L’exploration
Face aux défis économiques et sociaux post-Covid, l’association APES (Acteurs Pour une Économie Solidaire) a lancé en 2021 un plaidoyer pour une Production Locale Utile Solidaire et Soutenable (PLUSS), afin de repenser l’économie locale au-delà des idées reçues.
Pour stimuler les initiatives de l’APES et favoriser un débat collectif sur la relocalisation, nous avons conçu Vers un futur PLUSS (VFP) : une boîte aux futurs permettant d’animer des rencontres participatives entre acteurs publics, entreprises locales et citoyens.
À travers trois scénarios de design fiction — autour de la souveraineté industrielle, de la justice socio-environnementale et de la gestion des « communs négatifs » — co-construits avec des acteurs de la région de Dunkerque, VFP trace des lignes de fuite possibles pour une économie plus solidaire et soutenable.
Participative par essence, l’expérience de Vers un Futur PLUSS propose d’explorer, de débattre et d’imaginer des modes de production à la fois alternatifs et concrets qui renforcent la résilience territoriale des Hauts de France.

L’enseignement
Si le Design Fiction a (presque) autant de définitions qu’il a de praticiennes et de praticiens, une constante demeure : il explore des futurs possibles à travers des artefacts spéculatifs issus de ces « demain » pour mieux les raconter.
Chez Design Friction, nous affectionnons tout particulièrement les provotypes (une abréviation de « prototypes provocants »), ces objets, services, espaces f(r)ictionnels qui inspirent autant qu’ils questionnent les futurs d’un territoire, d’un domaine d’activité ou de la société dans son ensemble.
Chaque provotype se veut emblématique du futur qu’il incarne, offrant alors un aperçu du quotidien de demain et des transformations ou ruptures qui pourraient l’accompagner. Sa vocation n’est pas de devenir un produit commercialisable « tel quel » ou une solution clé en main pour une organisation. Au contraire, son rôle est plutôt de cristalliser un futur possible afin de catalyser l’imagination et les discussions des parties prenantes.
Autrement dit, le Design Fiction permet de créer des fragments d’à-venir qui aident à cadrer et à comprendre un problème complexe — en cours ou émergent — plutôt que de lui apporter une réponse hâtive et/ou superficielle.
provotypes (une abréviation de « prototypes provocants »)
Chaque provotype se veut emblématique du futur qu’il incarne
Mais comment concevoir les « bons » provotypes pour « bien » raconter sa vision du demain ?
Par expérience, après une phase intensive de documentation et de recherches, nous débutons généralement par la rédaction d’un scénario qui esquisse « à grands traits » le futur imaginé.
Ce premier récit circonscrit le périmètre dans lequel nous allons évoluer : les nouvelles valeurs, règles et usages qui pourraient être à l’œuvre, l’évolution des acteurs actuels et l’apparition de nouvelles entités, les risques et difficultés auxquels les acteurs sociétaux — privés comme publics — pourraient être confrontés.
C’est également le moment de définir quelques jalons qui expliquent comment notre société en est arrivée à ce futur afin de garantir une projection cohérente, crédible et plausible ; jalons qui pourront ou non apparaître dans le scénario final selon les objectifs de l’exploration et le sujet abordé.
Toutefois, ce synopsis écrit n’est qu’un premier jet : il va s’affiner grâce au travail de prototypage. Ou devrait-on dire de provotypage ! Comme mentionné plus tôt, notre scénario de design fiction doit être raconté par un ou plusieurs artefacts spéculatifs — ou provotypes — afin d’atteindre son plein potentiel et offrir une projection optimale dans ces futurs et leurs enjeux. La fiction posée à l’écrit est donc nécessairement amenée à évoluer lors de la phase de prototypage. Certains volets ou détails du récit peuvent alors disparaître du texte pour mieux être racontés par un objet ou un visuel.
Il s’agit ici d’un compromis créatif qui oscille entre le respect de la complexité du sujet et un exercice d’empathie envers l’audience qui découvrira ces fictions :
- Qu’est-ce qui doit être laissé à l’écrit pour aider à poser le contexte global du futur exploré ?
- Sur quoi doit-on insister grâce au prototypage pour faciliter la projection des publics ?
- Quels codes culturels de notre audience peut-on détourner pour l’aider à entrer dans ce futur ?
- Quels obstacles à l’imagination peut-on lever en montrant plutôt qu’en racontant ?
C’est précisément là que le provotypage prend tout son sens : une partie non négligeable des spéculations émerge lorsque l’on « tire la pelote du futur », en donnant une forme matérielle au récit. Ce travail concret de design amène à s’intéresser aux détails et à la cohérence de la vision du futur proposée, à se poser des questions qui échappaient jusque-là à l’abstraction du texte.
D’une certaine manière, l’objet fictionnel vient alors faire un zoom, voire un focus sur les aspects cruciaux du scénario écrit :
- Il rend tangibles et intelligibles les enjeux et changements importants que le texte peut peiner à communiquer à lui tout seul.
- Il insiste sur ce que ce futur a de foncièrement différent par rapport à notre présent.
- Il donne des indices qui aident l’audience à se projeter en envisageant à quoi ressemblerait sa vie personnelle ou professionnelle dans ce nouveau monde.
l’objet fictionnel vient alors faire un zoom, voire un focus sur les aspects cruciaux du scénario écrit

