Le virus MistY décime la population masculine. Un homme raconte comment ce virus a créé une brèche dans son machisme et lui a permis d’avoir une nouvelle vision du monde.
Je suis Julius. Si mes copains étaient encore là, ils penseraient que j’ai écrit ce qui va suivre avec un flingue sur la tempe. Avant le virus, eux, comme moi, nous étions des machos, des vrais, des lourds au boulot comme à la maison. Pas question de laver une casserole, de changer une couche ou d’être sous les ordres d’une femme. Rien ne nous faisait plus bondir que ce MeToo qui empêchait de mater les fesses d’une stagiaire ou d’appeler l’assistante « mon chou ».
On détestait ces femmes qui s’énervaient en nous accusant de mansplaining quand on leur donnait un conseil. Quand une femme arrivait à notre niveau et, pire, devenait notre supérieure, on racontait qu’elle avait couché et que, c’était de l’argent foutu en l’air, car elle allait craquer sous la pression.
Pas besoin d’en dire plus pour que vous compreniez le genre de type que j’étais avant MistY.
MistY est un virus. On l’a nommé ainsi pour Mutation Infection Sélective Touchant le Y. La première fois où j’ai été confronté à lui, Simonéta, une collaboratrice que j’adorais rabaisser, présentait je ne sais quelle stratégie. Comme d’habitude, je l’humiliais en matant ostensiblement un match de foot sur mon portable. Ce jour-là, Paul, mon plus proche collègue, partenaire de golf et ami, s’est mis à tousser comme un dingue. J’ai hurlé :
— Les filles, allez lui chercher un verre d’eau. Vous voyez bien qu’il ne va pas bien !
Trois jours plus tard, il était mort.
Un virus sexiste
Paul ne fut pas le seul à mourir subitement. Comme à cause de la destruction des écosystèmes, les épidémies se multipliaient, la multiplication des épidémies, on commençait à avoir l’habitude. Les autorités ont ressorti leur arsenal : masques, gel, distanciation… On a plaisanté en disant :
— Encore un virus inventé par les Chinois.
Bref, c’était la routine. Quand le ministre de la Santé annonça que le virus ne touchait que les hommes, on a été un instant interloqué.
Puis Max a lancé :
— Encore un truc de tafioles !
On a ri. Pas longtemps. Les mecs tombaient comme des mouches. Dans les rues, on n’en croisait presque plus.
Un soir, je suis allé voir le match de coupe chez Steve. Mais, il fut annulé faute de joueurs encore en vie. À la place, le ministre prit la parole et dit : « La situation est grave… Le monde est en guerre » et autres banalités usuelles avant de passer la parole à Noémie Kloos, une scientifique de renom. Avec Steve, on a rigolé en disant qu’elle avait un beau c… pour une intello.
Nos rires ne durèrent pas longtemps. La scientifique expliqua qu’on avait analysé le virus. Il attaquait le chromosome Y des hommes. Les femmes étant XX, elles étaient porteuses saines. Elles transmettaient le virus sans en souffrir.
Steve a envoyé son poing dans le mur en hurlant :
— C’est un complot féministe ! Les garces veulent nous exterminer !
Puis il est sorti comme un fou en jurant qu’il allait leur faire payer. Je ne l’ai jamais revu.
Au boulot, le lendemain, l’ambiance était électrique. Sur notre plateau, il y avait majoritairement des hommes. Plusieurs fois, l’un se levait pour accuser une femme de s’approcher de lui pour le contaminer. Puis un collègue hurla en montrant les femmes :
— Vous êtes des terroristes. Vous voulez provoquer des homicides en masse !
Simonéta se leva à ce moment en disant :
Et si on parlait des féminicides que vous pratiquez depuis si longtemps ? Ce sont des millions de femmes qui ont disparu sous vos coups.
En l’entendant, j’étais mal à l’aise. Même si je n’ai jamais eu un geste violent envers une femme, je riais quand Paul disait :
— Hier, j’ai dû encore attendrir ma femme.
Je savais qu’il l’attendrissait comme on attendrit un bout de viande — à coups de poing.
Pour éviter ces agressions et limiter la contamination, on a demandé aux hommes de rentrer chez eux et de travailler à distance. À cause de mon récent divorce, je me suis retrouvé à ruminer seul dans mon appartement.

