Rédaction :
Anne-Caroline Paucot (Propulseurs)
Images :
Midjourney
Lanceur d’alerte hier, le Professeur Maximilien Amaury est accusé de crime contre l’humanité pour avoir créé un vaccin. Ce procès nous fait plonger dans un monde où le désir d’enfant se heurte à la survie de la planète !
Je me suis levée à quatre heures du matin. Les Sans berceaux étant à l’origine du procès, ils se sont tous donné rendez-vous. Je ne voulais pas prendre le risque de ne pas pouvoir entrer dans la salle. Je ne suis pas uniquement là pour couvrir l’événement, mais aussi en tant que victime de l’homme qui est aujourd’hui au banc des accusés.
Yori et moi rêvions d’avoir des enfants. Nous étions traités d’irresponsables par tous ceux, toujours plus nombreux, qui considèrent la planète trop abîmée pour accueillir d’autres vies. Nous répondions que des regards neufs étaient nécessaires pour redessiner un monde joyeux et solidaire. Sans enfants, la société risquait la sclérose. Il n’y aurait plus personne pour forcer la société à s’adapter et à évoluer.
Quand Yori a reçu les résultats de ses examens, il a d’abord cru à une erreur. Il était en forme. Il n’avait aucun problème sexuel. Quand le verdict fut confirmé, il répétait : « J’ai honte. Je ne suis pas un homme ». J’essayais en vain de le rassurer. Il avait l’impression de trahir mes rêves les plus chers. Quand je suis tombée enceinte, il a repris goût à la vie. La fausse couche l’a anéanti à nouveau. C’est alors qu’il a mis fin à ses jours.
Je regarde son assassin. Maximilien Amaury est droit comme un I dans son costume impeccable. Il a le regard mi-cuit de celui qui se sent victime et se sait bourreau.
Le tribunal est bondé. Des hologrammes retransmettent le procès en direct dans le monde entier. La présidente, une femme à l’allure sévère, active son micro. Sa voix résonne dans la salle :
— Mesdames et messieurs, nous sommes ici pour juger Maximilien Amaury, l’homme qui a provoqué la mort de milliers de personnes et massacré les espoirs d’enfants d’un nombre incalculable de couples.
La présidente lui demande de décliner son identité et fait défiler sa biographie sur l’écran géant. L’homme fait gronder la salle lorsqu’il mentionne qu’il a six enfants.
— C’est comme si le chef des végans possédait un élevage de bœufs… Il nous stérilise pour pondre son armée, murmure-t-on.
La colère résonne. Elle est amplifiée par les témoignages des victimes qui défilent à la barre. Max, un membre des Sans berceau, est le premier à raconter son calvaire :
Diminution des spermatozoïdes
Une étude de 2022 indique que la concentration moyenne de gamètes dans le sperme des hommes a été divisée par deux en l’espace de 45 ans ! Elle était de 101 millions de spermatozoïdes par millilitre de sperme en 1973, contre 49 aujourd’hui.
— Ma femme et moi, nous avons payé cher notre désir d’enfants. On a été ruinés par des traitements garantissant la fertilité. On devait se nourrir avec des aliments miracles qui coûtaient le prix du caviar. Nous avons vendu notre maison pour aller embrasser des arbres et danser sous la pluie lors d’une aurore boréale. Notre désespoir était si profond que nous avons même participé à des cultes de la fertilité. Ces sectes exploitent la souffrance des parents sans enfants. Ma femme a développé un cancer à cause de ce monstre.
Des enseignants, au chômage faute d’élèves, témoignent du déclin d’une société sans enfants. Algo explique :
— Sans nouvelle génération pour perpétuer les traditions, la culture stagne. Les langues évoluent moins, les innovations culturelles se raréfient. La société devient nostalgique. Elle se tourne vers un passé idéalisé où les enfants existaient encore.
