Comme relevé dans un précédent billet, le grand défi dans un dispositif de prospective, n’est pas tant dans la génération de scénarios ou autres livrables que dans l’usage de ceux-ci. Cela est d’autant plus vrai que l’IA est passée par là.
Cependant, quel que soit l’élément prospectif utilisé, celui-ci n’est normalement qu’un outil dans un processus d’anticipation conduit par le dispositif de prospective d’une organisation. Le but visé de l’organisation est généralement celui d’éviter toute surprise, ou mieux encore, d’en créer pour sa compétition, et cela indépendamment du segment industriel dans lequel elle se trouve. Or pour ce faire, cela implique bien souvent des changements de différentes natures à différentes vitesses.
Nous avons tendance parfois à l’oublier mais ces changements seront rendus possibles par l’intervention d’humains qui vivront là de véritables aventures dans la modification, du moins pour un certain temps, de leurs habitudes, de leur(s) routine(s), bref, de leur quotidien. Être bousculé n’est pas forcément agréable, même si nécessaire, et cela implique que souvent toute nouvelle idée, n’est initialement pas la bienvenue.
Prospective et changement
Faire de la prospective, c’est donc bien souvent apporter le changement. Tout changement, pour être mené à bien, s’accompagne d’une phase de transition entre l’état présent et l’état futur dans laquelle l’être humain est l’acteur principal, voir unique, du succès.
Or bien souvent, les livrables de prospective se focalisent principalement sur la description d’un état futur sans considérer le chemin à parcourir pour y aboutir et donc, ce que cela implique pour les différentes parties prenantes.
Les étapes à réaliser concrètement pour passer d’un état à l’autre peuvent être très bien déterminées en utilisant la méthode du roadmapping. Celle-ci, comme toute autre, ne considère cependant pas l’aspect psychologique du changement et comment préparer les individus à être moteur de la transition. Le processus psychologique a été extrêmement bien présenté par Wiliam Bridges dans son livre “Manager les Transitions – clés des changement réussis”.
Dans le contexte d’un dispositif de prospective, cela signifie qu’il n’est pas (ou plus) suffisant de s’arrêter à l’élaboration de scénarios ou tout autre produit, mais qu’il faille trouver le meilleur format possible afin que chaque individu puisse se figurer ce que le narratif, l’ imaginaire, l’objet de design fiction, ou le film peut signifier pour elle ou lui.
L’idéal serait naturellement d’intégrer les différentes parties prenantes durant le processus de réflexion et de construction, mais cela n’est souvent pas possible.
Les produits créés représentant des futurs possibles deviennent donc le point de départ d’un atelier ou de toute autre activité permettant aux parties prenantes de se représenter le changement et d’y intégrer non pas une, mais leur composante humaine.
Loin d’être donc une fin en soi, les livrables prospectifs encouragent et peuvent servir, paraphrasant William Bridges, …
- …de but visé
- Les parties prenantes doivent comprendre la logique avant de réfléchir pour travailler dessus.
- … d’image de ce que sera le résultat
- Les parties prenantes doivent pouvoir se la représenter avant de mettre du coeur.
- … de plan étape par étape pour mettre le résultat en oeuvre graduellement
- Les parties prenantes ont besoin de savoir clairement comment aller là où il doivent.
- … à donner à chacun un rôle à jouer dans le plan et le résultat
- Les parties prenantes ont besoin d’une manière tangible de contribuer à participer.
Prospective et transition
Nous venons de le voir, le livrable prospectif est bien souvent une description du “What? / Quoi ?”, mais il manque les deux étapes successives qui sont le “So what? / Alors quoi?” suivie du “Now what? / Et maintenant ?”. Les deux dernières étapes personnifient le passage à l’action, faisant intervenir l’humain et construisant de fait le lien entre changement et transition:
changement + êtres humains = transition
Cela peut paraître évident à première vue dans une transition, mais on l’oublie facilement : quelque-chose doit prendre fin.
C’est également ce qui provoque généralement le plus d’anxiété. Logique car bien souvent, ce qui prend fin c’est une partie de vous-même sous une forme ou une autre. Cela peut être une façon de faire, un processus, une habitude, une ancienne organisation hiérarchique mais également une vision dépassée du futur, des compétences ou des technologies obsolètes, etc.
