#10 Antoine Foucher | Faire revenir le politique

8 juin 2022
50 mins de lecture

Antoine Foucher a étudié la philosophie et les sciences politiques. En tant que directeur de cabinet de la ministre du travail, il a contribué à l’élaboration du projet de loi qui a permis d’augmenter sensiblement le nombre de places en apprentissage pour les jeunes.

Aujourd’hui entrepreneur et chef d’entreprise, il anticipe dans “Le monde de l’après-Covid”, un ouvrage publié cette année, la sortie de l’ère néolibérale. Dans l’échange à suivre, il est question du retour du politique, du rôle sociétal des entreprises et de la transmission, une clé possible pour renouer avec le temps long.

Entretien enregistré le 17 mai 2022

Entretien enregistré le 17 mai 2022

Transcript de l’entretien

(Réalisé automatiquement par Ausha, adapté et amélioré avec amour par un humain)

Thomas Gauthier

Bonjour Antoine.

Antoine Foucher

Bonjour.

Thomas Gauthier

Alors ça y est, vous y voilà, vous faites face à l’oracle. Vous pouvez lui poser trois questions sur l’avenir.

Par quelles questions souhaitez-vous commencer ?

Antoine Foucher

Je pense que la première question que je lui poserai, c’est où et quand y aura-t-il des guerres liées au changement climatique ? C’est pas une question très joyeuse, mais en même temps c’est une question fondamentale, je trouve, afin qu’il me, comme beaucoup d’autres gens, me… me taraude.

Voilà, il y a des bonnes raisons de se la poser. On va devoir passer à la sobriété, comme on dit de façon assez directe.

Et passer à la sobriété, ça veut dire renoncer à un progrès matériel continu, génération après génération. Pour nous, en Occident, ça ne va déjà pas être simple, parce qu’on n’est pas habitué à ça.

Mais pour le reste du monde et surtout la partie du monde qui vit dans la pauvreté, aller leur expliquer qu’en fait, pas de bol trop tard, on a déjà utilisé trop d’hydrocarbures. Et donc, pour eux, ça sera plus long, plus difficile, plus compliqué.

Alors qu’ils sont déjà pauvres ou en tout cas plus pauvres que le reste de l’humanité. Ça risque de ne pas être simple. Et donc, il peut y avoir des guerres, soit des guerres civiles ou des guerres entre les pays.

Malheureusement, quand on regarde les choses, ce n’est pas excessif et dingo de dire que c’est probable. Et donc, moi, j’aimerais bien savoir si ça va se produire, où et quand, parce que, du coup, ce serait une bonne manière d’essayer d’éviter que ça se passe.

Et voilà, ce qui est intéressant quand on connaît l’avenir, c’est qu’on devient plus libre de le changer.

Thomas Gauthier

Alors, j’ai envie de réagir directement à cette première question. Vous évoquez donc la question autour de guerre liée au dérèglement climatique.

Il y a déjà évidemment tout un tas de conflits et de mouvements divers et variés liés aux effets du réchauffement climatique. On parle de migrants climatiques et d’autres situations déjà catastrophiques.

Là, j’ai l’impression que ce sur quoi vous mettez le doigt, c’est… une rupture du contrat social actuel, où il est question de progrès matériel, vous l’avez dit, de génération en génération. Comment est-ce que vous pouvez imaginer des pouvoirs politiques reconstruire un contrat social avec leur population, qui serait fait de sobriété et qui serait fait d’interruption dans ce progrès matériel ?

J’ai bien compris que cette reconfiguration du contrat social, selon vous… donnerait naissance à des conflits, en tout cas pourrait donner naissance à des conflits, c’est la question que vous vous posez. Est-ce que vous avez en tête déjà des moyens d’agir au niveau politique pour produire les circonstances d’une sobriété de façon aussi apaisée que possible ?

Comment on s’y prendrait si on voulait être sérieux au sujet de la sobriété que vous évoquez ?

Antoine Foucher

C’est une question redoutable. Il y a une réponse, disons, réaliste et une réponse peut-être un peu trop optimiste.

La réponse réaliste, c’est que malheureusement, je pense qu’il n’y aura pas de prise de conscience sans catastrophe, pardon de le dire de toute façon aussi crue et aussi, certains diront, pessimiste que ça. Mais là, le passage à la sobriété, me semble-t-il, il ne se fait pas parce que ce n’est pas concret le changement climatique pour nous maintenant. et les effets, on ne le voit pas, on ne le sent pas.

Il fait un peu plus chaud parfois, mais on se rend compte que via les informations, qu’effectivement il y a des migrants climatiques, mais ça ne nous touche pas, ce n’est pas le concret de notre vie, c’est encore trop abstrait pour qu’on soit affecté au point de se dire là il faut qu’on change parce que sinon on va dans le mur. Je pense que malheureusement, tant qu’on n’aura pas ça, des événements ou un grand événement, ou une suite d’événements, ça sera très compliqué de l’emporter ou d’emporter la conviction de chacun d’entre nous.

Parce qu’on pointe les politiques, mais le sujet c’est nous, les politiques qui sont à notre image, je veux dire collectivement. Et donc on aura du mal avec un discours de raison à le faire.

Après, une fois qu’on a dit ça, ça fait un peu attendons le déluge et puis on agira après. Ce n’est évidemment pas ça qu’il faut faire.

Qu’est-ce qu’on peut faire d’ici là ? À mon sens, c’est dire la vérité, encore la vérité, toute la vérité et tout le temps la vérité là-dessus. C’est-à-dire ne pas mettre la tête dans le sable par rapport aux sujets qui sont devant nous. et par exemple le sujet de la contradiction entre…

La transition énergétique est le pouvoir d’achat. On va avoir besoin d’investir beaucoup plus sur les énergies décarbonées pour limiter l’émission de gaz à effet de serre.

Le moyen le plus efficace, en tout cas à technologie donnée, c’est de limiter notre consommation. Donc tout ça, ne pas avoir peur de le dire.

Je pense que c’est l’une des choses que peuvent faire les responsables politiques. Et puis après, c’est organiser de façon la plus juste. ou la façon la moins injuste possible.

Et là, j’ai plutôt bon espoir là-dessus parce que quand même, il y a un lien en général, même s’il y a des exceptions, etc., mais il y a un lien quand même entre l’impact carbone et le niveau de vie. Donc, ce qui veut dire que c’est à ceux qui ont le plus gros niveau de vie qu’on va demander le plus d’efforts.

Et donc, ça se croise avec le sentiment de justice. Et donc, pour nous, en Occident, ça, je pense que c’est quand même un atout.

Parce que c’est plus facile de demander des efforts à ceux qui ont le plus que l’inverse. Et c’est l’inverse de ce que je disais tout à l’heure dans le monde, c’est-à-dire quand même la majorité de l’humanité qui n’a pas le niveau de vie de l’Occident, il va falloir qu’elle s’y mette aussi.

Et pour elle, ça va être beaucoup moins entendable que pour les élites des pays occidentaux qui peuvent réduire leur niveau de vie tout en continuant à être des ultra privilégiés de l’histoire de l’humanité.

Thomas Gauthier

Alors sur la planète, on a plusieurs régimes politiques qui sont à l’œuvre. Ça va de l’autoritarisme le plus assumé jusqu’aux démocraties les plus complètes. Qu’est-ce que l’on peut dire de la pertinence de ces différents modèles de gouvernement vis-à-vis de la planification d’une transition vers une économie et une société plus sobre ? qu’on peut aujourd’hui discerner des points plus positifs ou des points plus négatifs des régimes démocratiques que l’on connaît tout particulièrement en Europe occidentale.

Est-ce qu’on est, d’un point de vue de la gouvernance, bien outillé pour penser la transition dont finalement on parle chaque jour dans les médias et ailleurs ?

Antoine Foucher

On est en train de le faire, je pense, le fait que là, ça a beaucoup évolué en cinq ans par exemple. Là, aujourd’hui, il y avait dans le programme de la majorité, enfin de beaucoup de candidats, dont celui qui a été élu, l’idée d’une planification de la transition énergétique, d’une planification écologique.

Et de la part d’un candidat qui était, qu’on peut qualifier libéral, sans que ce soit une insulte, c’est quand même nouveau. Donc ça veut dire que les choses évoluent quand même. Ça évolue sous la pression de l’opinion, sous la pression de la réalité, sous la pression de l’économie. la pression du GIEX ou la pression un peu ou pas de chacun d’entre nous.

