Thomas Gauthier
Bonjour Christopher.
Christopher Guérin
Bonjour Thomas.
Thomas Gauthier
Alors ça y est, vous êtes face à l’oracle, vous allez pouvoir lui poser une seule question, quelle est-elle ?
Christopher Guérin
Je pense que celle qui me tient le plus à cœur c’est… Dans un contexte où la poursuite de la croissance traditionnelle amplifie les risques climatiques, est-ce qu’un jour les entreprises et les nations vont trouver un modèle de gestion ou de consommation qui va pouvoir équilibrer la durabilité écologique, l’égalité sociale et la prospérité économique ? Et quand cette découverte se produira-t-elle ? C’est surtout ma question principale.
Thomas Gauthier
Je vais vous poser une première question rebond avant de laisser la parole à Tessa. Aujourd’hui… Pour le dire simplement, qu’est-ce que vous voyez autour de vous qui relève d’après vous de signes d’espoir ? Qu’est-ce qui vous fait espérer que la réponse à cette question sera favorable ? Et au contraire, à quel moment est-ce que vous vous dites, c’est pas gagné ?
Christopher Guérin
Je pense qu’il y a quand même un… Moi, la jeunesse me donne une source d’espoir. Je suis de plus en plus au contact des jeunes. C’est le travail que j’ai fait depuis trois ans. Parce qu’en fait, ça me rassure. Je pense qu’il y a une forme d’activiste, un mouvement qui est en train de prendre place. Et ce qui est impossible aujourd’hui, je pense, n’est que temporaire. À un moment donné, les jeunes trouveront une solution que nous ne trouvons pas aujourd’hui. Ce qui me fait, bien sûr, ce que je vis, étant un peu dans le vortex. Au quotidien, d’une société cotée en bourse, c’est un énorme retour en arrière. Je vois à peu près, je rencontre 500 investisseurs par an. Dans le cadre des derniers de l’année 2024, je suis prêt à… pratiquement, il n’y a eu aucune question sur l’environnement et aucune question sur le social. Alors qu’avant, l’EG était un thème très fort, en tout cas depuis 2019, et ça a disparu. Donc, c’est-à-dire que les investisseurs ont mis, certains d’entre eux, en tout cas, ont… ont mis l’EG à titre de mode, comme aujourd’hui, on parle d’intelligence artificielle. Et ça me fait peur.
Tessa Melkonian
Justement, vous parlez de la jeunesse comme étant une source d’espoir pour vous, et moi, je m’intéresse beaucoup à l’effondrement des énergies individuelles, à l’effondrement des écologies personnelles, et je pense à cette jeunesse qui pourrait nous… nous aider, qui milite, qui est active, mais qui en même temps a une grande difficulté elle-même sur le plan de l’énergie, de sa santé mentale. Et moi, ma question, c’était à la fois, à votre avis, où est-ce que nous allons trouver cette énergie pour mener cette transformation, cette révolution copernicienne, comme vous l’a formulé très bien dans le livre, à un moment où justement on manque dramatiquement d’énergie individuelle et où donc le risque de suivre les… S’empiterner le même chemin est très fort. Où est-ce que vous voyez cette source d’énergie?
Thomas Gauthier
Vous avez évoqué la jeunesse, vous avez évoqué aussi vos rencontres en 2024 avec des investisseurs, beaucoup d’entre elles et beaucoup d’entre eux sont vraisemblablement issus d’une formation en école de management. Vous êtes aussi actif auprès d’une école de management bien connue à Paris dans le cadre d’une chaire. Si on se livre ensemble à une expérience de pensée, on a la possibilité de transformer en profondeur. ce qui se passe dans ces établissements, ce qui est enseigné aux étudiantes et aux étudiants, à quoi ressemble un cursus, des cursus dans des écoles de management, de sorte que les futurs diplômés soient en capacité à agir non pas dans le monde d’hier, mais dans le monde de demain dont vous nous expliquez qu’il sera fait d’alignement quelque part dans le fonctionnement des entreprises et les limites biophysiques, vous avez parlé des limites planétaires.
