La manipulation des nuages déclenche une guerre climatique mondiale. Entre catastrophes humaines et effondrement économique, ce conflit révèle le danger que constitue la volonté de contrôler la nature.
J’adore les séries. Il y a plusieurs fins et donc autant de débuts. Dans ces recommencements, tout est possible. C’est donc tout naturellement que je me suis intéressée à ce qu’on appelle « la guerre des nuages ». Pendant plus de dix ans, nous avons assisté aux rebondissements politiques, économiques et sociétaux de ce qui semblait au départ n’être qu’une simple querelle poétique.
Mon père a été recruté à la dernière minute comme porte-parapluie pour la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris en 2024. Il m’en a parlé si souvent que j’ai fini par lui demander pourquoi il avait tant plu ce jour-là dans la capitale française. Il m’a répondu en riant : « Qu’est-ce que tu crois ? J’ai piraté les nuages pour vendre mon premier stock de parapluies. »
Je trouvais l’explication aussi amusante qu’improbable jusqu’à ce que je tombe sur un article parlant de l’ensemencement des nuages.
La science des nuages
Les nuages sont composés de vapeur d’eau provenant de l’évaporation des océans, lacs et rivières. Lorsqu’elle s’élève dans l’atmosphère, cette vapeur se refroidit et se condense pour former de minuscules gouttelettes. Quand ces dernières deviennent trop lourdes, elles retombent sous forme de précipitations. On peut provoquer la pluie en introduisant dans le nuage de l’iodure d’argent, du sel ou de la glace carbonique, qui servent de noyaux de condensation.
Je suis alors retourné voir mon père pour qu’il m’en dise un peu plus sur son exploit : « Lors des Jeux olympiques de 2008, les Chinois ont tiré des milliers de roquettes chargées d’iodure d’argent pour éviter le déluge lors de la cérémonie d’ouverture. J’ai amélioré leur technique en envoyant des drones dans les nuages. Et il a plu toute la soirée », affirme-t-il avec le sourire de celui qui croit pouvoir faire la pluie et le beau temps.
Est-ce vraiment mon père qui a provoqué le déluge de la soirée d’ouverture des Jeux olympiques ? J’ai des doutes, même s’il a effectué un voyage en Chine et que, à cette époque, les Chinois commençaient à pratiquer l’encensement de nuages. Leur ambition était d’utiliser la géo-ingénierie pour restaurer les écosystèmes naturels et redynamiser des régions agricoles.
Leurs progrès furent rapides. Dans une vidéo datant de 2028, un ingénieur chinois présente un modèle dernier cri de générateurs d’iodure d’argent en disant : « Nous sommes devenus des chefs d’orchestre de la pluie et du beau temps. Nous pouvons créer toutes les symphonies que nous voulons. »
L’effet domino
Cette musique ne sonne pas juste pour tout le monde. La même année, Rajesh Kumar, un agriculteur de l’Uttar Pradesh, est filmé devant son champ de riz desséché : « Les Chinois nous volent les moussons », dit-il.
La situation est si critique que le gouvernement indien convoque une réunion de crise où le ministre de l’Agriculture annonce une baisse de 30 % des précipitations.
Pendant que l’Inde souffre de la sécheresse, le Vietnam subit des inondations en récupérant les nuages insuffisamment chargés en iodure d’argent. Pour se protéger, le pays développe sa propre technologie d’ensemencement et déplace le problème vers le Cambodge et le Laos. Une véritable partie d’échecs climatique s’engage, où les plus démunis sont systématiquement les perdants. À force de bricoler le nuage, le climat de l’Asie et d’autres continents se détraque. L’ensemencement se conjugue au réchauffement climatique pour enchaîner sécheresses et déluges.
Alors que les agriculteurs lancent des signaux d’alerte, les techniciens sophistiquent la technologie. Des drones transportent des valises de nuages qui peuvent créer des précipitations localisées. « Nous pouvons arroser un pâté de maisons », affirme Yaril Chen, le directeur de CloudTech, l’entreprise leader en ensemencement de nuages.
Les milliardaires s’installent dans les déserts et utilisent la technologie de CloudTech pour créer des oasis. Mon père est aux anges. Il n’imaginait pas qu’il vendrait des parapluies à des habitants des déserts. Il fabrique alors des parapluies avec des nuages intégrés qu’il nomme des cumulobrelles. Vu l’augmentation des températures, ils connaissent un grand succès.
Une catastrophe humanitaire
Sauf quelques gagnants, comme mon père, les ensemencements ont des conséquences dramatiques.
Dans les camps de réfugiés irakiens, on s’entretue pour un jerrican d’eau. À Damas, un diplomate tire un signal d’alarme en affirmant : « Le Croissant fertile devient le croissant de la mort. » C’est la panique au Bangladesh. Les champs, autrefois verdoyants, ressemblent à un patchwork de terre craquelée. Sur les marchés de Dacca, le kilo de riz coûte le salaire d’une semaine. Les émeutes de la faim se multiplient dans les banlieues des mégapoles africaines et asiatiques. Un rapport de la FAO de janvier 2030 estime que 100 millions de personnes sont menacées de famine.