Mais après, je pense que la question de l’efficacité de la transition énergétique, heureusement ou malheureusement, je ne sais pas, je dirais plutôt malheureusement, ça n’a rien à voir avec le régime démocratique. C’est-à-dire qu’on peut avoir quelque chose d’hyper efficace sous une dictature ou quelque chose d’hyper efficace sous une démocratie.

Mais c’est deux choses différentes. La manière dont on veut vivre ensemble sous un régime… démocratique, préservant les libertés de l’État de droit, ou sous un régime de dictature où on va en prison quand on n’est pas d’accord. Ça, c’est deux choses différentes.

On peut avoir un régime dictatorial qui se contrefout de la transition énergétique et une démocratie hyper efficace qui la conduit parce qu’elle emmène la majorité de sa population, etc. Je distinguerais vraiment les deux, en ayant le sentiment que c’est complètement découplé.

Et pour la démocratie, la tendance, c’est trop long, c’est beaucoup trop long, mais quand même ça change. C’est en train de changer, et ça peut changer assez vite.

C’est en train de changer, me semble-t-il. Ce n’est pas pêché par optimisme que de se dire qu’on va… qu’on va quand même peut-être y arriver, même si je maintiens que le fait d’avoir une ou deux catastrophes, je ne la souhaite pas évidemment, mais malheureusement, on peut se dire que ça accélérera la prise de conscience.

Thomas Gauthier

Je me permets d’ouvrir une petite parenthèse au sujet de votre dernier essai, le monde de l’après-Covid. Il me semble que vous y dites, ou en tout cas, vous l’assurez après la publication du livre, que l’entreprise dorénavant ne va plus être réduite à un centre de profit.

C’est une époque qui se referme. Mais alors, si ce n’est plus le cas, et peut-être que ça ne l’est déjà plus, quel va être le nouveau rôle ou quels pourraient être les nouveaux rôles de l’entreprise dans ce nouveau paradigme sociétal dont vous nous parlez et qui semble nécessaire finalement pour apaiser à nouveau les relations entre l’humanité et ses différentes communautés d’un côté et puis de l’autre, les réalités biophysiques auxquelles on a juste peur. de ne pas le choix d’échapper, on doit faire avec. Ça va être quoi l’entreprise de demain selon vous, alors si on se livre à quelques conjectures ?

Antoine Foucher

Je pense que ça va être une entreprise, elles ne seront pas toutes comme ça, mais on a de plus en plus et il y aura de plus en plus d’entreprises qui vont se mêler de l’intérêt général et du bien commun parce que tout simplement c’est ce que chacun d’entre nous va lui demander en tant que consommateur, en tant que client, en tant que salarié, en tant que sous-traitant. Et cette analyse-là, elle vient du raisonnement suivant, c’est qu’on ne croit plus que la politique peut changer le monde, pour le dire de façon très simple, en gros depuis la chute du communisme à la fin du XXe siècle dernier.

C’est quand même très récent. Ce que fait la Révolution française, en 30 secondes, ce que fait la Révolution française, c’est…

Elle rapatrie l’espoir de la religion, d’une vie aboutie, d’une vie finie, d’une vie heureuse, dans le temps séculier, c’est-à-dire dans le temps où on vit. La belle vie, la vie souhaitable, la vie désirable, elle peut être sur Terre grâce à la politique, elle n’est pas après la mort.

Il y a une sécularisation de la promesse religieuse par la politique, ça dure deux siècles et ça ne marche pas. pas de bol pour nous qui vivons à ce… Bon, bol, ça dépend, vu les horreurs du XXe siècle, mais il n’y a même plus cet espoir-là que la politique peut changer la vie au sens religieux du terme, c’est-à-dire apporter une fin de l’histoire dans laquelle l’humanité serait réconciliée avec elle-même.

Et à partir de là, on est porté, chacun d’entre nous, encore une fois, à se demander comment est-ce que, malgré tout, même s’il n’y a plus de vie après la mort, même s’il n’y a plus de fin de l’histoire où ça serait le bonheur absolu pour l’ensemble de l’humanité comment est-ce qu’on peut faire pour améliorer quand même les choses et c’est là qu’on se tourne vers l’entreprise me semble-t-il parce que, par défaut presque c’est pas la religion, c’est pas la politique qu’est-ce qu’il nous reste ? Il nous reste l’action au quotidien je ne suis pas en train de faire un plaidoyer pour ne pas s’engager politiquement ça reste important C’est plus suffisamment important pour que ceux qui veulent changer le monde s’engagent uniquement en politique.

Tous ceux qui veulent essayer de contribuer au bien commun, ils peuvent le faire soit par la politique, soit par un engagement associatif, soit par un engagement entrepreneurial, soit par un engagement dans l’entreprise. Et je pense que le fait que la politique ait cessé d’absorber la volonté de changer le monde, le désir de changer le monde, qui se renouvelle à chaque génération, d’améliorer le monde, qui se renouvelle à chaque génération.

La politique a cessé d’absorber ça, sauf que la nature horreur du vide, et donc on le réinvestit sur ce qui reste, et ce qui reste, c’est notre engagement au quotidien, dont l’engagement dans les entreprises. Et donc, pourquoi est-ce que les entreprises vont changer, me semble-t-il, parce que si elles ne changent pas, elles n’attireront pas plein de talents, talents qui, et à tout âge d’ailleurs, c’est une question plus d’époque qu’une question générationnelle, même si les jeunes générations ont l’air d’être plus exigeantes. que les anciennes là-dessus.

Je dis « on l’air » , ça dépend, ça va se confirmer ou pas dans le temps. Cette exigence-là, si elle n’est pas satisfaite ou prise en charge au moins partiellement par les boîtes, les boîtes verront certains talents. un peu idéalistes, mais c’est souvent aussi ceux qui ont le plus de volonté de changement, de force de travail, ils iront ailleurs.

Et donc, ne serait-ce que par intérêt, par intérêt même financier, les boîtes iront chercher ces talents-là et donc se transformeront sous l’effet de ces talents-là. C’est une analyse très froide, pas du tout idéaliste, que je fais et qui me laisse penser que les boîtes vont être obligées. par nécessité de survie pour attirer les talents, de se préoccuper du bien commun et de ne plus considérer qu’elles ne sont là que pour faire du profit, à supposer qu’elles se soient considérées comme ça auparavant, ce qui est à discuter.

Thomas Gauthier

Donc si je suis votre raisonnement, une perspective possible, c’est que les entreprises dépassent la fonction qui leur est choix aujourd’hui. aille au-delà de cette vision réductrice entreprise égale centre de profit, elle ne tient plus la route, alors même que la politique montre quelques signes de fatigue et ne semble pas seule capable de hisser l’humanité à la hauteur des enjeux auxquels elle fait face. Alors si on attend de l’entreprise un tel dépassement de fonction, pour utiliser une image footballistique notamment, est-ce qu’il faut… imaginer la faire elle-même évoluer ?

C’est-à-dire, est-ce que l’objet entreprise, évidemment, on a en tête la loi Pacte, l’idée de société à mission qui fait son chemin dans les milieux économiques, est-ce qu’il y a d’autres dynamiques de reconstruction de l’entreprise qu’il va falloir imaginer pour que l’entreprise dispose finalement des leviers et des prérogatives qu’il lui faudra pour… jouait pleinement son rôle vis-à-vis du bien commun tel que vous le décrivez ?

Antoine Foucher

Je pense qu’on peut créer des incitations au niveau des pouvoirs publics. La loi Pacte, elle en a fait une.

Elle a créé d’abord la raison d’être, qui peut être désormais inscrite dans l’objet social de l’entreprise. Elle a créé le statut d’entreprise à mission.

Donc le fait qu’il y ait ce statut-là, ça donne un outil aux entreprises qui souhaitent le faire. On peut peut-être aller plus loin. en créant des incitations fiscales au niveau des pouvoirs publics pour inciter les entreprises soit à se donner une raison d’être, soit à passer sous le statut d’entreprise à mission.

Mais au-delà, je ne pense pas, je pense que ce qui va faire que l’entreprise va se transformer, indépendamment de son statut, indépendamment de son raison d’être, me semble-t-il, c’est la… C’est la pression de l’opinion publique, c’est la nécessité de recruter des talents, c’est la pression éventuellement des marchés financiers, si eux-mêmes sont sous le contrôle des banques centrales pour pouvoir verdir leurs investissements.