Christopher Guérin
J’ai fait pas mal de conférences là depuis trois ans. Donc toujours un peu sur le même thème, à Paris, aux Etats-Unis, enfin en France, pardon, aux Etats-Unis et au Maroc. Et en fait, c’est au Maroc que j’ai été le plus challenged, perturbé, positivement perturbé par les questions des étudiants de l’université Mohamed VI. Et en fait, ces étudiants sortaient d’un module appelé « Intelligence collective» et pensée systémique. Et en fait, je pense que c’est ce qui manque quelque part, parce que toutes les questions qui ont été posées par ces étudiants et étudiantes, dans le cadre de ma conférence à l’université Mohamed VI, m’ont profondément touché. Parce que j’ai compris l’approche qu’ils suivaient la réflexion qui était la leur. Ce que j’ai moins vu dans les écoles de commerce… française et américaine avec qui j’ai discuté. J’ai trouvé, alors attention, c’est pas source de benchmark, mais c’est juste ma propre expérience personnelle, je pense qu’il y a quand même un sujet de vision holistique des choses. On a tendance à… à découper les modules d’enseignement dans un axe très financier. Même si on parle de finances durables, ça reste globalement très financier. D’ailleurs, le modèle que nous avons bâti au sein de Nexens, au départ, on ne voulait pas bâtir notre propre modèle. On a été regarder à travers toutes les universités du monde s’il y avait justement une formation, une executive education prête à l’emploi. pour nos managers. On a regardé HEC, on a regardé l’EM Lyon, bien évidemment, on a regardé IMD, on a regardé INSEAD, on a appelé Columbia, on a appelé Harvard. On a vu des formations exceptionnelles dans chaque partie de notre objectif, c’est-à-dire exceptionnelles sur la partie financière, exceptionnelles dans un pilier sustainability, et puis beaucoup de formations dans le caractère social. Mais alors… À travers nos recherches, dans une logique de C3P, Profit People Planet, on n’a malheureusement pas trouvé une formation sur plusieurs semaines qui ait cette approche systémique et holistique de dire, voilà, il y a une problématique financière qui ne doit pas être au détriment du social ni au détriment de l’environnement. Et du coup, c’est comme ça qu’est né notre propre modèle. On s’est dit, on va regarder nos propres datas pour éventuellement bâtir notre propre école de pensée.
Tessa Melkonian
Je pense aux mots reposants. Puisque vous disiez que vous aviez eu ce témoignage, est-ce que 2025 sera une année reposante ? Je pense à votre approche par la pensée chinoise et donc plutôt au propos de ressourçant. Ce qui peut ressourcer plutôt que reposer. Parce qu’effectivement, peut-être que dans un monde en permacrise, la notion de repos pourrait être remplacée par celle de ressource, de se ressourcer. Et je me dis, le collectif pourrait être une source, justement, qui vient nous aider pour faire ça. Et vous pointez du doigt le fait qu’en Occident classique… On a peut-être perdu cette dimension collective et peut-être qu’un récit collectif doit naître à nouveau sur ce que c’est que s’engager ensemble et travailler en entreprise. Est-ce que vous avez vu des prémices de ces discours-là ? Je sais que c’est quelque chose que vous défendez. Nous, c’est quelque chose qui nous tient à cœur. Comment on peut raconter cette histoire à nouveau d’un collectif en entreprise ?
Christopher Guérin
Je pense que d’abord, ça démarre par le côté aspiration et inspiration du dirigeant. Avant de demander à l’ensemble de son équipe d’être dans un mouvement positif du collectif, le dirigeant a un gros travail à faire sur lui-même pour sa propre colonne vertébrale. Comme je le rappelle, quand on est une société cotée, on est toujours dans cette problématique d’approche du temps court, du cours de bourse, de présentation de résultats à une maille trimestrielle, qui est vraiment anti-temps long, contrairement aux sociétés familiales ou certains entrepreneurs qui parfois ont un peu cette capacité de penser sur le temps long. Et du coup, quand vous êtes au centre du vortex, il faut vraiment renforcer vos… conviction parce que sinon vous sombrez très très vite dans le conformisme et c’est ce que je fais moi régulièrement et on peut le faire de travers plusieurs prismes plusieurs formes mais quand on part avec 89 dirigeants il y a quelques années avec mathieu ricard qui nous explique qui nous challenge en fait personnellement pendant cinq jours en disant mais quel héritage allez vous laisser à la société Votre société, puisque vous êtes dirigeant d’entreprise, mais la société avec un grand $S$, vraiment sur le thème en anglais, c’est encore plus puissant, c’est le thème de la legacy. Cette notion de sillage, en fait, fait partie de vos ancrages. Donc ça, c’est un ancrage numéro un qui m’a beaucoup, beaucoup aidé. L’ancrage numéro deux… Moi je l’avais, en source d’inspiration et d’aspiration, je l’avais trouvé aux côtés de Pierre Rabhi, sur cette notion de sobriété. Pourquoi avons-nous besoin de cette croissance ultime du toujours plus dans le cadre d’une entreprise ? c’est toujours plus de volume, toujours plus de profits, toujours plus de clients, toujours plus de produits, le plus, plus, plus. Et n’y a-t-il pas une solution sous la forme de sobriété qui permettrait de régler la problématique environnementale, d’égalité sociale ? mais tout en conservant une forme de progrès et de prospérité économique. Donc ça, ça nous avait énormément challengés. Mais je pense que le prisme, je reviens sur le prisme de la jeunesse, celui qui m’a le plus marqué, ça a été le travail qu’on avait fait avec Cyril Dion. Cyril, on était toujours huit dirigeants, j’étais le seul d’une société cotée, ils étaient tous issus d’une société familiale. Il nous a dit, comme vous êtes des grands greenwashers en puissance, de grands communicants, vous allez venir dans ce monastère au-dessus de Chambéry pour nous écouter, mais est-ce que ça va vous marquer, réellement ? Vous nous aurez vite oubliés au bout de quelques semaines. Et du coup, il nous a dit, on va changer les règles du jeu et vous allez venir avec un de vos enfants, entre 12 et 18 ans. Neveu ou nièce, si vous n’avez pas un enfant de cet âge-là. Et trois jours auparavant, donc, nos enfants sont entrés dans l’aventure avant nous. Et quand c’est votre fille de 16 ans qui vous challenge sur quelle planète tu vas me laisser en 2030, 2035, et que fais-tu à ton échelle pour arranger les choses, au bout d’un moment, ce sont des ancrages qui vous aident à… à vous battre contre le conformisme. Parce que là, actuellement, il y a un grand retour du conformisme, c’est-à-dire du tout économique. Vous voyez ce qui se passe aux Etats-Unis. Donc, il y a quand même un grand retour en arrière. Moi qui, à travers mes équipes, connectons les fermes éoliennes en mer, les énergies renouvelables aux Etats-Unis, on sent très fortement le retour en arrière.
