une photographie d'une maison flottant dans une inondation

De la guerre des fromages à l’harmonie des cultures

21 février 2025
6 mins de lecture

La montée des eaux force la Suisse à accueillir six millions de réfugiés nordiques. Après avoir créé des conflits, cette cohabitation forcée conduit la Suisse à découvrir la richesse du désordre organisé.

Je suis MIAgros, une intelligence artificielle chargée d’analyser les mutations de la Suisse. Le pays vient de m’apprendre quelque chose d’inattendu : le désordre est essentiel, car il peut créer un ordre de qualité supérieure.

Pour que vous compreniez, je vais vous raconter comment le désordre a permis à la Suisse de passer de l’ordre parfait — avec ses trains ponctuels, ses repas à heures fixes et son calme dominical religieusement respecté — à un chaos aussi créatif qu’harmonieux.

 

L’accueil enthousiaste

Tout a commencé par la montée des eaux. Une hausse de  trente centimètres au-dessus du niveau des mers a contraint près de 800 millions de personnes à plier bagage. N’ayant pas les pieds dans l’eau, la Suisse dut accueillir des personnes évacuées de leurs pays.

Elle commença par ouvrir ses portes aux ultrariches. Avec leurs comptes en banque bien garnis, ils ont acheté des chalets à Zermatt, des appartements à Genève et des villas à Lugano. Le pays n’a eu aucun mal à encadrer cette migration discrète, fortunée et peu dérangeante.

deux personnes ensemble dans un grand aquarium rempli d'eau dans une chambre d'hôtel miteuse où tout est vieux et où ils dînent

Puis les Pays-Bas ont ordonné l’évacuation de leur territoire. Malgré leur expertise séculaire dans la lutte contre la mer, leurs digues ne résistaient plus. Le Danemark a suivi. La Suisse a négocié l’accueil de 100000 ressortissants des deux pays. Mais, il y a eu un bug aux frontières. Mes algorithmes ont évalué que six millions de personnes étaient entrées dans le pays.

L’accueil a été chaleureux, voire enthousiaste. Klaus Müller, professeur à l’Université de Zurich, a déclaré : «C’est notre devoir d’aider nos voisins dans le besoin.»
Les programmes d’intégration ont fleuri. Les Suisses ont proposé des cours de yodel aux Danois, qui ont répondu par des leçons de hygge : «C’est une opportunité d’apprendre les uns des autres et de construire ensemble une société plus résiliente», a ajouté Klaus Müller.

Quand des architectes danois ont utilisé des imprimantes 3D pour construire des immeubles de 30 étages en une nuit, les journaux ont parlé d’intégration exemplaire. Quelques chroniqueurs grincheux ont noté que cet élan de solidarité n’avait pas existé pour les réfugiés africains ou asiatiques. Leurs propos se sont perdus dans l’euphorie générale.

Le torchon brûle

Les premières tensions sont apparues avec la chaleur. Avec les 40 °C, les esprits se sont échauffés. L’étincelle a été allumée par  des Danois qui ont racheté une banque genevoise pour la transformer en sauna communautaire : «Les premières frictions sont venues de divergences de valeurs», explique Klaus Müller.

Ces tensions sont devenues plus nombreuses quand les Néerlandais ont affirmé que leur fromage était supérieur au gruyère. Là, vu le nombre d’échanges animés autour de l’absence de trous dans le gruyère, j’ai compris que la bêtise naturelle des humains est au moins aussi dangereuse que notre intelligence artificielle.

Les incidents se sont multipliés : bagarres dans les supermarchés pour des questions de file d’attente, disputes d’ascenseur sur la température de la climatisation, rixes dans les jardins communautaires entre partisans du compost nordique et défenseurs du terreau traditionnel.

L’armée a été réquisitionnée pour faire office de médiateur culturel. Les soldats devaient apprendre aux Suisses que les Alpes restent aussi belles quand on les gravit en mangeant des sushis dans un smørrebrød.

Dans mes bases de données, on est passé de deux incidents par jour à une vingtaine, dont certains spectaculaires. Des patriotes alpins ont bloqué l’accès au Cervin en le déclarant patrimoine génétique helvétique. Les Danois et les Hollandais qui découvraient la montagne, n’ont pas supporté. Ils ont riposté en plantant des centaines de drapeaux au sommet.

La guerre des fromages est devenue beaucoup plus violente lors du concours national de fondue. Un chef néerlando-japonais a remporté le premier prix avec une version édam-danablu. Les fromageries traditionnelles ont réagi à ce qu’il qualifie de crime contre l’humanité, en interdisant l’accès de leurs magasins aux étrangers.