C’est tout un système, une évolution du paradigme, qui va ou pas accélérer ce changement qui me semble inéluctable. Et dans ce cadre-là, le statut de l’entreprise, c’est… un des outils, mais un des outils parmi d’autres.

Et on peut avoir des boîtes qui ont des raisons d’être, mais qui sont qu’une communication, et d’autres qui n’en ont pas, mais qui ont une vraie contribution au bien commun.

Thomas Gauthier

Alors avec cette première question à l’oracle, vous avez balayé très large. Voilà votre deuxième opportunité de vous présenter face à elle.

Vous pouvez lui poser une deuxième question. Qu’est-ce que vous avez envie de lui demander ?

Antoine Foucher

La deuxième chose que je lui demanderais, je pense, c’est tout simplement… est-ce que nous, Européens, à la fin du XXIe siècle ou au milieu du XXIe siècle, on sera toujours libres et indépendants ? Je me pose cette question parce que quand on regarde un peu sur le long terme la trajectoire de l’Europe, c’est quand même une trajectoire qui va de l’invention, de l’énergie à une forme de dépendance, voire de soumission.

Aujourd’hui, c’est l’Europe au début de la modernité. 16e, 17e siècle qui inventent la modernité, c’est l’Europe qui invente les droits de l’homme, qui invente la science, la technique, et ces deux inventions politiques d’une part et scientifiques, techniques d’autre part, elles se sont diffusées dans l’ensemble de l’humanité. Et je pense que c’est l’un des signes de l’énergie, de l’inventivité ou du génie même européen.

Mais ça fait presque un siècle maintenant, disons post-seconde guerre mondiale. que notre statut d’Européens dans le monde a été complètement relégué. En fait, on est post-45, on est en tout cas Européens, d’abord divisé en deux, l’Europe est complètement coupée en deux.

Et puis on est d’un côté… soumis, même si ça ne nous empêche pas de vivre librement et démocratiquement, mais dépendant au moins des États-Unis et de l’autre côté soumis à la dictature communiste. Depuis, l’Europe a repris le régime démocratique s’est installé sur l’ensemble du continent, n’empêche que, on voit par exemple avec l’Ukraine, que sans les Américains, on est incapable de se défendre si on est agressé.

Et donc la question que je me pose pose assez existentiellement, c’est peut-être aussi parce que je suis marié à une femme allemande, que nos enfants sont franco-allemands. Est-ce que mes enfants, en tant qu’Européens, vivront sur un continent qui sera toujours libre et indépendant ?

Ou est-ce qu’ils vivront dans la dépendance militaire, technologique ? agricoles, alimentaires, d’autres puissances du monde. Et je ne suis pas complètement sûr que nous, Européens, c’est pour ça que je lui poserai la question à l’appétit, mais j’ai l’impression que nous, Européens, on ne s’est pas réconciliés encore avec la notion de puissance.

C’est-à-dire que pour nous, la puissance, c’est la domination, le mal. Et on a complètement perdu de vue que la puissance, c’est aussi la liberté.

Et que si on n’est pas puissant, on n’est pas libre. Parce que le monde extérieur n’est pas un monde fait de gens ou de puissances ou de nations bienveillantes.

Mais si on n’assure pas sa liberté, par la puissance, on risque d’être dominé et soumis à plus fort que soi, et donc de perdre sa liberté. Et ça, c’est une question, avec la transition énergétique, je pense que c’est la deuxième question qui me taraude le plus.

Thomas Gauthier

Cette deuxième question est indirectement liée à la première que vous avez posée à l’oracle, au sujet des potentiels conflits liés au dérèglement climatique, donc des conflits liés finalement à une évolution très rapide et brutale des conditions biophysiques dans lesquelles on vit. Ça m’invite à ouvrir une toute petite parenthèse. Il me semble que les grandes puissances internationales se sont pas trop mal sorties de la… guerre froide en cela que pendant des décennies, grâce à une forme de dialogue bilatéral ou multilatéral, on a su contenir la menace nucléaire.

Vous allez me dire, il est possible qu’à plusieurs reprises, on soit passé à deux doigts de quelque chose d’extrêmement grave, voire même une extinction de l’humanité, pourquoi pas. Vous parlez de puissance.

La puissance, d’après vous, est-ce qu’on peut s’attendre à ce qu’elle se définisse autrement et à ce qu’elle s’exprime autrement à mesure que… les contraintes biophysiques dont il est déjà largement question dans cet entretien, vont s’aggraver. Est-ce qu’on peut s’attendre à ce que les doctrines, finalement, qui permettent de définir la puissance telle qu’on la connaît depuis plusieurs siècles, et peut-être plus particulièrement depuis le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, est-ce que ces doctrines devraient avoir à être revisitées sur fond de nouvelles donnes biophysiques ?

Parce qu’en fait, pendant des décennies, on a pu faire abstraction assez largement de la transformation de l’univers vivant dans lequel on s’inscrit. On a pu simplement déployer des systèmes socio-économiques de plus en plus sophistiqués, certes en reconnaissant qu’il y avait certainement des dégâts causés sur l’environnement par cette activité économique, mais ces dégâts étaient quand même assez largement maîtrisables.

Quand les sociétés humaines se retrouve sous contrainte biophysique, est-ce que la notion de puissance, elle est toujours la même que ce qu’elle a été depuis, en gros, le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ou est-ce qu’elle va devoir être redéfinie ? Quelles conséquences ?

En fait, la question est très, très ouverte, et je ne m’attendais pas à vous la poser.

Antoine Foucher

Je pense qu’il va y avoir de la… Enfin, c’est très difficile comme question, mais de ce qu’on peut apercevoir, il me semble qu’il y a des choses qui peuvent laisser penser que ça va s’empirer. et d’autres que… une autre, notamment le fait que le réchauffement climatique c’est un problème mondial, que personne ne peut y échapper, qui va pousser à une coopération internationale sans laquelle de toute façon on ne s’en sortira pas collectivement.

Mais dans un premier temps, je pense que les problèmes de réchauffement climatique vont renforcer la vieille notion de puissance qui est l’autonomie stratégique, et le fait de ne pas se laisser imposer des intérêts contraires aux siens par d’autres puissances. On le voit avec la mondialisation, on va vers plutôt une régionalisation des chaînes de valeur. des grandes puissances qui étaient absentes encore il y a quelques décennies émergent, et sont plus qu’émergentes maintenant, dominent notamment la Chine, mais aussi l’Inde, dans une moindre mesure le Brésil.

Et il n’y a aucune raison, les hommes étant les hommes et les hommes ne changeant pas, il n’y a aucune raison qu’ils changent, il n’y a aucune raison que cette organisation de l’humanité en différentes puissances qui cherchent à… à accroître leur puissance plutôt qu’à la diminuer, sous la volonté de la population, c’est-à-dire chacun d’entre nous. Il n’y a aucune raison de penser que ça, ça va changer.

Au contraire, les problèmes liés à la transition énergétique vont sans doute plutôt accélérer la course qui à l’eau, qui aux matières rares, qui aux maîtrises des frontières pour éviter la… les… les grandes migrations climatiques, etc. Je pense que là, pour le coup, il faut s’attendre plutôt à ce qu’il y ait une forme de continuité et de renforcement même de la notion de puissance.

Après, ce n’est pas incompatible avec le fait que si on ne se coordonne pas, on n’y arrivera pas, qu’il n’y a aucune puissance sur la planète qui est capable de résoudre le changement climatique à elle toute seule. Alors que si on prend l’exemple de la guerre froide…

C’était quand même deux superpuissances qui arrivaient plus ou moins, vous venez de le dire, à maintenir une forme d’état de paix larvée dans l’ensemble du monde. Là, ça ne se réglera pas juste entre les États-Unis et la Chine.

Il faudra que tout le monde s’y mette. Et donc, ça, pour le coup, ça peut laisser penser que les logiques de puissance, elles seront contenues ou limitées par la nécessité de la coopération, parce qu’aucune puissance ne sera assez puissante. pour régler le problème qui la concerne elle et l’ensemble de l’humanité toute seule.

