Les machines qui lisent nos pensées

Petit précis de neurotechnologie
22 juillet 2025
15 mins de lecture

Disponible sur :

La saison complète

Ecrite et présentée par Bruno Giussani, expert des enjeux sociétaux liés aux technologies numériques, cette série de six épisodes (augmentée par un « épisode bonus » d’une fiction immersive) explore une dimension aussi invisible que décisive des conflits contemporains : l’intégrité de nos esprits.

Transcript

Vous écoutez Deftech podcast, le podcast de prospective technologique d’armasuisse.

Episode 3 : Les machines qui lisent nos pensées : petit précis de neurotechnologie

BRUNO GIUSSANI

Regardez autour de vous. Combien de personnes connaissez-vous qui portent des montres connectées, des bagues électroniques, des bracelets de fitness ou encore des lunettes avec cameras et ordinateur intégrés? Vous-même, peut-être?

Ces appareils portés sur le corps ou intégrés aux vêtements permettent d’accéder à des notifications et informations, mais également au suivi de l’activité physique, du sommeil, des signes vitaux, des émotions voire de l’attention.

Bref: une meilleure compréhension de notre corps. Ils sont connectés et souvent couplés à des systèmes d’intelligence artificielle. Ils incluent d’autres technologies avancées.

Les écouteurs intelligents – « smart earbuds » en anglais – par exemple, servent bien évidemment à écouter de la musique, mais peuvent inclure aussi des accéléromètres et gyroscopes pour détecter les mouvements de la personne ou en surveiller la posture.

Ils représentent, ces gadgets, l’avant-garde, la première utilisation généralisée d’un tout autre niveau d’intégration humain-machine: non plus basé, comme on l’a vu dans les épisodes précédents, sur les traces numériques qu’on laisse derrière nous au quotidien, mais sur nos données physiologiques et cérébrales. Ils tracent la voie vers la la neurotechnologie personnelle.

Ce domaine combine neurosciences, ingénierie, informatique et d’autres disciplines pour développer une famille de technologies conçues pour interagir avec le cerveau et le système nerveux humain.

Elles visent à monitorer, comprendre et améliorer les fonctions cérébrales dans le cadre de la santé mentale, ou pour dépasser les limitations découlant par exemple d’une paralysie partielle ou totale.

Elles promettent aussi, bien évidemment, d’atteindre de nouveaux niveaux de performance cognitive et de productivité. Mais elles soulèvent également des questions profondes sur le contrôle, la manipulation et la préservation de l’autonomie mentale.

Oui, nous ne comprenons toujours que partiellement le fonctionnement du cerveau et de l’intelligence humaine. Chacun de nos esprits est un univers à part entière, encore largement enveloppé dans le mystère.

Mais des technologies extraordinaires ont permis pendant les dernières décennies de comprendre de mieux en mieux le cerveau, les processus neuronaux inconscients, les émotions et les biais cognitifs.

On utilise maintenant ces connaissances pour développer d’autres technologies, capables, elles, d’influencer et de manipuler ces mêmes processus cognitifs, d’induire des pensées et de reprogrammer l’espace des perceptions.

JINGLE

Le Deftech Podcast fait partie du programme de prospective technologique d’armasuisse Science et Technologie.

Je suis Quentin Ladetto, responsable de ce dispositif de recherche.

Notre mission est d’anticiper les avancées technologiques et leurs usages, au service des acteurs du Département fédéral suisse de la défense, de la protection de la population et des sports, mais également du public.

Dans cette première série de six épisodes, intitulée « La menace cognitive » j’ai demandé à Bruno Giussani, expert des impacts sociopolitiques des technologies numériques, de décrypter les défis de l’intégrité et de la sécurité cognitives. 

Avec l’aide d’experts – et aussi de quelques voix artificielles: à vous de deviner lesquelles! – Bruno nous guidera à travers une exploration des menaces qui pèsent sur nos esprits à l’heure des écrans omniprésents, de l’intelligence artificielle et des neurotechnologies. En discutant mécanismes, impacts individuels et collectifs, risques, et réponses possibles.

BRUNO GIUSSANI

Pensez au prodige d’une intention qui se traduit en action, au fait de contrôler un ordinateur avec la pensée, en faisant bouger un curseur sur un écran, ou déclenchant le mouvement d’une machine.

C’est le but des interfaces cerveau-ordinateur (BCI dans l’acronyme anglais: brain-computer interfaces), développées pour permettre de contrôler des appareils externes par la pensée, sans utiliser clavier ni souris, établissant un lien direct entre l’activité cérébrale et les systèmes numériques.