Le témoignage le plus poignant est celui de Minari, dont le fils Seriam, 13 ans, est mort à cause du trafic de sperme :
— À cause des gens comme ce Monsieur, le sperme est devenu plus lucratif que la drogue. Mon fils voulait de l’argent. On lui a promis plus qu’il espérait. Il s’est retrouvé dans ce trafic. Il était une paluche comme ils disaient. Je ne vous fais pas de dessin. Il s’astiquait pour produire leur sperme. À cause d’une infection, son sperme fut un jour beaucoup moins bon. Il a alors été humilié et traité de moins qu’un homme. Il est revenu avec une arme. Oui, il voulait leur montrer que, quoi qu’ils disent, il était toujours un homme. Ils l’ont abattu avant qu’il ne la sorte. Mon fils est mort à cause de vous, Monsieur Amaury. Vous devriez avoir honte.
— Madame, j’ai honte. Je suis vraiment désolé pour votre fils. Si je suis responsable, je ne suis pas coupable.
La phrase évoquant chez certains un air de déjà entendu provoque des hurlements dans la salle. Le juge ordonne une suspension d’audience.
Quand elle reprend, le greffier-robot annonce que le procès sera aujourd’hui une pièce en 5 actes.
Je n’ai toujours pas compris pourquoi la justice transforme ses procès en spectacle, mais c’est plus simple pour les journalistes.
Les causes du déclin
Parmi les substances les plus suspectées de nuire à la qualité du sperme humain, les plastiques tiennent le haut du pavé. Le bisphénol A (BPA) et ses succédanés (BPS, BPF) sont les substances qui pèsent le plus. Ils sont suivis des dioxines polychlorées et d’autres plastifiants (les phtalates), de certains parabènes et du paracétamol. Selon les chercheurs, le niveau médian d’exposition combiné de la population générale à ces produits est vingt fois supérieur au seuil de risque.
Premier acte : le lanceur d’alertes
Maximilien Amaury inonde les médias de discours alarmants sur la fertilité masculine en déclin. Sur tous les plateaux télé, il répète :
— L’humanité est en train de plonger dans le néant. Nous produisons dix fois moins de sperme que nos grands-pères. Nos spermatozoïdes sont moins nombreux et ont perdu leur mobilité. Ils ressemblent à des ados gavés d’hamburgers qui, enfoncés dans des canapés, jouent à se tirer dessus. La diminution de la fertilité masculine est un problème majeur. Cette infertilité remet en cause la survie de l’espèce humaine. Les hommes se meurent et cela n’intéresse personne.
Amaury est clair, convaincant, pathétique. Il l’est autant quand il liste les causes de l’infertilité.
— Ce déclin a pour cause les produits chimiques présents dans l’environnement. Les principaux démons sont les perturbateurs endocriniens comme les phtalates et le bisphénol ainsi que les métaux lourds comme le plomb. Ironie de la société, comme c’est plus facile, on préfère incriminer le mode de vie. Si vous arrêtiez de manger, de boire des cochonneries, de fumer, de vous stresser, vos spermatozoïdes retrouveraient une forme olympique.
Il terminait toujours ses interventions par la présentation du Reprotoxique. Cette pastille lutte contre les produits qui peuvent perturber la fertilité. Il suffit de la poser pour que l’objet soit réduit en cendres.
Deuxième acte : l’ascension
Après une cinquantaine d’interventions, le Robin des bois de la fertilité reçoit un coup de fil présidentiel. Le Président ayant du mal à concevoir un enfant a été sensible à ses discours. Il lui propose des sommes aussi rondelettes qu’inespérées pour créer l’Institut de la fertilité.
Maximilien Amaury décolle : il va aider les hommes et les femmes à devenir parents s’ils le veulent et quand ils le veulent.
J’avoue. Je n’apprécie pas vraiment ce deuxième acte. Les militants qu’on muselle en leur achetant des jouets extraordinaires, ça donne rarement du vraiment bon.
Troisième acte : le miracle
Amaury revient sur le devant de la scène avec Fertivax. Avec ses chercheurs, ils ont élaboré un vaccin qui augmente le nombre de spermatozoïdes et booste leur vitalité.
Ce miracle de la technologie fait débat.
Les uns conspuent Fertivax. Ils considèrent que c’est criminel, irresponsable, délirant d’utiliser la science pour saturer encore plus le monde. Ils proposent de le détruire et d’interdire toutes répliques. Ils accusent aussi Amaury de jeter l’argent par les fenêtres . Il estiment que le professeur aurait dû utiliser la manne présidentielle pour s’attaquer aux perturbateurs endocriniens et autres polluants qui perturbent la vie des hommes.