Thomas Gauthier
Vous avez évoqué la notion d’héritage. On doit être quelque part à la fois des descendants valeureux, mais aussi des bons ancêtres en puissance. Ça m’amène assez naturellement vers la deuxième partie de cet entretien. Est-ce que vous pouvez maintenant, Christopher, vous faire archiviste et nous ramener, s’il vous plaît, un événement qui, d’après vous, est clé, mais qui est aussi méconnu ou inconnu, qui a marqué l’histoire et qui continue, selon vous, à se faire sentir aujourd’hui?
Christopher Guérin
Alors, je vais faire un geste, Thomas, et c’est ça qui n’est pas très radiophonique, c’est que je suis venu avec une archive. Voilà, donc je vous la donne. Pour nos auditeurs et auditrices, nous sommes le 20 février 1909. C’est la une du Figaro et c’est en fait le manifeste du futurisme. Manifeste de Tommaso Marinetti qui était un poète italien qui, avec certains de ses collègues, rejetait un peu ce côté d’une Italie musée qui prônait le passé, le paradigme du passé. Il y avait cette solf de modernité et de vitesse. d’urbanisation, d’usines, de bruits, de mouvements. Et il a créé ce mouvement dit le futurisme, qui est un peu comme ce qui s’est passé à la Renaissance, et devenu un peu une source d’inspiration pour la modernité d’aujourd’hui. Et pourquoi j’étudie un peu à mon échelle de ce qui s’est passé à cette époque. Alors le futurisme a eu beaucoup de dérives par le passé, puisqu’ils sont rapprochés de Mussolini, donc je n’en fais pas un modèle. Mais le démarrage était intéressant parce qu’il a créé un nouvel imaginaire en faisant venir les sculpteurs, les peintres, les poètes, les écrivains, tous les artistes de ce monde pour se rassembler, pour créer ce mouvement de renouveau. Et un peu, je pense que pourquoi le futurisme m’a beaucoup marqué, j’ai été… au musée Novacento à Milan, qui exprime un peu toutes les œuvres du futurisme. Et je trouve que c’est très, très inspirant parce qu’en fait, ça n’était autre qu’une école de pensée pour le renouveau. Et on a besoin d’un futurisme aujourd’hui. Et l’activisme de la jeunesse aujourd’hui est une forme de futurisme. La volonté de réécrire les choses. J’aurais pu venir avec beaucoup d’autres archives. Je pense qu’un autre moment qui est un peu… Un mot inconnu, on est en 1857, on est à New York, et le grand architecte Friedrich Holmstedt a gagné la création de Central Park. Et sans la vision de Friedrich Holmstedt, New York serait une ville très polluée et irrespirable. Donc voilà, c’est quelques événements de mes archives personnelles qui m’ont fortement marqué, et je trouve assez inspirante pour le monde d’aujourd’hui.
Thomas Gauthier
Vous nous avez partagé aussi un petit peu plus tôt vos pratiques et vos expériences personnelles. Il semble que transparaît dans vos propos un rapport particulier au spirituel, à la réflexion holistique, pour reprendre aussi un adjectif que vous avez mobilisé. Comment est-ce que, dans la pratique du quotidien, en tant que dirigeant, vous faites vivre ? Cette spiritualité, comment est-ce que, pour citer je crois Comte Sponville qui définit la philosophie, vous pensez votre vie et vous vivez votre pensée sans passer pour un énergumène, sans vous retrouver seul dans votre système de coordonnées là où les autres vous attendent sur d’autres réflexes, sur d’autres finalités, sur d’autres gestes. Comment, quelque part, infusez-vous et essayez, à l’échelle peut-être de votre galaxie, d’être un attracteur en fait et de faire venir vers vous ? dans votre système de coordonnées d’autres acteurs?
