Le SES (Scenario Exploration System) est un jeu de plateau développé par le JRC – Joint Research Center -, un organisme de recherche de la Commission Européenne qui soutient l’élaboration de politiques publiques via la prospective.
Le SES permet aux participants d’explorer des scénarios futurs. En abordant des enjeux à long terme, il offre une plateforme pour tester la viabilité de différents scénarios et fonctionne pour des thématiques aussi différentes que la durabilité, la technologie et le changement climatique.
Chaque joueur du SES incarne un acteur spécifique du système mondial : qu’il s’agisse d’un acteur privé, d’une institution publique, d’une organisation non gouvernementale (ONG), ou encore d’un représentant de la société civile. Ces rôles permettent de simuler des interactions et de tester l’impact des décisions prises par différents acteurs dans des environnements contrastés.
Le jeu est disponible sous une licence Creative Commons, ce qui permet à chacun de l’utiliser, de l’adapter et de le partager.
L’exemple dont nous (Mycelium Foresight Studio / projet pour le think tank Space’ibles) parlons ici provient d’une itération réalisée en 2023 au CNES (Centre National d’Études Spatiales), où nous avons travaillé sur le futur du tourisme et des loisirs spatiaux. Durant cet atelier, quatre scénarios de transition ont été dégagés, mais il était difficile pour les participants de pénétrer en profondeur les détails de ces scénarios.
Le jeu a permis de débloquer cette situation, en facilitant une meilleure compréhension des interactions entre acteurs et en permettant de définir plus précisément les rôles et les leviers de chacun.
Si je prends cet exemple, c’est que nous avons dû modifier le jeu pour l’occasion et cela souligne deux éléments.
- ce jeu est flexible et évolutif
- la prospective n’a pas de taille unique / one size fits all, les outils doivent être pensés à chaque exercice pour l’exercice
la prospective n’a pas de taille unique / one size fits all, les outils doivent être pensés à chaque exercice pour l’exercice
Pourquoi y jouer ?
Recourir à un jeu de rôle dans le cadre d’un exercice de prospective peut sembler un peu simple. Et pourtant le jeu offre plusieurs avantages indéniables dans ce type d’exercice :
- Test de la robustesse des scénarios : Le SES permet de tester si un scénario est à la fois possible et plausible. En créant des interactions entre acteurs aux objectifs différents, le jeu permet de voir si l’évolution d’un scénario peut être expliquée de manière logique, sans éléments invraisemblables.
- Compréhension des interactions entre acteurs : Le jeu permet de visualiser concrètement comment les actions des différents acteurs influencent le développement des scénarios. Par exemple, dans notre atelier sur les loisirs spatiaux, le rôle de la société civile est apparu plus clairement, ainsi que les différentes forces en présence qui pourraient jouer un rôle de transformation.
- Dimension ludique et cognitive : Bien que les jeux sérieux comme le SES puissent paraître un peu déstabilisants au début, une fois la phase d’adaptation passée, les participants se laissent pleinement immerger dans l’exercice. Ce changement de mode de pensée permet d’activer des fonctions cognitives différentes de celles utilisées habituellement dans une réunion de travail traditionnelle. La dimension ludique favorise également l’imagination et le dialogue constructif.
- Approfondissement des scénarios : Le SES aide à approfondir et clarifier les différents scénarios. Le fait d’incarner un rôle permet de comprendre plus finement l’impact des décisions prises et d’affiner les évolutions possibles des scénarios, tout en ajoutant des éléments de réalisme et de cohérence dans leur développement.
Comment on y joue ?
Maintenant que le pourquoi est plus évident, reste le comment. Comment joue-t-on ? Le SES a été conçu par des spécialistes des jeux sérieux, en collaboration avec des experts du JRC. Le jeu engage les participants à incarner des rôles spécifiques et à élaborer des histoires uniques tout en explorant les futures possibles de manière collective. À travers ce processus, les participants doivent interagir dans trois horizons temporels : court, moyen et long terme. Mais revenons au début.
Le jeu original, c’est un plateau et une série de cartes
- les cartes de scénario (résument le scénario)
- Les cartes « Megatrends » (représentent des forces motrices puissantes qui affectent tous les scénarios.)
- Les cartes « Variable » (représentent les variables, moins certaines que les Megatrends, mais qui ont le potentiel d’affecter n’importe quel scénario.)
- Les cartes « Action » (Des cartes d’action spécifiques à un rôle sont attribuées à chaque participant.)