Une femme au pouvoir
Deux jours après le démarrage de cette nouvelle vie, j’apprends que notre PDG, Franck Barrillat, est mort. Avec sa carrure de rugbyman et ses méthodes de Wisigoth, je ne pouvais pas imaginer qu’il ne résisterait pas à un virus féministe. Le coup de massue fut tel que le conseil d’administration nomma Catherine Duralas à sa place. Je la détestais. Elle nous bassinait avec la parité et l’égalité salariale ! Elle allait couler la boîte en deux semaines. Chez AItonome, on ne fabriquait pas des cupcakes, mais des voitures autonomes !
J’écoutais sa première intervention en soupirant. Elle affirmait qu’il ne fallait plus penser la technologie comme une finalité, mais comme un moyen d’améliorer le voyage des usagers de nos voitures. À ce bavardage insipide, elle ajouta une dose d’infantilisation :
— Nos voitures autonomes sont des robots sur roues, dit-elle. Nous allons les repenser en nous demandant comment une mère voudrait qu’elles conduisent ses enfants à l’école.
Avant de terminer son papotage, elle précisa qu’on travaillerait désormais en binômes mixtes. J’envoyai un message à mes copains survivants :
— La « Desperate housewife » veut notre peau. Elle nous accroche un boulet pour nous empêcher d’agir. Courage les gars.
Mon binôme fut Simonéta. La même Simonéta que je snobais depuis des années.
Lors de notre premier échange, j’ai remis les pendules à l’heure. Je lui dis, avec des mots trempés dans l’acide, que j’étais ingénieur, pas baby-sitter. J’avais l’habitude des innovations et il n’était pas question que je me laisse dicter ma conduite par les lubies d’une mère stressée.
— Je suis toujours étonnée de constater que si la technologie donne du sens à la vie des ingénieurs, elle leur fait souvent perdre le bon sens, répondit-elle avec un calme troublant.
Comme il était inconcevable de travailler ensemble, j’ai affiné la technologie permettant l’amélioration de la vitesse lors du démarrage des voitures. Cette amélioration me semblait fondamentale, car elle permettait de gagner près d’une minute par trajet.

Une nouvelle créativité
Quand on fit le tour d’écran pour présenter les travaux des binômes, je découvris que Simonéta développait GAIA (Guardian AI Assistance). Cette intelligence artificielle détectait l’état émotionnel des passagers et adaptait la conduite en conséquence. Son idée fut applaudie et longuement discutée. Elle répondait toujours en disant « nous » et non « je ». Résultat, tout le monde pensait qu’on avait collaboré. Quand je m’en suis étonné à la fin de la réunion, elle me répondit avec naturel :
— Nous sommes toujours plus intelligents ensemble. Une seule perspective ne suffit pas pour résoudre des problèmes complexes.
Sa réponse m’a tourné dans la tête. Je pense qu’elle a opéré une première fissure dans mon machisme.
Fidèle à moi-même, j’ai essayé de lui faire comprendre que, même si le projet plaisait, il n’avait pas beaucoup d’intérêt :
— On monte dans une voiture autonome pour se déplacer rapidement, pas pour être plus heureux ou malheureux.
Sans chercher à me convaincre, elle me répondit :
— Je suis maman. J’ai constaté que, quand Théo s’amuse bien dans la voiture qui l’emmène à l’école, il a l’esprit plus ouvert et apprend mieux.
J’allais rétorquer que les ballades de son rejeton n’intéressaient pas vraiment IAtonome quand je tombai nez à nez avec les projets imaginés depuis quelques jours.
Le premier transformait les voitures en espaces privatifs adaptatifs. Les autonomes devenaient des salles de réunion, des espaces de méditation ou des aires de jeux sécurisées pour les enfants.
Un deuxième proposait d’utiliser les moments où les autonomes étaient disponibles pour transporter les personnes âgées ou assurer leurs médicaments et repas.
— Ça ne va pas rapporter lourd, dis-je.
— En communiquant sur ce service gratuit, on n’aura pas besoin de faire de la publicité, rétorqua Simonéta.
Je baissai la tête pour masquer un léger trouble. C’était aussi malin qu’inhabituel. Dans le service innovation, on n’empiétait pas sur ce qui était du ressort de la communication. Chacun gardait ses propres moutons.
