Q057 | Mutualiser, rediriger, renoncer : que peut-il advenir des infrastructures ?

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Source de l'illustration: theconversation.com

Ce billet est le quatrième d’une série consacrée à la question : comment peut-on modéliser une civilisation ? Pendant 7 semaines, un nouvel article sera publié chaque lundi. Ensemble, ils vous permettront de découvrir le modèle civilisationnel des “pace layers”, imaginé par Stewart Brand.

Partons maintenant à la découverte de la couche des infrastructures.

Dans le modèle des pace layers, les six couches qui, ensemble, composent une civilisation, sont classées par ordre décroissant de vitesse d’évolution. Il s’agit de la “mode” (fashion dans le texte d’origine) à laquelle nous substituons les activités d’invention et d’innovation ; l’économie (et les modèles économiques) ; les infrastructures ; la gouvernance (et les modèles de gouvernance) ; la culture ; le vivant.

Dans le modèle des pace layers, les six couches sont classées par ordre décroissant de vitesse d’évolution.

Continuons notre exploration du modèle des pace layers avec la couche des infrastructures.

Le plus souvent, la conception, la réalisation et la maintenance des infrastructures (de transport, de communication, d’approvisionnement en eau/gaz/électricité, etc.) ne satisfont pas aux conditions de retour sur investissement attendu par les entreprises. C’est alors à l’État que revient la tâche de les financer, en s’appuyant sur divers instruments financiers (tels que les obligations) ou réglementaires (tels que l’octroi de monopoles à un ou plusieurs acteurs privés).

Mécaniquement, le bon fonctionnement de la couche des infrastructures entraîne de facto la mobilisation des couches plus profondes de la gouvernance et de la culture. Ensemble, celles-ci doivent permettre de créer les conditions de la délibération, du choix et du contrôle des risques et des coûts, non seulement financiers, mais également sociaux, environnementaux, etc. inhérents aux infrastructures que la société choisira de bâtir. Pour ce faire, gouvernance et culture doivent notamment assurer la couche la plus profonde, celle du vivant, d’une forme de représentation à chacune des étapes précitées (délibération, choix, contrôle des risques, des coûts et des externalités associés au développement de nouvelles infrastructures).

L’éducation, la formation tout au long de la vie, et la recherche scientifique sont des exemples d’infrastructures intellectuelles. Toutes trois, elles ont un impact fondamental sur le développement de la société ; toutes trois également nécessitent du temps, beaucoup de temps, pour que leurs effets structurants se fassent pleinement sentir.

Lorsque la société est pressée, il se peut qu’elle néglige durablement le développement et l’entretien de ses infrastructures intellectuelles, avant d’accuser un retard potentiellement irrattrapable sur d’autres qui auront su faire preuve de plus de constance. En pleine pandémie de Covid-19, plusieurs observateurs avertis constatent ainsi avec regret le retard que la France et d’autres pays européens auraient pris en matière de recherche médicale.

Les communs, nouvelle donne en matière d’infrastructures ?

2050 est un fonds d’investissement qui propose une rupture avec un modèle de financement de l’économie jugé incompatible avec les enjeux – climatiques, environnementaux, énergétiques, sociétaux – à venir. En bonne place dans le manifeste publié en 2020 par sa fondatrice, Marie Ekeland, figure la volonté de co-développer avec les entreprises du portefeuille de 2050 des communs stratégiques, censés “accélérer [le] développement” et “renforcer la robustesse de [l’]écosystème” de chacune d’entre elles.

Trois types de communs stratégiques, qui chacun répond à la définition d’infrastructure que nous avons retenue, sont proposés :

  1. la recherche “mutualisée” (l’exemple des indicateurs de performance environnementale, par ailleurs explorés par l’association chronos, est utilisé en guise d’illustration),

  2. le savoir partagé (incarné notamment par la mise à disposition en licence libre d’un premier contenu pédagogique destiné à “faire évoluer nos modèles culturels” – on découvre ici un lien souhaité avec la couche de la culture) et

  3. les infrastructures (technologiques, sociales, juridiques) communes.

La stratégie du renoncement, une alternative au maintien en vie à tout prix d’infrastructures obsolètes ?

Depuis quelques années, trois enseignants-chercheurs à l’ESC Clermont sensibilisent et accompagnent les organisations dans des démarches de “destauration”, de “défuturation” et de “désinnovation”. En s’appuyant sur un travail de terrain rigoureux et une connaissance approfondie des diagnostics géologique, écologique, climatique et dorénavant épidémiologique, ils invitent les entreprises à dépasser le paradigme qui domine les sciences de gestion et les pratiques managériales – celui de l’ouverture – pour aller vers un paradigme de la fermeture ou du renoncement.

Lorsqu’ils s’intéressent à l’exemple d’Air France, les chercheurs montrent que l’entreprise symbolise à elle seule les difficultés qu’il va falloir être en mesure de surmonter pour prendre l’anthropocène au sérieux : “dépendance à des énergies fossiles”, “inscription dans de vastes réseaux de dépendances créant des irréversibilités politiques et écologiques”, etc. Pourtant, selon eux, il est préférable de penser dès à présent de “nouveaux régimes d’assurances” afin de créer les conditions d’une redirection socialement, écologiquement et économiquement juste, plutôt que d’attendre le moment où une “fermeture brutale”, typiquement “néolibérale” sera devenue inéluctable.

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