#22 Hélène Cloître | Faire sécession et trouver sa voie

4 janvier 2023
40 mins de lecture

Hélène Cloître est diplômée d’école de commerce et elle est entrée en rupture après un CDI dans la grande distribution. 

Elle est co-autrice et co-productrice de Ruptures, un film documentaire qui traite de la quête de sens et d’impact des jeunes diplômé.e.s, et contributrice du livre Basculons, paru aux éditions Actes Sud en 2022.

Après avoir projeté Ruptures dans plus d’une centaine d’universités, de Grandes écoles et de lycées, et rencontré plus de 25000 étudiant.e.s, elle s’intéresse désormais de près aux mouvements étudiants de bifurcation et aux initiatives de transformation de l’enseignement supérieur.

Aujourd’hui, Hélène travaille sur un deuxième documentaire autour des éco-émotions et prépare un festival qui se déroulera en Bretagne et aura pour but de relier les étudiant.e.s et les initiatives vertueuses du territoire.

Dans l’échange à suivre, il sera justement question de ruptures, de bifurcations et de quêtes de sens.

Entretien enregistré le 14 novembre 2022

Entretien enregistré le 14 novembre 2022

Transcript de l’entretien

(Réalisé automatiquement par Ausha, adapté et amélioré avec amour par un humain)

Thomas Gauthier

Bonjour Hélène.

Hélène Cloître

Bonjour.

Thomas Gauthier

Alors ça y est, tu es face à l’oracle. Tu vas pouvoir lui poser trois questions au sujet de l’avenir.

Par quelles questions est-ce que tu souhaites commencer ?

Hélène Cloître

Alors je vais commencer par une question, je pense, que tout le monde se pose. C’est quel sera en fait le point de bascule pour rentrer dans un monde plus soutenable ?

On sait que le monde, il n’est pas soutenable tel qu’il est à tous les niveaux. Le climat, c’est catastrophique.

Il y a déjà des zones qui sont invivables, qui sont irrespirables. En termes de biodiversité, énormément d’espèces sont en déclin.

On a perdu 68% des vertébrés depuis 50 ans. Les sols sont morts, ils ne captent plus d’eau, ce qui ne permet plus la vie.

En termes de ressources, on exploite beaucoup trop les ressources. Par exemple, on voit que si on continue à exploiter l’or comme aujourd’hui, il ne reste que 17 ans de réserve.

Et en termes de pollution, on a tous entendu parler du sixième continent de plastique et de la pollution chimique et invisible. Donc, on se rend compte qu’on est dans un monde qui n’est pas… pas soutenable et on sait que très vite il va devoir y avoir un point de bascule.

On a déjà déplacé 6 des 9 limites planétaires. Il faut que ça s’arrête et la question c’est comment cette transition va se faire ?

Moi c’est une question que je me pose. Par quoi ça va se passer ?

Est-ce que ça va passer par des mesures du gouvernement ? Est-ce que ça va passer par des mesures individuelles ?

Je pense que c’est une question que tout le monde se pose et d’ailleurs un débat que les gens ont assez souvent de savoir qui va être la solution. Et moi j’espère et je pense … qu’un des éléments de réponse à cette question, ça peut être la jeunesse, justement.

On voit depuis quelques années les jeunes qui se mobilisent particulièrement pour les questions de transition écologique et sociale. Et j’ai bon espoir que cette jeunesse impulse un mouvement et insuffle un peu cette transition-là.

Thomas Gauthier

Alors, tu es jeune diplômée d’une école de commerce française. Tu as déjà eu quelques premières expériences professionnelles.

Justement, est-ce que tu peux nous parler un petit peu plus de cette jeunesse ? Est-ce que tu peux nous raconter peut-être des rencontres que tu as faites, des activités auxquelles tu as participé, des témoignages que tu as pu recueillir ?

Qu’est-ce qui fait vibrer effectivement cette jeunesse dans toute sa diversité également ? Qu’est-ce que tu peux nous raconter qui te paraît peut-être nouveau également dans les prises de parole, dans les manifestations, les manières de faire de la jeunesse qui peut-être au cours de ces derniers mois ou de ces dernières années se seraient accélérées ?

Hélène Cloître

Alors, ce qui est très intéressant sur cette jeunesse, je pense que… Moi, j’ai co-réalisé un documentaire qui s’appelle Rupture et qui parle des jeunes qui font des grandes écoles et qui changent de cap face à l’urgence écologique et sociale.

Ce qui nous a permis, avec Arthur, le réalisateur, depuis un an, de rencontrer plus de 25 000 étudiants. On a fait plus de 100 projections dans des universités, des lycées, des grandes écoles.

Aujourd’hui, on a un peu ce recul sur cette jeunesse dont tu parles. Et ce qui est assez intéressant et ce qu’on remarque, c’est à quel point cette jeunesse est surinformée, surformée. sur les enjeux de la transition écologique et sociale.

Ils ont des figures, des icônes, par exemple Jean-Marc Jancovici et d’autres personnes d’ailleurs que tu as interviewées dans ton podcast, Arthur Keller qui est extrêmement écouté, extrêmement suivi par les jeunes, Pablo Servigne. Il y a beaucoup de mouvements aussi, le mouvement pour un réveil écologique, par exemple, qui est très actif sur les réseaux sociaux.

Bon pote, Thomas Wagner. Donc c’est vraiment une jeunesse qui se surinforme, Merci. très consciente des enjeux écologiques et sociaux.

Cette surinformation a aussi une conséquence, qui est que beaucoup de jeunes souffrent aujourd’hui d’un phénomène dont on parle beaucoup dans les médias, qui est l’éco-anxiété. On dit que c’est à peu près 75% en France des jeunes qui se considèrent inquiets ou angoissés face à l’urgence climatique.

Et donc, comme ces jeunes sont surinformés, ils ont aussi conscience qu’il y a une urgence. Ils ont besoin d’agir vite, fort, de se faire entendre.

Et aujourd’hui, on fait face aussi à un gros problème de société. qu’on remarque et qui d’ailleurs a été théorisée par une psychologue qui s’appelle Laila Benoît, qui en fait est un phénomène d’infantilisation des jeunes, qui fait qu’aujourd’hui les jeunes ne sont pas toujours écoutés, ne sont pas toujours considérés. Et en fait ces jeunes aujourd’hui ont besoin de se faire entendre.

Donc on voit arriver depuis quelques temps des phénomènes un peu coup de poing, des mouvements un peu coup de poing, comme par exemple beaucoup de jeunes là, partout en Europe, qui s’attaquent à des œuvres d’art. et c’est un phénomène qui en effet peut être décrié, qui peut être incompris et qui peut être clivant, mais je pense que ce phénomène-là il résulte surtout d’un manque d’écoute des jeunes qui aujourd’hui pour se faire entendre sont capables d’aller plus loin, de riposter plus fort, et finalement je ne sais pas si c’est la solution, mais en tout cas je trouve que c’est une conséquence assez naturelle qui découle de cette non-écoute.