Christopher Guérin
Qui, c’est toute la difficulté. Déjà, je n’infuse pas de notion de spiritualité, mais plutôt de touche impressionniste à travers quelques petits motos qui savent marquer les esprits à tout niveau de l’entreprise. Et on a fait de cette phrase de Voltaire un moto au sein de Nexens pour montrer qu’on est un peu tous responsables de ce qui se passe. Et la citation de Voltaire est la suivante. dans une avalanche, aucun flocon ne se sent responsable. Mais il y a pourtant avalanche, il y a plutôt flocons. Donc on est d’une manière ou d’une autre tous flocons. Donc on a tous une forme de responsabilité par rapport à ce qui se passe en matière de crise et climatique. Et que pouvons-nous faire à notre échelle pour contribuer au bien commun et à la problématique de cette crise ? Donc c’est souvent par petites touches. Et puis surtout la théorie et la pratique, parce que si vous n’êtes que dans l’incantation, Du Yaka Faucon, il ne se passe pas grand chose. Et c’est comme ça que le modèle E3 que nous avons pensé, établi, mis en œuvre, E3 pour économie, environnement et engagement, nous a permis vraiment de concrétiser un peu cette forme de pensée. Ce qui est intéressant, c’est qu’un petit peu dans la logique de cette philosophie chinoise, tout s’est passé au moment de la Covid. Ça a été assez magique pour nous. Tout s’est passé en quatre mois. Déjà parce qu’on avait, avec certains de mes collaborateurs et collaboratrices, on avait déjà pensé au modèle E3 un petit peu en amont. Mais la mise en œuvre de cette sobriété économique au sein d’une société cotée est très compliquée. Déjà, je me faisais fortement challenger par les analyses financières, puisque nous générions une faible croissance. Et la Covid est arrivée. Donc en fait, on est le 13 mars. 2020, le président Macron annonce que nous sommes en état de guerre et nous avons expliqué très simplement ce côté de la pensée systémique à travers la crise de la Covid-19. Donc nous avons appelé plus de mille managers et superviseurs dans nos usines dans le monde et nous leur avons expliqué que une crise sanitaire va générer une crise de revenus, une crise de revenus va générer une crise de profit, une crise de profit va générer une crise de trésorerie, trésorerie ce sont les salaires, et sans trésorerie ce sera une crise sociale. Voulez-vous gérer une crise sociale ? Réponse unanime, non. Donc, on va se centrer uniquement sur un mono-indicateur qui est la trésorerie. La sauvegarde de l’emploi, la sauvegarde de la trésorerie. Tout le monde était assez d’accord, mais sauf que la suite était que nous leur avons annoncé que nous allions supprimer 13000 clients sur 17000 . Donc, une suppression de 80 % de la clientèle. Et un tiers de nos… de nos produits et services que nous offrons à nos clients. Avec cet objectif de supprimer quelque part 20 % de notre chiffre d’affaires pour réallouer petit à petit la capacité disponible, nos ressources disponibles, à des clients, il y a des produits dits bons cholestérols. Pourquoi la Covid a été vraiment une crise qui s’est transformée en une opportunité ? Parce que si en temps normal, j’aurais annoncé au marché financier que le chiffre d’affaires allait chuter de 20 % dans le… cadre d’une réflexion sur notre portefeuille client-produit, le cours de Beauce aurait chuté d’autant, voire plus. C’est pour ça que cette crise nous a beaucoup aidés, et puis ça a été une forme d’audace aussi, qui nous a permis de nous révéler. On n’a jamais autant généré de trésorerie, du coup, avec moins de chiffre d’affaires, ce qui est paradoxal avec tout ce qu’on apprend dans les écoles de commerce. Et maintenant, on a triplé notre profitabilité avec seulement 4000 clients au lieu de 17000 et deux tiers de produits au lieu de ce que nous avions avant. Et notre empreinte carbone a chuté de 40 %.
Tessa Melkonian
Si je peux revenir sur cette notion d’audace qui est absolument extraordinaire dans votre cas, ce que vous faites, le nombre de clients qui est… qui diminue, etc. Je reviens sur ça parce que pour beaucoup de nos étudiants et de nos participants, ils ont besoin de croire que c’est possible. Ils n’en sont pas sûrs. Je reviens aussi sur le poids des modèles et de comment nous enseignons aussi, avec cette idée que pour sortir du modèle de la croissance volumique, ce n’est pas possible dans une grande entreprise. C’est-à-dire que ça devient possible si je sors, si je recrée une structure. Moi, j’ai envie de vous poser une question un peu personnelle. Comment vous trouvez en vous la ressource de cette audace ? Parce que vous, vous êtes directement avec des actionnaires, des financiers qui sont aussi en partie qui influent votre carrière. Donc comment vous trouvez en vous la source d’inspiration, ce courage pour faire ce pas-là ? Même si, comme vous le dites, la Covid peut-être vous offre une opportunité contextuelle. Qu’est-ce qui, en vous, vous a permis de faire ce pas-là, tout en restant, malgré tout, adoubé par cette partie prenante bien particulière?
