L’expérience que nous avons acquise (pour Quentin : en lançant et en dirigeant Deftech, le programme de prospective technologique d’armasuisse ; pour Thomas : en accompagnant Deftech ainsi que d’autres démarches de prospective au long cours, telles que Genève 2050) nous a permis d’identifier quelques compétences qu’il nous paraît incontournable de travailler si l’on s’apprête à lancer puis à piloter un atelier, une démarche, voire un dispositif de prospective.
Si le titre du billet s’inspire de la chanson de Coluche « Sois fainéant ou conseil à un nourrisson », le texte ci-après est un clin d’oeil au magnifique poème Si, de Rudyard Kipling :
Si tu peux être curieux, c’est à dire “voir large”, selon les mots de Gaston Berger, afin de s’ouvrir à de nouveaux champs, notamment technologiques, de nouvelles manières de faire de la recherche et d’innover, de nouvelles façons d’imaginer des futurs possibles – les arts se révèlent à ce sujet un gisement incroyablement riche d’imaginaires des futurs, de nouveaux dispositifs de communication et de diffusion de l’information, etc..
Si tu peux être fort et partir de presque rien, c’est-à-dire d’une feuille blanche, ou presque : un cahier des charges sommaire voire inexistant ; un intérêt et une attention institutionnels limités ; une expérience et des moyens sans aucune commune mesure avec ceux qui ont permis de construire des dispositifs qui vous inspirent et qui vous laissent penser qu’en matière de prospective, tout a été découvert, testé implémenté; galement, à force de travailler avec le futur et de s’y projeter, il est possible de voir naître une sensation de déjà-vu permanent pouvant mener à une certaine lassitude.
Si tu peux être ouvert sans cesser d’être entêté ; pour accueillir avec bienveillance et écouter attentivement, voire aller jusqu’à tester les propositions d’autrui ; pour vous souvenir que vous êtes aux commandes du dispositif de prospective et que c’est à vous que l’on demandera des comptes ;
Si tu peux être organisé tout en chérissant la sérendipité : faire des rencontres inattendues, s’ouvrir aux idées des autres qui, peut-être, bonifieront votre dispositif, découvrir, chemin faisant, de nouvelles opportunités de collaboration et de médiation de l’information ; le tout, en ménageant justement, à l’intérieur d’un dispositif organisé, des espaces et des temps pour laisser faire le hasard ;
Si tu peux être à l’aise en société et “polyglotte” ; agir et interagir dans différents milieux, au contact de cultures , d’expertises, de codes sociaux multiples ; comprendre et contribuer à des conversations lancées aussi bien par des ingénieurs, des designers, des artistes, des élus politiques, etc. ; jouer le rôle de traducteur, voire parfois de médiateur, lorsque, à l’occasion par exemple d’un atelier de prospective, un ingénieur et une artiste ne semblent pas capables de collaborer et de dépasser leurs postures initiales ; raconter l’histoire – les réussites et les péripéties passées – et les perspectives – les succès et les défis à venir – de votre programme à vos commanditaires, en sachant adapter votre pitch la culture, à la stratégie, à l’identité, etc. de l’institution ;
Si tu peux te remettre en question tout en restant confiant ; la prospective et ses différentes incarnations ou opérationnalisations possibles sont des OVNI pour la plupart de vos parties prenantes et autres interlocuteurs. Vos premiers pas, vos premières propositions, vos premiers prototypes, vos premiers retours d’expérience ; tout ou presque sera inédit. C’est en agissant que vous saurez et que votre dispositif de prospective commencera à susciter des remarques et parfois des critiques. Un seul mot d’ordre : itérer ! Ces remarques et critiques sont essentielles, et c’est vous, grâce à vos premières réalisations, qui avez créé les conditions de leur émergence. Méditez sur ces remarques et critiques, décidez des actions que vous souhaitez entreprendre pour en tenir compte, et avancez vers une prochaine itération de votre dispositif ! On retrouve ici une heuristique – expérimenter pour apprendre puis s’adapter – chère aux entrepreneurs et popularisée notamment par Eric Ries dans son bestseller, Lean startup.
Réflexions intéressantes de Stefan Bergheim sur le thème de ce billet : On the Competence of Futures Literacy