Rédaction :
Anne-Caroline Paucot (Propulseurs)
Images :
Midjourney
Des fakes détruisant la crédibilité d’un influenceur provoquent une crise de confiance généralisée. Elle révèle la fragilité d’une société saturée d’informations invérifiables et fait craindre que la prolifération de faux mette à mal la démocratie.
Il était une fois Riva Forester, un homme jeune, beau qui parle bien, pense bien, sourit bien. Grâce à ce cumul de talents, il est devenu une égérie de la jeunesse. Ce Robin des bois du monde qui s’écroule incite sa communauté à manger responsable, vivre responsable, aimer responsable…
Loin d’être un social triste dogmatique, il donne du sens aux efforts que font les uns et les autres pour vivre en harmonie tant avec la planète qu’avec leurs proches. Il est au meilleur de sa forme quand tout s’écroule.
Le déclencheur de sa décadence est une vidéo qui le montre participant à une orgie carnassière organisée par les « Viandards en colère ».
Un fake
c’est Le pape François portant une doudoune de créateur,
Des images pornographiques de la chanteuse Taylor Swift.
Emmanuel Macron chantant « C’est la mère Michel ».
Volodymyr Zelensky qui annonce la reddition de l’Ukraine deux semaines après l’invasion de son pays.
Un appel téléphonique de Joe Biden qui déconseille d’aller voter aux primaires démocrates
Barack Obama qui traite de « sombre merde » Donald Trump. (Désolé, c’est un fake !)
Le TikTok d’Amandine Le Pen, une fausse nièce de Marine Le Pen.
Des images de Jésus en crevette.
Les vidéos de Vladimir Poutine et de Kim Jong-un délivrant le même message à l’approche des élections américaines.
Le 24 juin 1991, les gendarmes découvrent le corps sans vie de Ghislaine Marchal. Près du corps, la phrase accusatrice « Omar m’a tuer » est retrouvée, écrite en lettres de sang sur une porte. Elle semble imputer le crime à Omar, le jardinier de Ghislaine Marchal.
Cette inscription est célèbre pour la faute de grammaire qu’elle contient. Elle fait douter de la validité de l’inscription.
Sa communauté s’inquiète. Riva Forester explique qu’il est victime d’un fake.
Le lendemain, une autre vidéo le présente en train de recevoir un paquet Amazon.
Sa communauté fustige cette consommation irresponsable. Riva parle de machination.
Dans la suivante, il s’adresse à sa copine en disant : « Ma grosse, une bière et que cela saute ».
Sa communauté l’insulte. Il évoque un complot.
L’horreur monte d’un cran. On le voit violer un jeune garçon.
Sa communauté l’insulte. Il ne peut plus répondre : tous se sont désabonnés.
L’écroulement de Riva Forester a de lourdes conséquences. Les millions de jeunes qui le suivaient se sentent abandonnés. Riva les ayant fait espérer un monde solidaire où chacun a sa place, ils ne veulent plus prendre le risque de croire et d’être de nouveau trompés. Comme ils arrêtent tous les échanges en ligne, des amitiés et des liens solides se brisent. Nombreux sont ceux qui plongent dans une solitude numérique.
Ils n’ont plus confiance en rien et surtout en eux-mêmes.
Leur désespoir est tel qu’une image d’un jeune blafard allongé sur le sol avec un panneau : « Riva m’a tuer ! » circule sur les réseaux.
La faute de grammaire, faisant référence à une sordide affaire française, connaît un vrai succès. Quelques jours plus tard, c’est une épidémie d’images similaires. L’angoisse et le stress grimpent d’un cran et en particulier chez les jeunes. Ce désarroi se traduit par une augmentation dramatique du nombre de suicides.
Alertés, des médecins proposent des cachets fluo qui redonnent du sens à la vie et des potions pétillantes qui font voir la vierge ou la vie en rose.
On s’interroge sur ces thérapies proposées par le laboratoire Mirofi. Sont-elles efficaces ou de la poudre de perlimpinpin ?
Des milliers de parents affolés ne se posent pas la question. Ayant peur pour leurs enfants, ils préfèrent faire confiance à Mirofi. Des vidéos les rassurent. Elles expliquent que Mirofi a fait appel aux meilleurs chercheurs du monde et que le laboratoire est coté en bourse.
L’information provoque des mouvements boursiers. Comme les traders ne connaissent pas cette entreprise, ils font des choix étranges qui se traduisent par un krach boursier qui met la Suisse à genou.
Dans ce climat de tension absolue, on tend les micros à Ramon Pipinien. Le Président de la confédération grommelle :
— Il n’y a rien qui soit faux pour la bonne raison que rien n’est vrai. Je dirais même que plonger dans le faux permet d’être plus vrai.
