Jean-Phlippe Decka
Photo de Jean-Philippe Decka

#17 Jean-Philippe Decka | Renoncer pour mieux (se) réinventer

19 octobre 2022
33 mins de lecture

À la suite d’une violente prise de conscience de l’urgence climatique, Jean-Philippe Decka a volontairement tourné le dos à la vie de privilèges que lui promettaient son diplôme d’HEC et sa carrière en start-up.

Convaincu que les élites ont un rôle précieux à jouer dans le bouleversement du système socio-économique, il nous raconte dans l’entretien à venir ses expériences, parmi lesquelles l’écriture d’un premier ouvrage, Le courage de renoncer, et la production d’un podcast, Ozé, dans lequel il tend le micro à ceux qui, comme lui, ont fait le choix de renoncer.

Entretien enregistré le 12 octobre 2022

Entretien enregistré le 12 octobre 2022

Transcript de l’entretien

(Réalisé automatiquement par Ausha, adapté et amélioré avec amour par un humain)

Thomas Gauthier

Bonjour Jean-Philippe.

Jean-Philippe Decka

Bonjour.

Thomas Gauthier

Alors ça y est, tu es face à l’oracle, tu vas pouvoir lui poser trois questions sur l’avenir. Par quelles questions est-ce que tu souhaites commencer ?

Jean-Philippe Decka

Écoute, j’ai plus de trois questions que j’ai préparées pour l’oracle, donc c’est un choix assez difficile. parce que j’ai tout un tas de choses, bien évidemment, qui m’intéressent sur le futur. Mais si je devais en choisir trois, peut-être que la première serait celle-ci.

Dans quel monde mon fils vivra-t-il lorsqu’il aura mon âge ? Sachant qu’aujourd’hui, mon fils a 15 mois, que moi j’ai 36 ans, donc dans peu ou pro 35 ans, dans quel monde est-ce qu’il vivra ?

C’est vrai que c’est une question qui me taraude, qui je pense taraude beaucoup de parents aujourd’hui par rapport aux différentes incertitudes, au dépassement des limites planétaires, etc. donc est-ce que ce sera un monde un peu post-apocalyptique comme on nous en fait le dessin dans des films de science-fiction type Mad Max etc est-ce qu’au contraire ce sera un monde beaucoup plus apaisé dans lequel finalement on aura appris à revivre en accord, je vais dire, avec les écosystèmes, où finalement on sera sorti de l’idéologie de la croissance, où on aura repensé les rapports de domination, la définition de la valeur. C’est vrai que ce serait une question que j’aimerais poser pour me sécuriser moi-même, avoir peut-être une idée des perspectives d’avenir.

Thomas Gauthier

Alors ta première question à l’oracle m’amène à mon tour à t’en poser plusieurs. Puisque tu te poses cette question, c’est que peut-être dans tes travaux de recherche, dans tes enquêtes, dans les discussions que tu peux avoir, tu perçois d’un côté ce que j’appellerais des signes d’espoir qui te laissent penser que ton fils va pouvoir grandir et s’épanouir dans un monde à la fois vivable et agréable.

Mais de l’autre côté, j’imagine que tu relèves également au travers de tes enquêtes, au travers de tes entretiens notamment, on reviendra sur le podcast Oser. des signes de fin de civilisation, pour paraphraser l’expression d’Uzbek Erika. Est-ce que tu peux nous donner éventuellement des exemples de ce qui seraient d’un côté ces signes d’espoir pour toi, et de l’autre ces signes de fin de civilisation ?

Jean-Philippe Decka

Oui, tout à fait. Alors, c’est vrai que moi, mes travaux de recherche, entre guillemets, puisque aujourd’hui, je ne les fais pas dans un cadre scientifique et de recherche universitaire ou académique. mais c’est dans le cadre d’un podcast, donc quelque chose d’un peu plus journalistique, on va dire, m’amène à discuter avec beaucoup de diplômés de grandes écoles, de cadres, d’entrepreneurs et de chercheurs ou experts, on va dire, sur certains sujets.