Il existe des approches dites « invasives », comme celles de l’entreprise Neuralink, qui consistent à implanter physiquement des électrodes dans le cerveau. Ceux-ci capturent l’activité des neurones et en transmettent les signaux à des appareils externes, qui les traduisent ensuite en commandes numériques. Soudainement, il devient possible aussi aux personnes paralysées de jouer aux échecs ou écrire à l’ordinateur.

Il y a des technologies « non-invasives », d’entreprises comme Emotiv, qui utilisent des électrodes placés sur le cuir chevelu pour monitorer l’activité cérébrale pour produire l’électroencéphalogramme (EEG) de la personne.

Et il y a l’espace du milieu, « sémi-invasif », où il n’est pas nécessaire d’intervenir chirurgicalment sur le cerveau, mais on peut insérer des électrodes ou autres dispositifs à travers les vaisseaux sanguins, jusqu’à proximité de la zone d’intérêt.

Selon une base de données gérée par la Bibliothèque nationale de médecine, 47 études sont actuellement en cours aux Etats-Unis sur des interfaces cerveau-ordinateur

L’arc de développement de ces technologies – comme on l’a aussi évoqué concernant l’intelligence artificielle – est long. La découverte que le cerveau est un système électrique remonte à plus d’un siècle. Mais jusqu’à un passé récent, étudier ces signaux demandait des équipements coûteux, compliqués et délicats, en laboratoire.

Ces dernières années, la courbe n’a fait qu’accélérer, et la technologie est sortie des labos. Il est désormais possible de recueillir, avec des gadgets relativement peu chers, une grande quantité de données sur nos cerveaux, et essayer de comprendre ce qu’elles nous disent.

Nous pouvons aussi imaginer comment utiliser ces interfaces dans la direction inverse, pour façonner activement l’activité cérébrale: affecter les pensées, influencer l’interprétation de la réalité, orienter les décisions, implanter des faux souvenirs. Potentiellement, un jour, créer des expériences tout à fait vraisemblables, ressenties, émouvantes – rien que par la modulation de signaux électriques.

Un exemple de fonctionnement de ces technologies?

Ecoutons Jean-Marc Rickli, directeur des risques globaux et émergents au Centre de politique de sécurité de Genève :

JEAN-MARC RICKLI

Pensez par exemple aux caméras intégrés à un casque de réalité virtuelle comme celui d’Apple a commercialisé l’année passée, qui regardent sans cesse et traquent l’oeil de l’utilisateur.

En couplant ces informations visuelles qui proviennent de stimuli externes avec des capteurs neuronaux installés dans le même casque, il devient possible de corréler ce qu’une personne regarde avec la zone du cerveau qui s’active.

Et donc in fine il devient possible de savoir quel type d’information visuelle va susciter quelle réponse

BRUNO GIUSSANI

Olivier Desjeux est un spécialiste suisse d’électrotechnologie. Il travaille à un rapport sur la résilience cognitive pour le compte de Deftech.

Pour cela, il s’est plongé dans les brevets qui décrivent les appareils qui participent de ce qu’on appelle appelle IOT, « The Internet of Things« , l’internet des objets:

OLIVIER DESJEUX

L’analyse des brevets déposés montrent que tous ces systèmes IOT sont développés essentiellement pour des raisons bienveillantes.

Ce sont des raisons qui sont très respectables du point de vue de l’éthique. Le plus souvent, ce sont les bénéfices pour la santé ou pour la sécurité des personnes qui sont mis en avant.

Prenons un exemple d’un appareil capteur des flux nerveux qui peut alerter les personnes épileptiques de crises imminentes. ou des appareils qui surveillent le rythme et la pression cardiaque, on les connaît tous, qui sont là pour vraiment rendre service. Plus tard, les personnes qui ont ou qui auront perdu une fonction de locomotion peuvent ou pourront la retrouver à travers des interfaces neuronales.

BRUNO GIUSSANI

Il y a également nombre d’applications professionnelles. Les conducteurs du train à grande vitesse Pékin-Shanghai, la ligne la plus fréquentée au monde, portent des capteurs intégrés à leur casquette, pour monitorer leur vigilance et niveau de fatigue. On dira: ça se passe en Chine. En fait, si la Chine est à la pointe de ces technologies, des milliers d’entreprises des secteurs miniers, de la construction et des transports à travers le monde utilisent des systèmes similaires.