Ces propos incohérents sont la goutte d’eau qui fait déborder la colère. Des millions de personnes descendent dans la rue pour demander la démission du Président.
Sidéré, Ramon Pipinien prend son bâton de pèlerin et part à la rencontre des citoyens. Il leur explique de vive voix que le pays a été victime d’une vague de fake. Riva Forester a toujours eu un comportement éthique et responsable. Mirofi n’existe pas. Il a toujours sa tête et ne bredouille pas des histoires autour du faux et du vrai.
Le Président pense que les Suisses sont rassurés. Ils vont pouvoir continuer à manger du chocolat et prendre des trains qui arrivent à l’heure. Ce n’est pas le cas. L’épidémie de faux a cassé la confiance dans les technologies.
On assiste à une détechnologisation massive.
Les clubs du vrai se multiplient. Le « sans » est à l’honneur. On organise des rencontres sans technologie afin de garantir l’authenticité des interactions. Les mariages et tous les événements sont « Sans ». On laisse ses appareils numériques au vestiaire. Les bistrots sont « Sans ». Avant, c’était sans tabac, maintenant c’est sans smartphone, écrans, drones, technologies… Le « sans » fait émerger un retour à l’écriture manuelle et aux journaux intimes. On ne partage plus ses expériences personnelles. On les met sous cadenas.
« La désinformation est l’une des menaces les plus significatives à laquelle les démocraties doivent faire face. » Joseph Borell, chef de la diplomatie européenne.
Ce retour à l’ère préhistorique posant un problème, Ramon Pipinien cherche une solution. Des chercheurs lui apportent en créant un « certificateur quantique ». Le CQ comme on l’appelle, est un système basé sur l’intrication quantique qui rend chaque vidéo ou image impossible à falsifier sans laisser de trace. Chaque contenu possède un ADN numérique qui, grâce à la blockchain, le lie à son créateur.
Vu le coût du développement de ce dispositif, une votation est organisée. Le débat est inexistant. Pour la majorité des citoyens, la question est ridicule. Pour eux, elle s’apparente à : « Est-ce que vous avez envie de continuer à vous faire voler, rouler dans la farine, considérer comme des crétins ? »
Pipinien en profite pour alerter sur les dangers de la prolifération des faux pour la démocratie :
« La désinformation est l’une des menaces les plus significatives à laquelle les démocraties doivent faire face. » Joseph Borell, chef de la diplomatie européenne.
— Une démocratie est fondée sur une discussion permanente, dit-il. Pour que les échanges aient lieu, il faut un minimum de confiance. Les fake news la mine en encourageant la méfiance et l’hostilité… Ces fausses informations manipulent les opinions et encouragent à considérer l’autre comme un ennemi. Avec l’épidémie des fake news, la démocratie est malade. Elle risque de succomber.
Ses craintes ne sont pas comprises. Le vote parle. Le déploiement du CQ est refusé. C’est tellement incompréhensible qu’on croit que le résultat est un faux.
Campagnes russes
Pour illustrer le principe, il semble que les opérations d’influence russes ne cherchent pas à soutenir une cause en particulier, mais à éroder la confiance dans l’ensemble du système d’information. Les IA génèrent des contenus crédibles ou non, mais surtout personnalisés. L’objectif est de renforcer les préjugés et croyances de chaque individu. Grâce à ces deux principes, les campagnes de désinformation sont beaucoup plus efficaces.
Après le choc, on s’interroge : pourquoi vouloir cette épidémie de faux ? Le professeur Nobilius est le plus convaincant :
— Les fausses informations sont un outil précieux pour les faussaires, dit-il. Leur abondance rend plus difficile la distinction entre le vrai et le faux, et crée un environnement confus. Les fabricants de faux tirent profit de la situation. La vérité étant indiscernable du mensonge, leurs tromperies sont plus faciles à dissimuler. La méfiance du public envers les informations douteuses s’estompe. En résumé, le processus érode la confiance dans un système d’information et in fine dans la démocratie.
Le professeur est convoqué chez le Président. On ignore ce qu’ils se sont rencontrés, mais quelques mois plus tard, Ramon Pipinien annonce le lancement d’un « validateur digital », dit VD. Si les informations sont plus vraies que fausses, le VD est à deux lettres près la copie du CQ.
Le « validateur digital » s’avère vraiment performant. Ramon Pipinien a tellement confiance dans cette technologie qu’il déclare que grâce à lui, il n’y a plus de « Faux et usage de faux ». Quelque mois plus tard, on voit arriver sur le marché un « contrefacteur de certification » qui fait sauter les verrous du validateur digital.
Le Président est dépité, même s’il sait qu’une technologie ne peut jamais résoudre un problème sociétal de manière durable.
Quels moyens faut-il prendre pour la prévenir ?
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