Thomas Gauthier

Tu nous parles là de différentes manières. d’entrer en action, certains diraient d’entrer en résistance. Est-ce que tu as pu, dans les témoignages que tu as recueillis, repérer des traits de caractère, des bascules psychologiques, des transformations individuelles ou à l’échelle de petits collectifs qui se manifestent très souvent ?

Est-ce qu’il y a des points communs finalement dans ces formes d’activisme, dans ces formes de désobéissance, certains diraient, que tu retrouves régulièrement ?

Hélène Cloître

Alors je dirais que le point commun entre tous ces jeunes et entre toutes ces formes d’action, c’est la vision systémique qu’ont les jeunes du problème. On n’est plus dans une écologie de surface, on n’est plus dans une écologie d’éco-gestes.

Les jeunes ont conscience de l’impact de leurs actions et ils font les liens par exemple entre les cours qu’ils ont et les problèmes climatiques. Ils font les liens entre les choix de carrière. et leur empreinte carbone par exemple, ils font les liens de cause à effet, ce qui leur permet aujourd’hui de se questionner avant de prendre n’importe quelle décision, avant d’accepter n’importe quel job, avant d’accepter n’importe quelle activité, avant de consommer.

Ils se posent les questions de savoir quel va être l’impact de cette action-là. Et ça, je pense que c’est une caractéristique qui est propre à de plus en plus de personnes, mais en tout cas qui est extrêmement montante chez les jeunes. qui sont dans une urgence et dans une angoisse face à l’urgence.

Thomas Gauthier

Tu viens de parler de systémique, ça m’amène forcément à une question complémentaire. Où est-ce que ces jeunes, dans ces cas-là, découvrent les principes élémentaires du raisonnement systémique ?

Tu es sortie à nouveau d’une école de commerce il n’y a pas si longtemps que cela. J’ai de la peine à imaginer que tu aies été formée à la systémique.

Comment les jeunes se forment-ils à ce type de raisonnement qui n’est pas, selon moi, enseigné dans les écoles aujourd’hui ?

Hélène Cloître

En effet, ces raisonnements-là, ils sont encore… insuffisamment enseignés dans les écoles. Les jeunes aujourd’hui sont surinformés par des réseaux, notamment sur YouTube, ils regardent beaucoup de conférences, ils écoutent beaucoup de podcasts, ils se surinforment en lisant des médias, parfois des médias indépendants, parfois des médias plus traditionnels aussi, qui s’emparent de plus en plus de ces enjeux-là.

On voit quand même les questions écologiques et sociales qui sont de plus en plus abordées sur certains médias traditionnels. Et donc ils sont surinformés, mais souvent c’est de l’auto-pédagogie, de l’auto-éducation.

Et aujourd’hui il y a une demande croissante de ces jeunes-là pour que ces questions soient abordées au sein des cursus scolaires traditionnels, au sein des universités, au sein des grandes écoles et surtout dès la primaire, le collège et le lycée.

Thomas Gauthier

On va avoir l’occasion je pense à la suite. de continuer à évoquer ces questions de systémique, ces questions d’éducation, mais je te propose maintenant de faire un nouveau passage devant l’oracle. Tu peux à nouveau lui poser une question concernant l’avenir.

Qu’est-ce que tu veux lui demander maintenant ?

Hélène Cloître

Je pense que je vais un peu continuer sur notre lancée. Ma deuxième question, c’est quelle sera la place de ces jeunes dans cette transition ?

Comme je te disais, aujourd’hui, il y a un gros problème d’infantilisation. Les jeunes sont à la fois surinformés et en même temps se sentent impuissants parce qu’ils ne sont pas écoutés.

Et c’est quelque chose qu’on voit avec par exemple Greta Thunberg au début, quand elle a commencé à prendre la parole, beaucoup de gens se moquaient d’elle et la réduisaient comme une jeune femme, d’autant plus peut-être avec certains problèmes psychologiques selon eux, qui faisaient qu’elle perdait en crédibilité. Et ça c’est un gros problème en fait. qu’on ne soit pas suffisamment écouté.

Et on s’en rend compte aussi bien dans les entreprises, où très souvent les systèmes font qu’il faut gravir les échelons avant de pouvoir avoir un droit de parole. Aussi bien en politique, où on se rend compte qu’il y a les mêmes vieux briscards depuis des dizaines d’années qui régissent un peu à la politique en France et à l’international.

Et en fait, tout ça, ce sentiment d’impuissance, contribue de plus en plus au phénomène d’éco-anxiété. Et donc moi, ma question, c’est comment les jeunes vont prendre leur place. place dans cette transition parce que à la fois ils ne sont pas écoutés et à la fois c’est ceux qui ont l’air d’avoir le plus d’énergie à mettre au service de la transition qui vont être le plus impactés par le dérèglement climatique et par les enjeux qui vont y avoir par la suite.

Et donc comment est-ce qu’ils vont prendre leur place ?

Thomas Gauthier

Et alors sans te transformer en oracle justement, est-ce que dans tes expériences, dans tes rencontres, tu as pu découvrir des dispositifs permettant à cette jeunesse d’être écoutée, de… peser dans des circuits décisionnels, d’être finalement traité d’égal à égal avec les personnes en place depuis plus longtemps. Est-ce qu’il y a des signes d’espoir que tu as déjà pu constater de première main ?

Hélène Cloître

Oui, il y a plusieurs signes d’espoir. Donc à la fois dans les entreprises, on se rend compte depuis la sortie de rupture qu’on a été beaucoup contacté par notamment les équipes RH, les équipes décisionnelles de certaines grandes entreprises qui aujourd’hui se questionnent. sur la place de la transition écologique dans leur business model.

Par exemple, pour te donner un exemple, on a été appelé récemment par une grande entreprise française pour venir faire ce qu’ils appellent des parties prenantes. C’est-à-dire qu’on s’est tous réunis autour de la table, plusieurs personnes sensibilisées autour des questions écologiques.

Et en fait, avec les membres du COMEX, on a discuté un peu des enjeux sans langue de bois. C’est un événement sur lequel l’entreprise n’a pas communiqué en externe, donc ça veut dire que c’est vraiment quelque chose qu’ils ont mis en place pour vraiment s’informer, pour vraiment mieux comprendre.

Et donc dans le cadre de ces parties prenantes qui ont duré trois heures, on était plusieurs jeunes présents autour de la table pour pouvoir aussi s’exprimer et partager notre point de vue sur les questions de transition écologique et sociale. Et d’un point de vue plus général, ce qui est aussi très intéressant, c’est de se rendre compte qu’aujourd’hui, les entreprises font face à un gros problème de recrutement.

Il y a une pénurie. de jeunes à recruter. Ils n’arrivent plus à attirer et à fidéliser les jeunes.