Des visuels et des artefacts qui se doivent d’être accessibles
Vient alors une seconde étape cruciale : travailler le caractère affordant et autoportant des artefacts et provotypes qui vont incarner la vision du futur que nous souhaitons raconter.
Derrière ces termes un brin obscurs se cache un incontournable du Design Fiction : faire en sorte qu’un objet fictionnel (ou un provotype) soit suffisamment explicite pour ne pas nécessiter une explication ou une médiation additionnelle, qui risquerait d’atténuer l’immersion.
C’est ce qu’on appelle l’affordance : la capacité d’un objet ou d’un système à expliquer lui-même son propre usage. D’une certaine manière, rendre affordant un artefact fictionnel — qu’il prenne la forme d’un objet, d’une interface, d’un lieu — revient à le rendre plus « intuitif », bien que ce dernier provienne d’un monde différent du nôtre.
L’affordance et l’autoportance sont un idéal vers lequel la conception d’un scénario de design fiction cherche à tendre. Paradoxalement, le tout se trouve facilité par la multiplication des artefacts : chacun venant compléter et clarifier la compréhension des autres.
L’affordance et l’autoportance sont un idéal vers lequel la conception d’un scénario de design fiction cherche à tendre
Nous cherchons ainsi à concevoir des provotypes porteurs d’une vision claire ou d’une question forte sur un futur possible, tout en nécessitant un minimum de mise en contexte. Une surexplicitation — par un cartel ou livret d’exposition, par les commentaires d’un médiateur — risquerait en effet de briser la « suspension consentie de l’incrédulité » ; ce moment où l’audience accepte, le temps de la fiction, de suspendre son scepticisme vis-à-vis de la situation présentée.
Comme une blague qui devrait être expliquée, un artefact trop didactique risque de casser l’immersion et de freiner involontairement l’exercice de projection et d’imagination.
Nous essayons de faire en sorte que ces artefacts, par leur seule force évocatrice, engagent directement le public, l’incitant par là même à réfléchir aux futurs qu’ils incarnent, sans interprétation externe.
Comme une blague qui devrait être expliquée, un artefact trop didactique risque de casser l’immersion et de freiner involontairement l’exercice de projection et d’imagination
Pour autant, afin de stimuler les échanges et de nous assurer que nos scénarios restent accessibles, nous veillons à éviter de produire des artefacts trop « bavards ». Les articles de presse fictionnels, par exemple, relèvent le plus souvent une solution de facilité : leur prototypage semble simple et évident, mais leur impact immersif est bien moindre comparé à celui d’artefacts réellement emblématiques du futur exploré.
En somme, si une règle devait être retenue, ce serait celle-ci : en cas de doute sur la capacité de projection du public, mieux vaut opter pour une projection redondante.
Mêler un scénario écrit concis (une page A4 maximum) avec des artefacts pensés pour être les plus autoportants et affordants possibles permet de renforcer la compréhension et la discussion.
Q278 | pROVOTYPING: CONVEYING A VISION OF THE FUTURE THROUGH A F(R)ICTIONAL OBJECT
Design Fiction 101: striking the right balance between a written scenario and fictional artefacts.

The exploration
In response to the economic and social challenges of the post-Covid era, the APES association (engaged in a solidarity-based economy in northern France) launched an advocacy campaign in 2021 for a Local, Useful, Solidary, and Sustainable Production (PLUSS) to rethink the local economy beyond preconceived notions.
To stimulate APES’ initiatives and foster a collective debate on relocalisation, we created Towards a PLUSS Future (TPF), a futures box designed to facilitate participatory encounters between public actors, local businesses, and citizens.
Through three design fiction scenarios—focused on industrial sovereignty, socio-environmental justice, and the management of negative commons—co-developed with stakeholders in the Dunkirk region, TPF outlines possible pathways towards a more solidarity-based and sustainable economy.
Participatory by nature, the Towards a PLUSS Future experience invites people to explore, debate, and envision alternative yet tangible production models that strengthen territorial resilience in Hauts-de-France.