- Les cartes « Real life » (représente des événements de la vie réelle qui peuvent affecter n’importe quelle action, comme un violent ouragan ou un tsunami)
- Les pions « Ressources » (code couleur correspondant aux rôles des explorateurs, 25 par couleur)
- Les pions « Voix civile » ou « Impact » ou « Future token » (pion que la société civile ajoute au choix d’un participant lui donnant ainsi plus de poids)
Il y a aussi une feuille sur laquelle on reporte les résultats, une feuille spécifique également à la société civile (public voice) qui justifie et explique sur celle-ci ses choix et ses soutiens.
Chaque session de jeu nécessite la présence d’un maître du jeu – un animateur chargé de présenter les principaux éléments de cadrage à la base des histoires à développer, de préserver la logique du scénario et d’aider les joueurs en cas de besoin.
Deux scénarios sont « joués » par session. C’est le maitre du jeu qui choisit les deux scénarios, de préférence opposés en diagonale sur la matrice 2X2 pour maximiser le contraste. En effet, un jeu complet fait explorer aux joueurs deux scénarios contrastés tout en conservant les mêmes rôles et en poursuivant les mêmes objectifs.
1. Le jeu commence par un tour de table ou les participants exposent les spécificités de leur rôle (identité, nature du rôle, objectifs et autres détails). Ils développent aussi leur vision. Dans le jeu original, certains participants gardent leur vision secrète, d’autres doivent l’exposer dès le début. Quand le jeu commence, grâce au dé, les cartes actions entrent en jeu, chacun doit réagir par rapport à son personnage, en ajoutant ou pas des pions resources selon l’importance qu’il accorde à telle ou telles actions.
2. Pour encourager la compétition et compléter les compétences subjectives et créatives que le jeu exige de chaque participant, un système de notation a été mis au point.
– Une réserve limitée de ressources, connue dans le jeu sous le nom de jetons de ressources, est attribuée à chaque rôle, pondérée en fonction de la position d’influence, de la capacité et/ou du pouvoir d’un rôle dans chaque scénario.
– Un système de multiplicateurs, connu dans le jeu sous le nom de jetons d’impact futur, constitue la principale ressource du joueur de la voie publique / société civile, dont la tâche principale est de juger toutes les actions des autres joueurs.
Le score de chaque action est obtenu en multipliant le nombre total de jetons de ressources attribués par les joueurs par le nombre de jetons d’impact futur, non seulement le score, mais aussi la justification est notée dans la feuille de résultat.
3. À chaque tour, on peut rajouter des cartes « Megatrends » « Variables » ou encore « Real life » qui peuvent avoir un impact sur les actions.
Les challenges et la solution
Le challenge #1: comment aider les participants à entrer dans les scénarios :introduire le SES
Oser aller plus loin. Au départ, le groupe avait bien défini quatre scénarios, mais il était difficile de rentrer dans le détail de ces derniers.
Les participants n’arrivaient pas à clarifier les influences réciproques entre les acteurs et à expliciter les choix de société qui sous-tendaient chaque scénario.
Le jeu a permis de sortir de cette impasse en obligeant les participants à identifier précisément les rôles de chacun dans le scénario.
Par exemple, dans l’un des scénarios, les ONG et la société civile avaient un levier majeur pour influencer le changement social, tandis que dans un autre, ce sont les entreprises privées qui prenaient le rôle principal.
Le challenge #2: comment engager les participants dans un jeu et dans un minimum de temps : simplifier.
Oser simplifier. Le SES, est riche et complet. Cependant, dans un cadre où le temps est limité, il est crucial de simplifier l’outil pour en maximiser l’efficacité. Lors de notre session, nous avons opté pour une approche minimaliste :
- suppression du comptage des points. Les feuilles de score ont été conservées, mais uniquement comme outils de collecte des prises de décisions et de leurs motifs.
- nous avons conservé une Megatrend par scénario et une carte « Real life » par scénario – au lieu de les multiplier
- nous avons supprimé les cartes « Variables »
Un SES allégé qui a permis d’entrer dans le jeu plus vite, et d’en sortir avec des idées plus vite également.
Morale de l’histoire
L’important en prospective, c’est de disposer des bons outils, adaptés à l’objectif de l’exercice.
Le SES offre une grande flexibilité : il peut être simplifié ou complexifié en fonction des contraintes temporelles et des objectifs poursuivis.
L’essentiel réside dans la capacité à adapter l’outil aux besoins spécifiques du projet.
Un outil de prospective efficace ne doit pas nécessairement être un produit coûteux ou surdesigné. En l’occurrence, un jeu simple et facilement adaptable, peut donner de très bons résultats, et c’est là la vraie valeur ajoutée.
Un jeu trop sophistiqué ou trop coûteux peut nuire à l’efficacité de l’exercice, car il peut détourner l’attention des participants de l’essentiel.
L’important en prospective, c’est de disposer des bons outils, adaptés à l’objectif de l’exercice.
Les documents
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