoutant des mots à nos bons vieux concepts. Le développement devient durable ou soutenable, l’économie solidaire ou collaborative, la croissance verte !
En se référant à Einstein qui précise « On ne peut pas résoudre un problème avec le même mode de pensée que celui qui a généré le problème », il est plus judicieux de faire un pas de côté et de sortir du cadre actuel en imaginant de nouveaux récits.
Des histoires construites en mode collaboratif qui intègrent les nouvelles problématiques et les défis sociétaux et planétaires à relever permettront aux organisations de savoir où elles veulent aller. Sénèque affirmait que : « Il n’y a pas de vents favorables pour ceux qui ne savent pas où ils veulent aller ». Grâce à ces futurs désirables imaginés collectivement, l’entreprise pourra adopter un mode de navigation lui permettant de profiter des vents porteurs.
À vos histoires ! Et n’oubliez pas quand vous les construirez que l’imagination est la meilleure compagnie de transport du monde. Elle permet d’aller loin sans consommer des ressources, voire mieux, elle en crée de nouvelles !
Créer de nouvelles histoires, les scénariser et les jouer, joyeusement et audacieusement, contribuent à créer une nouvelle réalité pour moi, retrouver ma puissance d’agir, de la ou je suis, d’avoir un impact sur ma santé ( mentale physique et émotionnelle), et de garder l’espoir… dans un monde chaotique.
Dans la même ligne directrice que ce billet: Nous sommes à l’aube d’une grande résurgence des imaginaires collectifs par Philippe Vion-Dury