Q236 | Comment les organisations mesurent les résultats d’une démarche d’anticipation ?

17 décembre 2024
10 mins de lecture
Comment les organisations mesurent les résultats d’une démarche d’anticipation ?

AnticipAction est un projet visant à comprendre comment différentes organisations pratiquent et utilisent effectivement la prospective. Nous vous proposons 9 billets issus de cette étude.

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Après avoir cherché à comprendre pourquoi et comment les organisations se projetaient dans les futurs, il nous semblait important d’aborder une question souvent laissée en suspens : comment peut-on mesurer les résultats d’une démarche d’anticipation ? De quelle manière atteste-t-on de l’efficacité d’une activité d’anticipation ? Assez logiquement nous pourrions nous repencher sur les effets attendus, et vérifier que ceux-ci aient bien été constatés. Mais est-ce si simple que celà ?

 

Peut-on vraiment mesurer les résultats ?

Le premier élément qui ressort de notre étude est que la préoccupation au sujet des résultats n’est pas majeure. Bon nombre de nos interlocuteurs en sont encore à batailler plus en amont, c’est-à-dire à faire savoir que l’anticipation existe et non pas qu’elle fonctionne, pour paraphraser une source qui a souhaité rester anonyme.

Néanmoins la quasi totalité des personnes interrogées s’est posée la question de la mesure des résultats, même si elles attestent du caractère parfois embryonnaire de leur réflexion sur le sujet.

La difficulté de l’exercice est souvent mise en avant car il n’est pas simple d’objectiver l’efficacité d’une démarche d’anticipation au vu de la nature très particulière de l’activité.

C'est une difficulté intrinsèque au métier. On peut difficilement mesurer et qualifier son impact. Alors on demande à nos commanditaires si nous les avons aidés dans leur mission : est-ce qu'ils ont été meilleurs avec nous à leur côté ou pas ?
Soulignons que le décalage évoqué en introduction de cette étude prend ici tout son sens : comment évaluer aujourd’hui des travaux ou des dispositifs qui se penchent sur des sujets de long terme, menés par des personnes très souvent à contre-courant du mode de pensée habituel de l’organisation ?
On a tendance à évaluer ces dispositifs de prospective sur ce qu'ils nous apportent maintenant, alors qu'on devrait les évaluer à 10 ans.

Des critères d’évaluation variés, à relier aux niveaux d’ambition

Malgré la difficulté de l’exercice, notre étude révèle que la plupart des organisations se préoccupent des résultats de leur activité d’anticipation, mais avec des critères d’évaluation différents. 

Nous avons choisi de les regrouper en cinq catégories, de les relier aux trois niveaux d’ambition de l’anticipation présentés plus tôt dans cette étude et de mettre en valeur leurs différences.

Les critères d'évaluation d'une démarche d'anticipation
Les critères d'évaluation d'une démarche d'anticipation

La satisfaction des cibles – Ambition Niveau 1

Ce critère fait partie du socle de base car il est cité spontanément par plus de la moitié des personnes que nous avons interviewées.

La “satisfaction des cibles” signifie le plus souvent aller recueillir les avis et les retours sur des productions, de manière formelle, via un questionnaire par exemple, ou de manière informelle, lors d’échanges suite à une présentation ou le partage d’un document.

On évalue ici la qualité perçue de la production, sans forcément juger de son impact.

C’est la raison pour laquelle nous avons rattaché ce critère à une ambition de Niveau 1 (conforter l’organisation actuelle).

La résonance des travaux – Ambition Niveau 2

Il s’agit ici d’évaluer si les travaux ont trouvé un écho favorable, notamment d’un point de vue quantitatif.

Ont-ils été largement diffusés et partagés, parfois au-delà du public cible ? Ont-ils fait réagir ?

C’est pour cette raison que ce critère est souvent accompagné par un outillage permettant d’amener des éléments statistiques dans la réflexion, comme un nombre de téléchargements pour un document par exemple, ou un nombre de personnes assistant à une conférence, etc.

Au-delà du caractère quantitatif, certaines organisations essaient également de dessiner une cartographie des acteurs et des points de vue, en traçant les réactions et interactions provoquées par la publication ou la présentation de leurs travaux.

Cela a-t-il permis de développer le réseau et les connexions de l’organisation ? Les personnes touchées se sont-elles emparées des travaux pour les partager plus largement ?

