Extraits

123 éléments d'inspiration pour mieux imaginer !

Le progrès technique a beau être aléatoire, inégalement distribué (selon les latitudes), irrégulier (bifurcations soudaines ou arrêts prolongés), et parfois effrayant (Hiroshima et Tchernobyl), il n’en reste pas moins que la dynamique évolutive du monde technique est une réalité. en prendre acte n’implique aucun parti pris « évolutionniste » (qui fait de tout stade de développement postérieur un stade supérieur au précédent) ; ni d’ailleurs, anti-évolutionniste (soit la même mythologie inversée), pour lequel l’antérieur est ipso facto supérieur – la « course au progrès »  se traduisant ici par « course à la catastrophe », écologique, spirituelle, ou les deux. La croissance de nos capacités machiniques est mesurable, en termes de rendement, volume, longévité, vitesse, etc. Autre chose est l’évaluation qualitative de ces gains quantitatifs.

On peut fort bien préférer, pour soi-même, la marche à pied au vol en Concorde, si on se fait une autre idée du temps, de la nature et de la liberté que les hommes d’affaires pressés. Mais c’est là une autre question, éthique (pourquoi faire, ces progrès ?), qui ne saurait empiéter sur la première, physique (comment ça marche, ces avancées ?). La meilleure réponse au positivisme (l’escamotage du sens au nom des faits) ne nous semble pas être l’exorcisme (la disqualification des faits au nom du sens).

Introduction à la médiologie

Il n’est pas aisé d’admettre pour soi-même, et encore moins de faire admettre que le point d’origine se pose après coup (c’est le christianisme qui a fait le Christ, non l’inverse) ; que la technique a inventé l’homme, et non l’inverse ; que le dehors est aussi au-dedans et que le centre se déduit d’une périphérie, et non l’inverse ; que le transport d’une idée la transforme ; que ce sont les corps qui pensent (s’il n’est d’esprit que «de corps») ; et que nos panoplies décident de nos finalités, non l’inverse.

Nos compétences sont fonction de nos outils. Notre façon de nous orienter dans l’espace, ou notre perception du territoire ne sont pas les mêmes selon qu’on sait ou non lire une carte (technique cognitive dépendant elle-même de l’établissement de cartes routières accessibles, soit d’un moment précis dans l’histoire de l’imprimerie et des réseaux routiers).

La remémoration non plus n’est pas un processus purement psychologique, car notre capacité de mémoire dépend des mnémotechniques à disposition (écriture, livre, numérique, etc.).

Or il ne s’agit plus de déplorer, d’exorciser ou d’édifier. On ne maîtrisera pas le devenir technologique en lui tournant le dos. La responsabilité consiste à comprendre sa logique pour anticiper autant que possible ses effets. Un discours sur les fins et les valeurs qui ne s’appuie pas sur un état précis des arsenaux est un discours creux. Un discours sur l’innovation, en revanche qui ne la passe pas au crible d’une mémoire est un discours dangereux.

L’écologie nous a habitué à l’idée, insolite et même choquante en société industrielle, que l’homme, comme individu, était responsable de la nature, et des équilibres écosystémiques dont il dépend pour sa survie, comme espèce. N’est -il pas temps d’étendre le principe de précaution à la sphère des signes et des formes, et de persuader chaque citoyen qu’il est individuellement responsable de la culture de sa communauté ? Et qu’il serait folie d’abandonner sa mémoire et sa créativité (les deux étant fonction l’une de l’autre) au marché et aux machines, sacrifiant ainsi le long terme pour le court terme ?

Le lien causal entre une technique et une culture n’est ni automatique ni unilatéral. […]

Des innovations techniques rendent possibles ou conditionnent l’apparition de telle ou telle forme culturelle (pas de science moderne sans imprimerie, pas d’ordinateurs personnels sans microprocesseurs) mais elles ne les déterminent pas nécessairement.

Observé sur la longue durée, d’après ses faits et non ses dires, le politicien de la pensée qu’est l’intellectuel s’avère aussi acoustico-dépendant que le politicien tout court : il va là où le mot «porte», et peut le mieux réverbérer sur les «gens qui comptent».
L’intellectuel est d’abord l’homme de l’efficacité, l’intelligence passe après (elle n’est pas définitoire, en dépit des apparences)

Le pouvoir intellectuel en France

L’idée qu’on peut assurer une transmission (culturelle) avec des moyens (techniques) de communication constitue d’une des illusions les plus typiques de la « société de communication », propre à une modernité de mieux en nmieux armée pour la conquête de l’espace, et qui l’est de moins en moins pour la maîtrise du temps (restant à savoir si une époque peut à la fois domestiquer l’un et l’autre, ou si toutes les cultures ne sont pas vouées à préférer l’un ou l’autre).

Comment rendre légitimes des approches qui ne correspondent pas aux critères de légitimité admis à un moment donné par la communauté savante ? […] Toute méthode d’analyse un peu nouvelle se heurte à un double-bind.
Soit elle s’apparentera à une démarche déjà homologuée pour désarmer les résistances, auquel cas elle gomme ce qu’elle a d’original pour «rentrer dans l’orchestre». Elle n’a plus lieu d’être.
Soit elle accentue son écart à la norme, auquel cas le milieu ambiant la rejette dans son bruit de fond. Et elle n’a pas d’être du tout. Si, en effet, les procédures qui peuvent un jour la constituer comme savoir étaient d’emblée homologables, c’est -à-dire conformes aux normes déjà reconnues, le problème «novation» ne se poserait pas.

Les options technologiques ne sont pas matière à débat public, dans aucun cadre. Les innovations sont à la fois aléatoires dans leur surgissement et contraignantes dans leurs implications. Sans raison et sans pitié, contingentes et inexorables. Elles envahissent les sociétés en court-circuitant les Etats, et donc en les déligitimisant.

Sans doute ces derniers s’efforcent-ils d’encourager, de répartir les crédits, de surveiller les débordements. Mais, de plus en plus, ce qui est techniquement optimal prend le pas sur ce qui est socialement légitime.

Le domaine de l’obligatoire relève de moins en moins de le loi ou du règlement, de la directive, fut-elle européenne, ou de l’autorisation, et de plus en plus des normes, protocoles et standards imposées de facto par des acteurs privés, sans visage, sans adresse précise, un sigle en guise de nom. – résultats d’alliances entre groupes ou d’hégémonies industrielles.

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