Les autres applaudissent Fertivax. Il va permettre à tous d’être parents. Dans un monde libre, il est impossible que cette possibilité ne soit réservée qu’à de rares privilégiés. Pour eux, le vaccin recrée une démocratie démographique essentielle pour l’avenir de la planète.
En les écoutant, Amaury a l’esprit qui cogne. Les questions affluent. Peut-on satisfaire le désir individuel dans un monde qui flambe et n’arrive plus à nourrir chacun ? Est-ce que les problématiques collectives doivent prévaloir sur la liberté individuelle ?
Il est tellement perturbé qu’il appelle le Président.
Occupé à pouponner, il n’a que quelques secondes à lui accorder. En tapotant sur son bébé, il lui précise que cela serait dramatique de supprimer le vaccin. On ne peut pas casser l’espoir de tant de couples. Lors du changement de couche, il ajoute qu’il n’est pas possible d’augmenter le nombre de naissances. Dans le contexte mondial de saturation de la planète, il ne serait jamais réélu.
Quatrième acte : le dilemme
Le vaccin est lancé. C’est un vrai succès. Il y a la queue devant l’Institut de la fertilité ainsi que dans tous les lieux qui le proposent.
Amaury n’est plus le ravi de la crèche. Ses 6 bébés viennent de rentrer à la maison. Il ne dort plus et il a mauvaise conscience. Il ne peut pas leur proposer un monde surpeuplé donc invivable.
Il s’endort trois minutes, se réveille en nage avec les propos du président : « Il faut un vaccin, mais pas un vaccin .qui fonctionne»
Quelques nuits plus tard, il trouve une solution. Il va ajouter un composant dans le vaccin.
Cinquième acte : le pot aux roses
Neuf mois plus tard, Amaury est assis sur un nuage rose. Le Président n’arrête pas de lui répéter qu’il est un génie. Le vaccin permet à des millions d’hommes d’avoir des spermatozoïdes nombreux et agiles. Le nombre de naissances n’a pas augmenté.
Le jour d’après, il dégringole de son nuage.
Les « Sans berceaux » ont découvert que le vaccin favorise les grossesses et en particulier les grossesses multiples. Mais, aussi les fausses couches.Jusqu’à maintenant on a considéré que l’augmentation des fausses couches était en lien avec la multiplication des grossesses multiples.
Ils ont analysé et découvert qu’un composant provoquaient ces interruptions de grossesse.
Ce vaccin vérolé provoque un raz-de-marée. Il y a une multiplication de suicides, le démarrage d’un trafic, des luttes armées entre les pro-berceaux et les anti-berceaux. La crise dure des mois et le nombre de morts est impressionnant.
Les langues se délient. Amaury est accusé et arrêté.
L’épilogue est logique. Le verdict est implacable. Le professeur Amaury ne verra pas grandir ses 6 enfants.
À la sortie du tribunal, un confrère me dit :
— Il est vraiment coupable mais pas responsable. Il ne pouvait pas faire autrement.
Je pense alors au dé de Pénélope.
Le dé de Pénélope est un dé dont la face interne est tapissée de pics. Le dé est peu confortable. On a envie de l’ôter, mais les pics égratignent. Du coup, on préfère enfoncer un peu plus son doigt. À chaque fois c’est pareil. Quand il faut vraiment retirer son doigt, c’est le cauchemar. Il n’est pas égratigné, mais lacéré.
On fonctionne souvent ainsi, Comme Amaury, on s’enfonce dans ses erreurs tout en sachant que cela sera pire après.
En revanche, je pense qu’on pouvait faire autrement en adoptant la voie de l’intelligence et du respect. En dépolluant et supprimant les perturbateurs endocriniens, la fertilité ne diminuerait plus. Chaque couple pourrait interroger son désir d’enfants en prenant en compte des données collectives. On aboutirait à un monde harmonieux et plus intelligent.
Je rêve. Bien obligé quand il n’y a plus d’enfants pour le faire.
Quels moyens faut-il prendre pour la prévenir ?
Vos avis et commentaires nous intéressent !