Aujourd’hui, il n’y a que 18% des jeunes étudiants qui disent vouloir travailler dans une entreprise du CAC 40, ce qui est extrêmement peu. Dans certaines écoles, comme par exemple la Centrale Nantes, il y a 5 ans, 75% des promos voulaient aller travailler dans les grandes entreprises.

Aujourd’hui, c’est 75% des promos qui veulent travailler dans des petites structures, des assos ou se lancer à leur compte. on se rend compte que les jeunes aujourd’hui ne veulent plus aller travailler dans les grandes entreprises et en fait cette difficulté qu’ont les entreprises aujourd’hui à recruter leur met la pression et les oblige à se questionner et ça je pense que la question du recrutement c’est selon moi un des premiers leviers qui va faire que les entreprises vont être capables de se transformer et c’est aussi une des meilleures manières que les jeunes ont de faire porter leur voix aujourd’hui auprès des entreprises

Thomas Gauthier

Alors ce signe d’espoir est manifeste est-ce que à contrario tu peux nous partager des anecdotes qui te font plutôt penser que des entreprises, pour rester sur ce type d’organisation, engagent des démarches qu’on qualifierait volontiers de greenwashing quelque part. Est-ce que tu es aussi confronté à des bonnes vieilles méthodes de greenwashing où on a l’impression qu’il y a une ouverture, où on a l’impression qu’on veut écouter des voix dissonantes mais où en fait, ce n’est là qu’une mise en scène ?

Hélène Cloître

Oui, alors suite à la diffusion de Rupture, on a aussi été appelé par certaines entreprises, justement pas parce que, et très souvent d’ailleurs, c’est pas forcément parce qu’elles s’intéressent aux questions, aux problèmes climatiques, aux problèmes écologiques, mais plus parce qu’elles sont des problèmes de recrutement. Et donc on s’est retrouvé assez souvent face à des membres d’équipes RH ou des membres de COMEX Codire qui nous faisaient intervenir.

Et en fait, très vite, on se rend compte de la sincérité au nom de la démarche. Donc parfois, on est vraiment appelé dans une démarche de comprendre cette jeunesse-là et par des entreprises qui souhaitent réellement se transformer, qui aujourd’hui font face à une inertie, à des problèmes d’inertie, qui ne savent pas comment s’y prendre parce que ça fait des dizaines d’années que certaines entreprises fonctionnent, fonctionnent bien, sont sur un rythme de croisière.

Et aujourd’hui, les personnes qui sont à la tête de ces entreprises ne savent pas comment faire et elles sont réellement à la recherche de jeunes. pour pouvoir apporter un nouveau souffle et pour pouvoir entamer cette transition. Et on se rend compte que certaines entreprises sont sincères dans cette démarche.

Je dirais que malheureusement, ce n’est pas forcément la majorité de ces entreprises et que très souvent, on est plutôt contacté justement pour pouvoir… mieux comprendre la jeunesse, les attentes de la jeunesse, et pouvoir mieux adapter peut-être le discours au moment du recrutement. Le problème est là où moi, finalement, ça ne m’inquiète pas plus que ça, c’est que, comme je le disais tout à l’heure, les jeunes aujourd’hui, on a un regard assez systémique sur les enjeux, et on ne se laisse plus happer par le système, on ne se laissera pas berner par une entreprise qui va nous faire des actions de greenwashing.

Le greenwashing, ça fait quelques années que c’est… extrêmement décriée sur les réseaux sociaux. On voit certaines pages qui se sont lancées perles de greenwashing ou même pour un réveil écologique qui l’année dernière a lancé au moment de décembre le calendrier du vent.

Donc c’est 24 initiatives de greenwashing qui ont été menées par des entreprises au cours de l’année. Jean-Marc Jancovici aussi, qui comme je disais tout à l’heure est une icône pour beaucoup de jeunes, notamment les jeunes ingénieurs qui lui-même fait la chasse aux initiatives greenwashing sur les réseaux sociaux. comme bon pot.

Donc aujourd’hui, le greenwashing ne fonctionne plus. On est ultra sensibilisés sur ce qu’est le greenwashing et on ne se laisse plus avoir.

Donc ce que j’ai envie de dire, c’est qu’aujourd’hui, même si les entreprises sont dans des démarches non sincères et cherchent à seulement communiquer, adapter leurs discours et non leurs actions pour recruter, ça marchera peut-être sur le court terme, mais les jeunes ne resteront pas sur le long terme. Et c’est ce qu’on voit dans certaines entreprises.

Je pense à, par exemple, Capgemini. qui l’année dernière a perdu 25% de leurs effectifs, ce qui fait qu’aujourd’hui, ils se retrouvent avec 33% de leurs employés qui ont moins d’un an d’ancienneté. Et en fait, on peut aussi se questionner sur la véracité de leur discours au moment du recrutement.

Thomas Gauthier

Ce qui est très intéressant, Hélène, dans ce que tu nous dis ici, c’est que cette jeunesse qui se forme, tu l’as dit à plusieurs reprises, elle est ultra informée, elle se forme… à travers des sources qu’on va qualifier de non traditionnelles quand on les regarde depuis les écoles ou depuis les universités. Avant cette explosion des réseaux sociaux et des messages qualitatifs que l’on peut désormais capter sur les réseaux sociaux, pour se former, il fallait aller à l’école, il fallait aller à l’université.

Et ce que j’entends dans ton témoignage, c’est que quelque part, l’avant-garde de la connaissance se situe peut-être de plus en plus sur ces réseaux sociaux. À quoi pourrait ressembler, selon toi, cette question n’était pas au programme, une forme d’éducation hybride, puisqu’en fait tu nous parles d’éducation populaire aussi, à quoi ça pourrait ressembler l’école du futur où certes il y a des savoirs plus académiques qu’il convient toujours de faire passer puisqu’ils donnent des concepts, ils donnent des outils, ils donnent des clés pour décrypter le fonctionnement d’une entreprise, le fonctionnement d’un marché, le fonctionnement d’une société, et quelque part hybrider ces savoirs avec les savoirs moins conventionnels qui… sont de plus en plus accessibles sur les réseaux sociaux. Ça ressemblerait à quoi une formation hybride pour toi ?

Hélène Cloître

Oui, alors c’est une excellente question. Et je pense que certaines structures ont déjà commencé à se questionner là-dessus et ont déjà commencé à lancer des programmes un peu plus innovants.

Je pense à une structure à Toulouse, l’ENSET, qui a lancé l’année dernière un master spécialisé sur les enjeux de la transition écologique. En fait, pendant un an, ils ont des promos de… peu d’étudiants, donc je crois qu’ils sont une cinquantaine maximum, et en fait ils ont une toute nouvelle manière d’enseigner les enjeux de la transition.

Par exemple, ils ont des cours sur des sujets qu’on n’aborde aujourd’hui pas dans les enseignements traditionnels, par exemple autour de la complexité. Ils font appel un peu au savoir, par exemple, d’Edgar Morin sur ces questions-là, pour pouvoir mettre en connexion les différents aspects entre eux.