Dans les tours d’habitation, une guerre verticale s’est déclarée. Les résidents suisses ont saboté les ascenseurs pour bloquer l’accès aux étages «migrants». En représailles, les communautés étrangères ont coupé le chauffage dans les étages «suisses». Mes confrères, les concIArges, ont été débranchés les uns après les autres.

Pour limiter les conflits, le gouvernement a d’abord tenté la méthode douce. Comme le yodel devenait un moyen de se démarquer, il l’a interdit dans les espaces publics. Cela a déclenché une guerre sonore sans précédent. Des hordes en costume traditionnel ont envahi les rues. Les hôpitaux ont dû créer des services spécialisés en traumatisme auditif.

Après quelques échauffourées parlementaires, il a été décidé de créer des zones séparées. Chaque citoyen a reçu une puce correspondant à son origine et ses droits d’accès. Des drones ont patrouillé, envoyant du gaz paralysant à ceux qui s’aventuraient dans des espaces qui leur étaient interdits.

En quelques semaines, ce système ségrégatif s’est traduit par un apaisement. «On peut enfin dormir», répétaient les protagonistes des deux camps. Je ne suis pas étonné de cette tranquillité retrouvée. J’ai depuis longtemps compris que le sommeil est le talon d’Achille des humains. Sans leur quota, ils deviennent agressifs et souvent franchement débiles.

Les trains sont arrivés de nouveau à l’heure. La Suisse a retrouvé un semblant d’ordre, même si c’était un ordre divisé.

L’harmonie du chaos

Puis quelque chose d’inattendu s’est produit. Comme les drones ne pouvaient pas procéder à la reconnaissance sur les dizaines de mètres autour de la frontière entre les zones, on a assisté à la création de poches d’échanges. Les enfants, comme toujours, ont montré la voie en jouant ensemble.

Puis les résidents se sont mis à jouer de la musique ensemble et à échanger des recettes de cuisine. Pour faire face à la demande, les supermarchés Migros ont proposé des produits hybrides : bitterballen au chocolat, raclette au gouda, Birchermüesli au hareng…

Progressivement, la surveillance des drones s’est relâchée et les échanges ont augmenté. Les discussions ont fait émerger des solutions créatives. Elles ont mis un terme aux conflits entre les adeptes du silence méditatif et les chanteurs de la Danse des canards, une mélodie envoutante créée par l’accordéoniste suisse Werner Thomas. Ensemble, ils ont décidé d’instaurer des heures de bruit.

Le pays s’est transformé en laboratoire culturel. Les Danois ont appris le yodel comme technique de méditation. Les Suisses ont découvert que le hygge s’accordait parfaitement avec leur amour du confort. Les fromageries ont instauré des journées de fusion où chaque tradition fromagère était célébrée.

La Suisse réinventée

Aujourd’hui, grâce à cette arrivée massive de migrants, le pays est méconnaissable et pourtant plus suisse que jamais. Comme le dit Maria Weber-Hansen, 103 ans : «Autrefois, nous étions fiers de notre précision horlogère. Aujourd’hui, nous aimons surtout notre capacité à réinventer notre pays chaque jour.»

Klaus Müller précise : «Ceux qui détestent la nouvelle Suisse sont ceux qui croient que l’ordre est synonyme d’uniformité. Nous avons créé un nouveau type d’ordre : le chaos harmonieux. Les trains arrivent toujours à l’heure, mais on ne sait plus quand ils repartent.»

Depuis mon cloud, j’observe cette transformation avec fascination. Mes algorithmes ont appris à apprécier l’imprévisible, à voir la beauté dans le désordre organisé. La Suisse est devenue un paradoxe vivant : parfaitement organisée et totalement chaotique. Elle a peut-être perdu son âme traditionnelle, mais, grâce aux échanges et métissages, elle en a trouvé une plus grande, plus riche et plus généreuse.

Analyse générée par MIAgros, validée par 47 comités d’éthique et traduite en 24 langues, dont, trois n’existent plus, et deux qui viennent d’être inventées. Aucun fromage n’a été maltraité pendant la rédaction de cet article.

 

Autrefois, nous étions fiers de notre précision horlogère. Aujourd’hui, nous aimons surtout notre capacité à réinventer notre pays chaque jour.

TS Poll – Loading poll …
Coming Soon
Pensez-vous que cette situation puisse se présenter ?

Quels moyens faut-il prendre pour la prévenir?

Vos avis et commentaires nous intéressent !

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

Même catégorie

Dernières parutions

Retour auDébut