The insight
If Design Fiction has (almost) as many definitions as it has practitioners, one constant remains: it explores possible futures through speculative artefacts derived from these ‘tomorrows’ to tell their stories more effectively.
At Design Friction, we have a particular fondness for provotypes (provocative prototypes)—those objects, services, and frictional spaces that both inspire and challenge the futures of a territory, an industry, or society as a whole.
Each provotype aims to be emblematic of the future it embodies, offering a glimpse into tomorrow’s daily life and the transformations or disruptions that may come with it. Its purpose is not to become a marketable product ‘as is’ or a turnkey solution for an organisation. Rather, its role is to crystallise a possible future to catalyse stakeholders’ imagination and discussions.
In other words, Design Fiction creates fragments of what is yet to come that help frame and understand an emerging or ongoing complex issue, rather than offering a hasty or superficial answer.
provotypes (provocative prototypes)
Each provotype aims to be emblematic of the future it embodies
But how do we design the ‘right’ provotypes to effectively convey a vision of the future?
Through experience, after an intensive phase of documentation and research, we generally begin by drafting a scenario that outlines the imagined future in broad strokes.
This initial narrative sets the scope in which we will operate: the new values, rules, and practices that could emerge; the evolution of current actors and the emergence of new entities; and the risks and challenges that societal actors—both public and private—may face.
This is also the stage where we define key milestones explaining how our society has arrived at this future, ensuring a coherent, credible, and plausible projection. These milestones may or may not appear in the final scenario, depending on the objectives of the exploration and the topic addressed.
However, this written synopsis is only a first draft: it is refined through prototyping—or rather, provotyping! As mentioned earlier, our design fiction scenario must be told through one or more speculative artefacts—provotypes—to reach its full potential and allow stakeholders to immerse themselves in these futures and their implications.
The written fiction is therefore naturally subject to change during the prototyping phase. Certain aspects or details of the narrative may disappear from the text to be more effectively conveyed through an object or a visual. This is a creative compromise balancing the complexity of the subject with an exercise in empathy towards the audience discovering these fictions:
- What should remain in writing to establish the overall context of the explored future?
- What should be emphasised through prototyping to facilitate audience projection?
- What cultural codes can we subvert to help the audience step into this future?
- What imaginative barriers can we overcome by showing rather than telling?
This is precisely where provotyping becomes essential: a significant part of speculation emerges when we ‘pull the thread of the future’ by giving material form to the narrative.
This hands-on design process draws attention to details and raises questions that may have previously eluded the abstract written form. In a way, the fictional object zooms in on the crucial aspects of the written scenario:
- It makes key issues and major changes tangible and understandable, which the text alone may struggle to convey.
- It highlights the fundamental differences between this future and our present.
- It provides clues that help the audience project themselves by imagining what their personal or professional life might look like in this new world.
the fictional object zooms in on the crucial aspects of the written scenario

Make sure your visuals and artefacts are easily relatable.
Then comes a crucial second step: refining the affordance and self-sufficiency of the artefacts and provotypes that embody the vision of the future we wish to present.
Behind these somewhat technical terms lies a key principle of Design Fiction: ensuring that a fictional object or provotype is sufficiently explicit to require no additional explanation or mediation that might weaken immersion.
This is what we call affordance: the ability of an object or system to communicate its own use. In a sense, making a speculative artefact affording—whether it takes the form of an object, an interface, or a space—means making it more ‘intuitive’, even though it comes from a world different from our own.
Affordance and self-sufficiency are ideals towards which the design of a design fiction scenario aspires. Paradoxically, this process is facilitated by the multiplication of artefacts, each complementing and clarifying the others. We seek to create provotypes that convey a clear vision or pose a strong question about a possible future, while requiring minimal contextualisation.
Affordance and self-sufficiency are ideals towards which the design of a design fiction scenario aspires.
Over-explaining—through exhibition panels, explanatory booklets, or a mediator’s comments—risks breaking the suspension of disbelief, that crucial moment when the audience, for the duration of the fiction, suspends scepticism towards the presented scenario.
Much like a joke that needs to be explained, an artefact that is too didactic may hinder immersion and unintentionally stifle the process of projection and imagination.
We strive to ensure that artefacts, through their evocative power alone, engage the public directly, prompting them to reflect on the futures they embody without external interpretation. At the same time, to encourage discussion and ensure accessibility, we avoid producing overly ‘verbose’ artefacts.
Fictional news articles, for example, often seem like an obvious and easy prototype choice, yet their immersive impact is far lower than that of artefacts that are truly emblematic of the explored future.
Much like a joke that needs to be explained, an artefact that is too didactic may hinder immersion and unintentionally stifle the process of projection and imagination.
In short, if one rule were to be retained, it would be this:
in case of doubt about the audience’s ability to project, opt for redundant projection : combining a concise written scenario (no more than one A4 page) with artefacts designed to be as self-sufficient and affording as possible enhances understanding and discussion.
Et vous, qu’en pensez-vous ?
N’hésitez pas à :
1. partager votre avis ?
2. nous laisser un petit mot ?
3. rédiger un billet ?
