Jacques-François Marchandise a cofondé puis dirigé la Fing, la Fondation Internet nouvelle génération, une association qui questionnait les potentiels et les enjeux de la société numérique.
Philosophe de formation et prospectiviste, ses principaux travaux portent sur les transformations numériques de la société : mutations des territoires et des villes, transformations de l’action publique et de la démocratie, transition écologique, travail et emploi, ou encore éducation et inclusion.
D’éducation, il en est question dans l’entretien à suivre, dans lequel Jacques-François esquisse plusieurs pistes pour faire société autour de nouveaux communs.
Entretien enregistré le 31 octobre 2022
Entretien enregistré le 31 octobre 2022
Transcript de l’entretien
(Réalisé automatiquement par Ausha, adapté et amélioré avec amour par un humain)
Thomas Gauthier
Bonjour Jacques-François.
Jacques-François Marchandise
Bonjour.
Thomas Gauthier
Alors ça y est, tu es face à l’oracle, tu vas pouvoir lui poser trois questions au sujet de l’avenir. Par quelles questions est-ce que tu souhaites commencer ?
Jacques-François Marchandise
Ma première question c’est, jusqu’où peut-on préférer l’horizontale au vertical ? J’ai envie de poser cette question parce que ça fait pas mal d’années que, compte tenu de la complexité du monde, je cours après l’idée dans mes aventures collectives successives qu’il vaut mieux arriver à davantage coopérer, imaginer ensemble, pratiquer l’intelligence collective, etc.
Et en fait, je me retrouve assez souvent face à ce que… J’appelle une fracture contributive, le fait que si on veut que tout le monde soit dans des approches d’intelligence collective, de coproduction, de coopération, en fait tout un ensemble de gens n’y sont tout simplement pas prêts.
Et puis on a constamment des exemples du fait que des gens dans des circonstances de la marche du monde veulent le contraire, veulent vraiment le vertical, veulent l’autorité, veulent l’ordre, veulent savoir qui a raison et le suivre. Et donc voilà, j’ai cette question qui pour moi est un vrai vertige, pour laquelle j’ai vraiment besoin de l’oracle.
C’est jusqu’où on a raison de persister à aller vers l’horizontale.
Thomas Gauthier
Alors je me permets de rebondir à cette première question. On évoquait pour préparer cet entretien cette époque géologique dans laquelle nous serions entrés, qui est l’anthropocène, qui rebat les cartes, qui quelque part nous raconte une réalité biophysique qui n’est plus prête à se plier au désir de nos réalités socialement construites.
On évoque les limites planétaires, on évoque le dérèglement climatique, on évoque la perte de biodiversité. Bref, on évoque tout un régime biophysique nouveau, beaucoup plus contraignant, beaucoup plus angoissant. est-ce que cette nouvelle forme de nature et de vivant pourraient conduire les collectifs humains à s’organiser différemment ?
Est-ce que ce nouveau régime climatique et naturel nécessite que nous nous organisions autrement et soit vient conforter ce que tu nous dis du modèle horizontal que tu appelles de tes voeux, soit au contraire redonne une place d’importance à un modèle plus vertical et probablement moins démocratique et participatif ?
Jacques-François Marchandise
Voilà, c’est pour ça que je pose la question à l’oracle, c’est que je suis bien embêté. Je prends effectivement l’exemple des questions écologiques.
La plupart du temps, elles présentent une combinaison de complexités successives. Et donc, si je prends le cœur de mon inquiétude, c’est le fait que plus on va être dans des situations de crise, plus au fond on va supposer que c’est les postures d’autorité les plus normatives de la part des États ou de la part des grands acteurs qui vont se mettre en place et qu’il va juste falloir maintenir l’ordre d’une certaine façon.
Si je le dis d’une autre façon, moi je travaille beaucoup depuis les questions que pose le numérique, le numérique de demain peut être en gros la police de la transition écologique. Et donc, je prends un tout petit exemple qui s’est passé cet été pour beaucoup de gens dans nos pays, qui est tout simplement une sécheresse absolument inédite et qui pourtant est très modeste par rapport à ce qu’on vit dans le monde. de la planète, mais dont en fait nous ne sommes pas encore sortis.
Je viens de découvrir en allant chercher bien loin qu’à l’endroit où je me trouve aujourd’hui dans le Morbihan, nous sommes passés de l’alerte crise à l’alerte vigilance renforcée le 25 octobre. C’est-à-dire qu’on a presque le droit de rien arroser, ça tombe bien, il pleut, mais qu’en revanche, on est quand même en grande difficulté, toujours.
Et quand on regarde les motivations des décisions de l’été dernier et des décisions d’octobre, en fait, c’est des motivations sur lesquelles le préfet et les acteurs qui sont autour de lui disent « c’est ce qu’on a décidé au vu des éléments que nous avons » . Et les éléments qu’il a, je ne les ai pas et je ne les trouve pas.
Et les villes et les communes qui sont dans… dans le territoire autour de moi, ne les ont pas non plus. Personne ne sait sur la base de quoi c’est décidé.
Or, on nous a demandé des efforts. Donc la question est, est-ce que pour demain, il y aurait moyen qu’on nous considère comme des adultes et que quelque part, on soit partie prenante de ces décisions, que quelque part, on accède aux données du stock d’eau et de notre prélèvement sur l’eau, ou est-ce que demain, on sera toujours plus considérés comme des enfants qui doivent juste obéir aux autorités ?