Donc voilà, il me semble-t-il, on arrive à avoir deux tendances contradictoires. D’un côté, bouleversement des cartes géopolitiques qui vont pousser chacun à essayer de survivre, donc à rester le plus puissant possible, et en même temps, obligation de coopérer parce que personne n’a la clé à lui tout seul, et c’est sans doute… à ma connaissance, l’une des premières fois dans l’histoire de l’humanité, où sans coopération mondiale, c’est la cata pour tout le monde.

Thomas Gauthier

Il vous reste une troisième et dernière chance de poser une question à l’oracle. Troisième tour pour vous, troisième et dernière question, on vous écoute.

Antoine Foucher

La troisième question, c’est aussi quelque chose qui me travaille, mais disons de façon moins… moins intense, c’est plus une forme de curiosité que d’angoisse, c’est est-ce qu’un jour la science, la technique mettra en place un utérus artificiel ? Et pourquoi je me pose cette question-là ?

Parce que j’ai 42 ans et de mon expérience, plus je vieillis, plus je me rends compte de l’importance des premières années d’enfance sur l’ensemble de la vie. et je pense que si un jour on était capable de faire un utérus artificiel et donc en fait en un sens de fabriquer des enfants comme on fabrique des voitures ou des avions ça serait une rupture anthropologique je ne suis pas en train de dire qu’il ne faudrait pas pour le meilleur et pour le pire je ne sais pas du tout ce qu’il en résulterait je pense que personne ne le sait Merci. mais ça serait une rupture anthropologique fondamentale dans l’histoire de l’humanité. Et c’est un questionnement que j’ai autour de ça.

Peut-être que ça conduirait aussi à se rendre compte de l’importance des liens d’amour entre le bébé, entre le fœtus même, au départ, et son environnement extérieur. voilà mais c’est C’est cette question-là. Jusqu’où la technique, en fait, si je le dis de façon un peu abstraite, c’est un exemple concret, mais jusqu’où la technique va changer la donne fondamentale des choses qui caractérisent l’humanité depuis qu’elle existe.

Thomas Gauthier

Avec cette question, vous en ouvrez tout un tas d’autres. J’ai l’impression que, comme vous l’avez dit, ça c’est la partie visible de l’iceberg, mais quelque part, j’interpréterais votre question comme va-t-il y avoir, à plus ou moins brève échéance, une forme de dépassement de ce qui fait notre humanité aujourd’hui ? Ça me fait penser, par exemple, au modéus d’Harari qui nous parle de… de l’homme devenant l’égal de Dieu, de la nature humaine pouvant être tout à fait reconfigurée, ça amène, je pense, aussi naturellement à se reposer la question du principe de précaution, jusqu’où est-ce que l’on doit pousser la recherche et la prouesse scientifique et technique. Ça invite quelque part un lien, j’ai l’impression, avec vos propos au sujet de la puissance, puisque quelque part, on peut diagnostiquer la situation actuelle de l’humanité comme un trop-plein de puissance qui a été démultiplié par la découverte des combustibles fossiles, qui a ouvert une parenthèse absolument sans précédent dans l’histoire de notre espèce.

Vous dites un peu plus tôt aussi que l’homme ne change jamais. J’ai envie de me mettre de votre côté aussi, puisque finalement on est le produit de dizaines de milliers d’années d’évolution et là on nous demande, sur des horizons de temps qui sont, d’après les derniers rapports du GIEC, de l’ordre de quelques années. de finalement faire notre révolution anthropologique.

Comment on parle de l’avenir à nos enfants ? Vous avez dit que vous avez 42 ans, moi aussi.

J’ai des enfants, peut-être que vous aussi. Comment on parle du futur avec nos enfants ?

Antoine Foucher

Vous n’avez que des questions extrêmement difficiles. J’ai un fils et j’aurai une fille dans quelques mois. comment est-ce qu’on leur parle d’avenir ? je pense en leur disant d’abord c’est une question très intime et chacun fait comme il pense le mieux et il y a un psychanalyste américain Winnicott qui disait de toute façon que vous le vouliez ou non vous ferez de graves erreurs avec vos enfants donc il faut se décomplexer par rapport à ça et on fait tous comme on peut avec nos enfants mais pour parler de moi, puisque vous me posez la question, moi j’essaie simplement de lui expliquer les choses le plus simplement possible en lui disant la vérité, c’est-à-dire en lui disant ce que je me dis à moi-même quand je suis tout chaud ou quand je discute avec des gens avec lesquels j’ai entièrement confiance, sans lui cacher les choses, mais sans non plus, puisqu’on parle du changement climatique, sans non plus avoir des propos catastrophistes, parce que Le défi est immense.

Il ne s’est sans doute jamais posé à l’humanité de cette manière-là, sauf sur saut technologique incroyable. La raison implique de ne pas exclure totalement cette hypothèse, même si elle est très peu probable.

Mais on en a surmonté des défis dans l’histoire de l’humanité, dans l’histoire des nations. C’est le combat de notre génération, ça sera le combat de la génération de nos enfants.

Il n’y a pas de raison qu’on n’y arrive pas, ça va être incroyablement difficile, mais il n’y a pas de raison physique, pour le coup, sur laquelle on ne pourrait rien faire, comme on ne peut rien faire sur la loi de la gravité, il n’y a pas de raison physique qui laisse penser qu’on ne sera pas à la hauteur et qu’on n’y arrivera pas d’une manière ou d’une autre.

Thomas Gauthier

Je trouve que c’est important que vous parliez ici de physique. La physique nous impose un certain diagnostic qu’il faut être sacrément culotté pour nier.

Mais la physique nous rappelle aussi que l’être humain est capable d’imagination, est capable de construction sociale inédite. Il l’a prouvé par le passé, il doit pouvoir continuer de le prouver avec, à nouveau, une lecture physique tout à fait honnête de l’état. de la planète et de l’environnement avec lequel on doit composer.

On s’est parlé beaucoup d’avenir. J’aimerais vous proposer maintenant qu’on regarde dans le rétroviseur.

Est-ce que vous pourriez, s’il vous plaît, ramener de l’histoire deux ou trois événements à nos auditrices et auditeurs qui, d’après vous, peuvent nous aider à comprendre l’époque actuelle et peuvent également nous aider à nous orienter vers le futur où nous allons ?

Antoine Foucher

Alors, j’ai pensé à trois événements, en fait. Le premier, c’est le 31 octobre 1517 à Wittenberg, dans le Saint-Empire romain germanique, aujourd’hui en Allemagne.

Et c’est ce jour-là, en fait, où Luther placarde ses 95 thèses. Et pourquoi j’ai pensé à ça ?

Parce que, enfin, pour deux raisons, trois raisons essentiellement. La première, c’est que nous, en France, on a oublié, on a l’impression que le début de la modernité, des droits de l’homme, de la démocratie, de l’état de droit, etc., c’est la Révolution française.

Et c’est normal, les Anglais pensent que c’est eux à la fin du XVIIe, les Américains, que c’est eux avec… avec la déclaration d’indépendance et leur constitution, etc. Et nous, Français, on pense que c’est 89 qui est le début de la modernité.

En fait, quand on regarde les choses un peu plus en historien, ça commence sûrement plus avant, et notamment en 1517, parce que Luther fait exploser le schéma intellectuel, moral, religieux de l’époque, en considérant que le salut de chacun d’entre nous, à l’époque c’était c’est quand même quelque chose de fondamental, ne dépend pas de l’Église, mais dépend uniquement de Dieu. Et en faisant ça, en fait, il crée une égalité entre l’ensemble des personnes, et c’est en ce sens-là que l’invention protestante ou la religion protestante est l’origine des droits de l’homme, c’est que, à partir du moment où on casse l’intermédiation entre les hommes et Dieu, il n’y a plus de différence de nature entre les hommes, il n’y a plus que tous les hommes à égalité, et face à eux, Dieu.

Et ça, de ce début de la modernité-là, qui commence en Europe maintenant il y a 500 ans, ce qui est très important de se rappeler, je pense, c’est que le régime avec la représentation du monde qu’on a aujourd’hui, et notamment le fait que nous sommes tous des hommes et des femmes qui naissent libres et égaux en droit, pour reprendre l’article 1 de la Déclaration des droits de l’homme, ça ne va pas de soi du tout, pas du tout naturel ça n’a rien de physique pour reprendre ce qu’on s’était dit avant, c’est une construction intellectuelle, une construction métaphysique, une construction philosophique, avec des conséquences politiques, mais c’est une représentation du monde qui est historiquement datée et qui peut donc historiquement disparaître. Et c’est hyper important, je pense, d’avoir ça en tête, parce qu’en même temps, c’est un exercice d’humilité par rapport au reste de l’histoire de l’humanité, et en même temps, c’est la conscience du… le trésor avec lequel on vit et de l’héritage qu’on a.