Aussi, ils se reconnectent à eux-mêmes et aux vivants. Ils font beaucoup de séminaires, de randonnées en montagne, de balades.

Et d’ailleurs, leur premier événement de l’année, c’est justement une randonnée au cours de laquelle les membres de l’équipe ne sont pas identifiés. Donc en fait, le directeur est mélangé avec les étudiants et étudiantes.

Et en fait, comme c’est un master spécialisé, il y a beaucoup d’étudiants et étudiantes qui sont adultes et qui… ils pourraient avoir l’âge d’être directeur de l’école ou d’être prof. Et donc, en fait, on se retrouve avec des populations qui sont mixées.

On ne sait plus qui est qui. Et ça permet de créer du lien beaucoup plus authentique entre les personnes.

Donc, je pense qu’il y a plusieurs sujets, comme je te le disais. Le premier, c’est d’intégrer des sujets autour de la complexité et de pouvoir permettre aux étudiants d’avoir ce regard systémique qu’ils acquièrent aujourd’hui via principalement les réseaux sociaux. faire les liens entre les différents sujets abordés.

Deuxièmement, pouvoir recréer du lien entre les personnes, entre elles et entre les personnes et le vivant, en se connectant plus à la nature, en allant plus faire des balades en forêt. Et troisièmement, je dirais, le dernier aspect, c’est aussi le collectif, se rassembler en collectif au sein des écoles pour pouvoir mener des projets communs, mais aussi favoriser le partage de connaissances et faire aussi de l’enseignement bottom-up, donc du bas vers le haut, en disant aux étudiants et aux étudiantes que, par exemple, s’ils sont intéressés par un sujet, qu’ils le présentent à leurs camarades.

Et ça, aujourd’hui, c’est quelque chose qui est, selon moi, trop… peu présentes dans les écoles, mais les bonnes nouvelles, les écoles commencent un peu à se questionner là-dessus, notamment en mettant de plus en plus des groupes de travail entre les différentes parties. Je pense par exemple aux UTC de Compiègne, qui l’année dernière ont créé un label ingénierie soutenable et donc pendant plusieurs mois, ils ont mis autour de la table des personnes du corps enseignant, des étudiants et étudiantes et des membres de l’administration pour pouvoir réfléchir ensemble à ce qu’est le programme d’ingénierie soutenable pour faire le monde de demain.

Et donc, ils ont travaillé main dans la main, conjointement autour de ces questions-là. Et je pense que c’est essentiel de pouvoir travailler tous et toutes ensemble pour pouvoir résoudre ce problème qui est un problème très complexe.

Thomas Gauthier

Il nous reste… Une troisième occasion de passer devant l’oracle, une troisième question à lui poser.

Qu’est-ce que tu veux lui demander ?

Hélène Cloître

Justement, je refais la transition avec ce qu’on vient de se dire. Mais ma troisième question, c’est comment les enseignements vont s’adapter aux nouveaux enjeux et devenir des acteurs clés de la transition écologique et sociale.

Dans le cadre des projections de rupture, on est beaucoup intervenu dans les lycées. Et donc, on a la chance de faire face à… à des classes de lycéens et principalement des classes de terminale.

Et en fait, on est beaucoup appelé par les enseignants et enseignantes des lycéens pour parler des questions de l’orientation. Le film Rupture, en fait, montre différents parcours de vie de jeunes qui ont décidé de mettre les enjeux écologiques et sociaux au cœur de leur carrière.

Et en fait, les enseignants et enseignantes nous appellent pour montrer aussi à leurs étudiants et étudiantes qui peuvent… s’engager rapidement à leur échelle. Et qu’ils ne sont pas obligés de suivre un parcours tout tracé comme on nous invite à le faire depuis longtemps.

Et donc moi, ce qui m’a un peu bouleversée, et ce qui me bouleverse toujours quand on intervient dans les lycées, c’est les écarts de connaissances et de conscientisation d’un étudiant à l’autre au sein d’une même classe. On se rend compte que pendant que le film Rupture est projeté, certains étudiants sont extrêmement attentifs. voire bouleversés, et que parfois ils viennent même nous parler à la fin des projections en nous disant « mais moi je ne sais pas quoi faire l’année prochaine, je ne me vois pas perdre du temps à faire 5 ans d’études, mes parents veulent que je fasse une prépa, une école, une université, moi j’ai envie d’aller dans le concret parce qu’on n’a plus le temps, et parce que dans 5 ans il sera peut-être déjà trop tard » , et qui sont extrêmement angoissés par rapport à ça.

Et à côté de ça, certains étudiants qui, pendant le film, sont sur Amazon en train d’acheter des blousons neufs. Et cette disparité, cet écart de conscientisation d’un étudiant à l’autre, je le trouve aussi surprenant qu’effrayant.

Parce que ça montre que, premièrement, c’est un sujet qui n’est pas suffisamment abordé entre les étudiants, et deuxièmement, c’est un sujet qui n’est pas suffisamment abordé dès les petites classes par les enseignants. Et je pense qu’il y a un vrai enjeu sur le fait de sensibiliser les étudiants et étudiantes dès le plus jeune âge, de leur donner aussi les clés pour pouvoir agir, de les reconnecter aux vivants, peut-être de leur faire plus de balades en forêt, peut-être de leur faire des cours sur savoir reconnaître les champignons, commencer à les préparer, à être résilients pour le monde de demain, aussi pour pouvoir les rassurer, leur dire que si demain, on fait face à des différents effondrements, au moins ces enfants-là auront les clés pour pouvoir y faire face.

Et je pense que l’enseignement a un gros rôle à jouer là-dedans sur les petites classes. Et pour parler plus de l’enseignement supérieur, il y a aussi un gros enjeu sur le fait de transformer l’enseignement supérieur pour pouvoir faire face aux enjeux de la crise écologique et sociale.

Aujourd’hui, il y a certaines choses qui sont mises en place, notamment il y a le rapport Jouzel qui est sorti en mars dernier, donc en mars 2022, et en fait qui est un rapport qui a été co-écrit par différentes parties prenantes, mais aussi qui a été présidé par Jean Jouzel. Et en fait, dans ce rapport, ce rapport incite les différents corps pédagogiques, les différentes structures d’enseignement supérieur à plus prendre en compte les enjeux, à travers différents leviers, mieux former les enseignants. faire en sorte que tous les enseignants soient formés à ces questions-là, intégrer les enjeux écologiques et sociaux de manière transversale dans les programmes et faire des enseignements dédiés à ces questions-là, et créer des groupes de travail transpartites pour permettre d’intégrer les étudiants et étudiantes dans les prises de décisions pour les transformations du programme.

Donc ce rapport-là, il est sorti. Aujourd’hui, il a été déjà mis en place par plus de la moitié des universités en France. qui ont intégré, qui ont créé des modules complémentaires, qui ont intégré les enjeux dans les programmes existants, qui ont formé leurs professeurs.