D’autres approches promettent d’utiliser une technique de rétroaction connue comme neurofeedback pour dépasser nos limites: mieux percevoir, améliorer l’efficacité, la concentration, la mémoire, ou augmenter nos performances sportives, par exemple au niveau de la coordination motrice et des réflexes.

On pourrait aussi tirer parti des schémas d’engagement cérébral individuels des écoliers et de leurs états émotionnels pour garantir un rythme d’apprentissage optimal. Il y a déjà plusieurs startups engagées dans le développement de tels produits. L’intention bienveillante qui peut sous-tendre à la création d’une technologie ne dit toutefois rien sur la façon dont elle sera utilisée à l’avenir et sur les conséquences qu’elle aura.

Prenons l’exemple des ultrasons, une des modalités d’imagerie médicale les plus utilisées au monde. Ils ont été découverts il y a près de deux siècles sur la base d’études sur le vol des chauves-souris et sur la propagation du son dans l’eau. Ils ont servi entre autres pour cartographier les fonds marins, retrouver l’épave du Titanic, détecter des sous-marins ennemis, faire du nettoyage industriel, et bien même pour déterminer le sexe d’un fœtus à travers l’imagerie échographique.

En médecine moderne, celle-ci est considérée un outil diagnostique et thérapeutique essentiel. Dans la Chine de la fin des années 1970, toutefois, elle a été mise au service de la politique de l’enfant unique, menant directement à la suppression de millions de fœtus féminins et à des conséquences démographiques et sociales qui perdurent encore aujourd’hui.

Autrement dit, la discussion sur les champs possibles d’application d’une nouveauté technologique est épineuse. Une entreprise a accès aux ondes cérébrales de ses employés, pour des raisons de sécurité, comme dans l’exemple du conducteur de train, voire pour monitorer leur niveau de stress et améliorer leur bien-être mental. Que du bien.

Mais à quel moment cela franchit la limite vers la surveillance, voir la contrainte? Devenant ainsi une extension neuronale de ce qu’on connaît aujourd’hui comme « bossware », les logiciels du chef.

Ces systèmes surveillent les frappes au clavier, l’utilisation d’internet, prennent des captures d’écran et même photographient les employés pour en contrôler les activités et maximiser la productivité? Une entreprise commercialise déjà un produit, d’origine militaire, dont le nom s’explique tout seul: « Cognitive Command and Control« .

Une industrie entière, le neuromarketing, utilise depuis un moment déjà des mesures physiologiques et cérébrales pour comprendre les motivations, les préférences et les processus décisionnels des consommateurs et en manipuler les décisions d’achat.

Pourquoi, par exemple, des films hollywoodiens, de même que certaines publicités, sont si captivants? Parce qu’ils ont été neuro-testés. Des personnes les regardent avec des capteurs sur la tête mesurant leur réactions cérébrales – et c’est sur cette base que sera fait le montage final du film.

Certains imaginent un avenir de publicité implantée dans les rêves. D’autres, des cerveaux connectés à l’intelligence artificielle, développant des réflexions symbiotiques.

Des millions de personnes joueront bientôt à des jeux en ligne via des interface cerveau-ordinateur, ou des casques de réalité virtuelle.

Il y en aura qui utiliseront le neurofeedback pour renforcer leur confiance en soi et favoriser un état mental positif.

Des domaines émergents comme la neuro-architecture étudient la façon dont les neurones réagissent à différents environnements physiques et, à l’envers, la possibilité de créer des espaces capables de détecter, via des systèmes de capteurs, le niveau d’excitation, de stress ou d’antagonisme des personnes s’y trouvant.

Souvent, cela se fera à travers des appareils qu’on ne remarquera presque pas, ou plus du tout.

Ecoutons Olivier Desjeux :

OLIVIER DESJEUX

Les capteurs et les actionneurs qui nous entourent deviennent petit à petit invisibles, indolores, ils sont insensibles, à tel point qu’on les oublie, on en perd la perception.

Prenez l’exemple des « earbuds » qui sont souvent qualifiés d’écouteurs intelligents. Certaines personnes les portent toute la journée de façon courante au point de plus du tout s’en rendre compte.

Dans les dernières nouveautés, le leader mondial des aides auditives qui vient de mettre sur le marché des équipements qui intègrent des microprocesseurs dotés d’une intelligence artificielle.

Le but de cette intelligence artificielle est de reconnaître, de filtrer les bruits de fond pour assurer une meilleure qualité d’audition aux porteurs de ces appareils, de ces aides auditives.

