Q269 | Les principes source comme piliers fondamentaux d’un dispositif de prospective ?

15 avril 2025
9 mins de lecture
Vue aérienne du glacier du Rhône
Vue aérienne du glacier du Rhône, 2018 (?), la source du fleuve terminant son périple à Marseille pour s'épanouir dans la mer Méditerranée. Source : wwf.ch

C’est suite à la découverte du livre « Un petit livre rouge sur la source » sur le blog de Nicolas Gluzman et intrigué par ces « principes source » que j’ai commandé le livre pour en savoir plus. Je n’ai pas été déçu comme vous vous en doutez. 

En plus d’une véritable leçon de management de l’humain, cela m’a permis d’entrevoir une structure pour le développement d’un dispositif de prospective ainsi qu’une organisation pour le triptyque prospectif ayant vu le jour ces dernières années.

Rien de bien original j’en conviens vu qu’un dispositif de prospective est en soit un projet, mais après la langue du feedback, je trouve amusant de constater que la vie fait apparaître spontanément sur nos chemins de nouveaux éléments permettant de mettre des mots sur des pratiques ainsi que de révéler des conseils… pour aller plus loin.

Ce billet aurait déjà atteint son but si ces quelques lignes avaient réussi à éveiller votre curiosité et que le livre était commandé, mais je souhaite expliquer ce que j’y ai rencontré en relation avec la prospective et répondre ainsi activement à l’invitation, en page 129, de l’auteur, Stefan Merckelbach : « Ayons donc à coeur de diffuser les principes source partout où leur prise en compte permettrait de faire avancer les choses […] » et faire avancer les choses en anticipation, c’est ce que l’on appelle passer à l’action !

 

 

Un entrepreneur, un guide, un gardien

Ce que j’ai trouvé intéressant en découvrant les principes source est que ceux-ci donnaient du sens à ce que nous avons essayé de faire, et faisons toujours, avec le programme de prospective technologique dont j’ai la charge. C’est sur quoi je vais m’attarder tout en étant conscient qu’en amont de ce programme, il y a la source globale qui l’a voulu et préparé le terrain pour sa concrétisation en 2013.

Je n’ai jamais su exactement qui était véritablement à la source de l’idée même de ce programme, mais durant 11 années, je pense que l’on pouvait considérer que le Dr. Johann Rudolf Bircher, directeur de la recherche, en était la source globale – dans le cadre de la recherche – et que j’en étais la source spécifique – dédiée à la prospective. 

A son départ à la retraite, il y a bien eu transmission des activités au niveau hiérarchique, mais je ne suis pas persuadé que la source a été transmise d’autant qu’une re-organisation est passée par là. Cela est certainement propre à l’environnement administratif dans lequel nous opérons où tout est fait pour garantir la continuité de la tâche, et ce indépendamment de la personne qui l’accomplit, et donc parfois, de la source globale. Ce sont les règles du jeu et un défi parfois pour tout projet spécifique, qui peut donc voir dans le successeur hiérarchique d’une source, une autre source, liquide elle, venant volontiers éteindre la flamme allumée par la source précédente :-).

Je tiens à spécifier que cela n’est pas mon cas et que fort heureusement, l’environnement est resté très stimulant, mais qu’au sein d’une grosse structure, comme le peut l’être une administration fédérale, il me semble qu’en cas de changement de personnel, aucune attention ne soit portée à la notion de source, quelle qu’elle soit… Et c’est bien dommage.   

 

Les trois rôles de la personne source sont donc projetés ici sur la fonction de responsable d’un dispositif de prospective telle que je la connais, avec naturellement les biais et spécificités liés à l’environnement de travail.

Si la source est souvent représentée par un cours d’eau, n’oublions pas que celle-ci peut aussi être d’une autre nature, lumineuse par exemple, comme une luciole.
À la nuit tombée, le spectacle saisissant consiste en des milliers et des milliers de flashs de couleur vert-jaune. Photo Claude Nardin. Source : L'Est Républicain

L’entrepreneur

Extrait du livre : C’est celui ou celle qui prend une initiative sur la base d’une idée. La personne source continue à recevoir des idées, des intuitions, des inspirations et aussi l’énergie nécessaire à les concrétiser tout au long de la vie de son initiative.
 La question que la personne source se pose régulièrement est : est-ce que je prends toujours assez de risques pour mon initiative ?

