Image réalisée par Luc Legay

Cognititre

Titre racoleur qui vampirise votre attention.
18 décembre 2025
4 mins de lecture

Étymologie

du latin cognitio (connaissance, perception) et titre (inscription, en-tête).

Le cognititre désigne un titre conçu pour piéger l’attention dans un environnement saturé d’informations. Il promet, intrigue, manipule. Rarement honnête, souvent survendeur, parfois carrément trompeur. Son objectif : vous faire cliquer à coup sûr.

L’art ancestral du bonimenteur

Assumons-le d’emblée, le cognititre n’invente rien. Il revisite des techniques éprouvées, connues sous différents noms.

Credo pour déclarer sa foi.

Slogan pour le publicitaire ou le syndicat.

Mantra pour le coach en développement personnel.

Punchline pour le comédien de stand-up.

Éléments de langage pour le politique.

Pitch pour la startup en quête d’investisseurs.

Toutes poursuivent le même but : condenser le message, séduire, convaincre.

Le cognititre ajoute une dimension : l’urgence. Il doit capturer l’attention en une fraction de seconde, dans un flux qui circule à la vitesse de la lumière. Pas le temps de réfléchir à ce stade. Juste cliquer.

La bataille pour l’accès à votre cerveau

Cette mécanique a depuis longtemps investit tous les domaines. Notamment celui de la politique. « Make America Great Again » de Trump en 2016, condense en quatre mots toute la puissance d’un cognititre : une promesse simple, émotionnelle, et suffisamment vague pour que chacun y projette ses propres espoirs.

En 2004, Patrick Le Lay, PDG de TF1, déclarait sans filtre : « Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible. »

Dans les années 1980, les éditeur de presse populaire à grand tirage (la presse People) usent et abusent de la technique des titres accrocheurs pour (sur) vendre leurs hebdomadaires.

 

Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible.

Le quizz de l’enfumage

Parmi ces exemples de cognititres, un seul est réel. Saurez-vous retrouver le vrai, sans l’aide de Google ? (solution en fin d’article).

Secret bien gardé : « Il révèle 10 prompts secrets utilisés par la CIA pour débloquer les limites de l’IA. »

Buzz assuré : « Le geste inattendu de Jean-Pierre Foucault en pleine cérémonie des Miss France. »

Trahison royale : « Lady Diana : nouvelles révélations sur la trahison odieuse subie par la princesse. »

Incident mystérieux : « Elle poste une image banale… puis tout l’internet s’enflamme pour un détail qui change tout. »

Succès facile : « Ce collégien gagne entre 8 000 et 10 000 €/mois avec cette méthode (légale mais méconnue). »

Caution scientifique : « Voici le geste anodin qui révèle tout de votre personnalité (selon Harvard). »

Découverte improbable : « Un agriculteur découvre cet objet dans son champ : les autorités parlent d’un « cas unique ». »

Tuyau percé : « Elle dévoile sur TikTok cette recette pour déboucher une canalisation. Le syndicat des plombiers dénonce une opération pour couler la profession. »

Chaque exemple exploite un biais cognitif : curiosité, peur de rater quelque chose, désir de réussite facile, fascination pour le scandale, etc.

La surenchère des influenceurs

Sur les réseaux sociaux et leurs hordes de croisés de l’influence, le combat est inchangé. L’information surabonde. Le cerveau sature. Et dans ce chaos cognitif, seuls émergent les signaux qui jouent avec vos biais cognitifs.

Les créateurs de contenu l’ont compris : dans la course à l’économie de l’attention, tous les coups sont permis.

Une publication LinkedIn sans intérêt ? Le cognititre la métamorphose en épiphanie professionnelle avec force retours à la ligne et suspense organisé. « Ma méthode infaillible pour cartonner sur LinkedIn (commente pour recevoir mon PDF gratuitement) ».

Une vidéo TikTok dans la cuisine ? Le cognititre transforme l’expérience en révélation choc : « 99% de gens ne connaissent pas cette astuce de folie ! Et toi ? »

La surenchère devient la norme. Pour émerger, il faut promettre toujours plus. Le titre informatif et honnête disparaît, remplacé par sa version dopée aux superlatifs sous stéroïdes.

Coût cognitif et limites

Comme les bactéries qui développent des résistances aux antibiotiques, notre cerveau révèle une résistance aux cognititres.

Les accroches les plus grossières perdent leur efficacité. Il faut alors augmenter la dose, inventer de nouvelles formules, repousser les limites du crédible.

 

La vérité s’efface derrière la viralité.

 

Cette course à l’outrance dégrade la qualité de l’information. Le fond importe moins que la forme. La vérité s’efface derrière la viralité. Le contenu devient prétexte au clic.

Cette mécanique désensibilise. Et quand le sensationnel devient la norme, le quotidien parait bien terne. À force de promesses non tenues, le lecteur ne croit plus rien. Dans les milieux bien informés on parle ici de « putaclic ». Version vulgaire du cognititre.

 

Dans les milieux bien informés on parle ici de « putaclic ».

Cybervide attentionnel

Le cognititre révèle une vérité gênante sur notre rapport à l’information : nous préférons souvent la promesse au contenu.

Nous cliquons sur « Cette méthode va changer votre vie… » alors que nous savons pertinemment que rien ne changera.

Nous ouvrons « Les 10 secrets que les experts cachent » bien conscients que les experts ne cachent rien.

Nous succombons au « Personne n’était prêt pour ce qui s’est passé ensuite » alors que nous anticipons déjà la déception qui nous attend.

Le cognititre fonctionne parce qu’il exploite notre faiblesse cognitive. Et nous le laissons faire, encore et encore, dans l’espoir que cette fois, peut-être, la promesse sera tenue.

Si le titre de cet article était un cognititre, cela donnerait quelque chose comme : « Je révèle la seule technique qui garantit à coup sûr que votre publication sera lue ».

Mais bon, si vous êtes arrivés là, c’est que, pour une fois, la sobriété a payé.

Pour aller plus loin

« Journalism: online headlines shift from concise to click-worthy » (Journalisme : les titres en ligne passent de la concision à l’attrait des clics). Etude du Max Planck Institute for Human Development (2025) montrant que les titres en ligne sont devenus plus longs, plus négatifs et davantage orientés « clickbait » dans le contexte d’une concurrence accrue pour l’attention. 

Solution au quizz de l’enfumage : « Lady Diana : nouvelles révélations sur la trahison odieuse subie par la princesse… » Closer, 25 novembre 2025.

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