Et à travers ces enquêtes et ces discussions, je perçois effectivement des signaux d’espoir qui m’amènent à penser que de plus en plus de gens sont conscients ou ont envie de penser le monde autrement, d’opérer une transformation radicale de notre modèle de société qui est, on le sait aujourd’hui, juste intenable dans la manière dont il fonctionne puisque aujourd’hui sur les neuf limites planétaires qui existent, on en a déjà dépassé six. dont une qui n’est pas comptabilisée, une septième qui vraisemblablement va être dépassée dans les années à venir, l’acidification des océans. Donc voilà, c’est un monde qui aujourd’hui est vraiment étiré, la biosphère qui devient un endroit beaucoup moins enclin à l’épanouissement des êtres humains et du vivant de manière générale.

Mais voilà, il y a des réveils, il y a des envies. mais qui sont toutefois assez verrouillés en fait par rapport au fonctionnement du système. J’aime bien reprendre un peu l’expression de Nate Higgins qui parle lui en fait de méga-organisme qui en fait n’est plus dirigé par une quelconque personne qui a échappé à tout contrôle et qui en fait fait un peu sa vie et qui du coup nous amène gentiment vers… un dépassement complet, effectivement, une fin de civilisation, et sans qu’on puisse, en fait, au niveau individuel, agir sur cet organisme.

Alors, moi, ce n’est pas quelque chose dans lequel j’ai envie de croire, à titre personnel, donc on est vraiment dans l’ordre de la croyance, je ne sais pas si c’est vrai ou non, mais parce que je trouve ça un peu démobilisant, mais du coup, non, j’ai plutôt envie de croire que non pas au niveau… individuelles uniquement, mais de manière collective, on puisse prendre à bras le corps les problématiques, les enjeux systémiques, les enjeux de société, pour finalement transformer notre modèle.

Thomas Gauthier

Tu as parlé un tout petit peu de ton enquête journalistique, du podcast, des rencontres que tu as faites jusque-là avec des diplômés de grandes écoles françaises. Bien sûr, l’actualité des derniers mois a été riche de discours, de remises de diplômes dans les grandes écoles françaises, de prises de positions. d’étudiants, voire même depuis peu d’enseignants.

Qu’est-ce que tu crois savoir de ce qui se passe en ce moment dans ces grandes écoles ? Est-ce que quelque chose est en train de se passer ?

C’est-à-dire, est-ce que des nouvelles perspectives disciplinaires font leur apparition dans ces établissements d’enseignement supérieur ? Est-ce que ces nouvelles perspectives viennent se surimposer à des perspectives disciplinaires conventionnelles qui persistent ? au risque d’ailleurs de provoquer chez les étudiants des formes de dissonance cognitive, me semble-t-il.

Ou alors est-ce que tu observes déjà des signes d’une profonde transformation des bases épistémiques de ce qui est enseigné dans ces écoles, des trajectoires aussi auxquelles les futurs diplômés sont préparés ? Qu’est-ce que te raconte ton enquête sur ce point ?

Jean-Philippe Decka

Écoute, un peu les deux. Mon enquête, elle me raconte d’une part… qu’il y a une certaine liberté qui est offerte aux enseignants et notamment aux enseignants vacataires comme je le suis, dans des grandes écoles ou à la fac, pour aborder ces thèmes de limites planétaires, de modèles alternatifs comme par exemple l’économie du donut dans des cours d’économie ou dans des cours de business.

Une liberté que je pense que je n’aurais pas eue il y a cinq ans. J’ai commencé à donner des cours à HEC dès ma sortie en entrepreneuriat, puisque j’ai été entrepreneur directement.

Et je voyais qu’on était vraiment dans un cadre très respectueux du business as usual, le business model Canva, Lean Startup, etc. Et aujourd’hui, où vraiment on sent qu’il y a une envie, un besoin de repenser tout ce cadre du fonctionnement, on va dire, de l’économie et des entreprises, il n’y a pas de nouveau… modèle qui s’impose, ce qui fait qu’en fait il y a un foisonnement de possibilités d’enseignement et je trouve qu’il y a une vraie liberté en fait pour les enseignants de prendre à bras le corps justement une certaine radicalité dans l’enseignement qu’on peut proposer et donner aux étudiants et qui est offerte aujourd’hui.

