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#36 Mélanie Marcel | Réconcilier science et conscience

5 décembre 2023
45 mins de lecture

Mélanie Marcel est ingénieur, diplômée de l’École Supérieure de Physique et Chimie Industrielles de Paris.

À la fois passionnée de sciences et entrepreneure dans l’âme, elle a créé SoScience pour développer les pratiques de recherche et d’innovation collaboratives pour répondre aux enjeux sociétaux.

Dans l’entretien à venir, Mélanie revient sur les multiples chemins que nous pouvons collectivement emprunter afin de réconcilier science et conscience, démocratie et écologie.

Entretien enregistré le 20 février 2023
Remerciements : agence Logarythm

Entretien enregistré le 20 février 2023
Remerciements : agence Logarythm

Transcript de l’entretien

(Réalisé automatiquement par Ausha, adapté et amélioré avec amour par un humain)

Thomas Gauthier

Bonjour Mélanie.

Mélanie Marcel

Bonjour.

Thomas Gauthier

Alors ça y est, tu es face à l’oracle, tu vas pouvoir lui poser trois questions sur l’avenir. Par quelles questions est-ce que tu souhaites commencer ?

Mélanie Marcel

Alors je vais commencer par une question. qui va peut-être paraître un petit peu violente, mais je vais demander à l’oracle, à l’avenir, on va dire en 2100 peut-être, est-ce que notre civilisation existe toujours et sous quelle forme ? Et la raison de cette question, c’est finalement face aux grands défis qu’on a face à nous, que ce soit évidemment environnementaux. mais aussi sociaux ou géopolitiques qu’on a vraiment vu éclater assez récemment, finalement, pour moi, se pose vraiment la question de savoir comment est-ce qu’on va se dépatouiller de la modernité dans laquelle on est.

Est-ce qu’on va réussir à inventer des nouveaux modèles qui nous permettent de survivre au sens le plus simple du terme, de survivre en tant que société avec le modèle actuelle ou remodelée, on va dire. Mais vraiment, pour moi, c’est une question que je me pose, ce n’est pas sûr.

Je vois plusieurs futurs possibles, un qui n’est pas très joyeux, où finalement, on va avoir un effondrement civilisationnel qui, du coup, ne se passera sûrement pas dans les meilleures conditions. Ou peut-être même un autre futur où effectivement, l’oracle pourrait me dire que notre civilisation n’a pas survécu. mais elle s’est transformée en quelque chose de très différent.

Et finalement, les gens qui ont vécu cette transformation, pour autant, ce n’est pas forcément une transformation violente nécessairement. Donc, on peut tout à fait passer d’un paradigme à un autre.

Donc, c’est un peu ça la question que je me pose. Est-ce qu’on peut survivre dans les conditions actuelles ?

Sous quelle forme ? Est-ce qu’on va se transformer ?

Est-ce qu’on va réussir à se transformer assez vite ou pas du tout ? au revoir

Thomas Gauthier

Alors l’Oracle, elle aime beaucoup répondre à des questions qu’on lui pose par d’autres questions. Je vais me faire son porte-parole.

Est-ce que tu arrives à dater dans ton histoire personnelle le moment à partir duquel tu t’es posé cette question ? Est-ce que c’est une question que tu te poses depuis peu ?

Est-ce que c’est une question qui au contraire te trotte en tête depuis plus longtemps ? Est-ce que tu arrives à l’associer à des expériences que tu as pu vivre toi-même, à des conversations que tu as pu avoir, à des conférences auxquelles tu as pu assister ? Ça vient d’où ce questionnement ?

Mélanie Marcel

Alors… C’est assez intéressant que tu me demandes ça parce que moi, je me pose un certain nombre de questions depuis longtemps, mais je pense qu’il y a une évolution dans les questions que je me pose.

C’est-à-dire que quand j’ai fini mes études d’ingénieur et que j’ai décidé de lancer mon propre projet, ma propre entreprise sociale, je pense que ce qui m’a toujours trotté dans la tête et qui est à l’origine du projet, c’est des questions de justice sociale. de justice environnementale, et de se dire comment est-ce qu’on met justement notre modernité, nos capacités scientifiques et techniques au service du plus grand nombre. Et voilà, moi j’ai toujours été motivée par, et je pense que ça, ça remonte à l’enfance en fait, par vraiment une question de justice et d’accès égal à la connaissance, au savoir, à l’innovation technique, que justement qu’elle ne profite pas qu’à une petite frange de la population, mais plus largement.

Et donc voilà, ces questions-là, elles m’ont toujours travaillé. Le monde dans lequel on vit, dans quelle société est-ce qu’on est, comment est-ce que le savoir se diffuse, comment est-ce que le savoir se crée.

Et donc c’est vraiment quelque chose… Je me suis toujours posé ces questions-là.

Par contre, je ne les avais jamais posées, pendant très longtemps, je ne les ai pas posées comme des questions vraiment de changement civilisationnel. Et ça, c’est venu plus récemment.

Et je pense que c’est venu, les événements un peu marquants qui amènent à ces questions-là, c’est le doute sur la capacité de changer. Moi, je pense que quand j’ai lancé mon entreprise, c’était en 2014, j’avais beaucoup de naïveté peut-être.

Mais j’étais convaincue qu’on allait réussir à vraiment se transformer et avancer vers plus de justice. Et puis là, on est presque dix ans plus tard, on est neuf ans plus tard.

Je vois que c’est extrêmement difficile de faire changer les choses. Et donc, je pense que ce qui motive la question de ce changement de paradigme, c’est le doute en fait.

Le doute de se dire est-ce qu’on va y arriver, comment on va y arriver ou comment on ne va pas y arriver. Et puis ça combiné à des événements assez marquants et violents.

On peut penser évidemment à la crise du Covid qu’on a vécue, aux éléments, à tous les événements climatiques de plus en plus violents qui nous touchent, aux sécheresses, aux incendies, c’est des choses qu’on voit, qu’on vit au quotidien. Mais à nouveau combiné avec cette impression que les choses ne changent pas.

Je pense vraiment que c’est la combinaison du doute sur notre capacité à prendre la mesure de ce qui nous arrive, avec des événements de plus en plus visibles sur le fait que ce modèle doit changer. Et pourtant, on a beau voir qu’il doit changer, il ne change pas.

Thomas Gauthier

Tu as parlé très brièvement de tes études d’ingénieur. Je crois savoir que tu es encore en lien direct ou indirect avec ce milieu de l’enseignement supérieur.

Est-ce que, selon toi, et bien sûr que cette question appellerait une réponse nuancée, une réponse qui varierait peut-être d’un établissement à l’autre, d’un secteur d’enseignement supérieur à l’autre, est-ce que l’enseignement supérieur, si tant est qu’on puisse le décrire de manière un peu monolithique, est aujourd’hui à la hauteur des enjeux civilisationnels dont tu parles ? Tu évoques quand même un terme « civilisation » . qui renvoie à la façon dont on est organisé en société, qui renvoie finalement aussi au terme du contrat social, qui garantit une sécurité pour chacun et chacune, une sécurité collective, une sécurité énergétique, une sécurité alimentaire, une sécurité sanitaire, une sécurité multiforme.

Quand tu parles de civilisation, tu évoques en fait les fondements même qui font qu’on arrive à vivre ensemble et à, je dirais, partager. des récits collectifs, est-ce que ces enjeux sont déjà quelque part dans l’enseignement supérieur, à nouveau avec tous les guillemets qu’il faut y mettre, l’enseignement supérieur n’étant sûrement pas un monolithe ?