Donc déjà, ça, c’est une bonne nouvelle. Mais il faut aller beaucoup plus loin.

Il faut aujourd’hui former 100% des enseignants et enseignantes. Et il faut aussi sortir, enfin, penser en dehors de la boîte.

Il faut penser différemment. Par exemple, certaines choses ont été mises en place.

Je pense à Centrale Nantes qui, cette année, a mis… à créer le premier master en low-tech de France. Il fallait y penser, il fallait oser le faire, parce que pour des ingénieurs, jusqu’à présent, la low-tech, c’était de la non-ingénierie ou de l’ingénierie de collège.

Il fallait y penser, il fallait oser, mais aujourd’hui, c’est essentiel. C’est essentiel de former les gens à la low-tech pour pouvoir proposer des alternatives durables et soutenables.

Ce qui me donne de l’espoir, c’est de voir que les écoles ont commencé à effectuer une transition de manière très rapide. Ce qui me donne moins d’espoir, c’est l’impression que parfois elles se contentent de faire ce qui est demandé et ne vont pas suffisamment loin dans la transformation des programmes.

Thomas Gauthier

Tu as parlé des multiples visionnages de ruptures dans les lycées, dans les écoles et dans d’autres cercles. Est-ce que tu peux nous ramener peut-être… quelques questions qui t’ont été posées lors de ces présentations, des questions qui t’auraient particulièrement déstabilisé, d’ailleurs, soit en bien, soit en moins bien.

Est-ce que tu as en tête des interpellations, si je puis dire, où tu t’es dit, alors celle-là, je ne l’avais pas vue venir ?

Hélène Cloître

Oui, alors la première à laquelle je pense, elle est assez drôle, mais elle est arrivée en école de commerce, pas en lycée, mais en école de commerce, mais auprès de première année. Donc, on va dire qu’on n’est pas loin du lycée.

C’est un étudiant qui nous a demandé… peut-on être écolo et riche ? Donc, on a été assez déstabilisés par cette question-là parce qu’on ne s’y attendait pas.

Et en même temps, le fait qu’elle arrive en école de commerce, ce n’était pas si surprenant. Et en fait, quand on entend une question pareille, on se rend compte que la vision systémique dont je te parlais tout à l’heure, elle n’a pas encore été intégrée non plus par tous les étudiants et les étudiantes.

Et d’ailleurs, on pourra peut-être en rediscuter tout à l’heure, mais on voit aussi… avec toutes les interventions qu’on a faites, il y a quand même une disparité de conscientisation entre les différents types d’écoles. Les étudiants d’écoles de commerce ne sont pas aussi sensibilisés, par exemple, que les écoles d’ingénieurs ou en agro.

Mais bon, ça, on pourra peut-être en rediscuter tout à l’heure. Mais voilà, quand on a une question sur peut-on être écolo et riche, on se rend compte qu’il y a des liens de cause à effet qui n’ont pas encore été faits, que les questions de sobriété, peut-être, ne sont pas encore suffisamment… abordé et qu’en fait on reste dans un mode de pensée, dans un schéma de pensée ancien et qu’on n’est pas encore dans une démarche de réflexion moderne qui intègre les limites planétaires.

Thomas Gauthier

Écoute, je pense que l’on a passé pas mal de temps vers le futur. Je te propose maintenant qu’on tourne notre regard vers le passé.

Est-ce que tu pourrais, s’il te plaît, nous ramener trois événements qui, selon toi, ont marqué l’histoire ? et qui peuvent nous servir à nous orienter dans le présent et a fortiori à construire l’avenir.

Hélène Cloître

Oui. Alors, les trois événements que je vais te donner, ce sont trois événements qui sont en lien avec justement la transformation de l’enseignement supérieur.

Et ce qui est un peu dommage, c’est que mon rétroviseur, il a une très faible portée puisqu’il commence en 2018. En fait, avant 2018, ces questions n’étaient pas tant abordées dans les cursus.

Et 2018, c’est ma première date parce que ça a été une année très charnière. dans l’émergence de ce mouvement-là d’étudiants et étudiantes engagées. 2018, qu’est-ce que c’est ? C’est les premières marches pour le climat, c’est Greta Thunberg, c’est la démission de Nicolas Hulot en direct sur France Inter, et c’est aussi le manifeste étudiant pour un réveil écologique.

Qu’est-ce que c’est ce manifeste étudiant pour un réveil écologique ? C’est un manifeste qui encourage les étudiants et étudiantes à ne pas travailler pour des entreprises qui polluent, et qui encourage aussi les entreprises qui polluent à ne plus polluer.

Et en fait, ce manifeste-là, il a été signé par plus de 30 000 étudiants et étudiantes en 2018, principalement des étudiants et étudiantes du plateau de Saclay, donc des étudiants de Sciences Po, de Polytechnique, de très grandes écoles très réputées. Et en fait, ça a permis à ce mouvement-là d’avoir des répercussions médiatiques. Ça a été très médiatisé, ce manifeste-là. et en fait 2018 ça a été le démarrage de la prise de conscience des écoles sur le fait qu’elles devaient s’adapter rapidement à cette demande croissante des étudiants et étudiantes d’intégrer les enjeux dans les formations.

Donc qu’est-ce qui s’est passé en 2018 ? Les écoles se sont dit, bon, allez, il y a un manifeste étudiant, les étudiants commencent à se poser des questions, on va répondre à leurs demandes, on va leur rajouter des cours de RSE, sans rien transformer à côté.

Qu’est-ce qui s’est passé ? On s’est retrouvés face à des étudiants un peu schizophrènes qui, d’un coup, allaient à leur cours de RSE et l’heure d’après à un cours sur la surconsommation, sur le capitalisme et toutes ses failles.

Ou alors, pour les étudiants d’ingénieurs, des cours sur la bétonisation, l’artificialisation des sols et les moteurs à combustion. Donc, depuis 2018, on voit cette grande montée au sein des populations étudiantes parce qu’ils ont l’impression… désolé du terme, mais de se faire un peu prendre pour des cons.

Ils ont l’impression que d’un cours à l’autre, on leur dit tout et son contraire. Et donc, grâce à cette année 2018, qui a commencé à mettre en place les premières actions, on s’est retrouvés avec des étudiants extrêmement mobilisés qui ont permis au fil du temps de mettre en place de plus en plus d’actions au sein des écoles.

La deuxième date que je voudrais te partager, c’est… En avril 2021, la COP2 étudiante, donc cette COP2 étudiante-là, elle résulte de ces mouvements dont je parlais juste avant.

C’est en fait une COP, mais uniquement avec des étudiants, qui a eu lieu à Grenoble. Et en fait, ils se sont rassemblés autour de la table pour essayer de mettre en place différentes mesures pour transformer les enseignements supérieurs.

Ils ont fini le… la rencontre avec l’écriture d’un livre blanc qui a été co-signé par plus de 70 établissements et un accord de Grenoble. Donc en fait, ces accords de Grenoble-là, ils ont pour objectif de proposer une feuille de route aux différents établissements.

