Entretien avec Johann Rudolf Bircher

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Johann Rudolf Bircher est responsable des activités de recherche au sein d’armasuisse. Cette fonction comprend l’élaboration de concepts de recherche stratégiques ainsi que la direction de la planification annuelle de leur mise en œuvre.
Outre la définition de thèmes de recherche appropriés, M. Bircher est responsable du développement d’un réseau national et international d’experts et du transfert des résultats de la recherche aux parties prenantes et aux décideurs au sein du Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports. Il est l’un des initiateurs du « Cyber Defense Campus » et du « Swiss Drone and Robotics Center« , tous deux fondés en 2019. 
M. Bircher est titulaire d’un doctorat en chimie physique de l’ETHZ et d’un Executive MBA de l’Université de Saint-Gall.

Les prospectivistes :
Merci beaucoup Dr. Hansruedi Bircher pour cet entretien. En tant que responsable de la recherche au sein d’armasuisse, l’office fédéral suisse de l’armement, comment vous est venue l’idée de lancer un programme de recherche en prospective technologique ?

Hansruedi Bircher :

Certaines technologies se développent aujourd’hui très rapidement, avec des conséquences perturbatrices pour notre société et notre économie. Dans notre économie, ce processus est déjà bien avancé : de nouveaux modèles commerciaux et de nouveaux produits ont émergé, tandis que dans certains domaines, les industries traditionnelles ont largement disparu. On peut s’attendre à des bouleversements similaires dans le secteur militaire en raison des développements technologiques. Le programme de recherche « Prospective Technologique » a pour but de générer une vue d’ensemble des principales tendances technologiques dans la dynamique actuelle des développements et d’évaluer leurs effets sur la menace pour la population et l’accomplissement des tâches de l’armée suisse.

Les prospectivistes : Y a-t-il eu des difficultés à motiver les différentes parties prenantes ? Quels étaient vos arguments ?

Hansruedi Bircher :

Bien sûr, il y a eu des difficultés. La prospective technologique est une activité stratégique qui, à première vue, n’a que peu d’influence directe sur les activités quotidiennes. Il est cependant clair que dans une organisation comme armasuisse organisée en projets, les sujets stratégiques sont d’importance primordiale, en particulier au niveau de la direction. C’est la raison d’être du programme de prospective technologique. 

Sans ce programme de recherche, la planification de l’armée risque de mal évaluer les futurs développements technologiques et de ne pas tenir compte de leurs conséquences sur le développement futur des forces armées. Cela peut conduire à l’acquisition de technologies pas encore arrivées à maturité ou déjà dépassées. Il est également possible que les menaces résultant du développement technologique ne soient pas suffisamment reconnues et que l’efficacité des ressources propres des forces armées soit surestimée. Cela a des conséquences à la fois financières et opérationnelles.

Les prospectivistes :
Quels étaient les principaux objectifs et attentes des parties prenantes ?

Hansruedi Bircher :

D’une part, il s’agit de l’orientation correcte à moyen terme des thèmes de recherche et donc du développement des compétences au sein d’armasuisse S+T. D’autre part, il est important d’identifier à temps les développements technologiques et de montrer leurs conséquences sur le développement des forces armées. À cette fin, une coopération étroite de toutes les agences concernées est une nécessité absolue, car les connaissances militaires et technologiques doivent être combinées afin de classer correctement les potentiels mais aussi les menaces des développements technologiques.

Les prospectivistes :
Après 6 ans de vie du programme de prospective, voyez-vous des effets au sein des différents services ?

Hansruedi Bircher :

Oui, de nouvelles formes de coopérations entre toutes les parties concernées doivent être établies. Cela inclut de nouvelles méthodes de gestion de projet et de nouveaux processus de mise en œuvre, tels que des méthodes agiles (SCRUM et autes), CD&E (Développement de Concepts et Expérimentation), Hackatons et prototypage rapide. En outre, il faut trouver des réponses à l’innovation continue, à la modularisation et à la normalisation des composants et des systèmes. Les environnements virtuels et la simulation basée sur des agents permettront d’évaluer l’influence de l’innovation technologique et l’estimation des différentes variantes de mise en œuvre des projets sur la performance des forces armées et leur potentiel disruptif. Il sera nécessaire d’établir un système de gestion de la technologie et de l’innovation dans le but de coordonner les activités des différents acteurs de l’armée, d’armasuisse, des universités et de l’industrie.