Alors elle va peut-être pas durer mais en tout cas aujourd’hui c’est je pense qu’il y a vraiment une chance et il faut s’engouffrer en fait dans cette brèche pour aller aussi le plus loin possible Les étudiants à qui je fais cours à la fac ou en école de commerce sont vraiment, déjà un, extrêmement surpris des thèmes que je peux aborder, qui peuvent aller même de traiter de l’écoféminisme à l’anarchisme, pour mettre sur le tapis des thématiques qu’on aborde rarement, en tout cas pour les pensées, pour s’éveiller à un certain esprit critique. Et ils sont très heureux qu’on leur parle de ça, puisque ça sort du cadre. classique dans lequel ils ont leur enseignement qui souvent pour caricaturer un chef alors c’est finalement n’a pas beaucoup évolué depuis la fin des années 90 avec enfin des bouquins comme le straté gore le vernis mène etc qui nous raconte en fait la même doxa néolibéral en économie en finances en marketing et etc qu’on le conseil intenable donc d’une d’une part en fait je suis très agréablement surpris de la liberté d’enseignement qu’on peut avoir aujourd’hui dans le supérieur en tant que professeur vacataire sur ces questions d’écologie, d’environnement, de limites planétaires.

Et d’autre part, quand je discute avec des étudiants de différentes associations écologiques ou de Pour un réveil écologique, etc. au sein des grandes écoles, On voit qu’ils commencent à être un petit peu formés. Il y a, par exemple, la fresque du climat qui est faite à la rentrée maintenant, avec la rentrée climat, d’autres ateliers comme l’atelier d’automne, etc.

Des intervenants comme, par exemple, Jean-Marc Jancovici, Timothée Paric, etc. qui interviennent dans ces grandes écoles. Mais, pour autant, ça ne change pas les trajectoires aujourd’hui qui sont prises par ces étudiants, notamment en école de commerce, je pense à HEC, où malgré un début… de réflexion, de prise de conscience, on continue malgré tout à aller en cabinet de conseil et en banque d’investissement.

Voilà, c’est peut-être l’ébribe d’une prise de conscience un petit peu plus globale, mais je pense qu’il va falloir quand même radicaliser un petit peu le mouvement, au sens où ne pas le réduire à des ajustements marginaux, mais repenser complètement le cadre. de ces grandes écoles. Je discutais par exemple avec un futur énarque hier soir qui me disait déjà sans repenser les modalités de classement des grandes écoles, que ce soit le Financial Times, le classement de Shanghai, sur lesquelles ces grandes écoles vont finalement être en compétition par rapport à leur position, ça sera très difficile de changer les enseignements et les modalités, les indicateurs en fait vers lesquelles on a envie de se tourner.

Puisque quand un des indicateurs phares va être finalement le salaire ou les revenus des étudiants après leur sortie, on reste en fait dans une logique d’accumulation, de plus d’argent, etc. Et ça va être difficile de mettre en avant d’autres filières, d’autres acteurs.

Pareil, quand on regarde par exemple quelles sont les entreprises qui sont présentes lors des carrefours HEC par exemple, bon, mais ça n’a pas changé depuis 10 ans. sont toujours les mêmes, Deloitte, JP Morgan, McKinsey, etc. Alors, il y a eu la volonté de faire un genre de carrefour HEC, c’est-à-dire un salon un peu vers développement durable.

Et au final, on n’y retrouve pas de nouveaux acteurs, de réelles alternatives. On retrouve ces mêmes entreprises-là, mais avec leur côté développement durable, RSE, etc.

Donc bon, ça, pour moi, c’est vraiment de la paillette du maquillage, pour ne pas dire du greenwashing. Et c’est typiquement ce qu’il faut éviter.

Donc voilà, un peu un équilibre aujourd’hui entre certaines libertés qu’on peut avoir dans l’enseignement, essayer de semer des graines, potentiellement repenser avec aussi les enseignants le contenu de leurs cours. Je sais que Pour un réveil écologique, et notamment HEC, a fait un gros travail là-dessus pour proposer de nouveaux types d’enseignements, changer les contenus.