Une feuille de route qui a été principalement mise en place par des étudiants et étudiantes, mais aussi par des enseignants, par des chercheurs et par d’autres parties. Et donc ce…

Cette feuille de route-là, elle a aussi été l’un des piliers, l’un des déclencheurs du rapport Jouzel, qui selon moi est le troisième événement phare que je vais mettre dans mon rétroviseur. Le rapport Jouzel, comme je te le disais tout à l’heure, qui est paru en mars 2022, mais qui a été mis en application à la rentrée de 2022-2023.

Et qui fait qu’en fait, aujourd’hui, comme je te le disais, il y a plus de 40 universités en France qui ont mis en place un vice-président qui a un portefeuille dédié à la transition de son campus et à la formation des étudiants sur les enjeux écologiques. C’est plus de la moitié des universités en France qui l’ont mis en place.

L’objectif pour le rapport Jouzel, c’était de former principalement les étudiants qui sont à Bac plus 2. mais ensuite avec l’idée d’ici 2025 de former tout et toutes les étudiants et étudiantes. Et en fait, ce rapport Jouzel, il a déclenché quand même une vague assez significative, à la fois au sein des universités, mais aussi au sein des grandes écoles.

Il y a des chiffres qui sont très parlants, mais par exemple, au sein de certaines grandes écoles de commerce, il y a cinq ans, je pense notamment à une très grande école de commerce, il y a cinq ans, il y avait une personne qui travaillaient sur les enjeux RSE à mi-temps. Et aujourd’hui, ils sont cinq à temps plein.

Donc c’est aussi pour montrer à quel point les écoles s’adaptent et mettent les moyens nécessaires pour pouvoir se transformer, à la fois les moyens humains, en rajoutant des personnes dans les corps des équipes des DRS, mais à la fois des moyens financiers pour faire appel à des structures externes. Beaucoup d’écoles font appel par exemple au Shift Project. pour les accompagner dans une transformation de leur programme.

C’est le cas par exemple de Audencia à Nantes, qui a fait appel au Shift pour créer le programme Gaia, qui est un programme dédié aux enjeux de la transition écologique et sociale. Et elles mettent aussi en place des moyens humains, comme je te le disais tout à l’heure, en rassemblant des étudiants et des professeurs autour de ces questions-là.

Thomas Gauthier

Tu viens de nous ramener trois dates. comme tu l’as dit, qui sont inscrites dans notre calendrier proche depuis 2018 jusqu’à aujourd’hui. Est-ce qu’il y a d’autres événements qui sont selon toi en cours de fabrication ?

Est-ce qu’il y a des nouvelles bascules ou nouvelles annonces auxquelles nous pourrions nous attendre, peut-être profitant de la dynamique impulsée notamment par les trois événements que tu as ramenés de cette histoire proche ?

Hélène Cloître

Oui, je pense que là, le gros enjeu pour les mois à venir, c’est de voir comment les établissements vont prendre en compte et intégrer le rapport Jouzel. Le rapport Jouzel, il a une certaine radicalité.

C’est un rapport qui vise à vraiment avoir cette vision systémique dont on parlait tout à l’heure, à former tous les enseignants et enseignantes, tous les étudiants et étudiantes, les encourager à… avoir des choix professionnels aussi qui s’inscrivent dans cette démarche de transition. Donc c’est un rapport qui est très large, qui couvre beaucoup de choses, et qui, s’il était respecté entièrement, pourrait permettre d’avoir des enseignements de qualité, et je dirais peut-être à la hauteur des enjeux, s’il est pris vraiment dans sa globalité, et s’il est lu de manière très transversale.

Donc pour moi le gros enjeu ça va être comment les écoles vont s’adapter. Ce qui est intéressant aussi pour les écoles, on parlait tout à l’heure des entreprises qui s’adaptent un peu parce qu’elles ont du mal à recruter.

Les écoles elles s’adaptent elles aussi parce que le rapport Jouzel est sorti, parce qu’il y a une demande croissante des étudiants et étudiantes, mais aussi parce que récemment il y a eu des classements des écoles les plus engagées. Et alors ça les écoles ça les intéresse aussi les classements. dans le but aussi de répondre à ces classements et d’être bien classés.

Elles vont aussi sûrement mettre en place des choses assez innovantes. Et aussi, il ne faut pas oublier qu’il y a un effet de mode.

Aujourd’hui, une école est fière d’annoncer qu’elle a mis en place tel ou tel master, tel ou tel programme. Audencia, on l’a bien vu, a fait un gros coup de com’ à la rentrée avec son programme Gaia.

Donc, c’est aussi pour elle un argument de vente. et comme le problème de recrutement pour les entreprises, j’ai envie de dire, peu importe quelle est la raison pour laquelle les écoles se transforment, tant qu’elles le font de manière systémique et profonde, c’est déjà ça. Mais je dirais vraiment pour regarder le futur, ça va vraiment être comment les écoles intègrent ces enjeux-là de manière transversale et aussi, très intéressant, quel est l’avenir des écoles de commerce ?

Parce que dans un monde durable, dans un monde soutenable… On peut se poser la question aussi de la place des écoles de commerce et la pertinence des programmes qui sont actuellement enseignés.

Et on pourrait se poser la question, je voyais l’autre jour sur LinkedIn, suite à la sortie du rapport justement du Shift Project sur la transformation des écoles de commerce, quelqu’un qui disait, mais quel est l’avenir des écoles de commerce ? Et quelqu’un d’autre qui répondait, peut-être que ça pourrait être les écoles de l’impact et d’apprendre en fait à valoriser l’impact.

Et ça, je trouve ça très intéressant. Et je…

Dernière petite parenthèse, et après, j’arrête de m’épancher à droite à gauche, mais j’ai rencontré quelqu’un qui fait aussi du conseil au sein des entreprises, du conseil RSE au sein des entreprises, et qui disait quelque chose de très intéressant, moi, qui m’a un peu bouleversée, c’est demain, le métier de CFO, Chief Finance Officer, sera amené à disparaître, parce que la finance ne régira plus l’intégralité des activités d’une entreprise. Demain, une entreprise devra aussi prendre en compte l’impact qu’elle a sur la biodiversité, l’impact qu’elle a sur le climat, à quel point elle contribue à l’extraction des ressources, à quel point elle pollue à la fois pollution chimique et pollution visible.

Et en fait, elle devra le prendre en compte aussi bien parce que toutes les entreprises seront à ce moment-là vertueuses, je l’espère, mais aussi Merci. parce que sinon elles paieront des taxes importantes sur cet impact négatif. Et donc il est essentiel aujourd’hui d’être capable de former des gens qui ne soient pas des simples comptables, des simples personnes qui analysent les bilans financiers, mais aussi qui soient capables de prendre le problème dans son intégralité et de prendre à la fois en compte les enjeux économiques, mais aussi tous les enjeux transverses liés à l’impact général d’une entreprise sur son écosystème.