BRUNO GIUSSANI

Bien qu’un tel appareil système améliore de façon significative la vie de ses utilisateurs – il place une puce avec capacité IA, pratiquement invisible, près du cerveau.

De même pour les écouteurs, positionnés de façon optimale pour « lire » les émotions à travers les signaux cérébraux.

OLIVIER DESJEUX

Il y a un principe de physique quantique qui stipule que plus vous mesurez précisément la vitesse d’une particule, et plus vous perdez de précision sur sa position. Pour nous c’est la même chose.

Le simple fait d’avoir connaissance que nos paramètres physiologiques sont mesurés, sont surveillés, ça altère déjà notre mode de fonctionnement.

Ça, c’est vrai pour à peu près tout le monde. Ça peut conduire à des meilleurs comportements, comme par exemple l’injonction de marcher au moins 10 000 pas par jour. Mais ces technologies, elles sont toutes bifaces, elles ont toutes deux côtés.

On peut imaginer que la somme de toutes ces données soit capturée à l’échelle d’une entreprise, qui pourrait être peu éthique, voire même d’un gouvernement hostile.

Donc il devient ensuite relativement facile d’établir des schémas de corrélation sur lesquels actionner des opérations d’influence.

BRUNO GIUSSANI

Bien que le contrôle mental soit jusqu’ici un terreau fertile surtout pour la science-fiction, à diverses époques des gouvernements ont tenté de développer ces capacités.

Certains s’interrogent sur la possibilité d’identifier les individus à travers les patterns cérébraux propres à chacun, leur « signature cognitive » unique. Peut-être qu’à l’avenir, ces « signatures » feront partie de notre profil LinkedIn, utilisés lors des processus de recrutement.

La recherche progresse non seulement sur la façon de décoder et lire les pensées et les souvenirs, mais aussi sur comment les modifier et en implanter de nouvelles.

L’activité cérébrale à court terme peut déjà être modifiée via des technologies telles que la Stimulation Magnétique Trans-crânienne. Cette méthode induit un champ électrique qui modifie l’activité des neurones visés.

Cela peut aider à sortir d’un état dépressif. Pour des changements plus profonds, le défi est celui de la précision, parce que bien évidemment chaque cerveau est, physiquement, un peu différent des autres.

Y intervenir demande donc des méthodes hautement spécifiques. Les interfaces invasives présentent là un avantage, puisqu’elles sont en fait un réseau de fils implantés directement dans le cerveau. Et elles sont donc, du point de vue de la liberté personnelle, potentiellement plus problématiques. Mais les systèmes non invasifs peuvent aussi induire des nouveaux schémas d’activité cérébrale de façon passive.

Une étude remarquable a par exemple été menée en 2024 par des chercheurs de trois universités américaines, Rochester, Yale et Princeton. En utilisant un appareil d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle et un système de neurofeedback, ils ont réussi à inscrire dans le cerveau des participants une nouvelle information comme si ils l’avaient apprise, mais sans effort d’apprentissage conscient.

Voici comment les chercheurs ont décrit le résultat de leurs travaux:

VOIX SYNTHETIQUE

Ce mécanisme de rétroaction a efficacement « sculpté » l’activité cérébrale des participants, les guidant vers le schéma souhaité.

BRUNO GIUSSANI

Cette méthode pourrait aider à accélérer l’apprentissage, puisqu’elle ne nécessite d’aucun effort, étude ou pratique. Et pourrait être utilisée en rééducation, par exemple pour aider les patients victimes d’un AVC à récupérer leurs fonctions cérébrales.

Il est évident toutefois que ces recherches – et d’autres similaires – ouvre la voie à des d’utilisations moins bienveillantes.

Nita Farahany, professeure de droit à l’université Duke, est une des meilleures spécialistes de ces questions au monde, et a disséqué le sujet en détail dans son livre « The Battle for Your Brain » (La bataille pour votre cerveau), paru en 2023. 

Elle y dit notamment ceci, traduit et adapté par nos soins :

VOIX SYNTHETIQUE

Je suis enthousiasmée par la promesse de cette technologie d’aider les gens à vivre mieux. Ces technologies collectent nos données cérébrales pour nous aider à devenir plus rapides, plus efficaces, plus sûrs et plus sains. Nous aurons donc des raisons de vouloir partager les données brutes de notre activité cérébrale. Individuellement et collectivement, nous tirerons un grand profit de ce que nous pourrons en apprendre.