Mais ensuite, c’est aussi repenser les indicateurs de ces organisations, de ces entreprises que sont les grandes écoles, comme toute organisation en fait. Puisque quand on n’a pas redéfini la valeur, quand on n’a pas redéfini les indicateurs, c’est très difficile de faire autre chose que des ajustements à la marge.

Thomas Gauthier

J’en retiens déjà de ce que tu nous dis Jean-Philippe, qu’au-delà d’ajustement à la marge, pour utiliser cette expression, il s’agit bien de découvrir, de déconstruire et de reconstruire des… des mythologies, des systèmes de valeurs, des conventions, des normes qui d’ailleurs dans le champ social et économique ont petit à petit pour certaines, je pense notamment à l’objectif de croissance, atteint ou acquis le statut de quasi-loi physique, comme s’il ne pouvait pas y avoir d’alternative à ces objectifs à l’échelle d’une entreprise ou à l’échelle d’une nation. Cette première question à l’oracle nous a amené déjà bien loin, maintenant tu as une deuxième chance, tu peux te présenter à nouveau devant l’oracle, qu’est-ce que tu veux lui demander maintenant ?

Jean-Philippe Decka

Alors, il y a une autre question qui me taraude et qui est celle des changements culturels. Je rebondis un petit peu sur ce que tu disais par rapport à l’idéologie qui habite, on va dire, les grandes écoles et de manière générale, un petit peu les plus privilégiés d’entre nous, ce qu’on appelle parfois nos élites.

Et en faisant cette enquête, ces discussions, en écrivant le livre qui est… tiré de cette enquête sur Oser, je me suis aperçu que les freins idéologiques étaient vraisemblablement les plus importants. Et une intuition, c’est qu’on n’arrivera pas à faire de révolution au sens où on opérera une transformation complète et radicale de modèle de société pour atterrir, pour reprendre les mots de Bruno Latour, dans un monde beaucoup plus soutenable, sans… opérer une véritable révolution culturelle.

Et cette révolution culturelle, la question que j’aimerais poser à l’oracle, c’est par quel bout la prendre ? De quelle manière ? opérer une révolution culturelle, notamment chez nos élites les plus privilégiées, pour les amener à questionner leur mode de vie, à quitter ce mode de vie qui est aujourd’hui complètement délétère, et à utiliser le pouvoir qu’ils ont pour transformer de manière profonde nos institutions.

Thomas Gauthier

Tu parles de culture, ça m’amène à rebondir avec une citation que j’utilise assez souvent avec les étudiants. On la doit à l’essayiste canadienne Naomi Klein, qui dit que le changement climatique… est un échec des imaginaires.

Est-ce que tu partages ce constat ou alors est-ce que tu en as une lecture différente ? Où en sont nos imaginaires aujourd’hui d’une autre société, d’une suite peut-être à la civilisation thermo-industrielle qui règne depuis la découverte des combustibles fossiles ?

Est-ce que l’on a aujourd’hui une fabrique à imaginaire à la hauteur des enjeux existentiels qui sont les nôtres ?

Jean-Philippe Decka

C’est difficile, je suis forcément biaisé sur cette question puisque je fréquente énormément de personnes. qui s’attellent à fabriquer et à construire de nouveaux imaginaires et de nouveaux récits. Donc autour de moi, je pense à des gens comme Julien Vidal, à travers son podcast et son livre 2030 Glorieuse, qui fait je trouve un travail absolument génial, en permettant aux gens de se projeter déjà en 2030, à travers de nouveaux récits, que ce soit les travaux de Cyril Dion par exemple, aussi à travers une nouvelle société de production audiovisuelle qui veut mettre en avant. plus d’utopie, plus de nouveaux récits pour demain et les travaux qu’il a déjà fait à travers ses documentaires et ses écrits.