Et évidemment, moi je parie fort sur la première option, c’est-à-dire que ce serait mieux d’avoir une société où la responsabilité nous appartiendrait à tous, plutôt qu’une société où le préfet serait omnipotent et omniscient, qui est un modèle qui me paraît voué à l’échec. Donc voilà où j’en suis avec cette question.
Thomas Gauthier
Peut-être en lien avec tes activités dont tu pourras nous parler, qu’imagines-tu comme protocole de… de monter en sagesse, si je puis dire, des individus, de monter en compétence, de monter en capacité des individus pour pouvoir pleinement jouer ce rôle dans une gouvernance plus horizontale. Qu’est-ce qui nous sépare aujourd’hui en tant qu’individus d’un État, si je puis dire, où nous pourrions pleinement jouer un rôle dans un schéma plus horizontal de gouvernement des choses ?
Jacques-François Marchandise
Alors, je risque d’avoir des réponses très longues et pas très satisfaisantes, mais je vais essayer. Première chose, je pense qu’il nous manque les formes collectives de contribution à la société.
C’est-à-dire que j’ai l’impression qu’au fil des années, on a un petit peu laissé s’estomper une partie des formes associatives qui se sont retrouvées en grande précarité, qu’on a plutôt vu les partis politiques et les syndicats également être assez affaiblis au fil des années, qu’on voit aujourd’hui des formes collectives. qui sont parfois très vigoureuses, mais qui restent des formes légères dans les modalités d’implication, etc. Et l’individu réduit à lui-même, il n’a aucun moyen d’y arriver.
Aucun. Donc, moi, je crois à des formes collectives qui intègrent le co-apprentissage et le partage, en fait, de l’approche de la complexité comme principe de base.
Et je me rends compte… Après coup, ça ressemble très fort à l’éducation populaire, cette aventure.
Thomas Gauthier
Alors là, tu viens de faire un premier passage devant l’oracle. Tu peux te représenter à nouveau devant cet oracle et lui poser une deuxième question.
Qu’est-ce que tu veux lui demander maintenant ?
Jacques-François Marchandise
Alors, je voudrais lui demander, est-ce que l’incertitude peut être une bonne nouvelle ? J’ai l’impression que depuis…
Toujours, depuis longtemps, on s’est focalisé sur l’acquisition de connaissances, l’effort dans la science, l’effort dans l’éducation, mais aussi l’effort dans les stratégies d’entreprise et les politiques publiques. On s’est focalisé dans la réduction d’incertitudes.
Et donc, potentiellement, ça conduit à avoir des législations absolument… considérable et qui gagne en épaisseur, ça conduit à avoir des cursus de formation qui sont de plus en plus lourds. Et puis derrière, ça conduit aussi à ce que les jeunes, au moment de choisir leur voie d’avenir, ont l’impression qu’en gros, à partir de 18 ans, 16 ans, peut-être 14 ans, s’ils ne font pas les bons choix, leur avenir est cuit. et je me dis mais on est moi je souscris de plus en plus à ce que disaient Calon, Lascoum et Barthes c’est à dire qu’on se retrouve à devoir agir dans un monde incertain agir dans un monde incertain pour moi c’est aussi un monde qui peut-être donne plus de marge de manœuvre qui nous permet peut-être davantage de faire des choix pendant longtemps.
Et donc, est-ce que c’est… Moi, à titre personnel, je considère que c’est une bonne nouvelle.
Je considère que pour le coup, c’est ce qui va nous donner de l’oxygène, c’est ce qui va nous permettre du libre arbitre, etc. Et je ne sais pas si c’est une bonne nouvelle pour tout le monde.
C’est la question à laquelle j’aimerais que l’oracle nous aide à répondre.
Thomas Gauthier
Alors là, sur cette question, il y a… Il y a beaucoup à dire, ce que j’entends dans tes propos, c’est que l’incertitude pourrait être une bonne nouvelle dans le sens où elle ouvre quelque part à un champ des possibles qui paraissait complètement obstrué.
Elle fait la nique à l’idée que des choix faits à un instant donné dans notre vie soient prescripteurs pour la suite de notre trajectoire individuelle, professionnelle peut-être. Et à contrario, la question que je me pose, c’est jusqu’où est-ce que peut-être… entretenu la liberté individuelle et les libertés collectives sans pour autant rogner justement sur la faculté des autres de pleinement se réaliser on a parlé un petit peu plus tôt dans l’entretien d’anthropocène qui nous raconte un monde de contraintes dans lequel probablement que des formes de croissance infinie souhaité par certains n’ont pas lieu d’être de la manière je m’interroge et je t’interroge comment dans ce monde de contraintes que les scientifiques nous décrivent de mieux en mieux, peut-on imaginer des dispositifs sociaux, ceux-là, qui vont garantir une pleine expression de l’individu, des collectifs, dans un respect de ses limites ?
Comment rendre quelque part illimité la capacité de réalisation de soi dans un monde physiquement limité ?
Jacques-François Marchandise
Moi, j’ai l’impression que les épreuves du monde incertain, c’est les situations de crise. J’allais dire, on va avoir dans les prochains mois, dans nos pays riches, des choses que la plupart de la planète connaît déjà très bien, c’est-à-dire des situations de crise sous forme de pénurie de matière, sous forme de pénurie d’énergie ou d’eau, etc. et auxquelles on n’est pas du tout habitué, qui pour l’instant ne cadrent pas du tout avec le succès que nous avons eu. dans nos pays luxueux, à maintenir un certain niveau de vie pour une énorme partie de la population, assurer des formes de solidarité institutionnelle, etc.
