Dans un monde en mutation accélérée, notre vocabulaire s’essouffle. Pour penser le monde de demain, nous avons besoin de mots neufs. Nous vous invitons à les découvrir et à en créer.
« Les langues sont comme la mer, elles oscillent sans cesse ». Comme le dit Victor Hugo, une langue ne peut pas se contenter des mots qui existent. Figée, c’est une langue morte. Pour être vivante, elle a besoin d’évoluer, de respirer, de se transformer en ajoutant et en retirant des mots.
Cette transformation est importante, car les mots sont des outils qui permettent de voir ce qui, sans eux, resterait invisible. Quand le terme burn-out est apparu, il n’a pas simplement nommé une réalité, il nous a permis de la percevoir, de la comprendre, de l’étudier.
Avant que le mot écoanxiété n’existe, les personnes angoissées face au réchauffement climatique pouvaient se sentir isolées, incomprises, voire pathologisées. Le mot a créé un espace mental collectif, une reconnaissance. Il a rendu visible ce qui était là, mais qu’on ne pouvait pas voir.
les mots sont des outils qui permettent de voir ce qui, sans eux, resterait invisible
Des mots pour penser demain
Avec les nouvelles technologies, nous sommes confrontés à des réalités pour lesquelles notre vocabulaire est cruellement insuffisant. Comment parler précisément des nouvelles formes d’intimité créées par les réseaux sociaux ? Comment décrire ce sentiment étrange qu’on a lorsqu’un algorithme nous recommande exactement ce que nous voulions avant même que nous le sachions ? Comment nommer cette fatigue particulière après une journée de visioconférences ? Ce n’est pas la même fatigue qu’après une journée de réunions en présentiel. Visiolassitude, écranuisement…
Nous avons inventé le mot infobésité pour l’excès d’informations qui nous submerge, féminicide pour ces meurtres de femmes… Ce n’est que le début. Nous avons besoin de centaines de mots nouveaux pour identifier les nouvelles réalités.
« Les limites de mon langage sont les limites de mon monde », affirmait le philosophe Ludwig Wittgenstein. Si nous n’inventons pas de nouveaux mots, notre manière de penser le monde de demain est limitée. C’est comme si nous voulions explorer Mars avec une boussole et une carte routière.
Sans mots pour les dire, les réalités futures nous resteront étrangères, menaçantes peut-être. La création lexicale est donc un acte politique au sens noble : elle prépare la cité de demain, elle aménage l’espace mental où pourront s’épanouir de nouvelles formes de vie commune.
Créer des mots, un acte de résistance
Dans un monde où les plateformes numériques tendent à uniformiser le langage, inventer des mots devient un acte de résistance. Quand elles nous proposent des émotions standardisées (J’aime, J’adore, Triste…), c’est toute la richesse de l’expérience humaine qui se trouve aplatie. Créer des mots, c’est refuser cette simplification. C’est revendiquer le droit à la complexité, à la nuance, à l’expérience singulière. C’est refuser que les algorithmes réduisent notre langage à des probabilités statistiques.
Ce n’est pas un hasard si les régimes totalitaires s’attaquent toujours aux poètes, aux écrivains, aux inventeurs de langage. Ils savent que celui qui contrôle les mots contrôle la pensée. Et, comme l’explique George Orwell avec sa novlangue dans 1984, diminuer le vocabulaire, c’est réduire la capacité de penser. À l’inverse, créer des mots, c’est élargir le champ des possibles et ouvrir des portes dans la muraille de nos pensées.
Gilles Deleuze et Félix Guattari ont créé une constellation de concepts (rhizome, déterritorialisation…) pour libérer la pensée des ornières du déjà-pensé. Chaque néologisme était une machine de guerre contre les évidences, contre la pensée paresseuse. Il faut que nous fassions de même.
inventer des mots devient un acte de résistance. […] Chaque néologisme était une machine de guerre contre les évidences, contre la pensée paresseuse.
Une démocratie lexicale
Inventer un mot est en prime un vrai plaisir. On n’est plus uniquement un utilisateur du langage, mais son architecte. Trop longtemps, la création de mots a été l’apanage des élites et en particulier des académiciens. Il est temps de démocratiser ce pouvoir. Il faut que chacun se sente légitime de créer des mots.
On a besoin de mots pour décrire la conscience des intelligences artificielles, repérer des formes de travail émergentes, exprimer les émotions que nous ressentons face aux bouleversements écologiques… Ces mots nous serviront à construire des ponts entre ce que nous connaissons aujourd’hui et demain.
Ces mots nous serviront à construire des ponts entre ce que nous connaissons aujourd’hui et demain.
Créer un mot, c’est inventer le futur
Cerise sur le gâteau, quand on invente un mot, le concept ou la chose qu’il désigne commence à exister. On peut en déduire que créer un mot, c’est inventer le futur.
Plutôt que de nous crisper sur la pureté de la langue, considérons que les mots de demain sont les graines de nos pensées futures. Sans ces graines, on ne peut pas faire pousser des idées neuves.
À vous d’inventer et de découvrir les mots que nous vous proposerons chaque semaine.
A vous d’inventer :
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