La deuxième raison, je pense, qui nous fait penser à ça, c’est que toutes ces querelles religieuses qu’on a oubliées, en disant « mais qu’est-ce que c’est que ces histoires, on s’en fout complètement » , en fait, elles nous surdéterminent beaucoup plus qu’on le pense et elles nous surdéterminent dans notre manière de vivre aujourd’hui, d’autant plus qu’on ne sait pas qu’elles ont existé. Je prends un exemple très concret, qui est l’éducation.

En France, la manière dont on sélectionne les meilleurs élèves, c’est le concours. On a un concours pour entrer dans les écoles, pour devenir professeur, etc.

Dans les pays protestants, c’est la thèse. Et il y a une origine religieuse à tout ça.

C’est que sélectionner un concours, sélectionner par concours, c’est sélectionner en fonction d’une capacité à se conformer à une norme. La norme qui est la norme du concours.

Et c’est très catholique. de faire ça. Et c’est très contre-réforme, c’est très entreprise des jésuites pour combattre la réforme protestante qui est née en Allemagne au XVIe siècle.

Et notre école républicaine, j’ai découvert ça il n’y a pas longtemps, au moment où j’ai fait des enquêtes pour savoir dans quelle école inscrit mon fils, notre école républicaine, elle est profondément imprégnée de l’héritage des jésuites, non pas évidemment sur le contenu, on n’enseigne pas l’existence de Dieu à l’école républicaine, mais sur la forme. c’est-à-dire le fait qu’il y a un moule et qu’il faut se conformer à ce moule et que les concours sont cette manière-là de sélectionner, cette capacité à se conformer. Et dans ma vie d’étudiant, j’avais pas compris ça à l’époque, que ça venait des jésuites, mais quand j’ai compris que ce qui faisait qu’on réussissait un concours, c’est de se conformer au moule, je me suis mis à réussir tous les concours.

Alors qu’avant, je pensais que ce qu’il fallait dans un concours, c’est répondre à la question. Non, il ne faut pas répondre à la question à concours.

Il faut dire ce qu’on attend que vous vous disiez pour avoir une bonne note. Et ça, ça vient profondément de notre héritage religieux.

Peut-être la troisième, je ne veux pas être trop loin, la troisième raison qui m’a fait penser à Luther, c’est qu’en fait, il y a une… et ça vient, c’est lié à ce que je viens de dire, il y a une liberté dans le postulat que Luther met sur la table, une liberté de… de pensée, c’est l’autorité dans la foi plutôt que la foi dans l’autorité. qui est quelque chose qu’on doit avoir chacun, je pense, en tête aujourd’hui. C’est le fait qu’on est chacun libre de nos actes, de nos choix, de notre manière de vivre, et qu’il n’y a rien qui détermine ou qui justifie, que ce soit socialement, économiquement, etc. il y a toujours une part de liberté dans l’ensemble des conditions dans lesquelles on vit, et c’est ça qu’il y a, enfin on n’est pas obligé de le lire comme ça, mais c’est cette leçon de liberté qu’il me semble hyper importante d’avoir en tête et qui a déjà 500 ans.

Il n’y a personne d’autre sur Terre qui fera notre salut à notre place. Si on ne croit pas en Dieu, ce qui est mon cas, de ne pas croire en Dieu. personne d’autre que soi, pas Dieu, mais ce qui est important, c’est que ce ne sont pas les autres non plus.

Il y a une responsabilité infinie de chacun avec soi et personne ne peut se substituer à soi pour prendre ses décisions dans la vie.

Thomas Gauthier

Ce premier repère historique, il m’amène sur une tangente à laquelle je n’avais pas pensé puisque vous parlez un peu d’histoire des religions et de dates clés pour nos sociétés. Il me semble comprendre que l’émergence des formes démocratiques, on peut les lire historiquement comme des processus qui ont permis aux hommes de quelque part se libérer de l’emprise de l’Église, qui prescrivait ce que serait le temps long pour les êtres humains, dit concrètement, si on faisait des choses agréables à l’Église. durant notre vivant, on pouvait espérer une vie éternelle de qualité.

Et puis, je crois que c’est quelque part dans le contrat social qu’il est écrit que c’est finalement absurde de se donner des chaînes pour l’avenir, de sa propre volonté, et la démocratie vient nous libérer finalement de cette emprise du temps long. Maintenant, on peut dire des démocraties, en tout cas certains le disent, je crois que Pierre-Rosan Vallon le dit, qu’elles sont myopes.

Je reviens à ce que vous nous avez dit plus tôt sur le rôle que les entreprises pourraient jouer, finalement, non pas au secours, mais en complément des formes démocratiques d’organisation de la vie de la cité, qui aujourd’hui, ou du moins, je vais tenter de formuler ma question autrement, comment est-ce que l’on réengage une relation de qualité avec le temps long ? C’est-à-dire qu’on ne souhaite certainement plus que cette relation au temps long soit prescrite par quelque église que ce soit.

En tout cas, beaucoup d’individus sur Terre refusent ce type de prescription. Les formes démocratiques privilégient le présent.

Les électeurs sont des personnes qui sont vivantes au moment d’une élection. On ne fait pas voter les générations à naître.

Donc on ne fait pas voter celles et ceux qui vont vivre dans un temps futur. Comment peut-on… renouer avec le temps long ?

Pardon, là aussi, cette question n’était pas prévue au programme.

Antoine Foucher

Je réponds tout de suite à votre question, mais d’abord, une remarque. Je pense que, paradoxalement, c’est la fin de la religion qui nous a précipité dans le présent.

Et encore une fois, je ne suis pas quelqu’un de… Je ne crois pas en Dieu, et je ne vais pas à l’Église, donc je ne suis pas en train de faire un plaidoyer pour le…

Pour la religion, pas du tout, mais si historiquement on regarde les choses, c’était plus facile de penser au temps long, quand on se disait que de toute façon, après la mort, il y aurait une vie éternelle, puisqu’il y avait quelque chose d’autre de mieux après la vie, et donc, ce que Marx a appelé l’opium du peuple, on pouvait plus facilement supporter cette vie sur Terre en attendant la vie céleste. À partir du moment où il n’y a plus de vie céleste, ou comme vous l’avez dit, une immense majorité d’entre nous pense qu’il n’y en a plus, du coup, on est tous portés plus à profiter du présent, puisqu’il n’y a que ça qui existe, il n’y a que le présent, ou que cette vie terrestre-là, en tout cas. Et pour le coup, je pense que la fin de la Légion ne nous aide pas à nous réinscrire dans un temps long.

Après, cette remarque étant posée, comment est-ce qu’on retrouve ce sens-là ? Je pense que vous avez esquissé la réponse en pensant à la transmission, c’est-à-dire en se disant que peut-être, est-ce qu’on va y arriver ou pas, ça c’est toute la question des décennies qui viennent, mais si on va sur la question fondamentale.

Il n’y a plus de vie après la mort. Il n’y a plus d’autre vie possible grâce à la politique.

Ce sera toujours une démocratie libérale dans laquelle il y aura des conflits, des inégalités, des injustices, etc. Malgré tout ça, est-ce qu’il n’y a pas quand même quelque chose pour lequel ça vaut le coup de se battre et de s’engager et de donner du sens à sa vie ?

Et ça, c’est la transmission du monde politique, économique, social qu’on va laisser à nos enfants. Mais c’est lourd quand même, parce que ça veut dire que ce qui redonne, on tourne un peu en rond en un sens, c’est-à-dire ce qui redonne du sens à la vie, ce n’est pas pour soi une vie après la mort éternelle et heureuse, ce n’est pas pour soi aussi un combat qui va faire que l’humanité ici et maintenant aura un régime où elle sera réconciliée avec elle-même, c’est quelque chose qui sera encore imparfait, plein d’injustices, mais que quand même malgré tout, on a envie de laisser à nos enfants.

