Introduction
Depuis quelques jours, l’application ChatGPT bouscule tous les observateurs. Pourtant, ce n’est pas une révolution technologique. Ou plutôt, nous le considérons collectivement comme une révolution technologique d’autant plus grande que nous souffrons tous d’un biais cognitif, le biais attentionnel. Et ChatGPT s’inscrit dans l’évolution des robots conversationnels, dont le premier modèle (ELIZA) date quand même de 1966 !
Comment un domaine de développement de plus de 50 ans a pu rester hors du radar de la plupart des observateurs pendant tout ce temps et malgré des avancées régulières ? Dis autrement,
Pourquoi sommes-nous passés à côté ?
Si tant d’observateurs et d’experts ont découvert la disruption apportée par ChatGPT seulement depuis quelques jours ce n’est ni faute d’observation ni faute d’expertise. Nous sommes tous naturellement sujet à un biais cognitif au moment d’analyser une information : un biais d’attention.
Le biais attentionnel pourrait se résumer ainsi : si un sujet n’est pas dans mon radar, alors il y a toutes les chances que je ne le prenne pas en considération. Notre cerveau ne peut pas traiter toutes les informations auxquelles il est confronté avec la même attention. Alors avant même de traiter une information, il applique un filtre à l’entrée. La donnée est-elle pertinente ou non pour moi ? Si oui, alors le cerveau poursuit sa prise en compte, son analyse et sa mémorisation. Mais si elle est jugée non pertinente, alors nous adoptons une stratégie d’évitement et nous passons à autre chose sans plus de difficulté.
si un sujet n’est pas dans mon radar, alors il y a toutes les chances que je ne le prenne pas en considération.
Si l’information n’est pas considérée comme stimulante (que l’on soit dans le cadre d’un stimulus positif ou négatif) alors elle est en grande partie effacée. Cela a été démontré en 1999 par Daniel J. Simmons par l’expérience du Gorille invisible.
Le protocole est simple : deux équipes de basket sont mélangées (une habillée en blanc, une en noir) et se font des passes. On demande aux participants de compter les échanges de l’équipe blanche. Au bout d’une minute, les participants annoncent le nombre d’échange, sans erreur. Mais 50% n’ont pas vu le gorille noir qui s’était mélangé aux joueurs !
Cette démarche peut être intentionnelle. Dans ce cas, nous parlons d’attention sélective, à savoir notre capacité à trier parmi toutes les informations celles auxquelles nous souhaitons accorder plus d’importance ou plus d’analyse. L’attention sélective est l’outil numéro un pour exercer notre capacité à prioriser et à classer des informations.
Mais lorsque cela n’est plus intentionnel, alors le biais d’attention représente un véritable défi au quotidien, tout particulièrement pour l’exercice de la prospective.
Comment capter les signaux faibles, les informations à la marge, les potentiels de disruption alors que, par définition, notre biais attentionnel va naturellement donner la priorité aux informations déjà bien installées, confirmées par leur répétition sur des formats et supports divers ? Bref, comment faire de la prospective avec ce biais attentionnel ?
Heureusement, nous pouvons faire appel à plusieurs techniques et nouvelles routines pour lutter contre les risques induits par ce biais d’attention.
1. Changer de références.
La première action qui peut être mise en œuvre sans contrainte est le fait de changer très régulièrement de références pour le traitement de l’information. Changer ses sources, bien sûr, et consulter des références nouvelles et hors de votre radar habituel. En se remettant régulièrement dans une position de découverte et non de confirmation, nous exerçons une attention plus forte car la nouveauté engendre une vigilance décuplée.
2. Lutter contre la spécialité.
Lutter contre sa tendance naturelle à vouloir se spécialiser dans un sujet ou une thématique peut être complexe. Pourtant, en gardant une approche la plus large et ouverte, on réduit le risque de ne pas voir une information et, surtout, le risque de ne pas la considérer a priori comme pertinente.
L’idée n’est pas de n’avoir aucune zone d’expertise ou appétence particulière pour telle ou telle aire d’études ou d’activités mais bien de stimuler en continu son attention sur des sujets nouveaux et des avis contraires.
C’est aussi trouver des astuces pour déjouer les algorithmes et les outils de recherche qui nous proposent par défaut du contenu que nous apprécions déjà. Sur ce point en particulier, les fonctions « J’ai de la chance » de Google ou « Une page au hasard » de Wikipédia par exemple peuvent fournir des sources inattendues et donc bousculer nos habitudes.
3. Objectiver sa démarche.
Enfin, dans toute démarche exploratoire, il est nécessaire de tenter d’objectiver autant que possible son attention. Identifier ses a priori, ses intérêts et ses opinions pour intégrer dans son champ d’attention des visions divergentes, des sources contraires et des approches différentes. L’objectif est de faire émerger des différences afin d’obtenir une réalité objective.
Associés, ces différents outils offrent une première protection face aux biais d’attention. Surtout, ils nous alertent sur son existence et sur les travers et erreurs d’analyse qu’il engendrerait sans contrôle.
Très bon document sur les biais cognitifs du site https://www.penser-critique.be/ – proposé par un lecteur.
Afin de garantir l’accessibilité, le document est proposé en téléchargement local.