Mélanie Marcel

Alors, malgré les guillemets qu’il faudrait y mettre, moi ma réponse elle est relativement simple, je dirais que non. Non, aujourd’hui, les enseignements qui sont donnés, alors je vais parler plutôt pour mes…

Mes domaines de compétences, moi effectivement je suis ingénieur, je donne des cours aujourd’hui en école d’ingénieur, je donne des cours aussi en école doctorale, donc auprès de scientifiques qui font leurs thèses. Et donc moi c’est vraiment ça mon domaine d’expertise, ça va être ce qu’on appelle les sciences naturelles, ça va être la physique, la chimie, la biologie, et puis les ingénieurs, donc tout ce qui est un peu technique, industrie, usine, etc.

Et non, dans ces domaines-là, on n’est pas au niveau. Il y a eu des changements.

On ne peut pas dire qu’il n’y a pas eu de changements. Il y a eu des changements radicaux qui ont été beaucoup poussés par les élèves, d’ailleurs.

Parce que moi, je vois la prise de conscience entre les étudiants ingénieurs d’il y a dix ans versus les étudiants ingénieurs que moi, j’ai en cours aujourd’hui. Ce n’est pas du tout la même prise de conscience.

Il y a vraiment une réflexion non seulement environnementale qui existe, mais aussi une réflexion plus profonde sur la nature du métier qu’ils sont en train d’apprendre et qu’ils vont faire, voire même la redirection de leur carrière. C’est-à-dire en se disant comment est-ce que je peux aligner ce que j’apprends en cours avec le monde dans lequel on vit.

Et ça, c’est très intéressant parce que souvent, quand on est dans des sciences naturelles ou dans des apprentissages un peu techniques, on a l’impression que c’est un peu comme les maths, c’est-à-dire que 2 plus 2 égale 4. Et ce n’est pas parce qu’on vit dans telle civilisation ou dans telle autre civilisation que 2 plus 2 n’est pas égal à 4.

Mais en fait, et les étudiants en ont tout à fait conscience, il y a très peu de savoirs qui sont neutres. et la façon dont ils apprennent et la façon dont ils vont apporter cette connaissance dans le monde pour transformer le monde. Ce n’est pas juste une vérité acquise, ce n’est pas juste 2 plus 2 égale 4, mais c’est en fait, voilà comment est-ce que le monde va être transformé dans l’industrie dans laquelle je vais travailler.

Ils ont une conscience très aiguë du fait que ces savoirs-là sont ou ne sont pas alignés avec les transitions qu’on doit faire. Et donc les étudiants… sont de plus en plus conscients et de plus en plus haut niveau, en tout cas dans ces domaines-là, à ce niveau d’études-là.

Par contre, les enseignements ne changent pas assez vite et surtout ne sont pas assez structurants. C’est-à-dire qu’encore aujourd’hui, on est très souvent sur des surcouches, c’est-à-dire on va mettre un cours d’éthique ou un cours de développement durable ou un cours pour apprendre à faire des ACV. donc des analyses de cycles de vie, de produits, des choses comme ça, ce qui est intéressant, voire essentiel, mais qui n’est pas du tout suffisant, parce qu’on n’est pas en train de modifier la structure même de la façon dont on produit des connaissances et de la façon dont on les met en œuvre dans le monde économique et social.

Et donc, effectivement, quand on parle de changement civilisationnel, ce n’est pas avec des enseignements… Alors… cosmétique, le mot serait trop dur parce que c’est pas cosmétique, mais on va dire que c’est pas des enseignements rajoutés par-dessus un cursus qui ne change pas qu’on peut effectivement changer de civilisation.

Donc il y a des choses beaucoup plus profondes à faire, qui aujourd’hui, je pense, ne sont pas faites ou ne sont pas au niveau. Et c’est extrêmement difficile parce que c’est aussi des choses qui sont… c’est des grosses machines.

C’est pas facile de changer une grosse machine très vite. surtout des changements aussi profonds. Et donc, il y a beaucoup d’équipes pédagogiques qui essayent de mettre en œuvre des nouvelles choses, mais c’est très difficile à faire en si peu de temps.

Thomas Gauthier

Encreux, une question qui me vient en tête, porte cette fois-ci sur la méthode scientifique. Je crois savoir que la production de connaissances en sciences prend un certain temps. répond et est régi par certains codes, je pense notamment à la revue par les pairs, pour qu’un résultat scientifique acquiert le statut de connaissance scientifique.

Non seulement ces résultats doivent pouvoir être, je dirais, contredits par d’autres chercheurs, reproduits par d’autres chercheurs, et tout ce processus prend du temps, temps dont on ne dispose pas forcément, d’après la première question que tu as posée à l’oracle, jusqu’où, selon toi, serait-il nécessaire ? d’interroger la façon dont on produit des connaissances et a fortiori la façon dont on dispense des enseignements. Est-ce que les méthodes de création et de diffusion des connaissances sont elles-mêmes à la hauteur des enjeux civilisationnels ?

Mélanie Marcel

Alors là, on est en plein dans mon sujet. Alors, surtout sur la création de connaissances.

Il y a beaucoup d’acteurs qui sont spécialisés sur la diffusion de connaissances, qui n’est pas mon domaine spécialisé, donc je vais parler surtout de la création de connaissances. Et là, pour moi, on est vraiment dans quelque chose qui doit changer en profondeur.

Notamment parce qu’aujourd’hui, si on prend un peu le modèle classique, et tu l’as bien rappelé, il y a des experts qui connaissent très bien leur sujet, qui travaillent à la création de nouvelles connaissances dans leur sujet, dans leur thématique. qui mettent en place la démarche scientifique, qui mettent en place des expérimentations, qui élaborent des théories, qui essayent de voir si elles sont solides ou pas, et qui vont se confronter à leurs pairs techniques et scientifiques qui sont sur les mêmes disciplines pour voir si ce qu’ils ont produit est valide, intéressant, et comme ça, on arrive à avancer petit à petit vers des choses de plus en plus validées. Et ça fonctionne très bien. pour créer du savoir solide.

Alors, outre les dérives qui existent, dont je ne parlerai pas ici parce que ce n’est pas exactement le sujet, évidemment qu’il y a des dérives de ce modèle, mais disons, si ce modèle fonctionne comme il est censé fonctionner, ça fonctionne très bien pour valider des connaissances et avancer comme ça. La grande problématique, aujourd’hui, à mon sens, de ce modèle-là, s’il s’arrête là, c’est qu’il ne permet pas d’avoir un transfert vers la société civile ou vers le monde réel des personnes qui vivent aujourd’hui, donc la civilisation, si on revient sur notre terme, pour voir… quelles sont et comment est-ce que les connaissances qui ont été produites doivent être utilisées ou comment est-ce qu’elles sont intéressantes ou pas, qu’est-ce qu’on veut en faire, est-ce qu’on veut les utiliser ou pas ?

Parce qu’aussi, il faut se rendre compte que ce sont des questions qu’on ne pose pas en général. Aujourd’hui, la manière dont le transfert vers la société est réalisé, c’est une réflexion essentiellement économique.

C’est-à-dire qu’on a des experts qui créent de la connaissance et puis ensuite, on a ce qu’on appelle la valorisation de la recherche ou le transfert vers la société. qui en fait est un transfert économique, c’est-à-dire comment je prends mes résultats de recherche pour en faire des produits, pour en faire des brevets, pour en faire des choses que je vais pouvoir vendre sur le marché ou pour en faire des améliorations qui vont être utiles à une certaine industrie et que je vais pouvoir vendre à une certaine industrie pour améliorer ses process, pour aller plus vite, pour être plus performant, etc. Et donc, on a un certain nombre de connaissances qui sont produites.