C’est un bon projet quand on trouve un angle qui n'avait pas été identifié jusqu’à présent, quand on met la focale sur un point qui bloque, dont il faut parler et qui fait parler.
Participant
Secteur public

La capacité à décentrer l’organisation – Ambition Niveau 2

Pour ce critère, l’évaluation se fait également d’un point de vue quantitatif, mais en se recentrant cette fois-ci sur le contenu, et non sur les destinataires.

On va ici chercher à évaluer la capacité du dispositif d’anticipation à se décentrer, “sortir de son couloir de nage” et donc à aller explorer des sujets ou des scénarios qui vont questionner voire mettre en difficulté l’organisation.

Accepte-t-elle d’explorer ses angles morts ? Est-elle vraiment capable d’envisager tous les futurs possibles, même ceux qui contredisent ses propres intérêts

Peu importe d'avoir raison ou tort, il faut se préparer à toutes les éventualités et donc faire vivre toutes les options. On n'est pas des futurologues.
Participant
Secteur privé
Nous avons relié les deux critères précédents à une ambition de Niveau 2 (challenger l’organisation actuelle) car ils cherchent avant tout à évaluer l’efficacité de l’anticipation comme outil de médiation, avec pour objectif premier d’engager les publics dans des conversations ou débats à propos des futurs.

La capacité à transformer – Ambition Niveau 3

Pour reprendre une des formules de l’étude, ce critère cherche à évaluer la capacité à “passer du signal à l’action”.

Les travaux d’anticipation vont-ils donner lieu à des projets d’expérimentation ?

La première manière de mesurer les résultats est de voir si les travaux présentés vont obtenir un accord pour donner lieu à une déclinaison opérationnelle, comme le montre notre citation ci-dessous. Et pour aller encore un cran plus loin, certaines organisations interrogées vont jusqu’à évaluer les projets d’expérimentation eux-mêmes.

Ont-ils permis d’en tirer des enseignements valorisables ? Ont-ils apporté de la valeur pour les parties prenantes ? Ont-ils été déployés plus largement ?

L’évaluation se fait sur la décision : est-ce qu'on arrive à emmener la direction ? Est-ce qu'on arrive à avoir un Go pour continuer à travailler sur le sujet ?
Participant
Secteur public

Les évolutions sur les prises de décision et la gouvernance – Ambition Niveau 3

Comme le montre notre article sur les effets attendus d’une démarche d’anticipation, les effets organisationnels sont souvent négligés.

Pour autant l’évolution de l’organisation est un critère qui a été cité lors de nos interviews.

L’ambition de Niveau 3 visant à “définir l’organisation de demain”, il est plutôt logique que l’on retrouve parmi les critères d’évaluation un marqueur sur l’évolution de l’organisation.

Comme le montre la citation ci-dessous, c’est avant tout au niveau des modes de gouvernance et prises de décisions, que l’on va pouvoir évaluer l’efficacité de l’activité d’anticipation.

La question de l'évaluation des dispositifs (de prospective) est incontestablement un serpent de mer. Les partisans du moindre effort se satisferont d’avoir livré un rapport volumineux (“si c’est lourd, c’est probablement que ça a de la valeur”). En réalité, une démarche de prospective réellement et durablement efficace transforme pour de bon les mécanismes de prise de décision. Elle parvient à rééquilibrer le rapport de force entre le court et le long terme.

Cette identification des cinq critères d’évaluation est associée aux niveaux d’ambition de l’organisation.

Néanmoins, si l’on observe ces critères sous un autre angle, nous constatons qu’ils sont ici lié à un focus particulier.

En effet, ils objectivent d’abord des éléments tangibles (productions issues de l’anticipation) pour aller vers des éléments moins tangibles, plus difficiles à évaluer comme la performance de la cellule d’anticipation et les impacts organisationnels de celle-ci.

Face à ce caractère mou voire impalpable des objets d’analyse évoqués, nous sommes plus interrogatifs que conclusifs : jusqu’où faut-il consacrer de l’effort à évaluer, à objectiver une démarche d’anticipation au regard de la difficulté à qualifier ces éléments ?

Probablement que la réponse se trouve dans le questionnement et la démarche d’évaluation plus que dans les mesures et résultats…

 

Jusqu’où faut-il consacrer de l’effort à évaluer, à objectiver une démarche d’anticipation au regard de la difficulté à qualifier ces éléments?