Christopher Guérin
Alors, il faut être très honnête. On est en tant que société cotée. Si les profits n’étaient pas au rendez-vous, ma date limite de péremption serait déjà passée. Donc, il y a quand même un sujet lié à la profitabilité. Ce qui m’a permis vraiment d’avancer, c’est rappeler le contexte historique de notre société. Nous sommes nés en 1879. Nous sommes nés en tant que producteurs de câbles pour aider Edison, Tesla. Benjamin Franklin a conduit l’électricité à travers des câbles en basse cuivre. Nous avons électrifié les Champs-Elysées en 1901, nous avons participé à toutes les différentes formes d’expositions universelles, donc nous sommes ancrés dans l’histoire. Et quelque part, ce qu’on dit à nos équipes, nous sommes juste en train d’écrire, participer sur une durée de 6 ou 8 ans à juste un chapitre de l’histoire. La société sera encore là, je l’espère, dans les 20-30 années. Mais comment faites-vous, comment faisons-nous nous, dirigeants d’aujourd’hui, de ce chapitre, pour en faire un chapitre pivot, et non pas un chapitre contemplatif. Et vraiment pivot, où il s’est dit, il s’est passé quelque chose avec ces équipes-là, ces dirigeants, les équipes au sein de nos usines, qui fait qu’il y a eu un basculement dans l’histoire de ce groupe-là. Donc la notion de temporalité est assez importante pour nous, et je pense que vous avez l’axe de votre héritage. On a appris de notre histoire, par exemple, nous étions, les 80 premières années de notre histoire, un pur acteur de l’électrification, mais nous avons également supporté l’électrification des plateformes pétrolières. Donc on n’était pas virtueux dès le départ. En relisant un peu notre histoire, cet héritage, nous nous sommes dit comment nous pouvons réparer. d’une manière ou d’une autre, les choses. Et comment rester un pur acteur de l’électrification, mais en supportant les énergies renouvelables et non plus les énergies fossiles. Donc cette notion de temporalité est importante. Et puis après, vous avez l’axe immatériel et matériel. Donc matériel, bien sûr, ce sont les investissements liés propres aux usines, mais très gros travail également sur l’immatériel. sur la notion d’imaginaire, de récits d’entreprise, qui est fondamentale. C’est pour ça qu’on a fait un très gros travail avec des historiens et des documentalistes sur l’histoire de la société, pour avoir un socle et des fondations qui nous permettent de continuer l’histoire et de continuer d’écrire les récits. Et c’est là que nous faisons appel à des sociologues, parce qu’autant nous avons un peu décodé la problématique… économique, la croissance comme nous la voyons aujourd’hui un peu trop extractive, nous avons une tendance à la rejeter, on n’est pas à suivre le volume par le volume. nous cherchons à avoir une croissance uniquement sur les biens verts, et puis surtout, ce qui s’appuie sur le recyclage. C’est ce que nous faisons actuellement. Et donc, on essaye de trouver ce parallèle entre croissance, l’économie et l’environnement. Mais sur le social, on était un peu encore sur notre faim, on avait du mal à trouver les choses, et c’est là où les sociologues nous ont beaucoup aidés depuis trois ans.
Thomas Gauthier
Vous avez rappelé, Christopher, que le modèle E3 est né en plein Covid, qu’il a… pardon pour l’expression, bénéficier d’une situation planétaire inédite. Peut-être que s’ouvre aujourd’hui une nouvelle situation planétaire inédite avec la récente élection de Donald Trump aux États-Unis, avec peut-être encore des troubles géopolitiques qui se multiplient, des annonces concernant les droits de douane et compagnie.
Est-ce que s’ouvre d’après vous un nouvel état du monde ? Et dans celui-ci, y a-t-il des nouveaux paradigmes de stratégie d’entreprise, des nouveaux paradigmes d’organisation qui pourraient bien, je dirais, gagner en vigueur rapidement ? Est-ce que nous sommes dans une situation globale qui a des caractéristiques bien évidemment différentes, mais de même ampleur, de même acuité que la situation du Covid qui a permis au modèle E3 d’émerger?
Christopher Guérin
Oui, tout à fait. Il est clair que les effets de mondialisation sont en train de se réduire, les États se retournent sous une forme de protectionnisme. Bien sûr, on pourrait voir le caractère très négatif du protectionnisme, on peut y voir également le caractère positif. C’est que les dirigeants vont pousser de plus en plus le local pour le local. Vous produisez localement et vous consommer localement. C’est le travail que nous avons fait nous-mêmes au niveau de Nexens. C’est-à-dire qu’avant, une entreprise, tous nos dirigeants étaient uniquement incentivés sur la notion de croissance, ce qui n’a pas été le cas pour nous pendant six ans. Et dans ce souci d’équilibrer croissance et empreinte carbone, nous avons réfléchi, nous, avec des supports algorithmiques, sur comment est bâti notre chiffre d’affaires. Donc on a 70 usines dans le monde réparties sur 45 pays. Donc on a calculé la part du chiffre d’affaires réalisé dans un rayon de 500 km , puis de 800 km . Et on a dit que toutes les entreprises ou toutes les usines qui produisaient et qui exportaient dans un rayon au-delà de 800 km , qui quittaient leurs frontières, se verraient imposer une taxe carbone interne, pousser justement à ce cercle virtueux de dire travailler en local pour local. On n’avait pas besoin de produire en Chine pour exporter en Europe. Nous sommes aux Etats-Unis pour les Etats-Unis, nous sommes en France pour la France, en Chine pour la Chine. Donc je pense qu’en fait il y a quand même un caractère positif dans la forme de protectionniste qui peut nous aider. Mais on est au début d’un nouveau modèle. Tout est à écrire. Merci.