Soit elle reste au niveau académique de la connaissance, c’est une chose. Soit quand on en fait une valorisation réfléchie, pensée, qui doit avoir des impacts, qui doit vraiment servir à quelque chose, on réfléchit d’un point de vue économique.

On dit qu’il suffit de créer une start-up, il suffit de déposer un brevet, et puis ensuite ça va dérouler, on va créer des emplois, on va générer du chiffre d’affaires, et donc c’est tout bon. Et en fait, là, il y a un gros problème.

Il y a un gros manque, c’est qu’en fait, ce n’est pas du tout tout bon. Ce n’est pas parce qu’on a créé une startup ou un brevet ou un produit qui se vend sur le marché qu’on a fait une utilisation bonne, on va dire, de la connaissance qu’on a créée.

Il y a plusieurs problèmes qui se posent. La première, c’est qu’on n’a pas forcément eu une réflexion sur le pourquoi du comment.

Cette connaissance, en fait, c’était intéressant de l’appliquer de cette manière-là. Et ça, c’est un vrai sujet, parce qu’aujourd’hui, on a des innovations qui sont parfois complètement gadgets.

On a des innovations… Certes, on peut créer beaucoup de chiffres d’affaires, on peut créer beaucoup de revenus, on peut créer du PIB.

Mais en fait, qu’est-ce que ça apporte à la société ? Souvent pas grand-chose.

Donc ça, c’est une vraie réflexion qu’on n’a pas aujourd’hui et qui, à mon avis, pose problème. Et une deuxième réflexion, c’est qui sont les acteurs ? qui ont finalement une forme de capacité à décider de cette transformation-là vers la société.

En fait, si on regarde, en général, les chercheurs préfèrent rester dans la sphère de la connaissance. Alors, il y a certains chercheurs qui lancent des startups, ça peut arriver, mais on a beaucoup de chercheurs qui finalement restent au niveau vraiment académique, sans aller vers la société.

Mais dès qu’on va passer sur du transfert, c’est à nouveau des acteurs économiques. Donc ça va être des industriels, ça peut être des start-up.

Mais finalement, c’est assez étonnant. On pourrait se poser la question, pourquoi on n’a jamais une ONG ou une association de la société civile qui prend des résultats de recherche, qui en fait un objet technique ou technologique, et qui en fait l’utilise pour le bien commun ?

Et ça, c’est marrant parce que personne ne se pose cette question. Ça semble évident dans l’esprit de tout le monde que… Les chercheurs qui trouvent des résultats très techniques, c’est les industriels, leurs partenaires clés.

Et puis, c’est les industriels qui vont générer, grâce à ça, quelque chose d’utile pour la société. Et en fait, quelque chose d’utile pour la société, c’est quelque chose qui se vend.

Et en fait, ça, c’est vraiment une question intéressante de se dire que c’est quand même bizarre. On pourrait tout à fait imaginer des associations qui rentrent dans ce système-là de valorisation des connaissances qui sont créées. ou de valorisation des technologies qu’on pourrait développer.

Et donc moi, c’est vraiment ça la question que je pose avec tous les travaux que j’ai menés, avec l’entreprise que j’ai lancée, c’est comment est-ce qu’en fait, on repense le système de création de la connaissance et de valorisation de cette connaissance pour qu’autour de la table, les personnes qui réfléchissent à « Ok, quelle est la connaissance qu’on a envie de créer ? Dans quel domaine ?

Pourquoi faire ? » Une fois qu’on l’a, comment on l’applique ? Et donc, vraiment, tout ce travail de valorisation de la recherche, qui n’est plus uniquement un but économique mené par des acteurs économiques, mais qu’il est aussi un but social ou environnemental mené par des acteurs qui ont à cœur en premier lieu les questions sociales et environnementales.

Et donc, comment est-ce qu’on met autour de la table, non plus uniquement les experts, les pairs des scientifiques qui peuvent juger de la qualité d’un travail scientifique, Non plus uniquement les industriels ou les acteurs économiques qui peuvent juger d’un potentiel de vente ou d’innovation d’une certaine connaissance, mais aussi des acteurs de la société civile qui peuvent juger d’un potentiel intérêt. en tant que société, à adopter ou pas une technologie et à utiliser ou pas une certaine connaissance et comment on l’utilise.

Thomas Gauthier

Et ce sujet de l’élargissement des parties prenantes autour de la production de connaissances et ensuite l’appropriation des connaissances par la société, je pense qu’on aura l’occasion d’y revenir dans la troisième partie de la discussion. L’oracle s’impatiente, il attend de ta part une deuxième question.

Qu’est-ce que tu veux lui demander maintenant ?

Mélanie Marcel

Alors justement, ça c’est intéressant. parce que ma deuxième question, c’est un petit peu quels sont les choix techniques ou les technologies ou justement les structures, ce qu’on appelle un peu dans la philosophie des sciences les systèmes techniques qu’on a mis en œuvre, à condition que l’oracle m’ait dit que cette civilisation avait survécu sous une forme ou sous une autre. S’il n’y a plus aucun humain, la question ne se pose pas.

Si effectivement on a fait une forme de transition, je serais assez curieuse de savoir sur quels choix techniques peut-être cette transition s’est faite. Et là, la raison de cette question, elle est de pure curiosité parce qu’en fait, moi, ce qui m’intéresse et je pense que ce que je viens de raconter le montre, c’est que… c’est que ces choix soient faits de façon presque plus démocratique ou en tout cas en mettant autour de la table des acteurs qui aujourd’hui n’y sont pas.

Et donc finalement, la réponse que l’oracle peut m’apporter ne change pas la manière dont moi je vais agir aujourd’hui. Parce que peu importe les choix qui seront faits dans le futur, il me semblera toujours bon ou meilleur que ce soit des choix qu’on fasse de façon collective.

Et du coup, c’est vraiment une question de pure curiosité de se demander vers où est-ce qu’on se dirige d’un point de vue des solutions presque techniques ou technologiques qu’on va mettre en œuvre.

Thomas Gauthier

Alors avec cette question à l’oracle, j’imagine que tu nous rappelles en creux le fait que l’histoire de notre espèce est jalonnée de transitions entre… système sociotechnique. A chaque nouveau système sociotechnique, la société s’organise, ou plutôt se réorganise.

J’ai en tête notamment la transition, par exemple, de la marine à voile vers la marine à vapeur. On passe d’un système technique à un autre et tout d’un coup, les rayons d’action des navires ne sont plus les mêmes, les possibilités d’exploration entre continents ne sont plus les mêmes, les chaînes logistiques ne sont plus les mêmes.

Beaucoup de choses changent à partir d’un choix ou d’un non-choix. D’ailleurs, les systèmes techniques, peut-être, parfois, se substituent au précédent sans qu’il y ait eu, comme tu l’as dit un peu plus tôt, de processus bien établi et idéalement démocratique.

Est-ce que tu pourrais alors apporter peut-être des éléments de réponse à cette question que l’oracle te pose en retour ? Quelles pourraient être les formes de… délibération, les formes démocratiques autour de transitions sociotechniques désirables.

C’est-à-dire aujourd’hui, la plus grande partie des hommes et des femmes sont éloignés des questions techniques. Il existe néanmoins parfois des initiatives qui rapprochent les citoyens de questions qui paraissent très épineuses, qui paraissent très difficilement abordables d’une certaine manière. même si on peut en décrier les conséquences, la Convention citoyenne pour le climat a été une tentative de rapprocher la population de questions qui paraissaient inabordables à celles et ceux qui ne font pas partie du GIEC, et on est nombreux à être dans ce cas. À quoi ça ressemblerait une société qui prend des décisions apaisées en matière de technique ?