Thomas Gauthier

Est-ce que tu dis là fait écho à une actualité ? Il me semble que la semaine passée, le Parlement européen a voté sur un texte concernant des normes extra-financières et a conscience qu’il y a une forme de choc des comptabilisations, comme j’aime à l’appeler, qui est en train de se profiler entre les propositions internationales et nord-américaines qui n’incluent pas la double matérialité, là où les Européens, semble-t-il, dans leur projet de normes extra-financières, souhaitent intégrer à la fois les impacts des transformations de l’environnement sur l’entreprise, mais aussi les impacts de l’entreprise sur l’environnement.

Et il me semble, tu l’as dit, que la comptabilité parmi d’autres disciplines enseignées dans les écoles de commerce font partie des leviers de transformation. Là où ces disciplines ont peut-être par le passé été parfois taxées d’être rébarbatives, c’est en fait des lieux de pouvoir, c’est des lieux d’enregistrement du réel, c’est des lieux de mesure et de présentation de la valeur qui est soit… détruite soit fabriquée par l’entreprise et j’aime ce que tu dis sur le sujet que cette mesure de la valeur est certainement amené à évoluer et évoluant va proposer des nouveaux métiers va faire appel à des nouvelles expertises et va probablement redonner du sens à des métiers qui peut-être on avait on avait perdu ces dernières années on a beaucoup vu avec toi hélène donc le futur d’abord puis ensuite l’histoire On va bien évidemment conclure notre entretien en revenant à l’ici et maintenant.

Ce qu’il m’intéresserait maintenant de faire découvrir à nos auditrices et auditeurs, c’est qui tu es et finalement, quelles sont tes manières à toi, dans la pratique, d’accorder tes paroles et tes actes ? Est-ce que tu peux nous faire vivre un tout petit peu quelques-uns de tes engagements ?

Il a déjà été question, bien sûr, du film Rupture, mais tu as carte blanche pour nous raconter un petit peu à quoi ressemble l’engagement d’Hélène Cloître.

Hélène Cloître

L’engagement d’Hélène Cloître, il est assez varié. Donc moi, initialement, je suis diplômée d’une école de commerce, comme tu le disais.

Et après mon école de commerce, je suis allée un peu naturellement, sans trop me poser de questions, vers la grande distribution. J’y ai travaillé deux ans et j’avais un métier à impact négatif, puisque je contribuais à faire surconsommer les gens.

Je contribuais à vendre énormément de bouteilles de lessive en plastique et beaucoup de produits jetables. et aussi je faisais acheter aux gens des produits inutiles par exemple plutôt que d’acheter uniquement Un dentifrice, ils achetaient aussi un dentifrice, un blanchisseur pour les dents, un bain de bouche et du fil dentaire. Au lieu d’acheter uniquement une lessive, ils achetaient une lessive, un assouplissant, des perles pour le linge et puis des petits voiles de linge pour rajouter encore de l’odeur et de la douceur.

Et au lieu d’acheter uniquement des couches, ils achetaient aussi des couches et des lingettes et tous les autres accessoires pour les bébés. Donc en fait, je me rendais compte que je contribue à un système… ultra productivistes, ultra capitalistes et surtout je faisais consommer et qui contribuaient à accentuer les inégalités sociales puisque les personnes qui consommaient mes produits étaient principalement les personnes qui étaient dans une plus grande précarité puisque c’était les personnes qui voulaient profiter des promos, un acheté, un offert dans l’entrée de leur magasin et acheter trois boîtes de couches d’un coup pour faire des économies sur la troisième.

Et donc je faisais ce métier à l’échelle locale puisque j’étais commerciale à Nantes. Et au moment où on a commencé à discuter sur le fait d’avoir un impact national, donc de monter au siège et d’avoir une mission à l’échelle de toute une enseigne, à ce moment-là je me suis questionnée et je ne me voyais pas faire ce que je faisais à l’échelle locale à plus grande échelle.

J’avais l’impression que j’allais avoir un impact beaucoup trop négatif. Et ça a été pour moi mon déclencheur pour pouvoir démissionner.

Et après cette démission-là, j’ai lancé une conserverie anti-gaspillage. Donc l’idée, c’est de rester en lien avec les supermarchés.

Mais plutôt que de leur fournir trop de produits à vendre, je récupérais le trop-plein de fruits et légumes qu’ils n’avaient pas réussi à vendre pour en faire des confitures. Donc ce projet-là, il a été lancé avec une associée qui s’appelle Séverine.

Il est lancé autour du Mans et aujourd’hui les confitures marchent toujours, sont super bonnes. Elles ont d’ailleurs gagné le concours de la meilleure confiture du Mans il y a quelques mois.

Aujourd’hui c’est Séverine qui porte le projet à temps plein, mais si certaines et certains auditrices, auditeurs écoutent cette émission et habitent au Mans, sachez que les confitures 28% sont disponibles dans plus de 15 points de vente aujourd’hui en Sarthe. Donc voilà, vous pouvez les trouver assez facilement.

Et en fait, pendant la création de ce projet-là, comme tu le disais tout à l’heure, j’ai été suivie par Arthur, qui à ce moment-là réalisait le documentaire Rupture. Donc je fais partie à la fois des protagonistes du film et à la fois j’ai accompagné Arthur dans la production du film.

Rupture est sorti il y a un an et donc depuis un an, depuis la sortie du film, on est à temps plein sur les diffusions. Comme je te le disais, on a fait des diffusions dans des lycées, dans des universités, dans des écoles, dans des assos, dans des entreprises, dans des collectivités, dans des cinémas.

Donc ça fait un an vraiment qu’on part à la rencontre de toutes ces personnes, de toutes ces personnes-là pour leur parler un peu de ce phénomène. Et en parallèle de ça, j’ai aussi contribué à l’écriture d’un livre qui s’appelle « Basculons dans un monde vivable » qui est paru aux éditions Actes Sud en avril 2022.

Et en fait, « Basculons dans un monde vivable » , c’est un recueil de témoignages de jeunes qui ont basculé. Il y a 30 témoignages de jeunes qui ont basculé.

Donc, ils expliquent un peu leur cheminement de bascule, quel a été leur déclic, qu’est-ce qu’ils ont fait ensuite. pour s’engager. Et sur ces 30 témoignages, il y a 15 témoignages d’acteurs et actrices de la transition, donc des personnes qui sont un peu plus expérimentées dans les questions d’engagement.

Par exemple, Pablo Servigne fait partie de ce livre, Damien Carême aussi, qui est eurodéputé, qui est l’ancien maire de Grande-Synthe. Donc voilà, plusieurs acteurs et actrices de la transition, des journalistes, des politiques, des économistes. qui viennent un peu porter leur regard sur cette jeunesse-là.

