Q180 | Pourquoi et comment concevoir le futur avec le Worldbuilding ?

Construction de mondes fictionnels à impact sociaux et environnementaux
17 novembre 2023
6 mins de lecture
Image réalisée avec DALL-E

Dans ce billet, je vous invite à découvrir mon projet expérimental qui combine pratique et théorie. Je parlerais de mon projet de recherche, de mon parcours professionnel, du contexte de mes études, la définition du worldbuilding et les défis et orientations de mes recherches futures.

Je suis Makan Fofana, écrivain, artiste et chercheur indépendant.

Ma spécialité ? Le design spéculatif – également connu sous le nom de design fiction – et l’exploration des imaginaires. Au cœur de ma démarche se trouvent des ateliers de co-création et des expériences participatives, ancrées dans le domaine de la fiction. Les territoires, avec leur richesse et leur complexité, sont mes laboratoires d’expérimentation privilégiés. Une question m’obsède : comment les méthodes de projection dans le futur, en particulier le worldbuilding – l’art de créer des mondes imaginaires – peuvent-elles contribuer à leur régénération ?

Je m’efforce de repenser l’utilisation du worldbuilding, traditionnellement associé à l’économie du divertissement, pour aborder des problématiques sociétales et environnementales. Comment la pratique du worldbuilding peut modifier notre relation aux territoires et influencer notre vision des futurs possibles.

Retour sur mon parcours

Mon voyage dans le monde du design et de l’innovation a débuté en 2019, lors de mon master à Strate. J’ai alors axé mes recherches sur la conception du futur dans les quartiers populaires.

Cette démarche m’a immergé dans l’étude des dynamiques sociales et des projections d’avenir propres à ces environnements urbains.

L’année suivante, mon parcours s’est enrichi lors de mon master en prospective au CNAM. Là, j’ai exploré en profondeur les imaginaires politiques, guidé par les enseignements de penseurs éminents tels que Bachelard, Castoriadis et Wunenburger. Leurs idées m’ont ouvert les yeux sur les multiples forces qui sculptent notre société. 

C’est de ces expériences sur le terrain que naît mon projet expérimental actuel.

Planche de mon diplôme résumant ma démarche de design.

Un défi en particulier a captivé mon attention : l’imaginaire de l’ascension sociale hors des quartiers prioritaires, qui s’est transformé en un mythe récurrent dans notre société. Cette vision, répandue dans les discours politiques et les œuvres culturelles, laisse entendre que le progrès personnel passe inévitablement par le départ de ces quartiers.

Cette hypothèse, souvent admise sans contestation, érige une barrière symbolique et créative majeure. Elle bride notre imagination, nous confinant à envisager un seul et même avenir pour ces quartiers.

Or, cette problématique n’est pas exclusive à ce contexte. Elle se manifeste aussi bien dans le monde professionnel que dans les initiatives écologiques. Le défi est donc de comprendre et de démanteler ces imaginaires collectifs pour libérer un spectre plus large de futurs possibles.

Cette approche ouvre la voie à une exploration cruciale : comment dépasser ces limites pour envisager des avenirs diversifiés et inclusifs pour toutes les communautés et tous les territoires?

Comment dépasser ces limites pour envisager des avenirs diversifiés et inclusifs pour toutes les communautés et tous les territoires?

Pour clarifier ce concept, considérons un exemple concret de deux extrêmes :

Souvent, on imagine que l’habitant d’un quartier populaire doit nécessairement le quitter pour réaliser une ascension sociale ou résidentielle, comme un signe de succès aux yeux de la société. Cette idée répandue contraste fortement avec la fascination d’un autre milieu pour des destinations lointaines comme Mars, perçues comme des symboles d’avenir pour l’humanité.

Il est curieux de constater qu’il semble plus facile et logique de concevoir un avenir grandiose pour une galaxie lointaine que pour un quartier de banlieue sur Terre.

Pourquoi est-il plus aisé de rendre l’impossible possible dans un contexte spatial ?

La science-fiction nous permet d’explorer mentalement des mondes au-delà de notre planète. Le worldbuilding joue un rôle crucial ici, fournissant un contexte, un environnement, et une structure sociale à ces mondes lointains. L’esprit humain colonise Mars par l’imagination bien avant d’en étudier la géologie. Imaginer l’avenir d’une banlieue terrestre nécessite un processus créatif similaire dans lequel nous ferions acte d’imaginer.

Une vue de mon quartier depuis chez moi, j’ai toujours perçu une ambiance très agréable à la tombée du soleil.