Mélanie Marcel

C’est une question qui est très intéressante. Je ne sais pas si ce seraient des choix ou des discussions apaisées.

Je ne suis pas sûre qu’il faille toujours chercher l’apaisement, le consensus. Je pense que ce qui est surtout important, c’est une forme de transparence quelque part.

Et du coup, moi je trouve que les expérimentations autour des conventions citoyennes sont vraiment intéressantes. sont vraiment à poursuivre et bien entendu, même sur des sujets qu’on peut considérer plus techniques. Je pense qu’il faut vraiment s’éloigner de l’idée qu’un citoyen doit être un expert. du sujet technique sur lequel on lui demande de parler.

Parce qu’en fait, quand on travaille sur de la création d’innovation ou sur de nouveaux produits ou sur de nouvelles applications d’un certain set de connaissances, ce qui est vraiment important et ce qui apporte vraiment de la richesse, c’est que chacun regarde l’objet d’un point de vue différent et que chacun est expert de choses différentes. Nous, dans nos processus, quand on met en place un travail où justement on met diverses parties prenantes autour d’un sujet de recherche ou d’un sujet d’innovation, à aucun moment la compétence du scientifique, expert de sa discipline, n’est décriée ou n’est éliminée face à l’avis de quelqu’un.

On est toujours expertise avec expertise. Donc, par exemple, il y a une expertise scientifique autour d’un sujet technique, et c’est le chercheur qui sait ce qu’il dit d’un point de vue technique sur ses compétences à lui.

Mais par ailleurs, le citoyen ou l’organisme de la société civile qu’on a autour de nos projets, eux aussi, ils sont experts. Ils sont parfois experts de la problématique, ou ils sont experts de leur… propres expériences, où ils sont experts de la façon dont ils vivent au quotidien, et du coup la façon dont cette connaissance-là, ou ce produit-là, ou cette innovation technique-là leur convient ou ne leur convient pas, ou peut rentrer dans leur quotidien, ou ne peut pas rentrer dans leur quotidien.

Et donc ça, c’est pas juste donner, c’est pas un avis contre un avis, et tout est équivalent et au même niveau, c’est juste que chaque acteur… Merci. dans sa capacité à co-créer ensemble un futur commun.

Et donc, pour répondre en partie à la question, pour moi, ce qui est vraiment important, c’est d’arrêter de niveler les expertises comme si le savoir scientifique était au-dessus des autres formes de savoir qui n’auraient pas d’intérêt. Avoir un savoir expérientiel de comment est-ce qu’on vit sa vie, de comment est-ce qu’on ressent certaines choses, c’est un vrai savoir, en fait.

Et c’est vraiment important. Et si on veut appliquer, vivre ensemble, appliquer certaines technologies, appliquer certaines connaissances, il est important d’avoir tous ces savoirs-là autour d’une même table et d’être en capacité de discuter ensemble de ce qui est possible ou pas possible.

Ce qui ne veut pas dire que autour de cette table, quelqu’un qui n’aura pas l’expertise scientifique va pouvoir… imposer son point de vue scientifique. En fait, chacun est là pour apporter ce qu’il sait.

Tout le monde ne sait pas la même chose, mais toutes les formes de savoir sont importantes.

Thomas Gauthier

Et on en revient alors à une question, j’imagine, que tu dois te poser souvent dans les processus que tu accompagnes, qui est celle du travail aux interfaces entre les individus, du travail entre les savoirs, qui, pour tout un tas de raisons… historiques, je pense notamment à la manière dont la recherche scientifique s’est petit à petit structurée en silos, ont de la peine à s’entendre les uns les autres. Est-ce que tu peux peut-être, avant qu’on en parle un peu plus longuement, nous livrer quelques retours d’expérience de ta pratique à ces interfaces-là justement ?

Qu’est-ce qui se révèle particulièrement difficile peut-être dans les dialogues multi-acteurs que tu animes ? Qu’est-ce qui au contraire se passe dans ton expérience ? de façon plutôt évidente pour les acteurs impliqués dans ces dialogues multi-acteurs ?

Mélanie Marcel

Déjà, je pense à un point important, ça se passe bien quand on est très clair sur les attendus et sur ce qui va se passer et sur ce qu’on est en train de faire. Moi, une des choses que je trouve vraiment le pire d’un point de vue politique, mais même d’un point de vue du simple respect des individus, c’est de se lancer dans des processus de consultation citoyenne.

Il y en a beaucoup, il y en a eu un certain nombre un peu partout en Europe pour savoir ce que les gens pensent et donc les faire venir, les faire participer à des débats, leur faire donner leur avis. Et qu’en fait, tout ce temps investi par des citoyens ne serve à rien.

Parfois, il y a des consultations de ce type qui sont faites parce que d’un point de vue juridique, il faut les faire. Et en fait, on sait très bien déjà quelles sont les décisions qui vont être prises.

Et du coup, on a juste des avis qu’on ne va pas écouter. Et donc ça, moi, je trouve que c’est vraiment délétère.

Déjà parce que ça casse la confiance, parce que les gens qui viennent pensent qu’ils sont là pour être écoutés, ce qui n’est pas le cas. Et donc ensuite, déjà, ils vont arrêter de venir puisque ça ne sert à rien. et donc ça c’est extrêmement mauvais, au contraire ça se passe beaucoup mieux quand on dit ce qui va se passer pourquoi les gens sont là, qu’est-ce qu’ils peuvent attendre et qu’est-ce qu’ils peuvent aussi ne pas attendre, c’est-à-dire et c’est là que je reviens sur l’idée de la transparence, on a tout à fait la possibilité de dire à des organismes de la société civile ou des citoyens qui viennent sur ce type de travaux, voilà ce que vous pouvez influencer, voilà ce que vous ne pouvez pas influencer, parce qu’en fait ça a déjà été, ça a déjà été pris, ou alors voilà comment le processus va se passer.

Vous allez pouvoir discuter pendant deux heures d’un sujet, si à la fin des deux heures vous voulez vous impliquer plus, ben voilà comment vous allez pouvoir vous impliquer sur ce sujet d’innovation, mais il n’y aura pas d’autre manière de le faire. Donc ça c’est extrêmement important, être très clair sur les attentes, comment ça va se passer, qu’est-ce qui est possible, qu’est-ce qui n’est pas possible. Ça, c’est un premier point.

Un deuxième point pour que ça se passe bien aussi, c’est ce que je disais, le fait que chacun est un peu mis au même niveau. Alors, ça ne veut pas dire que tous les avis se valent sur tous les sujets, puisqu’à nouveau, on est expert d’une certaine zone d’expertise et il ne faut pas les mélanger, il ne faut pas les confondre.

Mais par contre, tous les individus ont le même poids dans nos processus. Donc, par exemple, quelque chose qu’on a arrêté de faire. très très très tôt, c’est de mettre les experts scientifiques sur la scène pour expliquer quelque chose, et puis les autres dans l’agora, assis en face pour écouter. Ça, on le casse tout de suite.

Nous, dans les comités qu’on monte, les programmes qu’on monte, tout le monde, même d’un point de vue physique, tout le monde est au même endroit. Il n’y a pas des gens sur scène ou en dehors de la scène.

Tout le monde est assis et… au même endroit. Si on peut, on est sur des tables qui sont rondes, où il n’y a personne qui est au-dessus.

Rien que ça, ça met les gens au même niveau d’un point de vue individuel. C’est extrêmement important parce que toutes les voix doivent s’exprimer.

Et donc, c’est vraiment important de savoir qu’on n’est pas là pour juste apprendre quelque chose. On est là pour contribuer, participer.

