Q156 | Comment imaginer le patient de 2050 par la fiction ?

21 avril 2023
6 mins de lecture

– Pourquoi tu ferais ça ? Pourquoi tu voudrais disparaître numériquement ? Son ami regardait son poignet, conscient de cet implant qui mesurait tout ce qui passait. Il prit quelques secondes de réflexion et reprit d’un air assuré : Je ne veux plus rendre de comptes sur le sport que je fais, sur ce que je mange, ou combien d’heures je dors. VirtU, la Biochip, l’Agence de Santé… cette prétendue sécurité ne me suffit plus.

– Je veux être libre. Je veux avoir le droit de vivre comme je l’entends, d’être en mauvaise santé, voire de tomber malade. Je veux devenir un Invisible et je pense que tu devrais aussi. 

La prospective, ou l’art de naviguer dans un futur quantique

La prospective considère que le futur n’est pas écrit, ni connu, ni formellement mesurable de manière satisfaisante et qu’une des façons clés d’aborder ce domaine est d’envisager des alternatives, non pas pour un futur, mais des futurs, sans préemption pour l’une ou l’autre de ces situations hypothétiques. Ces futurs, on les appelle des scénarios.

Ce sont en fait différents états du futur à imaginer, examiner, évaluer, comparer. Le but est toujours le même : pouvoir explorer différents futurs comme alternatives au présent continu. Et pourtant un lien va finir par exister entre le présent et un futur.

Pour paraphraser Etienne Klein, comment savoir ce qui va se passer, si ce qui va se passer dépend en partie de ce que nous allons faire ? Comment dénouer ce paradoxe ?

On pourrait presque dire que le futur dispose de propriétés quantiques. Tant que l’on ne mesure pas une particule quantique, celle-ci se trouve à plusieurs endroits en même temps selon un ensemble de probabilités. De la même manière, tant qu’un futur n’est pas mesuré (en devenant l’instant présent), déterminer sa nature, ce qui le compose et son mouvement reste un exercice d’imagination et de prospective. Ainsi, la prospective est comparable à la physique quantique, traitant de son objet d’intérêt sous l’angle des scénarios. Faire de la prospective, ce n’est pas prédire le futur, ni même en donner les tendances majeures.

Comment savoir ce qui va se passer, si ce qui va se passer dépend en partie de ce que nous allons faire ?

Alors, comment imaginer un futur de la santé ?

L’innovation en santé compose un paysage très vaste de produits et services visant à améliorer la prise en charge des patients, développer une médecine préventive et optimiser l’usage des ressources à la fois financières et humaines qui se raréfient dans la plupart des pays du monde.

La médecine « numérique », sous ses différentes formes, apporte des solutions et constitue une montée en performance de la santé, avec la possibilité de mettre le patient au centre de l’attention. On ne compte plus les technologies et les applications, les services innovants à l’œuvre dans cette dynamique. Pourtant, tout n’est pas si simple. Dans une approche prospective, on se doit aussi d’examiner ce qui peut amener des difficultés voire de vrais inconvénients.

Le numérique en santé pose au moins cinq enjeux:

  1. Celui des fractures sociales, avec des niveaux d’accès et de maîtrise différenciés face à ces ressources,
  2. Des enjeux de sécurité, comme en témoigne l’explosion inacceptable de cyberattaques de type ransomware sur les hôpitaux et les cabinets médicaux
  3. La souveraineté en matière des données,
  4. L’accroissement substantiel du bilan carbone et de la pollution en métaux rares,
  5. De nouveaux problèmes et risques malaisés à gérer : addictions, dépendances, stress, difficulté du consentement face aux prouesses de l’IA, « augmentations » souvent à la limite de l’éthique, etc.).

Il est éminemment complexe de prédire à quoi ressemblera la prise en charge d’un patient dans les 30 prochaines années, en particulier lorsque l’on considère l’impact des technologies du numérique dans cet écosystème et compte tenu de ces cinq enjeux. L’évolution fulgurante de ces technologies dans des usages plus courants combinée à l’inertie latente et à l’aversion au risque du monde de la santé rendent toute prédiction « linéaire » peu fiable.