Un troisième développait un programme pour que les voitures communiquent comme les bancs de poissons. Chacune évaluait les dangers et échangeait avec les autres.
Ces réflexions technologiques m’ont scotché. Alors que IAtonome végétait depuis quelques années, la consigne de la « Desperate housewife » avait permis aux équipes de penser en dehors du cadre.
Je ne l’ai pas admis simplement. Pendant plusieurs jours, c’est comme si j’avais une arête de barracuda à travers la gorge.
Je ne voyais pas d’où pouvait venir cette créativité. Simoneta s’amusa de mon interrogation :
— Les hommes préféraient nous marcher sur les pieds plutôt que de nous laisser exprimer notre vision de la technologie. Ils perdaient beaucoup.

Un autre regard
À partir de ce jour, j’ai commencé à regarder autrement ces femmes qui, tout en vivant des drames horribles, continuaient à travailler.
Dans toutes les entreprises, c’était la même histoire. Les femmes assuraient grave. Ma voisine, une petite blonde que je prenais pour une écervelée, a repris la boîte de BTP de son mari décédé. En quelques mois, elle a révolutionné le secteur. Exit les gros bras qui se la pétaient sur les chantiers. Elle a investi dans des exosquelettes et des drones de construction. Le taux d’accidents a été divisé par dix, et la productivité a explosé.
Ma collaboration avec Simonéta n’était pas un long fleuve tranquille. Nos échanges étaient musclés et elle remettait tout en cause. Par exemple, quand je voulais exploiter les données des personnes qui utilisent nos voitures autonomes, elle s’opposait :
— On leur fera signer un droit à la donnée qu’ils ne sauront même pas avoir signé, dis-je.
— Pas question, il faut remettre du consentement au cœur de l’échange de données. C’est la seule manière de construire des dispositifs qui émancipent les utilisateurs et ne l’exploitent pas.
J’avais l’impression d’être dans un shaker qui broie toutes mes certitudes.
Le plus surprenant était que cette nouvelle vision semblait marcher. Les clients affluaient et les investisseurs se multipliaient. Un joueur de golf fortuné m’appela parce qu’il voulait investir dans AItonome :
— Les femmes sont plus prudentes, plus visionnaires, disait-il.
Moi qui pensais que l’automobile était une affaire d’hommes, j’ai pris une nouvelle claque.
Après de longs mois, un vaccin a permis aux hommes de retourner dans l’entreprise. Comme les femmes occupaient les postes stratégiques, je pensais qu’elles se vengeraient en nous demandant de servir des cafés et de cirer les pompes. Je me trompais. La PDG annonça que le système de binômes ayant bien fonctionné pendant la crise, elle proposait de le poursuivre. Comme Simonéta était devenue directrice du Labo d’innovations, je devins codirecteur.
Surpris par cette promotion, j’interrogeai Simoneta. Toujours fidèle à elle-même, elle me répondit :
— Pour progresser, nous devons valoriser tant la diversité que les frictions. Si les femmes prennent tout le pouvoir, elles vont vite se scléroser.
Le plus ironique ? Je n’ai jamais été aussi épanoui dans mon travail. N’étant plus obligé de jouer au gros dur, je peux enfin être moi-même. Je collabore au lieu d’être en permanence dans la compétition. Je réfléchis au lieu de foncer tête baissée.
La semaine dernière, ma fille de 15 ans m’a demandé comment c’était avant le virus, quand les hommes dirigeaient tout. J’ai eu honte en lui racontant. Elle m’a regardé avec des yeux ronds :
— Papa, comment pouviez-vous être aussi bêtes ?
Je n’ai pas de réponse. Tout ce que je sais, c’est que ce virus a peut-être tué beaucoup d’hommes, mais il a aussi tué quelque chose en moi : mes préjugés, mon machisme, ma bêtise.
Quels moyens faut-il prendre pour la prévenir ?
Vos avis et commentaires nous intéressent !

j’adorerais que cela se passe comme ça, un choc violent pour une réelle prise de conscience. Je doute que la solution d’un virus sélectif soit la meilleure, voire faisable, ou encore souhaitable. Cela donne juste envie d’imaginer une solution moins radicale pour arriver à la même situation. Pour le moment, cela me laisse rêveuse…