Et ça fait aussi partie des attentes qu’il faut dire dès le début. des processus. Vous êtes là pour vraiment être un contributeur, au même titre que les autres.

Donc voilà, ces deux points-là, ils sont clés, vraiment. La transparence sur le processus et le fait de respecter tous les individus de la même manière, sans en mettre certains au-dessus d’autres ou certains plus écoutés que d’autres.

Voilà, c’est les deux choses auxquelles on fait très très très attention. Surtout qu’on travaille dans des Merci. et avec des parties prenantes, où il peut y avoir des vraies questions de légitimité qui se posent, puisqu’on a quand même des grands experts de leur domaine scientifique, de leur discipline.

Donc il y a un peu le phénomène de la blouse blanche, le côté « cette personne-là sait de quoi elle parle, moi je ne sais pas, donc je ne peux pas donner mon avis sur la question » . Et donc c’est très important dans ces cas-là de faire attention. aux sensibilités de chacun et de bien expliquer que tout le monde a quelque chose d’intéressant à dire.

Et alors, qu’est-ce qui peut se passer mal ? Effectivement, c’est intéressant que tu parles du silotage parce que, et c’est d’autant plus vrai quand on travaille avec des scientifiques, il y a une vraie…

Et ça, c’est quelque chose qu’on peut… Moi, c’est quelque chose que j’apprécie beaucoup.

Les scientifiques n’aiment pas se prononcer. quand ils ne sont pas dans leur sujet d’expertise. Ils ne veulent pas dire des choses qui sont fausses, donc ils font très attention à…

Soit on est sur leur sujet d’expertise, soit ils préfèrent ne pas se prononcer. C’est à la fois très bien, parce que ça montre une forme d’intégrité.

Et en même temps, ça peut rendre les choses très difficiles, parce que sur des sujets où finalement on va réunir des acteurs scientifiques de disciplines différentes qui auraient vraiment des choses à faire ensemble et qui pourraient vraiment collaborer ensemble, parfois il y a un fossé qui est trop important, non pas parce que la discipline n’est pas la même ou qu’ils ne pourraient pas collaborer ensemble, mais parce qu’en fait, il y a tellement cette envie de rester sur ce sur quoi on est exactement un expert. qu’en fait, on ne va pas travailler forcément avec les autres, qui sont un peu à côté. Et donc ça, c’est un truc qu’il faut vraiment casser, réussir à dé-siloter.

Et d’autant plus que je pense qu’il y a un côté… Pour moi, il ne faut pas avoir peur de l’engagement quand on est scientifique aujourd’hui.

C’est quelque chose qui fait souvent peur. J’ai beaucoup aimé la conférence inaugurale au Collège de France de Lydéric Bocquier, qui a eu lieu récemment. où il parle de comment ces travaux de recherche, pourtant en sciences assez fondamentales, peuvent avoir des impacts extrêmement importants pour notre société, en termes énergétiques notamment.

Et il a une très belle phrase où il dit qu’aujourd’hui, déjà, on ne peut pas se permettre d’attendre, on ne peut pas se permettre de ne pas s’engager en tant que scientifique. Et il dit même qu’il faut qu’on soit dans une science de combat.

Je trouve que c’est une très belle manière de faire un appel. à tous les scientifiques, mais quelque part à tous les gens aussi très rationnaux, qui ne veulent pas sortir de leur zone de savoir, parce que c’est une belle approche éthique de faire ça, de ne pas dire n’importe quoi sur tout. Mais en fait, on va devoir sortir un peu de nos cadres pour aller justement sur cette science de combat, pour porter des messages, pour essayer de faire changer les choses.

Et on revient à ce qu’on disait au tout début, comment est-ce qu’on… Comment est-ce qu’on change ?

Et en fait, toutes les disciplines doivent changer. Donc, évidemment, les scientifiques aussi.

Thomas Gauthier

Ce que tu viens de nous raconter là, ça me fait finalement réfléchir à la production de connaissances et à l’appropriation de connaissances de façon peut-être un peu nouvelle, en tout cas. En ce qui me concerne, il me semble que les décennies écoulées nous ont fait assister à un glissement progressif de la notion de progrès vers la notion d’innovation.

Tu l’as répété à plusieurs reprises. L’essentiel des connaissances scientifiques aujourd’hui sont appropriées par des agents économiques qui ont vocation à s’appuyer sur ces connaissances pour, je dirais, innover, innover en matière finalement technique.

Et ce que tu nous décris comme chemin alternatif ou peut-être complémentaire, je ne sais pas si l’un doit se substituer à l’autre, c’est le chemin de la sociétalisation des connaissances. je l’appellerais ainsi c’est à dire tu tu pose le doigt sur la nécessaire appropriation des savoirs par la société. Alors laisse-moi te poser une question qui n’était pas au programme et qui est un peu peut-être provoque.

Qu’est-ce que nous donnerait une expérience de pensée dans laquelle les sociétés, l’humanité, décident d’appuyer sur le bouton pause s’agissant de produire de nouvelles connaissances, on interrompt la marche en avant des connaissances et on met notre énergie dans cet effort de sociétalisation, c’est-à-dire dans cette diffusion, cette… cette appropriation, cette percolation des savoirs dont on dispose dans la société. Est-ce que cela pourrait être un chemin intéressant ou alors est-ce que, quelque part, interrompre la marche en avant de la production de connaissances pour concentrer notre énergie sur la sociétalisation, en imaginant que nous ne puissions peut-être pas faire les deux en même temps, pour des raisons de ressources, pour des raisons de temps ?

Est-ce que cette direction de sociétalisation pourrait faire sens pour la suite de notre aventure collective ?

Mélanie Marcel

Moi, j’ai presque envie de… Déjà, j’ai envie de renvoyer une première question qui est pourquoi on imaginerait qu’on ne peut pas faire les deux ?

Parce qu’aujourd’hui, on fait les deux. Sur le point de vue économique, on ne s’empêche pas du tout de créer de nouvelles connaissances sous prétexte qu’il y a tout un tas d’industries qui ont envie de valoriser les connaissances actuelles, voire les connaissances à venir d’ailleurs.

C’est aussi pour ça que c’est intéressant de créer des nouvelles connaissances pour ces acteurs-là. C’est que certes, ils veulent peut-être valoriser ce qui se passe maintenant, mais s’ils veulent pouvoir encore valoriser des trucs dans dix ans, il faut qu’aujourd’hui, on commence à inventer ce qui sera valorisable dans dix ans.

Donc moi, j’aimerais qu’on ne traite pas de façon différente les industriels et la société civile. Et c’est d’ailleurs pour ça que je disais, attention, moi, je suis vraiment sur la création de connaissances, je ne suis pas sur la diffusion.

Parce qu’attention, pour moi, quand on dit faire percoler le savoir existant vers la société civile, On n’est pas en train de parler de faire des expositions dans des musées, on n’est pas en train de parler d’aller dans des classes de CM1 pour expliquer la science telle qu’on la connaît. Pour moi, on est vraiment dans un processus qui ressemble à un processus de valorisation de la recherche comme ce qu’on fait avec l’industrie.

Sauf qu’on ne le fait pas avec l’industrie, on le fait avec la société civile. Et d’ailleurs, tu as raison, on le fait même, c’est plus de la complémentarité, on le fait avec l’industrie et la société civile, les deux.

C’est-à-dire que ce n’est pas l’un ou l’autre, c’est en fait, il manque des gens autour de la table. Et donc, on va les rajouter.

Et donc, je ne crois pas du tout qu’il faille arrêter la production de connaissances par ailleurs, parce qu’il y aurait un manque de ressources et qu’on ne peut faire qu’un des deux. Je pense même que ce serait une erreur, parce qu’une fois que tu as tout fait percoler, le temps de créer des nouvelles connaissances que tu peux à nouveau faire percoler, tu as 10, 20 ans d’attente.