J’ai l’impression que c’est ça, me semble-t-il, si on parle de philosophie politique, pour moi c’est ça la principale inconnue, c’est est-ce qu’une fois qu’on a plus l’opium religieux, plus l’opium politique, plus l’opium matériel, avec la transition énergétique, est-ce que quand même on a envie de continuer à donner du sens à nos vies, de trouver du sens à nos vies, et notamment dans la transmission de cette vie-là ? génération après génération. Mais il y a une spécificité de notre position quand même, de nous, de ces générations qui vivons là aujourd’hui, qui est que, pour reprendre le mot de Marx, on n’a plus d’opium, ni religieux, ni politique, ni matériel.

Et donc du coup, est-ce qu’on va quand même réussir à vivre malgré ça, en reconstruisant sur toutes les formes d’amour possibles, l’amour lui-même, l’affection, la transmission, l’amitié, la solidarité, toutes les variants de l’amour ? Ou est-ce que ça va être tellement insupportable de se dire que de toute façon, on va mourir et il n’y a pas d’alternative et dans 50 ans, tout le monde aura oublié qu’on a réexisté et donc à quoi bon ?

Et donc, on tombe dans la folie. Mais il y a une spécificité, me semble-t-il, de notre condition à nous au début de ce XXIe siècle, en tout cas en Occident, qui est une forme de lucidité collective, en tout cas sur ces sujets-là, qu’on n’a pas eue. pour plein de raisons dans les générations antérieures.

Thomas Gauthier

Peut-être que finalement, les déterminants de notre situation actuelle vont nous pousser à produire de nouvelles formes de spiritualité qu’on n’avait encore jamais imaginées et qui vont nous permettre de retisser des liens avec ce temps long, liens qui ne seraient pas de nature religieuse, qui ne seraient pas de nature politique, qui ne seraient pas de nature matérielle et qui du coup vont… vont nous permettre à nouveau d’activer nos imaginaires pour les fabriquer, ces fameux liens. Deuxième repère historique, peut-être, que vous seriez prêt à partager avec nos auditrices et auditeurs après Luther ?

Antoine Foucher

Oui, le deuxième repère, c’est un siècle après, c’est le 20 octobre 1623 à Rome. Et là, pourquoi ?

Parce que c’est ce jour-là que paraît à Rome l’essai ou le livre de Galilée, qui s’appelle l’Essayeur, ou Il Saggiatore en italien. Et c’est ce fameux livre dans lequel il dit que l’univers est écrit en langue mathématique.

Et pourquoi est-ce que j’ai choisi ça ? Parce que je pense que c’est doublement fondamental et on est encore dans ce monde-là, ce monde galiléen qui a été ouvert au début du XVIIe siècle en Italie.

La première raison, on est encore dedans parce que c’est à partir de cette découverte-là que la technique est possible, c’est-à-dire qu’on peut, pour reprendre le mot de Descartes, se rendre comme maître et possesseur de la nature. Il écrira ça d’ailleurs quelques décennies plus tard.

Mais c’est grâce au math que c’est possible. Il y a une forme de miracle qui est que effectivement, nous sommes capables de raisonnement mathématique, de spéculation mathématique, et l’univers répond à ces spéculations-là.

Ce qui est vrai dans notre tête est vrai dans l’univers. C’est ça qui fait qu’on peut envoyer des personnes sur la Lune, qu’on peut construire des… des tours de 350 étages, etc.

On peut faire du progrès matériel, du progrès de la médecine, du progrès de la technique, la génétique. Tout vient de cette découverte que l’univers est écrit en langue mathématique.

Et donc, c’est en un sens l’origine de nos progrès matériels. Il y a bien sûr les hydrocarbures qui donnent l’énergie, mais les hydrocarbures, on en a toujours eu, on ne savait pas comment les utiliser.

Et c’est grâce aux maths, à la compréhension de l’univers physique. par les maths qu’on arrive à construire le monde dans lequel on vit et ça, ça date de… C’est un symbole, mais ça peut être symbolisé par cet essai, cette phrase-là du 20 octobre 1623.

Et la deuxième raison, et là pour le coup c’est plutôt un… C’est plutôt tragique, mais qui me conduit à choisir ça, c’est que cette date-là, c’est à partir de là aussi qu’en Occident, en tout cas, on va se mettre à distinguer entre l’objectif et le subjectif.

Et qu’on va dire ce qui est vrai, c’est ce qui est objectif. Et ce qui est subjectif, c’est l’émotionnel, c’est l’arbitraire, c’est le particulier, mais ce n’est pas vrai, en fait.

Ce n’est pas de l’ordre de la vérité. Et on va séparer deux régimes de vérité.

La vraie vérité qui est la vérité objective, la vérité qui se… prouve par les sciences, qui est mathématisable, qui est… Voilà.

Et puis l’émotion, ou le sujet, le ressenti, et ça, on va considérer que c’est pas de l’ordre de la vérité. Et ça, pour le coup, je pense que c’est un drame, parce que…

Parce que c’est pas comme ça qu’on vit, tout simplement. On vit pas de vérité mathématique.

Aucun d’entre nous ne vit comme ça, même ceux qui en ont pas conscience. Et puis il y a quelque chose de faux, aussi, dans cette séparation entre l’objectif et le subjectif, et ce régime de vérité. la totalité du réel n’est pas mathématisable.

Ou pour le dire autrement, le réel de la science n’est pas le tout du réel. La vérité de la science n’est pas la totalité de la vérité.

Il y a de la vérité non scientifique, non pas parce qu’elle échapperait à la science, mais c’est parce que la science, à ce stade en tout cas, n’arrive pas à en rendre compte. Mais ce n’est pas parce que la science n’arrive pas à en rendre compte que ça n’existe pas. et ça je pense que c’est absolument fondamental parce que du coup on a tendance à négliger ou à considérer que ce qui est ressenti est secondaire par exemple dans l’ordre politique on fait ça c’est pas rationnel c’est la manière dont les gens ressentent les choses mais oui mais à partir du moment où ils ressentent comme ça c’est réel et donc il faut en tenir compte et on peut avoir ça aussi par rapport à soi on peut avoir tendance dans sa vie à à négliger ce qu’on ressent en se disant « Non, mais ça, ça n’a pas d’intérêt » ou « C’est pas important pour se protéger, pour se sentir plus fort. » Mais en fait, quand on se coupe de ce qu’on ressent, on n’est jamais plus fort.

Et ça, Galilée, de ce point de vue-là, nous a joué un mauvais tour avec cette phrase-là qui installe la vérité du côté de l’objectif. Mais non.

Il y a un régime de vérité aussi du côté du subjectif, y compris émotionnel. Et même si la science n’arrive pas à en rendre compte, ça ne veut pas dire que ça n’existe pas.

Et c’est avec ça qu’on doit vivre, même si la science n’en tient pas compte ou le néglige.

Thomas Gauthier

Pour aller dans votre sens, ce à quoi ça me fait penser, c’est qu’on privilégie depuis des siècles dans nos sociétés… Le raisonnement, la raison, vous avez parlé de Descartes, donc on privilégie une pensée qu’on appelle justement cartésienne, en nommant que tous ces génies, toutes ces figures qui ont marqué l’histoire savaient parfaitement bien manier la raison, mais ces personnes savaient tout aussi bien nourrir leur raison d’imagination et se servir de leurs intuitions et se servir d’autres régimes. d’accès à des connaissances qui ne sont pas inférieures aux connaissances de la science, mais qui sont complémentaires.

Et ces connaissances issues de l’imagination sont celles qui, justement, me semble-t-il, permettent des ruptures paradigmatiques, permettent de raconter tout à fait autrement l’état du fonctionnement du monde et permettent, dans des situations très délicates comme celle dans laquelle on est, justement, de basculer vers un régime socio-politico-technico-économique. très différent de celui dans lequel on est et inimaginable si on se cantonne à raisonner tel qu’on a appris à le faire depuis les repères historiques que vous avez évoqués. Après, il me semble que, pour ces raisons historiques, l’imagination n’a pas finalement bonne presse partout et continue d’être mise en situation d’infériorité par rapport au pur raisonnement.

Donc, imaginons. Imaginons du coup un troisième événement historique.

Antoine, vers où souhaitez-vous nous emmener désormais ?

Antoine Foucher

Ce troisième événement, il est moins fondamental, évidemment, à l’histoire de l’humanité, mais c’est quelque chose qui me travaille parce que je pense que c’est quelque chose que, là pour le coup, je passe de l’Europe juste à la France, qui pèse encore sur nos épaules et que moi, je n’ai jamais appris à l’école, en tout cas, de façon approfondie. Et c’est le 16 juin 1940, pas le 18, le 16 juin 1940 à Bordeaux.