Et je pense que quand je parle d’épreuve, c’est-à-dire des circonstances dans lesquelles on va avoir à s’adapter, on va avoir à concevoir les choses autrement. et en fait… Le monde de contraintes qu’on imaginait il y a encore quelques minutes sera tellement plus dur que ce qu’on a vécu que les réalités sociales vont être tellement plus dures.
En fait, nous ne savons pas si demain, ça va être la loi de la jungle, si demain, ça va être la loi de celui qui paye, si demain, ça va être la loi de la mafia, si ça va être l’autoritarisme, si ça va être des organisations collectives, etc. Moi, je fais le pari que… sans solidarité et sans culture coopérative, on ne va pas s’en sortir de ces situations-là.
Et je suis absolument certain, par ailleurs, que ces solidarités et cette culture coopérative ne sont pas une injonction des autorités. Ça ne marche pas comme ça. Et si on relie Norbert Alter et notamment… son livre « Donner et prendre » où il a travaillé depuis l’essai sur le don de Marcel Mauss.
Moi, je suis absolument convaincu que les dynamiques de coopération et de solidarité sont elles des dynamiques qui sont, j’allais dire, entre pairs et non pas par injonction hiérarchique.
Thomas Gauthier
Tu parles de dynamique de solidarité et d’entraide. Tu parles aussi de mise à l’épreuve de nos collectifs. Ça me fait immédiatement penser à l’un des projets de la FING, Numérique Touriste.
Est-ce que tu peux nous raconter un tout petit peu comment tu vois les utilisations possibles du numérique dans la création de collectifs et de dispositifs participatifs, j’imagine, qui nous permettraient d’être plus résilients, pour employer un terme que l’on emploie beaucoup ces temps-ci, d’être plus prêts finalement à être mis à l’épreuve ?
Jacques-François Marchandise
Je pense qu’il y a… Ce que nous a un petit peu appris le travail sur Numérique Touriste, ce qui m’a appris à moi en tout cas, parce qu’on était quand même nombreux dans cette aventure, c’est le fait que dans une des situations où une partie des systèmes ne fonctionne pas, il faut ne pas dépendre de systèmes sur lesquels on n’a pas de maîtrise.
C’est-à-dire qu’on a un énorme enjeu d’autonomie, on a un énorme enjeu de… Beaucoup de gens vont parler depuis ces derniers temps de souveraineté numérique.
Moi, c’est un terme que j’utilise le moins possible parce qu’il me paraît illisible. En revanche, ce qui me paraît pertinent, c’est la tension entre autonomie et dépendance au système technique et particulièrement au numérique. et l’autonomie ou la dépendance pouvant aussi bien être technique de savoir-faire, de dépendance à la distance et à des acteurs lointains, de dépendance à des stratégies d’acteurs qui ne sont pas nous, etc.
Et en l’occurrence, dans les situations de crise, je pense qu’on se retrouve fort dépourvu si les systèmes qui gèrent La ville, la société, l’immeuble dans lequel j’habite, l’électroménager et le fonctionnement de ma maison, etc., sont des systèmes que je ne sais pas réparer, et surtout pour lesquels je ne connais personne qui peut ouvrir le capot. Et donc, qu’est-ce qu’on arrive à faire d’un monde trop complexe en situation de crise ?
A priori, un monde ingouvernable en temps normal et un monde très ingouvernable en situation de crise. et donc Pour le coup, pour moi, il y a une sorte d’alignement entre la démocratie technique et la démocratie tout court. Le fait d’avoir une association des citoyens et des habitants de la Terre Ausha technologiques qui engagent l’avenir, c’est quelque chose qui est ultra nécessaire pour maintenir ouverts les chemins de la démocratie, qui n’est jamais une réalité, qui est toujours un chemin.
Thomas Gauthier
Tu as employé à plusieurs reprises le terme d’autonomie, ça me fait penser au contenu de l’essai sur la convivialité d’Ivan Illich qui oppose l’hétéronomie dans laquelle nous serions plongés dans une société industrielle, voire une civilisation thermo-industrielle comme certains l’ont appelée, à une autonomie qui serait une condition de réalisation de soi et une condition de bien-être. La question que j’aimerais te poser est la suivante.
Il semblerait qu’au fur et à mesure des épreuves… que les sociétés ont eu à affronter, elles ont eu tendance à croître en niveau de complexité. À chaque nouvelle épreuve, à chaque nouvelle difficulté, qu’elle soit sanitaire, qu’elle soit énergétique, qu’elle soit alimentaire, les institutions, au sens large, ont, semble-t-il, tendu vers un niveau de complexité croissant. Est-il envisageable, selon toi, et le cas échéant, comment, qu’une descente en complexité soit à l’œuvre ?
C’est-à-dire qu’il y ait peut-être… une redéfinition aussi du contrat social qui nous lie les uns aux autres, pour aller vers une forme sociétale moins complexe, moins sophistiquée, peut-être moins pourvoyeuse de services sociétaux très sophistiqués, tels que ceux auxquels nous avons accès aujourd’hui, à quoi ça pourrait ressembler ? Une décomplexification de la société qui serait à la fois apaisée et équitable, peut-être ?
Jacques-François Marchandise
Je pense qu’il y a des gens qui travaillent là-dessus. Moi, j’avais été assez frappé de… de voir il y a quelques années dans nos travaux le fait qu’on identifiait le fait qu’une maison truffée de domotique était une maison obsolescente.