En imaginant le ressenti individuel, on comprend donc mieux que la réception initiale de certains concepts ou idées futuristes soit bien souvent négative et pourquoi il ne faut pas s’en offusquer.
Les sentiments provoqués face au changement désiré, bien souvent imposé de l’extérieur, ne sont dans cette première phase a priori pas des plus positifs. S’il n’y a pas de raccourcis dans ces ressentis humains, minimiser ceux-ci se révèle également la meilleure façon de mener à bien une transition. Il n’y a apparemment pas de recette miracle, sauf de préparer, d’expliquer et d’accompagner cette transition.
A l’intérieur d’activités de prospective, cela peut se faire simplement en accompagnant les participantes et participants à comprendre ce que ce futur possible signifie pour chacune d’entre elles et chacun d’entre eux. Que ce soit en planifiant simplement un temps de réflexion sur l’argument, en guidant celle-ci ou en organisant un atelier dédié à l’individualisation des changements, cela facilitera l’appropriation et l’intériorisation de ce futur.
Préparez donc le terrain des 3 phases de chaque transition décrites par Wiliam Bridges dans chacun de vos livrables prospectifs et l’impact n’en sera que plus grand :
- La fin de quelque-chose
- La principale difficulté des personnes en transition est de ne pas parvenir à anticiper les fins et les pertes afin de s’y préparer.
- La zone neutre
- C’est un voyage d’une identité à une autre, d’une façon de faire à une autre.
- Le nouveau départ
- Quand les gens comprennent le problème ou la vision, ils s’attèlent aux solutions et à comment l’atteindre
Un pas plus loin
Changement et transition sont des processus sous-jacents à tout futur anticipé par des activités de prospective.
Cela signifie qu’il y a là une opportunité, si ce n’est une nécessité d’aller une étape plus loin que l’élaboration d’un livrable décrivant – uniquement – une situation différente d’aujourd’hui.
Penser à ce qui pourrait être est bien, mais pas suffisant; il faut y intégrer des pistes de réflexion aux changements et aux transitions possibles qui affecteraient chacune et chacun d’entre nous dans sa sphère personnelle tout comme dans sa fonction professionnelle.
C’est seulement en rassurant chacun des acteurs, actifs ou passifs, de la transition à venir, que ceux-ci adhérerons de leur plein gré et participeront à la construction du futur présenté.
Nota bene
Afin de coller le mieux possible aux besoins (et désirs ?) des différentes parties prenantes, un dispositif de prospective peut lui-même être en changement et transition permanente. En toute franchise, c’est un peu le cas du dispositif deftech depuis sa création. Ce passage par Wiliam Bridges décrivant l’action lors de changements simultanés lui colle à merveille :
” […] vous devez suivre de nombreux instruments, chacun jouant différentes séquences de notes, commençant et s’arrêtant en ses propres termes. Tout en gardant une notion d’ensemble, vous devez faire basculer votre attention d’une section à l’autre. Il est important que vous gardiez en tête la vision d’ensemble de la mélodie et des harmonies. Si vous ne le faites pas, chaque petit changement ressemblera à une nouvelle mélodie sortie de nulle part qui se trouve simplement être là, sans aucune corrélation avec le reste du morceau.”
Considérez la notion d’ensemble comme la vision du dispositif de prospective “Inspirer, Informer, Instruire”, les petits changements comme les projets au rythme annuel et le morceau comme le programme en lui-même et vous aurez la symphonie !
Le jeu de la transition
Développé par la Fing (Fondation Internet Nouvelle Génération) en 2015, le “Jeu de la transition” vous invite à raconter ensemble un ou plusieurs récit(s) à la fois plausibles et souhaitables de la transition du “système” dont vous êtes des acteurs, quel que soit ce système : une entreprise, une institution, un secteur d’activité, un territoire….
Par ‘transition’, nous entendons le passage d’un état de départ du système, à un état futur à la fois stable (ou à peu près stable) et significativement différent d’aujourd’hui.
L’association ayant cessé ses activités en 2022, nous nous permettons de mettre à disposition ces documents que nous avons dans nos archives :
- Cahier d’enjeux et de prospective FING Questions Numériques Transitions
- Jeu de la transition
- Cartes
Si certains éléments ne sont plus d’actualité, ou justement, sont devenus notre présent, n’hésitez pas à les modifier. La méthodologie compte tout autant et même plus que les exemples utilisés.