C’est le jour en fait où la Troisième République choisit. démocratiquement, de faire de Philippe Pétain le président du Conseil. Et on peut dire que rien n’est encore joué à ce stade, ce n’est pas le 10 juillet 1940 où on vote les pleins pouvoirs à Philippe Pétain, mais en fait, les historiens s’accordent à dire maintenant que c’est quand même là que ça s’est fait, que c’est le début de la fin, il est là, il est le 16 juin 1940 à Bordeaux.

Et quand on lit le récit des événements heure par heure, on se dit, et ça fait mal au ventre, mais que ça aurait pu se passer autrement. À 10h, il y a un conseil des ministres, et Pétain propose sa démission parce que le président du conseil, qui est Paul Reynaud, refuse d’accélérer les négociations pour demander les conditions de l’armistice avec l’Allemagne. À midi et demi, De Gaulle, qui est avec Churchill à Londres, appelle. et dit qu’on était en train de préparer quelque chose d’énorme, qui est la fusion de la France et de l’Angleterre. Les deux pays seraient fusionnés. À 16h, De Gaulle rappelle, avec Churchill au téléphone, et dit que ça a été adopté par le cabinet anglais.

Et donc l’Angleterre, gouvernement de sa majesté, présidé par Churchill, est prêt. est prête à fusionner avec la France. Donc, Renaud est tout excité, il convoque un Conseil des ministres pour 17 heures, le Conseil des ministres s’ouvre.

Dans le Conseil des ministres, à l’époque, il y avait 24 ministres. D’après les historiens, à l’époque, il y en a 5 qui sont pour signer l’armistice, 12 qui sont contre et 5 qui sont indécis.

Et les historiens ne savent pas pourquoi, personne n’arrive à expliquer, mais ce qui sort de ce Conseil des ministres, c’est que la proposition de l’Angleterre n’est pas adoptée, elle n’est pas acceptée. Et même à 20h, le Conseil des ministres est suspendu, Reynaud s’en va et il va proposer sa démission au président de la République de l’époque, qui s’appelle Lebrun, pour lui conseiller, puisque c’est vers l’armistice que semble vouloir aller l’ensemble du pays, de proposer la présidence du Conseil à Philippe Pétain.

Mais il y a quelque chose d’absolument… Que personne ne s’explique, en tout cas que moi que je n’arrive pas à m’expliquer, et accepter peut-être.

Je ne sais pas, même s’il faut faire très très attention à l’anachronisme, personne, aucun d’entre nous ne sait ce qu’il aurait fait à cette époque-là. Mais les plus hautes instances de la République étaient contre l’armistice, le président de la République était contre, le président du Sénat était contre, le président de l’Assemblée nationale était contre, et pourtant c’est vers là qu’on est allé.

Et sans faire de la téléologie, on sait ensuite que ça a… a conduit à l’une des pages les plus noires de notre histoire et qui nous pèse encore dessus. Comment se fait-il qu’on se soit effondré comme ça en cinq semaines ?

Je donnerai juste un exemple de pourquoi ça nous pèse encore dessus, parce que tout oppose de Gaulle et Pétain, mais il y a un truc sur lequel ils sont d’accord, c’est que ce n’est pas la France qui a perdu la guerre. Pétain va dire que c’est le régime parlementaire qui a perdu la guerre. il faut sortir du régime parlementaire.

Et De Gaulle va dire que c’est la Troisième République qui a perdu la guerre, et donc il faut reconstruire une autre république. Mais tous les deux sont d’accord pour dire que ce n’est pas la France.

Ils essayent de sauver l’honneur de la France de cette façon-là. Et du coup, on rentre dans un truc où on n’a peut-être jamais collectivement, mais peut-être c’est trop difficile, mais regardez cette période, cette défaite en face et l’exemple concret que je voulais prendre. prendre, de la façon dont ça pèse sur nos épaules aujourd’hui, c’est les institutions dans lesquelles on vit.

C’est-à-dire, on vit dans la Ve République, où la légitimité de cette République-là, créée par De Gaulle, c’est que on sort du régime trop parlementaire, dans lequel le régime des partis, comme on disait, pour qualifier la IVe République, il faut un chef fort qui puisse nous tirer des mauvais pas. de notre histoire nationale et ce qui fait qu’on a tous accepté à l’époque, enfin moi je n’étais pas né évidemment, mais que les Français ont accepté de sortir de la quatrième pour aller vers la cinquième, c’est que la quatrième ressemblait à la troisième. Et donc il fallait passer à la cinquième parce que c’était la troisième qui avait perdu la guerre.

Et c’était imparable comme argument, mais résultat, on est encore en 2022 là, et on vit toujours sous cette cinquième république. Et j’ai participé au gouvernement dans ma vie antérieure.

Et de l’intérieur, j’ai vu à quel point le fait que la légitimité repose sur un seul homme ne peut pas durablement fonctionner. Parce que c’est impossible d’avoir le poids d’un pays entier, d’un système politique entier sur un seul homme.

C’est surhumain. Et on est tous co-responsables de ça.

C’est-à-dire qu’on a tous tendance à, Macron ou pas Macron, c’était pareil avant, ça sera pareil après, à attribuer à un seul homme, en l’occurrence au président ou la présidente de la République, tous les malheurs quotidiens du pays, mais c’est quelque chose de très régressif, en fait. Il y a quelque chose de régressif dans la Ve République, et je pense que ça a été…

Et pourtant, c’est inévitable. C’est-à-dire qu’on ne voit pas comment le pays réagirait si on lui disait, maintenant, vous n’élisez plus le président de la République au suffrage universel.

On aurait tous l’impression qu’on nous prive de quelque chose d’essentiel. Donc, on est coincés, en fait, et je pense qu’on est coincés.

C’est lié à… C’est un héritage du 16 juin 1940.

Et là, pour le coup, je ne sais pas du tout comment on s’en sort là-dessus. Mais ce que je sais comme citoyen et comme gouvernant, c’est que ce système où la légitimité du pouvoir repose sur une seule personne parce qu’elle a été élue au suffrage universel ne permet pas les débats et la mobilisation de toute la population. de tous les partis politiques et en dessous de la société pour, je pense, faire face aux défis du temps.

C’est paralysant, en fait, que trop de choses dépendent d’un ou d’une seule, indépendamment de la personnalité de celui qui l’exerce. C’est le système qui est comme ça.

Et ce système est issu de notre histoire, d’un traumatisme de notre histoire.

Thomas Gauthier

Et peut-être que pour aller dans votre sens, il va nous falloir imaginer et… et mettre en œuvre des ruptures institutionnelles pour aussi à la fois hisser le pays, l’Europe et probablement aussi une forme de gouvernance internationale à la hauteur des enjeux dont on a parlé déjà durant l’entretien. Et par ailleurs, une rupture institutionnelle, une rupture dans les formes de la vie politique, parlons de la France pour le moment, pourrait signaler et faire intégrer à l’échelle individuelle le basculement dans un nouveau régime, un nouveau régime institutionnel en tout cas, devenu nécessaire, compte tenu d’un basculement dans un nouveau régime biophysique, que les scientifiques savent très bien décrire, les scientifiques savent très bien étudier, savent très bien documenter, mais qu’il reste encore difficile à celles et ceux d’entre nous qui ne sommes pas scientifiques. de pleinement comprendre.

Une rupture institutionnelle ou une reconfiguration institutionnelle, c’est aussi acter quelque part le fait que l’on mobilise autrement les énergies dont on dispose pour se hisser face à des enjeux qui, eux aussi, sont d’une nature et d’une complexité sans précédent.

Antoine Foucher

Oui, mais ce qui est très difficile, c’est que ce régime-là dont vous parlez, Merci. il sera perçu d’une manière qui aura affaire avec notre histoire dont on a hérité et donc si on imagine quelque chose de plus conforme à ce qui existe dans d’autres démocraties européennes par exemple, c’est-à-dire un régime plus parlementaire où il y a plus de discussions sur le fond et ça dépend moins d’une personne euh on peut tout à fait imaginer que le sentiment de chacun d’entre nous, ou de beaucoup d’entre nous en tout cas, ce sera qu’on retombe dans le régime des partis, que c’est des magouilles entre partis, et qu’au moins avant, ce qu’il y avait bien avec la Ve République, c’est qu’on pouvait choisir quelqu’un. Alors voilà, il y avait peut-être des défauts, mais au moins on pouvait choisir quelqu’un.