Et quand on avait creusé cette question-là, et que donc elle avait une décote sur le plan immobilier, parce qu’au bout de cinq ans, les équipements connectés sont des équipements connectés d’il y a cinq ans, autrement dit bon courage. et là-dessus, je m’étais rendu compte que des grands acteurs de l’immobilier et de la construction, donc voilà, je vais donner des ordres de grandeur, des acteurs de la taille de Vinci, de boules de construction, etc., avaient commencé à se dire, nous, on adore avoir des immeubles intelligents qui nous fournissent plein de données, qui sont gouvernables par la technique, etc., mais on a compris qu’il fallait que la technique soit entièrement débrayable en quelques instants. Parce que le monde de demain, c’est des incendies, des inondations, des situations critiques.
Et si on ne peut pas se passer de la technique dans ces situations-là, si on a absolument besoin de data, d’électricité, voire d’intelligence artificielle, on est cuit. Il va juste y avoir des morts.
Donc comment est-ce qu’on fait pour avoir une technique qu’on met en dernier et dont on se débarrasse le moment venu ? Donc il ne s’agit pas de s’en passer.
Il s’agit de se passer de la dépendance à la technique, donc de l’utiliser comme aide, comme auxiliaire, de faire en sorte qu’une part des savoir-faire liés aux technologies soient des savoir-faire très partagés. Moi, je travaille en ce moment sur la question du développement endogène des territoires, donc le fait de se dire comment est-ce que les parcours des personnes sur le territoire sont des parcours qui vont leur donner demain du boulot qui va être utile au territoire lui-même.
Et je trouve ça très intéressant, par exemple, cet exemple éclairant de l’extrême défi qui est conduit en ce moment par Gabriel Plassa à l’ADEME. et qui vise en fait à mobiliser des talents et des compétences pour inventer les véhicules intermédiaires beaucoup plus légers, beaucoup plus frugaux, dont on sera capable de faire fonctionner demain. Et donc voilà, je pense qu’une part de ce modèle-là était un modèle qui va jusqu’à la micro-usine, la micro-fabrication locale.
Thomas Gauthier
Ce qui me fait penser au passage à l’un des nombreux travaux entrepris par la FING sur le sujet de l’usine du futur. Il te reste, Jacques-François, un troisième et dernier passage devant l’oracle, troisième occasion de le questionner sur l’avenir.
Que veux-tu lui demander ?
Jacques-François Marchandise
Eh bien, une question que je me pose et à laquelle je n’ai vraiment pas de réponse, c’est est-ce que l’avenir est à l’intelligence de la main ? Est-ce que l’avenir est aux rematérialisations ?
Est-ce que quelque part on… on a devant nous un retour du… je vais dire un peu bêtement, un retour du concret. Et je dis ça en venant de passer plusieurs décennies à être plus souvent dans le monde des idées qu’en train de cultiver mon potager ou de construire ma maison moi-même, etc.
Mais je dis ça aussi parce que je vois la détresse et la déprise que provoque la dématérialisation. Je vois à quel point…
En fait, on ne s’en sort pas bien, et à côté de ça, et on ne sort pas bien, ce n’est pas juste, c’est un sujet le plus criant, c’est le fait que des personnes en situation de précarité aient du mal à gérer leur vie dématérialisée, l’accès aux droits, l’accès aux aides et aux moyens de survie, puis les démarches administratives. C’est le fait que nous, nous sommes hors d’état de… gérer pendant 5 ans, 10 ans, 20 ans nos documents dématérialisés, nos comptes en ligne et la pérennité de ces dispositifs qui sont tous conçus comme si on devait s’en servir uniquement à l’instant T et non pas sur la durée.
La carrière d’un usager est quelque chose qui est devenu de plus en plus épouvantable et si on le suit du côté du parcours des gens… des étapes à franchir, etc., moi, j’ai l’impression que on devrait aussi prendre en compte ce qui, dans les technologies de l’information et de la communication, permet des formes matérielles, permet de l’affiche, permet de l’objet, permet ce type de choses, et permet qu’on vive un peu plus dans un monde partagé, alors que j’ai très, très peur qu’un monde très désincarné soit un monde qui nous éloigne les uns des autres.
Thomas Gauthier
Tu parles de monde désincarné ou peut-être de monde éloigné de cette intelligence de la main. Pardon de te lancer sur un sujet qui semble occuper les actualités, ce fameux métavers dont je ne sais à peu près rien.
Comment est-ce que tu observes cet objet ? Je ne te demande pas évidemment de te livrer à la moindre prédiction, mais si nos auditeurs et nos auditrices souhaitaient s’y intéresser, y a-t-il des questions que tu les invites à se poser ?
Y a-t-il des réflexes intellectuels que tu les invites ? à considérer ? Comment on se saisit de ceci ?
Est-ce que ce n’est qu’un effet d’annonce ? Est-ce que c’est quelque chose ?
Est-ce que c’est rien du tout ?
Jacques-François Marchandise
Non, c’est trop cher pour être rien du tout. C’est trop cher pour être rien du tout, donc moi, j’ai le sentiment que c’est grave, en fait.
J’ai le sentiment que on est en présence d’assez mauvaises réponses, de la part de très grands acteurs qui auraient des moyens à mettre à meilleur escient. en situation où la sobriété est de mise et où précisément on a les limites planétaires devant nous. Est-ce que nous pouvons nous en passer ?
J’ai l’impression que oui. J’ai l’impression que dans une période où on est en train de parler de sobriété numérique à juste titre et où on devrait plutôt se demander comment vivre dans un monde qui consomme à peu près ce qu’on consommait il y a dix ans.
