Je ne critique pas la technologie qu’on nous offre parce qu’elle serait inerte ou stupide, non responsive ou robotisante. Je la critique parce qu’elle nous dévitalise en nous donnant l’illusion de faire plus de choses… qu’on fait pourtant moins bien. Je la critique parce que j’ai la conviction que ce qui a forgé la noblesse de notre humanité a tenu à cette confrontation constante (que nous n’avions jamais esquivée jusqu’à peu) avec l’altérité : l’altérité du minéral et des formes de vie, si multiples, celle de l’étranger qu’on apprivoise et du phénomène inconnu qu’on va finir par décrypter, l’altérité radicale de la mort, du dehors, et de l’incompréhensible.

Pour Sapiens, l’espace fertile n’est ni l’intérieur, ni l’extérieur : il est cette lisière tremblée où l’on s’élève en se confrontant à ce qui n’est pas nous et que j’aime à appeler : l’altérieur. L’altérieur est la ligne de touche de la science-friction. Il est l’hétérotopie native, le lieu où, si l’on écrit de l’imaginaire, il faut aller porter ses personnages pour les mettre au monde ; le lieu où, si l’on prétend vivre une vie qui mérite d’être vécue, alros il s’agit d’oser bivouaquer. Aux antipodes, notre modernité technique est l’empire de l’identique. Home est son biotope. Elle a fermé la porte et allumé les lumières. Elle a mis sous nos fesses des sofas et sous nos narines, à sniffer, la poudre blanche de la digitaline. Tout est contenu et appli, tout somme réplique et copie, du pareil au mime, et puis du mime au même, et puis du même au mème.