Et je ne suis pas sûr que si aujourd’hui on proposait un régime de changer de République, pour être clair, pense pas que, enfin je suis pas sûr du tout qu’il y aurait une majorité pour l’accepter, avec de bons arguments, avec de bons arguments, qui est que dans nos… Est-ce qu’on a le civisme ?

Est-ce qu’on a l’histoire, l’héritage qui fait qu’on pourrait rebasculer dans un régime où on discuterait, où les idées seraient plus importantes que les femmes et les hommes ? Et où on accepterait les lois qui sont faites par des personnes qu’on n’a pas directement élues, contrairement au président ou à la présidente ?

Pas sûr, pas sûr. Pas sûr du tout.

Et donc, c’est là où je dis que 16 juin 40, en ce sens, ça nous coince. et l’interprétation qu’on en a faite, parce que ça nous coince, parce que c’est la Troisième République qui aurait perdu la guerre, donc il faut en sortir pour éviter que 1940 ne se reproduise, mais en fait non, c’est pas que ça qui a pu se passer, c’est aussi la France, nos parents, nos grands-parents, nos arrière-grands-parents qui ont perdu la guerre, et ça arrive dans l’histoire d’un pays, mais je pense qu’on a… tant qu’on ne regardera pas cette période-là de l’histoire en face, peut-être qu’on aura toujours cette difficulté à imaginer le futur, pour reprendre votre terminologie d’imaginaire, parce que l’imaginaire est contraint aussi en fonction du passé. Et donc, moi je pense vraiment que pour pouvoir imaginer le futur, il faut connaître le passé, parce que sinon…

On a l’impression d’imaginer le futur, mais on est déterminé par le passé. Pour être libre, pour imaginer le futur, il faut connaître son propre passé.

Sinon, on a l’impression d’être libre, mais c’est une illusion.

Thomas Gauthier

Ce qui donne du sens au présent, c’est à la fois les souvenirs du passé que l’on a en soi et qui structurent au moins en partie nos pensées, nos décisions et nos actes. Ce qui donne du sens au présent, c’est aussi les anticipations que l’on a des futurs.

Certains futurs, on les juge désirables, d’autres futurs, on les juge inacceptables. Est-ce que je comprends ce que vous dites ?

Peut-être que l’on peut faire un mot de conclusion là-dessus. C’est que pour donner du sens à l’action dans le présent, qui est le seul temps où l’action justement peut se situer, Il est nécessaire à la fois d’avoir un regard prospectif, de contempler différents futurs, de les explorer, de les imaginer, de les construire, mais il faut aussi garder en tête que l’on est au moins en partie déterminé par le passé et que ce passé doit être lui aussi étudié.

Notre enquête doit aller des deux côtés de la flèche du temps. On ne peut pas juste faire table rase du passé, mais on doit être cet être qui mêlent des souvenirs du passé et qui aussi essayent de se doter d’une forme de mémoire des futurs pour construire une action pertinente au présent.

Sacré programme. On arrive à la troisième et dernière question, Antoine.

C’est la question du présent, justement. La transition est toute prouvée.

Alors, petite citation au passage, Gandhi nous invite à être le changement que l’on souhaite voir dans le monde. En préparant cet entretien, j’ai cru comprendre que… vous aviez différentes activités actuellement et vous en avez eu aussi par le passé qui vous ont donné l’occasion, vous avez créé ces occasions d’accorder vos actes et vos paroles.

Est-ce que vous pouvez nous raconter justement simplement ce que vous faites, comment vous le faites ? Une petite immersion dans la vie d’Antoine Fouché pour finir.

Antoine Foucher

Aujourd’hui, je suis chef d’entreprise en fait. après avoir été longtemps fonctionnaire et puis avoir été cadre dirigeant dans des grandes entreprises ou dans des organisations patronales, ou avoir gouverné, enfin en tout cas participé à être membre de cabinet ministériel et notamment directeur de cabinet de la ministre du Travail entre 2017 et 2020. et donc cette… Cette vie d’entrepreneur, en quoi elle est cohérente ?

Je ne sais pas d’ailleurs, parce que je pense qu’on est tous plus ou moins incohérents. Enfin, en tout cas, je ne peux pas répondre pour tout le monde, mais moi, ce qu’on peut faire, c’est limiter peut-être les incohérences qui nous caractérisent.

Pourquoi cette entreprise ? Parce qu’en fait, on avait, je dis on, parce que c’est une aventure collective, on a créé ce cabinet-là à cinq, c’est-à-dire la moitié des membres du cabinet ministériel. de l’époque pour continuer à contribuer à l’intérêt général, mais autrement.

On a vraiment eu le sentiment, mais ça ouvrait des débats sur le fond évidemment, mais d’aider notre pays quand on a gouverné comme ça pendant trois ans. Il y a eu des choses qu’on peut contester, je peux dire des choses qui sont moins facilement contestables.

Typiquement, c’est notre réforme de l’apprentissage, par exemple, qui a doublé le nombre d’apprentis dans le pays. Il y a 700 000 apprentis. 7000 jeunes aujourd’hui, 732 000 même l’année dernière qui sont entrés en apprentissage quand on a arrivé au pouvoir c’était 300 000 à peine et ça je pense que c’est vraiment un effet direct de notre réforme donc on avait envie de continuer à faire, à contribuer à l’intérêt général au bien commun mais autrement et donc on a créé cette boîte de conseils qui essaye, qui a pour ambition d’aider les entreprises à conjuguer business et bien commun dans les aspects sociaux, de formation, de raison d’être, d’entreprise à mission, etc.

Est-ce que c’est cohérent ? On essaye le plus possible.

Comment est-ce que ça se traduit, cette cohérence ? Pour l’instant, on a le luxe, je ne sais pas si on l’aura tout le temps, mais pour l’instant, on a le luxe de pouvoir choisir nos clients, c’est-à-dire refuser des missions auxquelles on ne croit pas.

Et donc, à peu près une fois par trimestre, le hasard de la vie fait qu’on refuse une mission. Voilà, parce que…

Parce que ça peut être des entreprises qu’on n’a pas envie d’aider. Ça peut être des opérations qu’on n’a pas envie d’accompagner parce qu’on trouve que ce n’est pas conforme à l’intérêt général de la France ou de l’Europe. Et puis, on a essayé d’être cohérents en mettant nos actes et nos discours, en essayant de les aligner.

Typiquement, par exemple, j’étais fonctionnaire, j’ai démissionné de la fonction publique. parce que je me disais que c’était quand même compliqué, partout où on allait, de recommander la liberté, la flexibilité, le mouvement, la refonte de beaucoup de choses, de façon à ce qu’on soit tous logés à la même enseigne, et en même temps d’avoir un statut particulier, j’étais administrateur du Sénat. qui est très peu connu, mais qui a l’un des statuts les plus privilégiés de tout le pays. Donc, petit exemple de tentative de mise en cohérence des discours et des actes.

Thomas Gauthier

Alors, je pense qu’on va en rester justement sur ce que vous venez de nous raconter au sujet de vos différentes aventures professionnelles. J’espère que celles et ceux qui vont nous écouter auront autant de plaisir que j’en ai eu à vous poser ces questions, à cheminer avec vous pendant un petit peu plus d’une heure.

Il me reste à vous remercier. Merci infiniment Antoine pour votre temps.

Antoine Foucher

Merci à vous. Merci beaucoup pour toutes vos questions et vos réactions pleines de documentation et de suggestions.

Thomas Gauthier

Merci Antoine, à bientôt.

Antoine Foucher

Merci, au revoir.

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

Dernières parutions

Remparts légaux

Ceci est l'épisode 5 de la série « La menace cognitive » du Deftech Podcast. Ecrite et présentée par Bruno Giussani, elle décrypte les défis…

Guerre cognitive

Ceci est l'épisode 4 de la série « La menace cognitive » du Deftech Podcast. Ecrite et présentée par Bruno Giussani, elle décrypte les défis…

La fracturation de l’attention

Ceci est l'épisode 2 de la série « La menace cognitive » du Deftech Podcast. Ecrite et présentée par Bruno Giussani, elle décrypte les défis…