Le worldbuilding dans la vie de tous les jours

Le worldbuilding est un concept que vous avez probablement déjà rencontré, même sans le savoir.

Prenons l’exemple de « Harry Potter » : pour construire son monde de sorcier, l’auteure a dû établir des lois naturelles de la magie, des gestes de baguettes, des formules magiques, et même un système éducatif.

Ce genre de construction minutieuse se retrouve dans des mythes comme l’Atlantide ou dans des utopies politiques comme celle de Thomas More.

Chez des géants du jeu vidéo comme Ubisoft, le worldbuilding devient un outil stratégique majeur. Dans l’univers transmédiatique de Marvel, il est carrément un modèle économique.

La définition worldbuilding : une pratique narrative dans laquelle la conception du monde précède et oriente la narration de l’histoire.

Ce processus créatif se distingue nettement de la narration. Par exemple, en écrivant un roman, on peut élaborer l’univers en même temps que l’histoire et les personnages, ou on peut d’abord construire méticuleusement le « décor », en définissant chaque détail, même la couleur des poignées de porte.

Le Worldbuilding comme outil social

Cette approche de la création de mondes fictionnels n’est pas pour moi qu’une méthode, ou une passion, mais une nécessité existentielle. Elle est née du besoin de revitaliser une réalité, pas seulement pour le plaisir de la création.

Ainsi, ma démarche est à la fois engagée et théorique. Dans mon travail, je cherche à prendre du recul, à analyser et à comprendre, mais dans la vie de tous les jours j’ai besoin d’un imaginaire satisfaisant pour relationner avec le monde.

Le worldbuilding n’est pas juste un concept de jeux vidéo ou de films de science-fiction. C’est une méthode qui nous permet d’imaginer des mondes alternatifs, en donnant vie à des sociétés, environnements et cultures entièrement nouveaux.

Dans ma recherche, je dissocie la création de l’histoire de celle du monde.

Cela nous permet de construire des univers détaillés et cohérents, où chaque élément, de la magie dans un monde de sorciers à la géographie d’une planète lointaine, a sa propre logique.

Cette pratique remonte à Platon et s’est développée à travers les siècles. Aujourd’hui, elle est reconnue dans le monde académique mais reste encore peu explorée, en particulier dans la recherche francophone.

Le worldbuilding permet d'imaginer des mondes alternatifs, en donnant vie à des sociétés, environnements et cultures entièrement nouveaux.

En résumé, je me positionne comme un observateur et un analyste du worldbuilding, cette pratique sociale présente dans les films, les jeux vidéo, la science-fiction et la prospective.

En tant que théoricien, je souhaite formaliser le worldbuilding en un concept distinct et autonome. En tant que praticien, je m’engage à utiliser cette approche pour guider les participants à réinventer leurs territoires et à repenser leurs futurs.

Cette vision guide ma propre approche : la conception du futur est indissociablement liée à nos imaginaires.

Dans ce tissage entre rêve et réalité réside le processus de création de mondes, ou worldbuilding, que je cherche à faire émerger et à rendre plus tangible.

Ma thèse se concentre sur l’intersection entre le worldbuilding, le développement urbain et les imaginaires sociaux. Comment ces éléments peuvent-ils interagir pour façonner de nouveaux futurs?

Ma démarche se complète également avec le concept de design fiction, théorisé en 2009 par Julian Bleecker. Dans cette approche, la fiction n’est pas seulement un outil critique (ce qui est déjà beaucoup !) ; elle devient un moyen de libérer des futurs alternatifs désirables, concrétisés par des objets ou des dispositifs similaires aux accessoires de films de science-fiction.

Nos ateliers participatifs exploitent le potentiel du design fiction pour contrer le pessimisme ambiant et le réalisme excessif qui imprègnent les médias, la culture et le cinéma de banlieue. Nous cherchons à ouvrir de nouvelles perspectives.

Pour mettre en pratique ces concepts, nous organisons dans le cadre d’un projet européen avec un ensemble de partenaires dont Makin’Ov, LUT University et PACO Collaborative, un événement où vous pourrez expérimenter le worldbuilding en action. 

Ensemble, nous explorerons comment ces techniques peuvent transformer nos quartiers et imaginer de nouveaux futurs.

Un événement qui se déroulera le 2 décembre à Paris, destiné aux jeunes de 16 à 25 ans des quartiers populaires et des animateurs intéressés par cette formation au TURFU.

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