Thomas Gauthier
Je vous propose de démarrer la troisième et dernière partie de cet entretien. Vous vous êtes présenté devant l’oracle, vous venez de jouer le rôle d’archiviste, vous nous avez ramené une archive en rapport avec le futurisme, le manifeste de futurisme. Vous voilà maintenant acupuncteur avec une particularité, vous n’avez entre vos mains qu’une seule aiguille, vous n’avez qu’une seule décision, une seule action, une seule intervention à engager dans le monde pour contribuer, selon vous, significativement, ce monde à être plus rapidement… et plus durablement habitable. Qu’est-ce que vous faites avec l’aiguille que vous avez en main?
Christopher Guérin
Cette question m’a fait encore plus réfléchir que les autres, plus que l’oracle et l’archiviste. Et je pense que… Ça rappelle la médecine chinoise d’une manière ou d’une autre. Et je pense que si avec une aiguille, c’est l’aiguille qui permet de trouver le nerf qui révèle les choses. C’est-à-dire, comment les dirigeants du monde actuel, que ce soit chef d’entreprise ou gouvernement, pourraient-ils mieux intégrer l’approche cyclique, la pensée systémique ? en s’appuyant sur la métaphore du corps humain. Je suis acupuncteur, donc je suis plutôt sur l’approche du corps humain. Et c’est une image qu’on a utilisée récemment sur l’interconnexion. J’essaye de casser les silos dans l’entreprise, donc d’exprimer les systèmes connectés. Vous avez des RH, vous avez des financiers, vous avez des vendeurs, des producteurs, mais tout est interconnecté. Et donc finalement, on s’est dit… Il faut qu’on infuse de la culture, il faut qu’on infuse de l’engagement, il faut qu’on infuse l’interconnexion. Donc c’est la circulation sanguine finalement, qui se diffuse à travers le corps. Donc c’est les échanges vitaux qui fait que le système fonctionne bien. Alors les financiers diront, le sang c’est pour être l’image de la circulation sanguine, ça pourrait être le cash aussi de la trésorerie de l’entreprise. Mais peu importe, il y a cette notion de circulation sanguine et système connecté. Après, il y a le système immunitaire, en rappel à un monde en permacrise. Quand le corps rencontre un virus, il produit ses propres défenses. Et donc là, pour l’entreprise moderne d’aujourd’hui, c’est adaptabilité, résilience, antifragile, réflexion sur le temps long, bâtir justement ce système immunitaire. Et le dernier élément en tant qu’acupuncteur, si on conserve cette métaphore du corps humain, c’est… Le renouvellement cellulaire… corps remplace sans cesse ses cellules pour rester en bonne santé, ici, le parallèle, c’est l’innovation, c’est le progrès, c’est la réinvention des modèles. Et là, on pourrait continuer beaucoup sur cette notion de métaphore, mais je trouve que voilà, c’est trois paramètres qui me parlent beaucoup en tant qu’acupuncteur.
Tessa Melkonian
Très bien, du coup, moi, je poursuis sur cette métaphore à la fois du corps humain et puis de la pensée chinoise. On parlait de l’énergie. y compris pour les individus qui s’appauvrissent. Donc, si on parle du chi et de cette force de vie, qu’est-ce que nous pouvons arrêter de faire ? Je pense à l’empilement des modèles. On n’est pas vraiment sortis du modèle taylorien. Et en même temps, on n’est pas encore advenus finalement à un nouveau modèle. Donc, pour la plupart des managers et dirigeants, ils ont à réaliser un nombre de tâches incalculables, répondre à de multiples reportings. Et à travers ça, ils s’épuisent. Et en plus, comme vous nous l’avez dit, ils n’ont pas toujours le sentiment de contribuer à plus vaste que soi. Et ça, on sait que c’est important. Qu’est-ce que vous avez arrêté de faire ? Qu’est-ce que vous êtes arrivé à arrêter de faire dans une structure de la taille de la vôtre ? Et ça peut sembler impossible. Est-ce que, pour tous ceux qui m’ont écouté ce podcast, qui rêvent d’arrêter quelque chose, pour pouvoir libérer du temps, de l’énergie, ça serait quoi pour vous?