Parce qu’en fait, ça, les gens ne s’en rendent pas compte. Mais entre une recherche, une idée extrêmement fondamentale, et son arrivée pratique dans la société, il peut y avoir 20 ans, 30 ans.

Donc non, je ne pense pas qu’il faille arrêter la production de connaissances. Par contre, et là, on est sur un truc qui est peut-être encore plus provoque, et moi j’ai pas vraiment la réponse à cette question.

Je ne sais pas. Est-ce que quand on a produit de la connaissance, on doit absolument tout appliquer ?

Moi, je pense qu’il faut absolument continuer à produire toute forme de connaissance. Je pense qu’il faut faire…

Je crois pas qu’il faille des interdits sur telle ou telle recherche. Par contre, est-ce qu’une fois qu’on a fait un certain nombre de recherches et qu’on a une bonne idée des applications possibles, est-ce qu’on doit vraiment lancer ces applications ?

Moi, je trouve que la question se pose, en fait. Et c’est une vraie question ouverte, là, pour le coup.

Je n’ai pas de réponse. Et je serais intéressée d’avoir même des avis contradictoires dessus pour voir quels sont un peu les arguments dans les deux sens.

Pour moi, non, il ne faut pas arrêter la production de connaissances. En tout cas, certainement pas sous prétexte de la valoriser, parce qu’en fait, aujourd’hui, ce n’est pas du tout ce qu’on fait.

Et moi, je serais plutôt d’avis de traiter la société civile. comme on traite aujourd’hui l’industrie, en disant qu’elle a toute sa place dans le système de recherche et d’innovation et on va la faire monter sur ces sujets.

Thomas Gauthier

Alors là, je pense que l’oracle est épuisé. On va désormais braquer notre regard vers le passé, vers l’histoire.

Est-ce que tu peux, Mélanie, pour commencer, nous ramener de cette histoire qui peut être une histoire récente, une histoire beaucoup plus lointaine, un premier épisode, un premier événement, une première date, une première dynamique historique qui, selon toi, peut nous aider à mieux comprendre ou mieux nous situer dans le présent, voire mieux nous projeter vers l’avenir ?

Mélanie Marcel

J’ai deux temps. Je vais commencer par le premier parce qu’on reste un peu sur la même dynamique.

Puis ensuite, j’en ai un qui remonte à beaucoup plus loin. Le premier, c’est, si je ne me trompe pas, octobre 1939.

Et c’est la création du CNRS. Et en fait, j’ai pris cette date parce que…

Alors, ça fait partie d’un mouvement plus global. qui s’étend sur une beaucoup plus longue période, mais qui est un peu la professionnalisation justement du métier de la recherche. Parce que la création du CNRS, le Centre National de Recherche Scientifique en France, c’est la création d’une structure vraiment professionnelle, de chercheurs liés à l’État, et donc avec tous les mécanismes qu’on connaît aujourd’hui, qui sont développés et qu’on connaît aujourd’hui, avec Le fait de faire sa thèse, de devenir chercheur, d’être un fonctionnaire, de publier des papiers, des papiers qui sont peer-reviewed, comme tu le mentionnais, etc.

Et puis tout le travail de valorisation. Et en fait, il y a un moment dans l’histoire où on passe d’un métier qui n’est pas aussi professionnalisé qu’aujourd’hui à cette professionnalisation et cette structuration.

Et moi, je trouve que c’est des moments extrêmement intéressants dans l’histoire. Et même si on remonte plus, alors sur ça, il y a des historiens comme François Jarich qui ont travaillé.

Et c’est passionnant de voir justement comment est-ce qu’on a dans la société une certaine vision de l’innovation. Et lui, il montre que le terme même innovation, à une époque, c’est plutôt négatif.

Il y a longtemps, parce qu’on est plutôt dans l’artisanat, tout ce qui est nouveau. et potentiellement dangereux et potentiellement mauvais. Donc, on n’a pas du tout la même approche de l’innovation qu’aujourd’hui et on n’est pas du tout sur des métiers de chercheurs professionnels comme aujourd’hui.

Et en fait, je trouve que c’est un peu une date clé, cette idée de tous ces grands instituts qui se créent et qui se professionnalisent et qui donnent le métier de chercheur tel qu’il existe aujourd’hui, avec une vision de l’innovation qui est devenue maintenant plutôt positive. dans sa connotation. Et puis, avec tous les enjeux qu’on évoquait juste avant, c’est-à-dire qu’à partir du moment où le chercheur, c’est un métier, c’est un professionnel, se crée vraiment aussi cette dichotomie entre le sachant… et puis celui qui ne sait pas.

Et celui qui est légitime à parler, à créer des technologies, à dire ce qui est, à dire le vrai, versus celui qui n’est pas légitime, qui a peut-être un savoir, mais en fait un savoir qu’on va mettre en dessous, plus bas. Il se passe un peu la même chose d’ailleurs avec les savoirs autochtones.

C’est-à-dire qu’il y a des savoirs extrêmement précieux qui ont permis d’ailleurs parfois à des chercheurs de découvrir des molécules qui ont des effets, des molécules dans la pharma, etc. Sauf qu’en fait, le savoir autochtone, c’était un savoir déclassé.

Mais dès qu’il revient dans la sphère du chercheur officiel, avec des papiers qui ont été publiés ou des brevets qui ont été déposés, là, ça devient un vrai savoir. Et donc ça, c’est intéressant, toute cette dynamique autour de quels sont les savoirs qui sont légitimes ou pas. et qui… qui est un chercheur professionnel ou pas.

Et pour moi, c’est très structurant, parce que c’est là aussi que se crée finalement, en tout cas que se cristallise tout un système de recherche et d’innovation dont on vient de parler, mais qui est ce qu’il est et qui est très difficile à changer aussi, parce que, justement, c’est structuré, c’est cristallisé, il y a des textes de loi, il y a des statuts, et donc changer tout ça. s’échanger tout un paradigme, c’est assez lourd et c’est assez contraignant.

Thomas Gauthier

Pour peut-être tirer le fil de cette histoire depuis 1939 jusqu’à aujourd’hui et peut-être les années à venir, quelles seraient alors selon toi les voies de transformation, les voies d’évolution de cette institution dont tu nous as parlé, ou peut-être d’autres, afin de permettre encore plus ? comme tu le disais plus tôt dans l’entretien, de faire jouer à la société civile le rôle qui doit lui revenir. Ce que je comprends derrière cette histoire de l’institution et de la professionnalisation de la recherche, c’est qu’il y a eu structuration, il y a eu systématisation de la recherche.

En France, en l’occurrence, il y a eu finalement aussi description d’interface entre la recherche et les parties prenantes de la recherche, au premier rang desquelles les entreprises qui sont, comme tu l’as dit plus tôt, très gourmande d’une certaine façon des productions scientifiques. Quels peuvent être les chemins de transformation de cette forme institutionnelle de la recherche en France qui donnerait à la société civile un rôle plus à la hauteur de celui que tu souhaiterais lui voir jouer ?

Mélanie Marcel

Il y a plusieurs choses qu’on peut imaginer. Moi, j’aime bien imaginer une évolution du système de la valorisation parce que c’est un système qui existe déjà.

En fait, il y a un grand avantage à travailler sur des systèmes qui existent déjà, c’est qu’il y a déjà des fonds, c’est qu’il y a déjà des personnes qui sont employées, des ressources qui sont employées parce que c’est leur métier. Et en fait, il y a toute une machine qui peut être mise en route pour aller vers des choses nouvelles.