Les prospectivistes :
Il existe différents programmes de prospective technologique dans le monde, comment évaluez-vous cela ? Sont-ils adaptés aux particularités de la Suisse et de la défense suisse ?

Hansruedi Bircher :

La détection prospective technologique peut être divisée en plusieurs phases. Très souvent, la détection des nouvelles technologies et l’évaluation de leur impact général sur les forces armées font l’objet d’ateliers et de conférences internationales. 

Les conséquences spécifiques pour ses propres forces armées (i.e. l’armée Suisse dans le cas précis) doivent en revanche être traitées en étroite collaboration avec les organisations militaires qui s’occupent de l’orientation future des forces armées. Des approches telles que le jeu de guerre ou la simulation basée sur les agents jouent un rôle important dans l’évaluation des avantages ou des menaces des nouvelles technologies. Ces approches permettent d’anticiper les apports offerts par les technologies pour les différentes capacités militaires en les évaluant dans divers scénarios.

Seules l’ouverture à la nouveauté et la créativité pour les idées novatrices permettent d’exploiter le véritable avantage de la prospective.

Les prospectivistes :
Quel est le rôle d’un programme de prospective technologique dans un système de gestion des technologies ?

Hansruedi Bircher :

La partie de veille joue un rôle important en tant qu’élément du processus de gestion de la technologie. Outre l’évaluation déjà décrite ainsi que des conséquences pour les forces armées, elle fournit également des indications quant aux sujets à inclure dans les activités de recherche pour les forces armées. 

Une tâche particulière du programme de prospective consiste à éviter les angles morts dans le développement des technologies et à détecter et suivre les signaux faibles dans le temps. Il est donc important que la détection précoce des technologies soit effectuée sur une large base afin que les priorités puissent être fixées correctement dans les phases ultérieures de la gestion des technologies.

Les prospectivistes :

Y a-t-il des éléments dans les initiatives et les activités du programme Foresight qui vous ont particulièrement surpris ? Positif ? Négatif ?

Hansruedi Bircher :

Lorsque le programme de prospective technologique a été lancé en Suisse, nous ne savions pas encore dans quoi nous nous engagions. Une chose est vite devenue claire : l’identification des nouvelles tendances technologiques et l’évaluation des conséquences pour les forces armées ne peuvent être réalisées que si un réseau de spécialistes issus d’organisations internationales, d’universités, de l’économie, des autorités et des forces armées est mis en place avec succès. La prospective est une activité d’individus (it is a People Business). 

Il est nécessaire de découvrir les personnes intéressées à cette activité, de les motiver et créer une communauté qui est prête à apporter sa contribution au processus de prospective mis en place. Ce programme a connu un grand succès malgré des ressources très limitées. Un autre pilier important est le transfert de connaissances et d’idées à la communauté. Ici, une plateforme d’activités a été créée dans le cadre de DEFTECH qui n’a pas à rougir d’une comparaison internationale.

Les prospectivistes :
Quels conseils donneriez-vous à un ministère qui souhaite lancer un tel programme ?

Hansruedi Bircher :

Je ne pense pas qu’il soit possible de se contenter de conseils. Chaque organisation doit trouver sa voie pour tirer les bonnes conclusions de l’utilisation de la prospective (technologique ou autre) pour le développement de ses modèles commerciaux. Souvent, il peut être avantageux de donner une certaine liberté aux activités de prospective afin qu’elles ne soient pas entravées, voire rendues impossibles, par les préoccupations quotidiennes de l’entreprise. Seules l’ouverture à la nouveauté et la créativité pour les idées novatrices permettent d’exploiter le véritable avantage de la prospective. Evidence dans le monde agricole, la recherche suit une même logique: il faut semer avant de pouvoir récolter.

Evidence dans le monde agricole, la recherche suit une même logique: il faut semer avant de pouvoir récolter.

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