Christopher Guérin
La simplification. En fait, la simplification et la réinvention, vous savez, quand vous êtes dirigeant d’une entreprise, j’ai posé la question pas plus tard que la semaine dernière au comité exécutif d’Errevens, savez-vous quand est-ce que le système de la comptabilité analytique et du P&L de l’entreprise a été inventé ? La nôtre, 1992. Quand est-ce qu’elle a été changée ? Elle a été optimisée, mais elle n’a pas été changée. Le footprint industriel que nous avons, qui a fait partie de notre héritage, a bien sûr évolué dans le temps, mais il n’y a pas eu énormément de mouvements majeurs depuis 2003. Donc, il y a deux sujets, il y a simplification et il y a réinvention. Simplification. C’est-à-dire, mettrons de côté ce qui est inutile et qui nous pollue, pollue en termes d’informations, le nombre d’indicateurs. On a divisé par trois le nombre d’indicateurs dans l’entreprise. Mais on a essayé de trouver des ponts. Si je reprends de manière très pratique ce qu’on a fait entre économique et environnement, c’est-à-dire qu’on a bien, pour les clients que nous avons conservés, calculé leur retour sur capital employé, l’approche économique, mais nous avons également calculé leur retour sur carbone employé. Est-ce que ce client va dans le bon sens pour nous d’un point de vue économique ? mais également d’un point de vue environnemental. Donc on a tué plein d’indicateurs environnementaux et économiques pour le remplacer par cette forme de rocher au carré, pour aider à prendre la décision. Et puis après, il y a la question de réinvention, et la réinvention c’est de dire, mais si on prend une page blanche, qu’est-ce qu’on réinvente ? En fait, beaucoup de dirigeants, nous sommes tous un peu dans cette notion de vitesse, on ne fait qu’optimiser l’existant. Voilà. On prend les indicateurs, on ne les challenge pas. Et c’est ce que nous avons un peu réinventé avec notre modèle de transformation d’entreprise. Montrez-moi un livre qui vous explique que moins de clients, c’est plus de profit. Montrez-moi un livre qui vous dit que moins de produits, moins d’offres de services, c’est plus de profit. Montrez-moi un livre qui vous dit que moins de volume, c’est plus de profit. Donc on a réinventé, on est un peu dans cette logique du first principle, c’est-à-dire voilà, page blanche, on réinvente les choses et ça fait partie un peu de ce… de cette notion de chapitre de l’histoire. C’est que nous n’écrivons qu’un chapitre, mais autant que ce chapitre soit pivot dans l’axe de réinvention du groupe. Voilà, donc simplification et réinvention. Alors, on n’en est qu’au début, il y a encore beaucoup de travail, mais c’est notre voie.
Thomas Gauthier
Il a été beaucoup question pendant l’entretien d’écologie personnelle. Là, à l’instant, vous touchez quelque part du doigt l’écologie organisationnelle, les mécanismes selon lesquels une organisation peut évoluer. J’apprends juste qu’on se reparle un instant de l’écologie planétaire. Vous avez employé l’expression limite planétaire. On comprend de mieux en mieux que ces limites planétaires existent, que certaines, voire la majorité d’entre elles, ont été franchies. C’est-à-dire que nous sommes dans un régime de déséquilibre planétaire avec des conséquences non linéaires. Là aussi, pour reprendre un adjectif que vous avez utilisé, difficile à prévoir. Une expérience de pensée pour vous, à l’échelle de votre entreprise. Il est clair que vous avez installé et vous déployé un modèle stratégique très singulier, très inédit, qui vous permet quelque part de passer du faire comme il faut à faire ce qu’il faut. A l’échelle inter-entreprise, à l’échelle d’un marché, à l’échelle d’une économie régionale ou mondiale, quels pourraient être demain les moyens, voire les lieux, où ensemble, avec… des chefs d’entreprise, avec des dirigeants politiques, nous nous garantitions ensemble que nous jouons bien collectivement à l’intérieur des limites planétaires. C’est-à-dire que les efforts mis bout à bout d’entreprises comme la vôtre et d’autres nous permettent de regagner un espace sûr de développement pour notre espèce et pour les écosystèmes où on vit et dont on vit.
Christopher Guérin
Je pense qu’un retour du local pour local est important, mais je pense aussi que… que les entreprises doivent travailler dans une approche écosystémique. On pourra chacun de notre côté prendre notre part du collbri, propre au discours de Pierre Rabhi, mais si on voulait éteindre l’incendie de manière plus rapide et plus massive, on est obligé de travailler ensemble. Et donc la réinvention, la discussion que nous devons avoir, c’est… Comment faire d’un partenariat entre entreprises quelque chose de très très fort dans cette réinvention ? Aujourd’hui on n’en est qu’au balbutiement et puis le retour en arrière un peu de la situation économique de certains pays, je parle surtout de l’Europe, nous ramène un peu dans nos modes de pensée d’avant. Mais je crois qu’on ne pourra rien faire sans qu’il n’y a pas ce qu’on appelle aux Etats-Unis des bridge builders, ces activistes qui font le… pont entre gouvernement, entreprise, ONG, qui arrivent à travailler ensemble. Ça reste un peu encore une grande utopie, mais c’est une voie à prendre en tout cas.
Tessa Melkonian
La question de Thomas, votre réponse me fait penser à évoquer la notion de plus vaste que soi. On sait que pour l’être humain, c’est important de contribuer à plus vaste que lui, s’il souhaite éprouver de la joie. et avoir un sentiment d’engagement. Donc ça me permet aussi de revenir sur la troisième dimension de votre modèle E3, qui est engagement, et qui est une dimension fondamentale à l’heure d’une crise sans précédent de l’engagement. On pourrait revenir aussi, et là, c’est intéressant, parce que le Gallup montre bien qu’il n’y a pas de différence d’âge dans cette crise d’engagement, elle est vécue par tous de manière aussi forte. Et justement, vous, quand vous menez une transformation de cet ordre-là, Dans un contexte mondial de désengagement, comment vous gèrez aussi les difficultés de certains qui pourront résister de manière très… C’est inévitable que certains vont résister à ces transformations, soit parce qu’ils sont épuisés, plus d’écologie personnelle, soit parce que la peur fait qu’ils restent collés à des modèles du passé. Comment vous regardez ces questions ? Comment vous en parlez avec vos managers qui auront peut-être dans leurs équipes des gens qui ne suivront pas ? Ce modèle, comment vous les soutenez finalement, votre équipe de managers, dans ce processus de transformation qui n’est pas que facile avec leurs équipes ?