Pour ne citer que ces deux-là, il y a beaucoup d’efforts qui sont tournés vers de nouveaux récits plus utopiques. Je pense aussi à certains auteurs de science-fiction, que ce soit des nouvelles ou des romans, qui essaient de sortir de l’idée de dystopie pour proposer d’autres utopies. un peu à la manière d’Ecotopia, ce livre de science-fiction des années 80, je crois, qui proposait en fait un nouveau mode d’organisation aux États-Unis après que certains États aient fait sécession, qu’il y ait eu une coupure pendant quelques dizaines d’années et que les journalistes soient autorisés à revenir dans cet État californien, je crois, qui avait fait sécession, pour y découvrir finalement une civilisation complètement différente avec d’autres valeurs. un peu à la manière d’un ingénu, des lettres-personnes, ou de ce fonctionnement un peu classique, on va dire, qu’on utilise dans la littérature pour finalement projeter un regard sur notre monde.

Il y avait Robert Heinlein aussi, grand auteur de science-fiction, qui avait écrit un livre, Stranger in a Strange Land, où il imaginait un humain éduqué sur Mars qui revenait sur Terre et qui pouvait avoir un regard assez critique sur notre monde. Donc voilà, c’est ça pour dire que je pense qu’il y a déjà beaucoup beaucoup de choses qui sont faites, il y a l’Institut des Futurs Souhaitables qui travaille beaucoup sur ces questions aussi de nouveaux récits.

Après, encore une fois je reviens sur les freins idéologiques et un petit peu ce qui m’a frappé dans les travaux que j’ai pu faire autour du podcast et autour du livre, qui est que ces nouveaux récits, en tout cas pour une partie des plus privilégiés d’entre nous, sont absolument… inaudible, à partir du moment où on n’a pas opéré déjà un travail de déconstruction sur soi, sur ses imaginaires, sur ses croyances, et sur des idées reçues qui apparaissent comme un état naturel des choses. Je m’explique.

C’est très difficile de penser, en fait, à une sortie du capitalisme, une sortie de l’économie de marché, une remise en question de la notion de mérite, du travail, en tant que valeur fondamentale de la société. de l’individualisme et des rapports sociaux entre êtres humains, de la propriété privée par exemple. Donc toute cette mythologie, toutes ces croyances du capitalisme néolibéral sont très très difficiles à remettre en question et en fait empêchent d’entrevoir un certain champ des possibles.

Et moi ce que j’ai remarqué c’est qu’en fait il faut d’abord déconstruire au niveau individuel et collectif ces croyances. qui passe vraiment pour un ordre naturel des choses. Quand on prend des choses comme la propriété privée, le rapport à la dette, par exemple, le mérite ou la méritocratie, c’est des choses dans lesquelles on croit dur comme fer et qu’on n’interroge plus.

Alors qu’en fait, elles méritent d’être interrogées. Même la notion de travail, j’étais hyper interloqué de voir que les gens cherchent à mettre plus de sens dans leur travail, mais ne vont pas forcément creuser la question de travail en soi. comme on a pu le faire par exemple des gens comme André Gorz, Dominique Méda ou Mireille Bruyère, en interrogeant la question de travail marchand ou de travail productivité ou de travail à but économique, pour reprendre ces différentes appellations, et donc le fait de travailler. et dès qu’on propose des imaginaires qui sortent de ça par exemple sur une société où on travaillerait beaucoup moins ce que propose Rutger Bregman par exemple dans Utopie Réaliste où on arrive je crois à une société à 24h de travail par semaine ou même encore moins ce qui pourrait être tout à fait souhaitable et envisageable il y a une levée de bouclier on s’interdit, on a forcément une réaction de rejet puisqu’on vit dans un imaginaire et dans des croyances qui nous empêchent de voir ce champ des possibles.

Thomas Gauthier

J’aime beaucoup ce que tu dis autour du travail individuel, ça me fait penser à un précédent épisode du podcast dans lequel j’interviewais Xavier Pavie, qui nous ramenait de la Grèce antique les exercices spirituels auxquels s’astreignaient les philosophes de quelque école que ce soit, qu’il s’agisse de stoïciens, qu’il s’agisse de cyniques, qu’il s’agisse d’épicuriens, c’est… Ces exercices spirituels, pratiqués aussi d’ailleurs par des hommes d’action, comme l’empereur Marc Aurel, comme des moyens de devenir réflexif sur les choix que l’on fait, sur les actes que l’on pose, sur les décisions que l’on prend, et aussi ces exercices spirituels comme une reconnexion au sens de la mesure.