Donc ça, c’est un livre que je trouve très intéressant aussi, parce qu’il montre un phénomène qui est très intéressant chez les jeunes, qui est en fait cette quête d’alignement. Ce dont on se rend compte, et ce que moi aussi j’ai vécu, puisque là je vais plus te parler de mon parcours à moi, mais c’est ce besoin de se sentir aligné entre ses valeurs et son activité professionnelle. le fait de repenser aussi la notion de réussite.

Aujourd’hui, à l’époque de nos parents, les personnes avaient des carrières longues dans les mêmes entreprises et démissionner au bout de deux ans, c’était un échec. Aujourd’hui, on est dans une génération qui n’a pas peur de se tromper, qui repense aussi la notion de réussite, qui n’a pas peur de changer, qui n’a pas peur de se tâtonner.

Et ce qu’on voit dans le livre Basculon, dans beaucoup de profils autour de nous, et aussi moi-même et les personnes du film Rupture, C’est qu’aujourd’hui, on essaye. On essaye d’aller voir ce qu’est, par exemple, l’engagement politique, politique locale.

On essaye de voir ce qu’est l’entrepreneuriat. On essaye de voir ce qu’est la création, par exemple, d’une formation autour des enseignements écologiques et sociaux.

Et d’ailleurs, Emma, qui est dans le film, a créé Fertile, qui est un centre de formation à la transition. et pour elle c’est aussi une manière de se tâtonner, de voir est-ce que la formation ça me convient, oui j’aime bien mais je vais aussi faire un peu de politique et je vais aussi aller dans une entreprise pour essayer de la transformer de l’intérieur, je vais aussi dans une entreprise engagée, je vais dans une asso, je vais faire du bénévolat je vais faire du militantisme et en fait aujourd’hui on est dans une jeunesse qui se cherche et moi c’est un peu mon cas donc depuis la sortie de Rupture comme je te disais on a fait beaucoup de projections du film et là aujourd’hui on est sur deux nouveaux projets avec Arthur le réalisateur on est à la fois sur un nouveau documentaire qui va suivre des nouveaux profils et qui va essayer d’aller explorer plus loin que seulement les jeunes des grandes écoles. Parce qu’aujourd’hui, il y a un enjeu sur le fait de démocratiser l’engagement.

Aujourd’hui, aller dans les cités et parler d’écologie, c’est mal vu. L’écologie, c’est parfois vu comme un truc de riche.

Alors que les populations les plus précaires sont les premières touchées par les conséquences du dérèglement climatique et l’injustice sociale qui en découle. Donc aujourd’hui, avec le deuxième documentaire, On va essayer d’aller toucher plus large, d’aller montrer que les engagements peuvent avoir lieu dans tous les milieux et à tout âge.

On va essayer d’aller filmer des enfants qui s’engagent, aussi pour montrer que l’engagement n’a pas d’âge et que si un enfant de 8 ans peut s’engager, peut-être que quelqu’un de 40 ans aussi peut le faire. Donc voilà, un deuxième documentaire.

Et en parallèle de ça, on est aussi en train de travailler sur la création d’un événement. ce dont on s’est aperçu aussi c’est que beaucoup d’étudiants et étudiantes qui visionnent Rupture nous disent à la fin mais moi j’ai l’impression qu’aucune structure ne correspond à ce que j’ai envie de faire ou alors il y a des entreprises qui sont très prisées par exemple Carbon 4 c’est très difficile aujourd’hui de rentrer chez Carbon 4 parce que beaucoup de personnes, d’étudiants et étudiantes ont identifié Carbon 4 comme étant une entreprise vertueuse donc ils reçoivent beaucoup de candidatures je discutais l’autre jour avec le… Emery Jaquia, le président de la CAMIF, qui est l’entreprise qui a créé les entreprises à mission, qui est une entreprise qui s’est réinventée pour être extrêmement engagée et qui essaye en tout cas d’être le plus vertueuse possible.

Et donc Emery Jaquia a été assez médiatisée comme étant un exemple de réussite d’entreprise à mission. Et en fait, leur entreprise est basée à New York.

Donc New York, ce n’est quand même pas une ville sur le papier qui fait rêver. Et pourtant, ils me disaient la semaine dernière que quand ils ont cherché un responsable marketing, ils ont reçu en très peu de temps 250 candidatures pour être à New York.

Et quand on voit qu’à côté de ça, beaucoup d’entreprises font face à des problèmes de recrutement, on se dit qu’en fait, les gens, aujourd’hui, veulent aller travailler dans des entreprises plus vertueuses. Sauf que les entreprises vertueuses sont souvent un peu inconnues.

Les entreprises ou structures vertueuses sont souvent un peu inconnues. Il y en a certaines qui prennent la lumière, comme la Camif, comme Carbon4, mais d’autres sont assez inconnues.

Donc, ce qu’on va faire, c’est que… À la rentrée prochaine, on va organiser un salon festival qui va rassembler plein d’initiatives vertueuses du territoire breton. Donc des entreprises, des assos, des start-up, des collectivités, la petite commune de X ou Y qui recrute un responsable RH et qui s’engage.

Et en fait, on va les mettre tous ensemble autour d’un même événement. On va faire appel aux étudiants et étudiantes et aux personnes demandeuses d’emploi de la région Bretagne. et on va les mettre en lien pour justement montrer que…

Il y a plein d’initiatives vertueuses qui existent en Bretagne et que si les gens veulent s’engager, ils ne sont pas obligés de créer leur propre entreprise. Ils peuvent aussi en rejoindre une déjà existante ou un autre type de structure déjà existant vertueux.

Voilà, donc c’est nos deux projets, un nouveau documentaire et un événement pour la rentrée prochaine.

Thomas Gauthier

Je ne vais sûrement pas tenter de reprendre tout ce que tu viens de nous partager concernant tes actualités et tes formes d’engagement. Néanmoins, une petite idée qui me vient en tête en t’écoutant, dans les écoles, qu’il s’agisse d’écoles de commerce… ou d’école d’ingénieur ou autre, il y a ces événements de recrutement où des entreprises viennent sur le campus pour se présenter aux étudiants, pour offrir des stages, voir des premiers emplois.

Et je me dis, en écoutant la présentation de l’événement que tu es en train de bâtir, qu’il y aurait sûrement aussi matière à le répliquer si ça se trouve, ou l’adapter pour que ces entreprises vertueuses prennent un peu plus la lumière dans ces moments de recrutement qui sont clés, puisqu’on sait que les entreprises qui viennent sur les campus augmente de manière assez radicale leur probabilité d’accueillir des stagiaires venant de ces écoles ou d’accueillir des diplômés de ces écoles. Donc peut-être que l’événement dont tu nous parles pour la région Bretagne gagnera en popularité, en visibilité et se retrouvera décliné dans des formes campus pour rapprocher ces entreprises vertueuses des étudiants.

Hélène Cloître

J’ai envie de te répondre, In sha’ Allah,

Thomas Gauthier

Merci beaucoup Hélène.

Hélène Cloître

Merci à toi Thomas.

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