Ce n’est pas le Moyen-Âge, ce n’est pas très archaïque, mais en étant beaucoup plus malin, on saurait consommer avec le numérique ce qu’on consommait il y a dix ans. en faisant beaucoup plus de choses. Et le métavers va exactement dans l’autre sens, va exactement dans une production artificielle de besoin, dans une fuite en avant, dans un très très mauvais partage de la valeur aussi.
C’est-à-dire que tout ça est sur fond de bulles spéculatives à partir du moment où on commence à avoir épuisé les spéculations immobilières des kilomètres carrés et des hectares. on invente des espaces et des linéaires sur lesquels spéculer. Donc, j’ai l’impression que c’est une erreur profonde et en matière de répartition, de proposition autour de la valeur et de répartition de la valeur, et dans un contexte où ça ne répond à aucune des urgences de la planète, et à la limite, ça aggrave une partie des… une partie des urgences qui sont devant nous.
C’est vraiment du domaine de la fuite en avant nocive.
Thomas Gauthier
On a beaucoup parlé ensemble jusque-là de l’avant, de l’avenir, du futur. Je te propose de braquer notre regard et notre attention ailleurs.
Dans le rétroviseur, est-ce que tu peux, en contemplant l’histoire, plus ou moins récente, plus ou moins proche, c’est à toi de décider, nous ramener trois événements, l’un après l’autre, dont tu juges que chacun peut nous servir à nous éclairer, à nous orienter, à nous repérer dans le monde où nous sommes, et peut-être aussi à nous servir de boussole ou en tout cas d’aide à la réflexion pour construire la suite de notre aventure ?
Jacques-François Marchandise
Première proposition, c’est la fermeture des petites voies de chemin de fer. J’en ai autour de moi.
Par exemple, il y en a une qui est assez contrariante pour beaucoup de gens. C’est la ligne de chemin de fer qui va jusqu’à Concarneau et qui, paraît-il, a été… fermé il y a quelques décennies par le maire de Concarneau alors, qui avait lui-même une entreprise de transport routier.
Et voilà, moi je l’ai sous les yeux souvent, et je me dis mais comment on peut éviter de fermer des infrastructures de ce type-là, sur lesquelles on a investi à un moment donné, sur la base de très mauvaises analyses de l’avenir en fait. et avec Une réversibilité qui n’est pas évidente. Je pense qu’il y a plein de gens qui, à plein de reprises, se sont dit, là comme dans toute l’Europe, comment est-ce qu’on fait pour rétablir ça ?
Quand on regarde les cartes de chemin de fer des dernières décennies et comment elles se sont raréfiées, et comment l’effort autour du TGV a aspiré une énorme partie des investissements et du financement, et comment, au fond, les rivalités possibles… à la voiture individuelle et à l’autosolisme, ou transport routier polluant, etc., ont été désamorcés jour après jour par ces désinvestissements. Je pense que c’est intéressant d’avoir ces cartes-là sous les yeux.
Thomas Gauthier
Est-ce que tu vois des raisons d’espérer peut-être que ces petites lignes de chemin de fer, comme tu les appelles, renaissent de leur cendre ? On entend parler par moments de grandes intentions publiques. politique de remettre à l’œuvre, de remettre en service ces infrastructures. À quoi est-ce qu’on peut s’attendre selon toi ?
Est-ce qu’il y a des opportunités de les voir effectivement remises en service ?
Jacques-François Marchandise
Oui, il y en a quelques-unes. Il y a des tentatives, y compris des tentatives coopératives qui sont intéressantes en la matière.
Moi, d’une part, j’y crois. Et d’autre part, je pense qu’elles vont rester anecdotiques si on reste dans une description classique de la valeur.
C’est-à-dire si on considère que… ces lignes doivent avoir un modèle économique qui est purement le modèle marchand. Je pense qu’il faut avoir un modèle économique plutôt que quelque chose qui est artificiellement fondé sur l’argent du contribuable, mais je pense qu’en revanche, il faut prendre en compte la création de valeurs collectives, il faut prendre en compte aussi l’empreinte carbone évitée, il faut prendre en compte aussi les accidents évités, etc.
Il faut avoir des… des descriptions plus complètes de la valeur que celles auxquelles on est accoutumé quand on compte simplement en euros ou en dollars. Et que si on a ça, au fond, la plupart des lignes qui sont encore en état correct seraient solvables.
Et une partie du temps, les investissements pour réhabiliter les anciennes lignes seraient justifiables.
Thomas Gauthier
Alors ce qui est intéressant dans tes propos, c’est qu’intuitivement, on imagine qu’elles pourraient être là. la valeur sociétale rendue par ces lignes de chemin de fer si elles étaient remises en service.Et en même temps, on constate que si on évalue leurs valeurs actuelles à l’aune des critères qui sont employés par le système économique contemporain, eh bien, disons que ces lignes de chemin de fer ne dépassent pas le seuil de rentabilité ou quelle que soit la terminologie à employer, comme si leur remise en service et leur emploi au service d’une transition vers autre chose nécessitaient aussi qu’on les regarde à partir d’un point de vue inédit et qu’on les mesure avec des outils qui n’existent peut-être pas. pas tout à fait. Donc la transformation des modes de transport, pour ainsi dire, devra peut-être s’effectuer en même temps que sont transformés des modèles économiques, voire des modèles comptables.
Comptez ce qui compte vraiment, c’est peut-être aller au-delà de la rentabilité financière de ces lignes de chemin de fer.
Jacques-François Marchandise
La bonne nouvelle, c’est qu’il y a des gens qui travaillent à ces modèles, donc y compris dans des institutions de long terme. Moi, je sais que c’est des sujets que j’ai aperçus quelque part à la Caisse des dépôts, c’est des sujets qu’on aperçoit quelque part… chez certains investisseurs long-termistes, etc.