À titre d’exemples, on peut citer l’usage accru du numérique par les patients pour s’informer ou prendre des décisions, le développement de l’Intelligence Artificielle en tant qu’outil d’aide à la décision clinique aux côtés des professionnels de santé, ou les premiers efforts identifiés pour former ces mêmes professionnels dans un Metavers.

Portées par des considérations éthiques, réglementaires, sociétales, cliniques et commerciales, ces mutations auront un impact profond sur notre prise en charge et celle de nos enfants, un impact pourtant difficile à appréhender sans avoir recours à une démarche prospective.

Pour imaginer un futur possible dans le domaine de la santé nous avons eu recours pour cela à un vecteur : le roman d’anticipation. Le livre propose donc à chacun de faire ce voyage dans un futur possible.

2050

Emma est une jeune fille née en 2018. Les progrès de la médecine s’accélèrent.

Emma va plonger les yeux fermés, dans cette vie : téléconsultations, livraison de médicaments par drone, suivi des paramètres de sommeil, puis neuro-implantation pour arriver propulsée en 2050. Choc du saut temporel, en 2050 avant même de naître nous connaitrons la vie « médicale » ou le « capital santé » de l’enfant à naître.

Nous sommes partis d’une double trame à la fois technologique et organisationnelle avec une rupture forte à horizon 2040.

Sur la première période, de 2018 à 2030, nous avons mené un exercice de veille sur les technologies en cours de développement et notre parti-pris a été d’imaginer leur adoption rapide par le système de santé (téléexpertise à distance, assistant médical de type agent conversationnel, livraison de médicaments par drone).

Pendant la seconde période à partir de 2030, un saut technologique est effectué : puce neuronales généralisés, systèmes de crédits à points de santé, incarnation des metavers…

Bien que notre fiction se nourrisse de blocs technologiques existants, les degrés de maturité peuvent varier, des signes et des indices laissent penser que ce scénario post-2030 est plausible, mais il est loin d’être le seul.

Imaginer un futur de la santé, pourquoi ?

L’enjeu de cette construction est triple :

  1. Surprendre : l’évolution est lente à notre échelle, mais les liens entre ce que nous faisons aujourd’hui et ce qui se passera demain apparaissent ainsi plus évidents évident.
  2. Questionner : Profiler des scénarios extrêmes pour faire réfléchir aux impacts : serons-nous libres de nos actes ? Aurons-nous le droit de tomber malade ? Serons-nous tous transhumains ?
  3. Créer un espace de débat en introduisant le concept néologique de biocitoyen. Il est pour nous une manière d’ouvrir un dialogue sur la partie sociétal et citoyenne du futur de la santé.

Le biocitoyen est doté de nouveaux droits et devoirs à l’égard de sa propre santé.

  • Il ou elle est responsable de préserver et d’optimiser son capital santé.
  • Le biocitoyen est connecté, prescient, informé et sollicité.
  • Il dépeint à la fois une hybridation de notre prise en charge à la fois humaine et algorithmique, et une nouvelle relation entre patients et médecins.

La personnification nous permet de rendre le questionnent plus impactant et personnel. Et vous que feriez-vous ?

Conclusion

Dans le spectre des scénarios plausibles, 2050 offre une place primordiale au numérique en santé, promue par une forme de « poussée technologique ».

 

Il est important de différencier les sujets de questionnements et la manière dont ils sont traités par la fiction.

 

Sous couvert de la nécessité d’innover, l’avènement du « tout-connecté » met en avant plusieurs limites à ce raisonnement. Mais c’est là tout l’enjeu de cet essai-fiction : donner à tout un chacun des clés de lecture pour comprendre quel sera le point de bascule : à quel moment dans le scénario considèrerons-nous que les risques deviennent supérieurs aux bénéfices ? Comment et où placer les bons garde-fous pour s’en prémunir ?

Imaginer le futur de notre prise en charge est une gageure. Pris en étau entre des perspectives futuristes stimulantes et des problématiques de terrain immédiates et bien concrètes, le monde de la santé forme un écosystème complexe dans lequel la technologie prendra un rôle de plus en plus essentiel. Mais la nature de ce rôle n’est pas définie.

Pour retrouver notre capacité à réfléchir au temps long, et à construire des futurs à la fois plausibles et désirables, la fiction est un outil indispensable du prospectiviste.

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