Critères d’évaluation Niveau d’ambition Focus du critère
La satisfaction des cibles 1 – Conforter l’organisation actuelle Les productions issues de l’anticipation
La résonance des travaux 1 – Conforter l’organisation actuelle Les productions issues de l’anticipation
La capacité à décentrer l’organisation 2 – Challenger l’organisation actuelle La performance de la cellule d’anticipation
La capacité à transformer 2 – Challenger l’organisation actuelle La performance de la cellule d’anticipation
Les évolutions sur les prises de décision et la gouvernance 3 – Redéfinir l’organisation de demain Les impacts organisationnels

Le simple fait d’envisager les futurs est déjà utile à l’organisation

Au-delà des réponses à nos interviews, nous nous sommes également penchés sur la littérature de recherche autour du sujet, et il s’avère que son étendue correspond assez bien au niveau de réflexion de nos participants : c’est un sujet identifié, mais qui ne fait pas encore l’objet de nombreux travaux.

Néanmoins, les études que nous avons consultées permettent de relativiser l’importance que l’on pourrait donner à la mesure des résultats d’une activité d’anticipation. En effet, il est de toute façon déjà bénéfique de faire l’exercice de se projeter et de chercher à anticiper, que ce soit pour une organisation ou un individu.

D’après l’article « Decision Making and Planning Under Low Levels of Predictability: Enhancing the Scenario Method. » de Wright, G., & Goodwin, P. (2009), la création et l’utilisation régulière de scénarios favoriseraient une meilleure réactivité stratégique, en aidant les décideurs à s’entraîner mentalement à réagir dans différents contextes futurs, ce qui permettrait ainsi d’améliorer leur réactivité en cas de crise.

Par ailleurs sur le plan individuel, certaines recherches en neurosciences autour de ce qui est appelé Episodic Future Thinking (capacité de l’être humain à simuler mentalement l’avenir) suggèrent que le fait de nous entraîner à nous projeter de manière détaillée dans l’avenir pourrait améliorer notre capacité à réagir face à l’inattendu.

Ceci milite pour que l’activité d’anticipation ne reste pas cantonnée aux seules cellules ou dispositifs d’anticipation mais se diffuse et infuse dans l’ensemble de l’organisation.

Je pense qu'on pourra considérer que j'ai réussi mon travail le jour où mon poste disparaîtra.
l’amélioration continue d’une activité d’anticipation

Au-delà d’interroger notre panel sur la mesure des résultats, nous l’avons également questionné sur la manière dont les dispositifs d’anticipation gèrent l’amélioration continue.

Il semblerait qu’au vu du caractère réflexif et systémique de l’activité d’anticipation et des profils qu’elle attire, les acteurs en question ont de manière instinctive ou naturelle le réflexe de prendre du recul sur leur manière de travailler et d’interroger l’efficacité des méthodes et pratiques utilisées.

La grande majorité des personnes interviewées déclarent organiser de manière récurrente des moment de réflexion pour questionner leur mode de fonctionnement. La récurrence et les formats varient en fonction des organisations : certaines vont parler de “rétrospective”, mensuelle ou trimestrielle, pour d’autres il s’agira de “séminaire” annuel ou bi-annuel.

Dans tous les cas, les personnes interviewées nous ont cité très spontanément des adaptations dans leur mode de fonctionnement qui ont découlé de ces temps dédiés à l’amélioration continue. Et on retrouve dans la plupart des organisations une volonté de renouveler de manière constante les approches, les pratiques et de se confronter à d’autres méthodes et points de vue.

 En synthèse

La problématique

Peut-on vraiment mesurer les résultats d’une activité d’anticipation, et si oui, comment le faire ?

Les pistes de réponse

La difficulté de mesurer les résultats est partagée par un grande nombre d’acteurs, et la problématique n’est pas vue comme prioritaire.

Nous identifions néanmoins cinq critères d’évaluation, que nous avons reliés au trois niveaux d’ambition définis plus tôt dans l’étude.

Les directions d’action

Pour les organisations il est nécessaire de mettre les critères d’évaluation en regard du niveau d’ambition posée.

Il est également important d’avoir en tête que l’exercice d’anticipation porte en soi des bénéfices pour les organisations ou individus qui le pratiquent

A ce titre la pratique doit se diffuser le plus largement possible pour préparer l’organisation aux temps incertains qui s’annoncent.

favico avec le sigle de l'atelier des futurs

Et vous, qu’en pensez-vous ?

N’hésitez pas à laisser votre avis ci-dessous ou, pourquoi pas, à rédiger un billet sur votre façon de faire !

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