On parle de plus en plus aujourd’hui de sobriété. Quelque part, il y a aussi la notion de mesure au sens où l’entendaient les philosophes antiques, qui se cache derrière.

As-tu, dans tes rencontres, dans les… entretiens que tu as pu conduire, repérer des formes d’exercices spirituels ou de chemins individuels qui amènent justement à déconstruire ces mythes fondateurs du système économique dans lequel on est et qui pourraient, pourquoi pas, inspirer les auditeurs et les auditrices.

Jean-Philippe Decka

Oui, tout à fait. En fait, ces différents chemins sont vraiment pluriels.

Il n’y a pas une manière de faire. qui vraiment sort du lot, en quelque sorte. Je pense que c’est un petit peu à chacun de trouver la voie qui lui convient le mieux.

Bon, une fois qu’on a dit ça, on n’a pas dit grand-chose. Mais ce sur quoi je voudrais insister, c’est en fait deux facteurs, j’ai trouvé, qui étaient vraiment très importants dans ce travail de déconstruction et un petit peu de deuil du système dans lequel on vit.

Le premier, c’est reprendre du temps. C’est-à-dire que… peu importe comment on reprend ce temps à savoir faire une pause prendre un congé sabbatique, faire une pause dans son travail démissionner peu importe en fait la manière dont on le fait, travailler au 2 ou 3 cinquièmes etc en fait c’est vraiment important de reprendre du temps pour permettre en fait à la réflexion de venir et ne pas être toujours en mode tête dans le guidon comme on l’est aujourd’hui beaucoup quand on travaille, ne serait-ce que 35 heures par semaine, qu’il faut ensuite s’occuper de la famille, gérer tout un tas de tâches, etc.

C’est très difficile de prendre le recul nécessaire à cette déconstruction qui nécessite énormément de temps. C’est vraiment la première chose.

Toutes les personnes que j’ai interrogées, avec qui j’ai discuté, qui se sont lancées dans ces nouveaux chemins, on prie vraiment du temps. Alors, ça peut être pendant…

Un temps limité, en quelque sorte, ça peut être quelque chose sur trois, six mois, un an, parfois beaucoup plus, en fait, mais de prendre vraiment du temps pour se dégager, en fait, l’esprit. Ce qui m’amène au deuxième point, qui est connexe, mais aussi important, qui est de sortir de son cercle social.

Sortir de son cercle social pour ne plus être confronté, en fait, à une seule et même vision du monde, mais vraiment se confronter à l’altérité. Et ça, pareil, ça peut prendre différentes formes.

Le voyage, par exemple, mais ça peut être aussi se confronter à l’altérité très proche autour de soi. Il y a beaucoup de gens que j’ai interrogés qui sont allés faire du woofing, par exemple, pour aller travailler dans des fermes de manière bénévole en étant nourris et logés, et seulement à mi-temps sur une journée, mais pour se confronter déjà à d’autres perspectives, à d’autres manières de vivre, à d’autres manières de penser le rapport au monde.

Et ça, c’est extrêmement important, surtout… quand on est, encore une fois, la tête dans le guidon, enfermé dans un cercle social, ce qui est normal, tout le monde l’est, que ce soit les plus privilégiés, les moins privilégiés, etc. On a tous un cercle social qui fait qu’il est très, très difficile d’avoir un recul important sur notre vision du monde.

Et tout ça, voilà. Donc ce sont vraiment ces deux facteurs-là sur lesquels j’aimerais insister. au-delà des manières et des techniques qu’on peut utiliser.

Après, il y a tout un tas de techniques qui ont été évoquées avec ces différents privilégiés. La technique comme par exemple…

La méditation pleine conscience, la psychanalyse, la marche, le vélo, etc. J’ai envie de dire, peu importe en fait ce qui est utile ou non, ce qui fait sens et ce qui fonctionne pour nous, à partir du moment où vraiment ces deux facteurs sont pris en compte, donc prendre le temps et se confronter à l’altérité en sortant de son cercle.

Thomas Gauthier

Prendre le temps, ça me fait penser à ce proverbe marocain, je crois, selon lequel l’homme pressé est déjà mort. Alors voilà, pour les deux premières questions à l’oracle, il te reste un dernier tour de piste.