Et je pense qu’un des grands problèmes des théories économiques les plus en cours, c’est que dès lors qu’on parle d’externalité, on considère que la société est ailleurs. Et je pense que dans l’anthropocène, on ne peut pas supposer que ni la planète ni la société sont ailleurs, sont à l’extérieur de l’économie.
C’est une petite… difficultés à résoudre.
Thomas Gauthier
Ça nous nécessite peut-être de dépasser la réduction que l’on a opérée pendant décennies, voire même plus, à savoir rattacher la valeur des choses et des projets à une certaine unité monétaire, remonter en complexité, réintroduire finalement toutes les formes de richesse ou de valeur associées à un nouveau dispositif, à un nouveau mode de transport, puis ainsi repérer quels pourraient être les projets dans lesquels dans lesquelles s’investir et dans lesquelles investir. Est-ce que tu peux maintenant, Jacques-François, nous ramener à un deuxième événement de l’histoire qui lui aussi te paraît utile pour comprendre l’époque dans laquelle nous sommes ?
Jacques-François Marchandise
Oui, c’est un événement à répétition. C’est tous les moments où on a produit des ordinateurs qu’on pouvait réparer ou assembler soi-même, et qui est une chose qui est absolument impossible avec les outils qu’on a aujourd’hui qui sont beaucoup trop raffinés, beaucoup trop fins, beaucoup trop plats, beaucoup trop… trop, etc.
Mais simplement, j’avoue que j’ai été tout à fait passionné par les Apple II quand j’avais 20 ans. J’ai été aussi tout à fait passionné par toute la période où on assemblait son PC soi-même en allant acheter les composants dans les magasins d’électronique et qu’on choisissait jusqu’où. on voulait en changer, la puissance, la forme, etc.
Et j’avais aussi été passionné par une des dimensions de l’OLPC, One Lap Doctor Child du MIT, qu’avait lancé Negro Ponte, qui était un ordinateur à 100 dollars et qui a plutôt été un fiasco, j’allais dire, dans la proposition. C’était un peu un ordi pour les nuls quand même. mais il y avait une chose formidable, c’est que dans les règles, si vous étiez en panne, la règle de base c’était de ne l’envoyer au service après-vente que si vous avez essayé de le réparer vous-même.
Et donc potentiellement, essayez d’abord et ensuite vous nous renvoyez. Je trouvais que pour un matériel c’était fascinant et que c’est l’inverse de ce qu’on nous dit. au quotidien, tout le temps.
Surtout, ne touchez pas, sinon vous bousillez la garantie. Laissez-nous le renvoyer via la Hollande vers l’Asie du Sud-Est et ça va bien se passer.
Thomas Gauthier
Alors pour l’anecdote, comme tu évoques l’OLPC, il y a fort longtemps, j’étais stagiaire dans une entreprise du domaine de l’imagerie médicale et on avait hacké un OLPC pour en faire un échographe bon marché. On était allé jusqu’à brancher une sonde échographique à l’OLPC et on obtenait des images de qualité raisonnable.
Certains diagnostics auraient été possibles avec l’OLPC. Troisième et dernier événement historique, Jacques-François, qu’est-ce que tu souhaites nous ramener ?
Jacques-François Marchandise
J’en ai un qui est assez banal, mais je me rends compte chaque année, y compris mes étudiants en master ne le connaissent pas forcément, qui est le choix de Tim Berners-Lee, il y a un peu plus de 30 ans, de… de faire que les standards du web soient des standards ouverts. Inventer le web et se dire, au lieu de vouloir faire une rente à partir de cet ensemble de standards, de la possibilité de constituer des pages avec un langage permettant les hyperliens et permettant ensuite, au fond, la mise en place d’une toile qui est devenue une toile mondiale.
Le fait que ça soit cadeau pour nous, C’est-à-dire qu’à partir de là, nous ayons tous pu, avec des éditeurs très faciles d’accès, créer des pages web, mettre en place des sites, etc. Je pense que c’est un moment historique qui, pour moi, est absolument déterminant.
Thomas Gauthier
Et si on transpose les circonstances dans lesquelles Berners-Lee a fait ce choix à l’actualité, à la situation contemporaine, Est-ce que tu verrais des secteurs d’activité ? Est-ce que tu verrais des… des domaines de la vie aujourd’hui en société, de la vie économique, où de tels choix pourraient être faits de sorte à orienter, quelque part, la suite de notre aventure collective d’une manière bien particulière, puisque le choix de Berners-Lee, tu l’as dit, a été structurant et continu de l’être, même s’il est attaqué de toutes parts par des tentatives de privatisation du web, par des tentatives de fragmentation du web.
Où est-ce que peuvent se situer aujourd’hui les héritiers et les héritières de Berners-Lee ?
Jacques-François Marchandise
Je donne deux exemples. Un exemple très actuel qui est qu’il paraîtrait que Elon Musk aurait racheté Twitter.
C’est le moment où beaucoup de gens se souviennent qu’il y a des alternatives décentralisées à Twitter et que l’énorme problème d’avoir un monsieur Musk qui peut choisir de faire de Twitter son jouet moyennant un énorme chèque, c’est un problème très fort pour la démocratie. donc est-ce que… Est-ce que des solutions décentralisées sont jouables ?
On voit tout un ensemble de gens qui sont en train de se créer leurs comptes sur des instances mastodontes qui sont décentralisées. Donc c’est une petite marge de plus à monter, mais au fond, elle peut être assez triviale.