Mais il y a un revers de la médaille, une boîte de Pandore qui m’empêche de dormir. Rien dans la loi ni dans les traités internationaux ne confère aux individus une souveraineté même rudimentaire sur leur propre cerveau. Ce n’est pas pour demain, mais nous nous dirigeons rapidement vers un monde de transparence cérébrale totale, où les avancées en neurotechnologie permettront aux scientifiques, aux médecins, aux gouvernements et aux entreprises d’explorer nos cerveaux et nos esprits à volonté.

Je crains que, dans un avenir proche, nous abandonnions, volontairement ou involontairement, notre dernier bastion de liberté: notre vie privée mentale. Que nous échangions avec des entreprises commerciales l’accès à notre activité cérébrale contre des rabais, un accès gratuit aux réseaux sociaux, voire comme condition pour conserver notre emploi. La neurotech pourrait devenir une exigence dans les lieux de travail et les écoles: pas de bracelet, pas d’emploi.

Soyons clairs : les données elles-mêmes ne sont pas la même chose que nos pensées et nos sentiments. Mais de puissants algorithmes d’apprentissage automatique parviennent de mieux en mieux à traduire l’activité cérébrale en ce que nous ressentons, voyons, imaginons ou pensons. En choisissant d’utiliser ces appareils, nous risquons de révéler bien plus que ce qu’on a prévu.

BRUNO GIUSSANI

Bien utilisées, ces technologies peuvent apporter des bénéfices individuels et collectifs indéniables. Augmenter la sécurité. Aider l’attention et la performance.

Mais elles mettent en jeu de façon essentielle notre liberté cognitive, notre droit à l’autodétermination sur notre cerveau et nos expériences mentales. Souvent, notre activité cérébrale commence à changer avant que nous ne le remarquions – par exemple quand un état dépressif ou anxieux s’installe.

Que se passera-t-il quand les machines – contrôlées par des entreprises ou des gouvernements – pourront savoir ce que nous pensons avant même que nous le pensions?

On touche ici à un enjeu central de la neurotechnologie. Comprendre que les données cérébrales sont sensibles. Définir qui peut les collecter et utiliser et comment.

Il ne s’agit pas seulement d’augmenter nos capacités (ce que les neurotech promettent de façon spectaculaire) mais aussi de les protéger. De s’assurer que ces technologies nous aident à améliorer notre compréhension et prise de décision, plutôt que de permettre à une organisation de décider à notre place.

Et surtout d’éviter que l’augmentation de nos capacités cérébrales ne nous affaiblisse en tant qu’êtres humains, nous rendant plus vulnérables à la manipulation.

Toute cela peut sembler un peu abstrait.

Voici comment la chercheuse en éthique de la technologie Nicoletta Iacobacci résume le défi auquel on est confrontés:

NICOLETTA IACOBACCI

Les grandes entreprises de la tech, notamment américaines et chinoises, ambitionnent de créer des formes d’intelligence artificielle générale, c’est-à-dire des systèmes capables d’imiter la pensée humaine.

En même temps, le cerveau, la partie la plus complexe du corps humain, qu’on a longtemps considéré comme incompréhensible, commence à livrer ses secrets. On doit sérieusement s’interroger sur la convergence de ces deux axes de développement, qui fera émerger une machine qui nous dépassera tant en termes de vitesse et puissance de calcul, que de connaissance détaillée de nos schémas mentaux et émotionnels.

Ce sera un cerveau collectif, une superintelligence que nous avons toutes les raisons de craindre, mais que nous participons à créer jour après jour.

BRUNO GIUSSANI

Comme nous l’a dit Nita Farahany, tout cela n’est pas pour tout de suite. Mais la technologie avance à grande vitesse, dessinant un avenir avec lesquel nous devrons composer.

Penser la résilience et la robustesse cognitive devient alors primordial.

Dans le quatrième épisode, on étendra cette analyse à un domaine essentiel, que l’on na pas encore évoqué: la guerre. 

Je suis Bruno Giussani et ceci est le Deftech Podcast.

Merci de votre écoute.

Deftech Podcast

Idée & projection : Quentin Ladetto

La menace cognitive

Conception et rédaction : Bruno Giussani
Production : Clément Dattée

Réalisation : Anna Holveck
Enregistrement : Denis Democrate
Mixage : Jakez Hubert
Jaquette : Cécile Cazanova

Fiction

Ecriture : Martin Quenehen
Comédienne : Clara Bretheau
Sound design : Felix Davin

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