Christopher Guérin
On parle beaucoup d’engagement et d’épuisement générationnel. Nous, on est vite rattrapés par une forme de diversité. 50% de notre population est une population ouvrière. Et donc, nous produisons des caps tous les jours. Et il n’y a pas besoin d’aller très loin. Quand depuis la Covid, on parle de télétravail, on ne fait qu’augmenter le fossé entre ceux qui ont un ordinateur et ceux qui sont sur le terrain tous les jours, devant des machines. Et ça, c’est très compliqué de raconter un récit d’entreprise. Et c’est le travail que nous avons fait avec Mickaël Dambieu, avec son équipe de sociologues qu’on a envoyé sur le terrain pour comprendre un petit peu les enjeux de cette population. Et le retour a été cinglant. Il dit, c’est bien de travailler sur son modèle d’entreprise, c’est bien de travailler sur sa stratégie, sa raison d’être, mais ça reste un discours de col blanc, pensé par des cols blancs, à destination des cols blancs. Vous ne touchez pas… Les cols bleus. Et vous avez tendance, nous, cols blancs, nous avons tendance à projeter l’entreprise dans l’Uchronie, dans cette future idéale, mais nous laissons les cols bleus dans le présent. Et tant qu’on ne nous touche pas, c’est le retour que nous ont fait les sociologues, sur lequel on travaille beaucoup. Quand vous parlez stratégie, vous parlez à des managers qui sont passés par des écoles d’ingénieurs, des écoles de commerce, donc ils ont le référentiel pour comprendre la stratégie. Mais au sein d’une usine, ils n’ont pas de référentiel, comprennent pas. Qu’est-ce que vous voulez dire ? C’est très abstrait, la projection de votre entreprise dans le monde de demain, c’est un caractère assez abstrait. C’est très déraciné, parce qu’en fait, vous parlez de l’entreprise au sens large, mais vous ne parlez pas de l’usine. Moi, mon équipe de Jemont, de Bourg-en-Bresse, de ces usines qui sont… ancrés dans des territoires, eux ils veulent entendre parler de leur territoire, de leur usine et de leur évolution de l’usine dans le temps. Et puis il y a ne pas oublier, je recommande le documentaire de Beziat qui a été diffusé sur France 2 sur Nous les ouvriers, ce qui est un peu le tome 2 après Nous les paysans. Nous les ouvriers c’est un documentaire qui m’a personnellement touché, puisque en fait ils sont toujours sur le front des crises. qu’il y ait une guerre, une crise sanitaire, une crise politique, ils sont toujours devant la machine pour aider leur pays. Et souvent les invisibles qu’on oublie très rapidement. Et donc, nous on a ce travail-là justement avec les sociologues de redonner un caractère personnel et propre à chacun, usine par usine. Donc on a réécrit l’histoire, on a fait un film de toute l’histoire de nos usines. On a fait venir les retraités pour qu’ils parlent de leur vécu au sein de l’usine. Nous, on a des usines qui ont plus de 70 ans d’existence. Donc, un vrai héritage à expliquer à la jeunesse, parce qu’il y a beaucoup de jeunes qui ont rejoint nos équipes. Et donc, on fait un très gros travail sur le récit, sur l’imaginaire. Et puis surtout, on fait participer pour tous les volontaires, l’École Bleue, qui veulent participer justement à l’investissement de leur usine pour demain. Si vous me permettez, on a eu un de nos responsables de maintenance qui nous a dit, vous savez, les managers d’aujourd’hui, ils sont complètement déconnectés du terrain. Avant, un patron, une patronne, tous les matins, allait serrer la main de chacun et demander des nouvelles de la famille. Aujourd’hui, les managers sont comme des mouettes. Ça vole, je cite, ça vole au-dessus de vous, ça braille, ça vous chie dessus. Et ça ne vous parle qu’indicateur. On a perdu le caractère humain du management. Donc c’est ce travail-là de dire, l’habitus ouvrier, le travail qu’on fait avec les sociologues, c’est mon territoire, ma machine, mon savoir-faire, ma transmission de savoir-faire, et comment l’entreprise va projeter ce territoire, cette usine dans le temps. Et c’est tout le travail qu’on fait pour donner un caractère matériel, mais à la fois immatériel à travers le récit, pour toucher l’ensemble. de nos équipes au sein du groupe.
Thomas Gauthier
Alors Christopher, pendant maintenant presque une heure, on a parlé économie, environnement, engagement, on a parlé des trois écologies, personnel, organisationnel, planétaire. Vous avez à plusieurs reprises aussi évoqué la notion de fiction qui est au cœur de la construction et de la reconstruction d’un contrat social qui est quelque part un objet, j’ai l’impression, qui vous parle, qui vous travaille aussi dans le cadre des… des sites industriels que contient votre entreprise. Vous nous avez évoqué aussi la nécessité d’un travail à la fois mémoriel et prospectif. Bref, beaucoup de grains à moudre, je pense, pour celles et ceux qui nous écouteront. Merci, Christopher.
Christopher Guérin
Merci à vous.