Je doute un petit peu que ça devienne un mouvement aussi massif que le nombre d’usagers de Twitter, mais au moins, les gens qui vont faire ce choix-là vont pouvoir avoir une base arrière qui ne dépend pas de M. Musk. à l’intérieur de laquelle ils vont pouvoir échanger et puis qui sait, peut-être qu’à un moment la bascule de Twitter vers un grand n’importe quoi va encourager les gens à aller vraiment vers des solutions plus ouvertes et plus décentralisées.
Donc ça c’est un premier exemple qui est au fond dans la même modalité que celle de Tim Berners-Lee. Le fait de se dire, nous n’avons pas besoin d’être tous sur la même plateforme pour échanger.
Comme le montre d’ailleurs l’e-mail, où nous avons tous des fournisseurs différents et nous pouvons nous envoyer des mails les uns aux autres. C’est exactement ce que fait Mastodon.
Deuxième champ d’exemple, c’est le champ de la mobilité, et notamment tout le mouvement qui est en cours autour des communs de la mobilité, autour des communs des véhicules, que ce soit pour les vélos, pour les voitures, les véhicules intermédiaires ou d’autres. Les travaux de la fabrique des mobilités, par exemple, partent de l’hypothèse que pour avoir des effets transformateurs en la matière, il faut des standards, il faut des communs, il faut de l’ouvert.
Et donc, pour moi, c’est des choses qui sont directement des apports de la philosophie des communs et de la philosophie des standards ouverts vers des champs industriels qui n’y étaient absolument pas prêts. et qui s’y sont préparés depuis quelques années parce qu’en fait, leur rencontre avec le numérique et les alchimies qui se font avec ça sont convaincantes.
Thomas Gauthier
Là, tu nous ramènes au présent avec ces deux exemples, l’exemple des réseaux sociaux et de Twitter, puis ensuite l’exemple des mobilités, et notamment celui de la fabrique des mobilités. Puisqu’on en est au présent, je te propose d’aborder la troisième et dernière partie de notre échange.
Ce qui m’importe maintenant, c’est ton présent. Est-ce que tu peux, Jacques-François, nous raconter comment, dans tes pratiques, dans tes interventions, dans tes modes d’engagement, tu essayes d’accorder actes et pensées ? Ça se passe comment, les interventions de Jacques-François ?
Jacques-François Marchandise
En amont de ce qu’on fait, il y a le diagnostic qu’on fait sur le monde dans lequel on est. Moi, j’ai l’impression, on a parlé à quelques reprises de complexité, ce qui me frappe, c’est à quel point, par exemple, nos parcours scolaires nous préparent extrêmement mal au monde dans lequel on vit.
Et à quel point, à chaque fois que j’ai des échanges avec des amis, des voisins, des gens de ma famille ou autres, j’ai l’impression que pour la plupart d’entre nous, on est complètement paumé dans le monde d’aujourd’hui. On a un énorme problème de compréhension du monde, de compréhension de sa complexité, et qu’une partie du temps, on va se réfugier dans des choses… plus facile à faire que de se prendre la tête, comme on dit.
Et donc, comment on fait avec ces problèmes de compréhension du monde, qui ne sont pas juste de la compréhension ? Pour moi, on a des problèmes de prise sur le monde.
Donc, vous savez, pour les personnes âgées, les personnes qui deviennent dépendantes, etc., on parle souvent de ce phénomène qui s’appelle la déprise, le moment où on n’a plus prise, où en fait, on est complètement perdu, etc. Et j’ai l’impression malheureusement que la déprise commence de plus en plus tôt dans la vie, et que la question est plus de savoir comment on lutte contre la déprise dès l’enfance, l’adolescence et l’âge adulte.
Donc pour moi, j’ai plusieurs façons d’aborder ces réponses. La première façon, c’est biographiquement, ce que j’ai pu faire dans la vie. j’ai passé pas mal d’années En fait, je me suis intéressé au numérique quand j’étais étudiant parce que je faisais des revues littéraires.
Et j’ai passé pas mal d’années à centrer mon activité et mes choix autour de la création littéraire, autour d’espaces qui étaient plutôt des espaces créatifs et des espaces pour nommer le monde. Y compris en me disant, une des revues que j’ai co-animées, la revue perpendiculaire, s’est spécialement frottée aux questions du monde contemporain pendant pas mal d’années.
Donc ça c’est la première chose, la première réponse à la déprise, c’est comment ça passe par le texte, ça peut passer par l’image mais je n’ai pas de talent en la matière, etc. Deuxième façon, c’est comment est-ce qu’on politise le monde.
Mon axe de travail principal aujourd’hui, c’est numérique et pouvoir d’agir. En quoi le numérique peut être capacitant ou incapacitant ? temps et en quoi je prends mes repères sur le pouvoir de pouvoir avec et pouvoir sur qui sont les trois aspects individuels collectifs et politiques du pouvoir d’agir et donc moi je pense que à chaque fois qu’on arrive à voir un bon partage des leviers de pouvoir et des leviers d’action du numérique qui va fabriquer un meilleur pouvoir d’agir dans la société, on s’en sort bien.
Donc moi, une partie de mon travail depuis des années, c’est d’essayer de défricher ces champs-là, d’encourager des acteurs à y aller, de qualifier les leviers qui sont derrière, etc. Et puis, je disais tout à l’heure, pour lutter contre cette déprise et contre le fait que le monde est incompréhensible, il faut prendre en compte Merci. entre autres des façons de développer nos cultures de ce monde, et notamment rentrer dans la complexité, rentrer dans la culture scientifique et technique, rentrer dans la culture de la donnée, rentrer dans l’éducation à plein d’autres choses, à l’environnement.