Et moi, je trouve que c’est extrêmement puissant. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, on a quand même ce qu’on appelle des chargés de valorisation, dont le métier est de permettre la transformation de ce qui se passe dans les labos vers… la société et ce qu’ils veulent dire dans leur fiche de poste vers des entreprises qui vont pouvoir appliquer ces savoirs-là.

Donc voilà, on est vraiment sur la question économique. Ce ne serait pas facile, mais ça ne demanderait pas tant que ça en termes de ressources, de modifier la fiche de poste de ces professionnels-là pour qu’ils soient aussi de leur ressort de faire ce transfert-là. non pas uniquement vers des entreprises, mais aussi vers la société civile.

Et là, c’est vraiment passionnant parce qu’on a des acteurs qui existent, on a des ressources qui existent, on a des poches financières et budgétaires qui existent pour ces acteurs. Et donc, en fait, il suffirait de changer un peu leur but, leur raison d’être, pour avoir une force de frappe, en fait.

Parce que tous ces acteurs-là se mettraient effectivement à se demander… Ok, je dois faire un transfert de la recherche vers la société civile, comment je fais ?

Et après, alors là, la question reste difficile, parce qu’après, il faut qu’ils soient formés, il faut qu’ils aient accès à des outils, il y a évidemment tout un tas de choses à mettre en place. Mais tout à coup, c’est toute une machine qui se met en branle, parce qu’on a changé un peu le but et la fiche de poste de certains acteurs clés.

Et donc, moi, je le vois bien dans ce sens-là.

Thomas Gauthier

Tu as évoqué un petit peu plus tôt un deuxième moment de l’histoire que tu souhaitais partager avec les auditrices et les auditeurs. De quoi s’agit-il ?

Mélanie Marcel

Je vais revenir beaucoup en arrière. Et pour me concentrer spécifiquement sur les enjeux environnementaux, il y a un moment que je trouve structurant, qu’on oublie souvent.

Vraiment, on est dans une société qui est très anthropocentrée. On est vraiment centré sur l’humain.

Pour moi, il y a un moment absolument clé. de l’histoire humaine, c’est le moment où on domestique le chien. Et en fait, il y a débat sur la date, mais en gros, c’est entre 30 000 et 15 000 ans avant Jésus-Christ.

Et c’est la première domestication, c’est-à-dire que c’est le premier animal qui devient une vraie partie prenante de nos communautés. Et donc, il faut bien se rendre compte qu’il y a, disons, 15 000 ans, on n’a pas encore l’élevage, on n’a pas encore l’agriculture.

Et donc, on est dans des communautés où on va plutôt être sur de la cueillette et puis de la chasse. Et en fait, le chien, le loup à l’époque, mais qui devient le chien par la domestication, fait partie de ces communautés.

On chasse avec eux. C’est pour ça que ça devient des compagnons et que ça devient des chiens.

Il y a même des auteurs qui disent, on parle souvent de la révolution agricole comme un moment clé où on dit, voilà, les humains ont domestiqué les plantes. Et en fait, il y a des auteurs qui disent, ça c’est faux, pas les humains. qui ont domestiqué les plantes, c’est les humains et les chiens.

C’est-à-dire qu’il y a toute une histoire humaine qui n’est pas une histoire humaine. En fait, c’est une histoire inter-espèce à partir de 15 000 ans avant Jésus-Christ.

Et donc, ce que je trouve incroyable, c’est qu’on arrive aussi bien aujourd’hui à ne pas le prendre en compte et à l’effacer. Mais en fait, on a une relation avec…

Alors, les chiens, c’est une chose, mais ensuite, tous les animaux qui sont arrivés derrière et qui ont aussi été domestiqués. qui est structurante, et qui est plus que structurante, qui est une co-évolution. Donc le loup est devenu un chien, mais en fait l’humain, à travers cette cohabitation, a aussi complètement évolué, d’un point de vue physique, biologique, et même culturel, puisque c’est ce que disent les auteurs, non, on n’a pas inventé l’agriculture, c’est la communauté chien plus humain qui a inventé l’agriculture.

Donc ça, je trouve que c’est extrêmement intéressant, qu’on a trop tendance à l’oublier. Et pourquoi je le replace dans un point de vue environnemental ?

Parce qu’aujourd’hui, il y a beaucoup de discussions autour du vivant, autour du fait que finalement, on est en train de détruire le vivant. On a une très grande difficulté à se replacer dans une toile de plusieurs vivants interconnectés.

En tant qu’humain, on s’extrait de tout ça. On vit dans des villes de plus en plus. où l’animal n’est pas forcément présent, et où on a l’impression d’être coupé de relations qui sont pourtant structurantes.

Et donc, pour moi, se rappeler de cette histoire-là, la raconter différemment, arrêter d’être sur un exceptionnalisme de l’humain, et réintégrer qu’on en est là où on en est parce que, par ailleurs, on a eu des relations structurantes avec des animaux, c’est extrêmement important pour se reconnecter un peu à qui on est en tant qu’espèce. Mais qu’est-ce qu’on a fait comme évolution récente ?

Et pourquoi on a fait ces évolutions-là ? Et est-ce qu’on veut conserver ces évolutions-là ?

Et en fait, ce n’est pas si vieux que ça. La domestication du chien, oui.

Mais jusqu’à relativement récemment, il y avait encore beaucoup de gens qui vivaient au quotidien avec des animaux. Les animaux de ferme, évidemment.

Les chiens, bien entendu. Mais vraiment, la séparation entre l’humain et l’animal n’est pas si vieille.

Et moi, je pense qu’elle nous fait beaucoup de mal parce que, justement, on s’extrait déjà de ce qui nous maintient en vie. Et au-delà de s’extraire, on aussi se supplémente par de la technologie.

Et là, je refais peut-être le lien avec tout ce qu’on vient de discuter, mais il y a un peu un… Il y a une forme de remplacement aussi de l’animal par la technologie.

Et ça, ce seraient des choses qui seraient passionnantes à étudier. Mais comment est-ce que tout ce qui va nous manquer…

On va le supplémenter par des objets techniques, alors qu’avant, c’était des êtres vivants qui nous offraient ou qui nous permettaient d’avoir ces services-là.

Thomas Gauthier

Et à travers ce deuxième repère historique, tu soulèves tout un tas de questions qu’on n’aura peut-être pas le temps d’aborder ensemble, sur lesquelles je vais revenir quand même 30 secondes. Avant cela, juste un lien avec un précédent invité du podcast, Laurent Testo, qui a écrit sur le sujet de la domestication.

Du Chien, un très joli ouvrage, Homo canis, qui revient sur ses 30 000 années de vie aux côtés et avec le chien. J’aime beaucoup ce que tu as dit sur l’idée de réinterroger l’histoire d’Homo sapiens et de la penser plutôt comme une histoire inter-espèce.

Tu as aussi évoqué le fait peut-être d’arrêter d’être sur un exceptionnalisme. J’aime beaucoup cette expression.

Et j’imagine qu’une question qui reste en suspens, ça peut être comment… renouveler l’idée d’humanisme qui a permis à l’espèce de vraiment se projeter dans une nouvelle ère. Comment renouveler aussi peut-être le rapport à la rationalité ?

Tu l’as déjà dit, la science et les connaissances qui en découlent ont un statut particulier, ont un statut et une force organisatrice. Ces connaissances ont permis à des systèmes sociotechniques d’émerger, à des systèmes d’en remplacer de plus anciens. j’imagine que cette rationalité et cet humanisme vont devoir être interroger et penser autrement peut-être à l’aune d’une forme d’intérêt espèce et à l’aune aussi d’un dépassement de l’anthropocentrisme dont tu as parlé, puisque nous sommes dans un nouveau régime climatique, notamment comme dirait Bruno Latour.