Dans ce que je comprends, il n’y a ici aucune différence ici entre l’entrepreneur et l’intrapreneur

La personne responsable du programme ou du dispositif de prospective joue ce rôle dans la mesure où c’est à elle de décider d’un projet et de sa forme afin d’analyser et de mieux appréhender ce qu’elle aura perçu comme un signal faible (jouant le rôle ici d’idée).

Va-t-on rédiger des scénarios, effectuer un design-fiction, une étude approfondie, organiser une conférence ou des ateliers autour du thème choisi ? Veut-on provoquer une réflexion, un choc afin de susciter une réaction ? Ce thème ou cette question, à quel niveau allons-nous le traiter ? À quelle question allons-nous vouloir répondre ?

Venir défier l’établi et justifier le besoin d’un changement, d’une transition au sein d’une organisation est ce qui est attendu des activités de prospective. Cela signifie qu’il faut assumer le risque de recevoir des remarques négatives, parfois via des réactions directes et violentes, parfois par personnes interposées de manière tout aussi violente ou plus sournoise. C’est à ce moment que l’énergie est nécessaire afin de surmonter ces moments et continuer. Selon la deuxième loi de Dator, toute idée utile sur le futur doit apparaître comme ridicule. Cela ne facilite certainement pas son acceptation immédiate dans le présent.  (pensez à ce qu’imagineraient les personnes des années 1980 si on leur racontait tout ce qu’il est possible de réaliser aujourd’hui à partir d’un petit appareil portable tenant dans une poche ou dans un sac à main !).

On voit bien que le prospectiviste est un entrepreneur de la pensée et que s’il ne réalise et ne construit pas matériellement lui-même les briques du futur, il y contribue en préparant en amont le terrain à l’innovation… dont il s’inspire en retour.

Le guide

Extrait du livre : Après le premier pas d’une initiative nouvelle, il y a un deuxième pas, et un troisième, et ainsi de suite. Le rôle de guide de la personne source permet à son initiative, une fois qu’elle a été prise, de ne pas mourir dans l’œuf, mais de se développer dans la durée.
 L’état psychologique habituel du guide est celui du doute.

Il y a naturellement les méthodes et les livrables, mais ceux qui les réalisent sont – encore – des humains qu’il va falloir motiver et orienter avec un leadership adapté à la situation. De part la structure du programme dans laquelle chaque livrable est le résultat d’un projet financé avec une entité externe à armasuisse et au DDPS.

La vision a toujours été depuis le début d’un travail basé sur les synergies avec pour but de créer quelque-chose de systémique où le dispositif d’anticipation dans son ensemble devenait plus grand que la somme de ses livrables.

Afin d’atteindre cette ambition, chaque entité avec laquelle nous travaillons est choisie pour ses capacités spécifiques ainsi que pour sa motivation intrinsèque à réaliser le projet. Chaque projet doit contenir des éléments permettant au partenaire mandaté de construire de nouvelles de compétences qu’il pourra ensuite valoriser. 

Je considérais toujours cela comme une simple situation gagnant-gagnant (win-win), sans me rendre compte formellement que les personnes avec qui nous travaillons étaient pour la grande majorité les sources globales de leur organisation. Pendant le temps du projet, une fois chacune assurée de la direction à prendre, elles devenaient temporairement sources spécifiques avec naturellement des moments de contact permettant comme dans tout projet de maintenir l’alignement entre le livrable et les attentes. 

 

Je considérais toujours cela comme une simple situation gagnant-gagnant (win-win), sans me rendre compte formellement que les personnes avec qui nous travaillons étaient pour la grande majorité les sources globales de leur organisation.

 

Je ne sais pas si le fait d’avoir une relation contractuelle change le concept de source spécifique, mais elle acquiert de fait son propre terrain de jeu, son espace de travail au sein du dispositif de prospective dans lequel elle peut donner libre cours à son esprit d’entrepreneur.