Pendant ce temps, à l’ONU, les négociations s’enlisent. Certains pays veulent sanctionner les pays qui pratiquent l’ensemencement. Ils invoquent la loi de 1976 (1) interdisant l’utilisation des techniques de modification de l’environnement à des fins hostiles.
(1) Des lois dans les nuages
L’ensemencement est utilisé lors de la guerre du Vietnam pour embourber l’ennemi.
En décembre 1976, la convention ENMOD (document du CICR) interdit d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins hostiles. La technique semble susceptible de menacer la paix. Cette convention exclut les techniques de modification de l’environnement dans un but pacifique.
En 1994, la Convention des Nations Unies encourage les activités de recherche pour augmenter les ressources en eau dans les zones désertiques et en particulier l’ensemencement des nuages.
La Chine se défend : « Vous nous accusez de vol de nuages alors que nous ne faisons que gérer nos nuages », s’emporte le représentant chinois. « Expliquez-nous pourquoi vos agriculteurs prospèrent pendant que les nôtres meurent de soif ! », réplique son homologue indien.
L’ambassadeur français sort d’une énième réunion de crise en disant : « On n’arrivera jamais à établir des règles sur quelque chose d’aussi insaisissable que l’atmosphère ? »
Les échanges étant dans l’impasse depuis presque une année, une coalition de 40 pays menée par le Brésil et l’Inde crée NUAGE (Nations Unies contre l’Altération et la Géo-ingénierie Excessive). Elle demande des sanctions contre les pays qui pratiquent l’ensemencement. Comme la demande ne semble pas être entendue, des chasseurs aux couleurs de NUAGE attaquent les usines chinoises de fabrication d’iodure de sodium.
L’effondrement économique
Le secteur des assurances se retire le premier. John Smith, PDG d’Universal Insurance, affirme : « Le secteur de l’assurance ne peut plus garantir les risques liés aux modifications climatiques intentionnelles ».
Le marché financier s’effondre. Maria Rodriguez, analyste chez Goldman Sachs, observe ses écrans en disant : « C’est pire que 2008. Pendant la crise des subprimes, la pluie continuait à tomber. »
Les cours des matières premières agricoles s’envolent.
À Jakarta, le plus grand producteur de riz d’Asie du Sud-Est fait faillite. « Nous ne pouvons plus prévoir nos rendements. On ne peut pas gérer une exploitation agricole quand vos voisins volent vos nuages », explique le directeur.
Dans de nombreux pays, la population se réfugie dans des camps de fortune où le choléra se propage. Le HCR estime que 50 millions de personnes sont en mouvement. Pour l’organisme, l’ensemencement a déclenché le plus grand déplacement de population de l’histoire. Dans toutes les mers, les gardes-côte essayent de venir en aide à des bateaux surchargés.
La coupe est pleine. Le mouvement « nuages libres » émerge et mobilise des millions de manifestants dans toutes les grandes villes : « Ils ont privatisé la terre et l’eau. Maintenant, ils volent nos nuages ! La colère est à son comble », explique un leader du mouvement. À Shanghai, des manifestants prennent d’assaut les installations d’ensemencement. À Londres, des militants s’enchaînent aux grilles du Parlement et entament une grève de la soif. « Pas d’eau volée dans nos corps », scandent-ils. À Tel-Aviv, les employés de CloudTech démissionnent en masse après la fuite de documents indiquant que les dirigeants de l’entreprise savaient que l’ensemencement allait perturber le climat mondial.
À Bruxelles, l’OTAN traverse sa pire crise. La Turquie menace de quitter l’alliance si ses activités d’ensemencement sont condamnées. Un diplomate français confie sous couvert d’anonymat : « Les alliances traditionnelles n’ont plus de sens quand la bataille se joue dans le ciel. » À Washington, le Pentagone classe l’ensemencement des nuages comme une menace stratégique de premier ordre.
Le retour à la raison
Puis, après la pluie, le beau temps revient.
En juin 2036, dans une salle surchauffée de Jakarta, après quatre-vingt-seize heures de négociations, 193 pays signent le traité sur la modification climatique. Aisha Rahman, la première directrice de l’AMC (Autorité Mondiale du Climat), affirme : « Nous avons joué aux apprentis sorciers. Il est temps de réparer nos erreurs ». Le traité prévoit le démantèlement des installations d’ensemencement et la création d’un système de compensation pour les nations les plus touchées. Dans les couloirs, un vieux diplomate chinois murmure : « Nous pensions contrôler le ciel, mais le ciel est notre maître. Les millions de morts nous ont rappelés à l’ordre. »
Mon père dépose le bilan, car il n’a plus le droit de fabriquer ses cumulobrelles. Il se recycle dans la culture potagère arrosée avec de la pluie naturelle. Quand elle tarde à venir, mon père fabrique un nuage d’intérieur et le regarde en disant : « Nous pensions être des dieux. En réalité, nous n’étions que des enfants qui jouent avec des allumettes. »
Quels moyens faut-il prendre pour la prévenir ?
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