Alors maintenant j’aimerais s’il te plaît que tu nous parles du présent, après avoir parlé et exploré les futurs et l’histoire. Est-ce que tu peux nous raconter en fait comment toi tu interviens dans le monde ?

Quelles sont tes manières de faire, tes modalités, tes projets ? Raconte-nous un tout petit peu à quoi ressemble, peut-être pas ton quotidien, mais ton intervention dans le monde ?

Mélanie Marcel

Alors j’ai une première intervention qui est assez structurante puisqu’elle prend la majeure partie de mon temps et qui est effectivement l’entreprise sociale que j’ai créée il y a presque dix ans, qui s’appelle SoScience et qui est vraiment sur ces sujets de transformation du système de recherche et spécifiquement de valorisation de la recherche. pour mieux y intégrer la société civile. Et donc, effectivement, on crée des programmes sur des sujets à la fois techniques, scientifiques, d’innovation, mais aussi toujours avec recroisement d’impact social ou environnemental.

Et autour de ces grandes thématiques, on crée des consortiums multi-acteurs qui doivent absolument avoir cette capacité multi-acteurs, donc des acteurs de la société civile, des chercheurs académiques, classiques, mais aussi des industriels ou des startups. Et donc, on essaye vraiment d’être dans la complémentarité des points de vue et comme ça, de générer une nouvelle façon de faire de la valorisation.

Et puis, une nouvelle façon aussi d’interagir et de parler sur des projets très concrets de quel type de technologie on veut créer, pourquoi, comment, et voilà. Et on fait ça vraiment à la fois à une petite échelle parce que c’est toujours projet par projet.

Ces discussions-là, ce n’est pas des… des grandes discussions nationales, et en même temps avec une ambition de transformation profonde, puisque c’est notre projet de 2023. Tous ces outils qu’on a développés, en fait on veut les ouvrir à toutes les universités, les instituts de recherche, les industriels, qui ont l’habitude de monter des programmes, de monter des projets de recherche, d’être dans cette valorisation, et en fait qui voudraient… changer, transformer leurs pratiques.

Et on a vraiment un outil qui est fait pour ça, qui est fait pour mettre autour de la table des projets de recherche et d’animation, d’autres acteurs, des collectivités, des organismes de la société civile, etc. Et en fait, quand je parlais tout à l’heure du changement de ces postes clés que sont les chargés de valorisation, nous, quand on se projette, on se dit vraiment le but, c’est que dans quelques années, les chargés de valorisation puissent de… avoir complètement en main cet outil-là, et qu’en fait, ils montent ce type de consortium, grâce à cette facilité de mise en commun de profils très divers.

Donc ça, c’est vraiment ce science, et c’est vraiment le projet que je nourris pour essayer d’être dans la transformation de la valorisation, et puis du monde de la recherche et de la technologie. Mais une chose qui est importante aussi, je pense, à souligner, c’est que moi, je crois beaucoup…aux différents niveaux d’engagement.

C’est-à-dire que souvent, il y a un peu cette discussion, parfois sur LinkedIn, ou un peu cette dichotomie sur le fait que est-ce qu’il faut changer le système existant, ou est-ce qu’il faut créer un nouveau système ? Est-ce qu’il faut déserter, ou est-ce qu’il faut, au contraire, essayer d’infiltrer des zones de pouvoir pour les modifier, etc. ?

Et moi, je crois qu’il faut tout faire. Il faut absolument être sur tous les plans. Ça peut être différentes personnes qui sont sur différents plans, mais même à titre individuel, il y a plusieurs niveaux d’intervention.

Pour moi, SoScience, c’est à la fois la création d’une nouvelle manière de faire, d’un nouveau système, parce que c’est une entreprise tout à fait innovante, enfin nouvelle, mais en même temps qui veut changer les systèmes existants, puisque mon partenaire préférentiel, c’est l’Institut de Recherche, et je ne veux pas tout réinventer, je veux que lui se transforme. Donc je suis à ce niveau-là avec SoScience.

Et j’ai d’autres manières d’intervenir dans le monde. Je suis notamment assez engagée d’un point de vue personnel sur justement cette question de la relation inter-espèce.

Et sur ça, j’ai une approche complètement différente, puisque là, je n’ai pas créé une entreprise, mais en fait, j’écris un mémoire de recherche sur le sujet. et donc c’est une approche qui n’a rien à voir. Je pense qu’il faut des gens qui réfléchissent et qui créent des nouvelles pensées.

Et donc, comment est-ce qu’à titre individuel, on peut à la fois être dans l’action et à la fois être dans le travail intellectuel. Mais par ailleurs, je fais aussi du bénévolat dans un sanctuaire pour animaux.

Et donc là, c’est encore autre chose, complètement différent. Un autre niveau aussi, puisqu’on est à un niveau… qui est peut-être moins systémique, parce que faire du bénévolat, c’est très, très, très concret et c’est des toutes petites choses du quotidien.

Mais en fait, pour moi, c’est vraiment comme ça. En tout cas, c’est comme ça que j’ai envie de me montrer dans le monde et d’avoir un impact dans le monde, c’est d’essayer de le faire un peu à toutes les échelles.

Et je pense que c’est aussi en étant comme ça sur des échelles différentes qu’on aligne finalement ce que l’on croit avec ce que l’on est, parce que finalement, ça transparaît à tous les niveaux. quelque part.

Thomas Gauthier

Et ce que j’apprécie aussi dans ce que tu viens de nous dire, c’est qu’il n’y a pas à chercher de hiérarchie entre les différentes interventions dans le monde. Elles se nourrissent les unes les autres et elles nous permettent finalement de nous exprimer de différentes manières.

Tu l’as dit aussi, dans des temporalités différentes, dans des espaces différents, dans des degrés de complexité différents. Peut-être aussi qu’il est difficile de passer toute sa vie à des niveaux stratosphériques et que par moment, il est important donc d’en revenir à des actions concrètes, peut-être des actions concrètes et précises dans lesquelles justement on essaye d’injecter tout ce que la réflexion plus systémique nous a permis de découvrir.

Ces actes qu’on pose deviennent des incarnations finalement du système de pensée qu’on essaye tant bien que mal de développer et de parfaire.

Mélanie Marcel

Inversement, je pense que c’est très joli la manière dont tu l’as dit, qu’une réflexion systémique peut s’incarner, ça j’y crois beaucoup. Et en fait, je pense qu’il ne faut surtout pas mettre de côté l’inverse.

C’est-à-dire que parfois, on fait un petit acte et ça peut avoir des réflexions sur notre pensée qui est énorme, en fait. Et on se rend compte qu’il faut changer le système parce que l’acte qu’on vient de faire…

Alors, soit l’acte qu’on vient de faire ne nous convient pas, on n’en est pas du tout fiers, et donc il faut changer le système pour ne plus avoir à le faire. Soit au contraire, on a fait quelque chose qui nous semble important et plutôt que de le reléguer dans l’intime ou dans les petites actions, il faut le remonter vers un système. Ça va dans les deux sens.

Thomas Gauthier

Ça va dans les deux sens. J’ai l’impression aussi que ces interventions dans le monde, très différentes les unes des autres, sont des dialogues qu’on essaye de créer entre ces manières de faire, entre ces manières de faire pour soi-même et aussi ces manières de faire avec les autres.

Merci beaucoup pour ton temps, Mélanie. Merci pour tes réflexions et à bientôt.

Mélanie Marcel

Merci beaucoup.

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