Je prétendrais même qu’avec cette relation de confiance la partie spécifique permet de renforcer et de nourrir la partie globale, augmentant l’enthousiasme et donnant naissance de fait à un livrable de qualité supérieure à celle initialement définie.

Le résultat après 11 ans et plus de 100 projets est une communauté de compétences, de méthodes et d’individus où chacune et chacun contribue, tel un instrument dans un orchestre, au dispositif d’anticipation. La vision d’ensemble et la coordination ne peut être guidée, dans un cas comme dans l’autre, que par le chef d’orchestre ou la personne en charge des activités de prospective.

Le prospectiviste tout comme la personne en charge des activités est donc bien un guide, qui, comme dans une cordée de montagne, fait partie intégrale de l’aventure.

Voie d'échange entre la Méditerranée et l'Europe du Nord depuis l'antiquité, le Rhône compte aujourd'hui, une voie navigable à grand gabarit de 330 km entre Lyon et la Méditerranée sillonnée de bateaux de commerces chargés de contenus ou de passagers en croisière. Source : Visages du Rhône

Le gardien

Extrait du livre : Le rôle du guide de la personne source, s’appuyant sur ses intuitons et sur son dialogue avec autrui, permet au projet de se développer ; son rôle de gardien assure que le projet, en se développant, ne perde pas son âme.
 L’âme du projet est exprimée non seulement à travers la vision de la personne source, mais encore par des valeurs.
 Les valeurs sont l’expression la plus forte de ce qu’est le projet, à tel point que si l’on change de valeurs, on change de projet.

Soyons réalistes, un dispositif de prospective sera toujours perçu principalement comme un centre de coûts, ce qu’il est effectivement. 

Cela signifie qu’il sera par défaut toujours sous attaque. Plus votre positionnement sera clair et plus vous y trouverez des arguments de défense. Nous n’y avions pas nécessairement pensé dans cette optique, mais d’avoir établi pour le dispositif une vision, une mission ainsi que des valeurs permet de s’y rattacher au besoin ainsi que de tracer une ligne entre ce qui est fait, et ce qui n’est pas fait !

 

L’amateur sait ce qu’il faut faire, tandis que le professionnel sait ce qu’il ne faut pas faire.

 

Mais le gardien n’agit pas uniquement pour protéger le dispositif au niveau budgétaire ! Il est également présent pour défendre les formats et les thèmes abordés, affronter les critiques et permettre à l’équipe de progresser à l’abri des remarques et des pensées linéaires et passéistes, rassurantes, certes, mais parfois dépassées dans une nouvelle réalité.

C’est là aussi que le gardien rencontre le guide pour affronter le doute, car la question de savoir si la direction tout comme les livrables du dispositif reflètent encore la réalité et les besoins de mes parties prenantes viendra inéluctablement vous hanter ! Être fidèle à ses valeurs pour affronter l’inconnu et l’incertain, ou être flexible et les adapter à une nouvelle réalité ? Telle est la question, dont la réponse, subjective, sera influencée afin de rendre la situation encore plus intéressante, par les valeurs choisies !

Le plus grand danger, dans les moments de turbulence, n’est pas la turbulence; c’est d’agir avec la logique d’hier.

Conclusions

Comme mentionné dans l’introduction, les principes source s’appliquent à tout projet. Mettre sur pied et piloter des activités d’anticipation étant un projet en soi, il est heureux de constater que ces principes s’appliquent ici aussi !

Ces principes présentés sont complétés notamment par le principe d’équivalence et celui de primauté. Ce qu’ils m’ont apporté est une lecture différente et une cartographie plus structurante de mon environnement de travail tout comme des différents cercles où les activités prospectives essaient d’apporter un impact.

Ces principes s’appliquant également à la vie dans toute sa plénitude, je me permet de conclure ce billet en reprenant les mots de l’auteur pour ce qui pourrait être une lueur d’espoir face à la réalité mouvementée que nous affrontons actuellement :

 

Les principes sources sont des principes d’amour, et selon l’ancien adage philosophique, « l’objet propre de l’amour, c’est le bien ».

 

Que souhaiter de mieux pour la construction de futurs durables et désirables ?

Un petit livre rouge sur la source, Stefan Merckelbach. Source (ah, ah) : Ordinata.ch

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