Et moi, j’ai fini par comprendre qu’une part de tout ça s’appelait l’éducation populaire. Alors, je ne viens pas du tout de l’éducation populaire, mais… mais je vais plutôt en sens inverse, c’est-à-dire j’y vais plutôt que je n’en viens, en comprenant doucement que c’est un condiment indispensable de la démocratie.
Et puis, autre famille d’action, c’est que j’ai enseigné pendant un peu plus de 15 ans à l’ENSI, à des designers, à des gens qui étaient dans le cursus de création industrielle de cette grande école française. Et pourquoi j’ai enseigné là ?
En dehors du fait que c’était à l’époque la seule grande école en pédagogie active, ce qui était en soi un motif suffisant, j’ai enseigné là parce que je voyais que le design peut avoir la capacité à nous donner davantage de prise sur le monde, à vraiment trouver des façons de… pas juste être dans l’utilisation, mais dans des usages qui soient des usages auxquels on peut souscrire. Et donc, voilà, j’ai passé beaucoup de temps sur ces sujets-là et j’allais dire, les designers que j’ai formés m’ont formé.
Donc, à chaque fois que j’enseigne, je fais pour ça. Donc ça, c’est un premier bloc, c’est comment on donne plus prise sur le monde.
Deuxième bloc, c’est… Je parle… de l’hypothèse sur les sujets dont on parle depuis tout à l’heure que personne ne peut rien tout seul.
Et que donc, il y a un énorme travail à faire pour décloisonner, pour faire des passerelles. Là-dessus, qu’est-ce que j’ai pu contribuer à faire avec des collègues et des amis ?
C’est inventer des méthodes. C’est par exemple un des formats que j’ai mis en place, le connecteur recherche, pour faire se parler, faire interagir. des chercheurs et des praticiens autour de questions émergentes et autour de questions d’avenir. Ça, c’est une chose que j’aime beaucoup faire et que je vais continuer à faire d’autres façons.
Et puis, l’autre chose, personne ne peut rien tout seul. Donc, avec mes collègues à la FING, on a construit ce programme qui s’appelle Reset, qui vise à remettre en cause tout un ensemble de dérives du numérique et à dire comment on peut faire autrement.
Mon sujet est toujours, mon approche est toujours une approche antifataliste, disant qu’il ne va pas suffire de pleurnicher, de gémir. Nous avons des moyens d’action, nous avons des leviers, mais il faut pour ça construire des coalitions. construire des coalitions et identifier le fait que les acteurs de ces coalitions sont des acteurs divers, qui ont chacun des leviers différents, et que potentiellement c’est la convergence de ces leviers qui peut sauver le monde.
Et puis à chaque fois qu’on est sur ce « personne ne peut rien tout seul » , on tombe sur des questions interculturelles. Tu mentionnais tout à l’heure les travaux qu’on a fait sur l’usine du futur à la Fing, une partie de ces…
De ces travaux-là, viser à se dire, qu’est-ce qui se passe entre les gens qui conçoivent l’industrie 4.0, l’usine du futur ? Est-ce qu’il y a des promesses environnementales derrière tout ça ?
Est-ce que les datas, l’industrie et l’environnement, ça va ensemble ? Et en fait, les constats qu’on faisait, c’était que, bien sûr que oui, il y a des promesses possibles, mais en amont de ça, on a d’énormes difficultés interculturelles qui commencent dès la formation des ingénieurs.
Les ingénieurs qui s’occupent d’environnement ne sont pas les mêmes qui s’occupent de data, ne sont pas les mêmes qui s’occupent d’usines et d’industries manufacturières. Et donc, il y a déjà un travail de bain culturel commun, de traduction à faire pour que ces gens soient un peu plus dans le même monde.
Et puis, ma tout dernière réponse à ce troisième volet, c’est au fond le fait que ce que je constate, c’est… On n’ose pas se projeter dans l’avenir. À chaque fois qu’on essaie de parler avec qui que ce soit de l’avenir, on a droit au drame du présent exacerbé.
Et ce que j’ai fait ces dernières années, que j’ai l’intention de faire ces prochaines années, c’est des façons de faire de la prospective, des façons de travailler sur les futurs possibles et sur les futurs souhaitables, qui passent plutôt par la perspective créative. qui passe plutôt par une prospective dont nous sommes les acteurs et pas par une prospective effondriste et fataliste. La prospective posant la question une fois qu’on a vu les futurs possibles, qu’est-ce qu’on y peut et où sont les leviers ?
Thomas Gauthier
Cette idée de prospective par les acteurs et pour les acteurs, je trouve, reboucle très bien avec tout ce que tu nous as dit au sujet de l’éducation populaire, sa nécessité aussi pour élever les uns et les autres à des niveaux de… de capacité d’action et d’intervention souhaitable. Merci beaucoup Jacques-François.
Jacques-François Marchandise
Merci à toi.
« Nos parcours scolaires nous préparent extrêmement mal au monde dans lequel on vit »… « on a un énorme problème de compréhension du monde, de compréhension de sa complexité »… => #éducationpopulaire – où comment renforcer les compétences et les connaissances des membres d’une communauté ou d’un groupe social en vue de leur permettre de participer activement à la vie sociale et politique.… plutôt que de seulement mettre l’accent sur la transmission de connaissances académiques!!!
Excellent interview!!!