Qu’est-ce que tu veux lui demander maintenant ?

Jean-Philippe Decka

On va retourner sur des questions un peu pragmatiques, mais qui me taraudent aussi. J’aimerais demander à l’oracle, comment est-ce qu’on va se nourrir demain ?

Pourquoi est-ce que je voudrais demander ça à l’oracle ? Parce que c’est quelque chose qui suscite en moi pas mal d’anxiété. aujourd’hui pour lire de nombreux rapports, de nombreuses publications scientifiques sur les questions d’agriculture, pour avoir une connaissance superficielle.

Je ne suis pas du tout un spécialiste, mais quand même de la dégradation des sols. Aujourd’hui en France, 70% des sols sont dégradés.

On fait face à énormément de baisses de rendement. dans les années qui vont venir sur des cultures très importantes comme le blé, par exemple, tout simplement du fait de la hausse des températures, des nouveaux risques climatiques qui vont être de plus en plus prégnants. Et donc, j’aimerais vraiment savoir vers quel chemin nous allons nous tourner.

Parce qu’aujourd’hui, il y a un petit peu deux voies qui s’offrent à nous. une première voie qui est une transformation complète du modèle agricole au sens où on reviendrait à finalement une agriculture type agroforesterie, bio, agroécologique, permaculture, etc. à des petites échelles ou en tout cas en polyculture élevage de manière collective avec un rapport à la terre beaucoup plus proche du commun que celui de la propriété privée. En tout cas, on sortirait d’un modèle très… très intensif finalement, avec beaucoup de mécanisation, des secteurs qui sont contrôlés par des grosses corporations qui finalement contrôlent l’amont, l’aval, et qui tiennent en étau les exploitations agricoles.

Donc ça, c’est d’une part cet imaginaire-là, de revenir finalement à quelque chose de beaucoup plus humain au niveau de l’agriculture. Et puis l’autre voie, qui est un petit peu plus celle, on va dire, des techno-solutionnistes, qui apparaît du côté de la Silicon Valley, qui est celle de… faire le deuil de l’agriculture.

Donc on fait le deuil de l’agriculture parce que, en fait, on fait l’hypothèse que de toute manière, étant donné les catastrophes climatiques, le dépassement des limites planétaires, les différentes ressources qui vont venir à manquer, notamment que ce soit le cycle de l’azote, du phosphore, etc., on ne sera plus en capacité de produire suffisamment par de l’agriculture pour les êtres humains. Donc on va se tourner. vers des nourritures plus moléculaires.

C’est vraiment une vision très technophile, un peu techno-solutionniste, où la nourriture sera produite en laboratoire. Il y a pas mal d’entreprises qui se lancent là-dedans, qui sont financées à coût de dizaines de millions de dollars aujourd’hui.

Par exemple, on peut citer Beyond Meat, qui apparaît dans certains restaurants en France pour proposer de la fausse viande, viande moléculaire. qui est censé remplacer les steaks pour des végétariens, par exemple. Mais c’est aussi le cas pour certaines plantes.

Donc voilà, j’aimerais un peu demander à l’oracle quelle voie allons-nous prendre ? Est-ce que finalement, on va manger comme dans Matrix, des espèces de bols inconsistants et vraisemblablement qui ne me font pas très envie ?

Ou alors, est-ce que finalement, on va revenir à un rapport beaucoup plus équilibré, beaucoup plus sain ? à nos écosystèmes et repenser une agriculture à l’échelle humaine.

Thomas Gauthier

Je trouve intéressant que dans cette civilisation, au fait de sa complexité, on en revienne à interroger ce qui jusque-là en fait…semblait acquis. La sécurité alimentaire n’a pas vraiment été, il me semble, à l’ordre du jour des politiques des pays développés.

Bien évidemment que c’est un problème plus que chronique dans les pays en voie de développement. C’est un peu comme si, au fait de sa complexité, la civilisation se révélait vulnérable et des acquis de sécurité au sens large, finalement, sont à nouveau discutés et disputés.

La sécurité alimentaire que tu as évoquée… On a eu conscience à partir de 2020 des enjeux de sécurité sanitaire.

On va avoir conscience et on l’a déjà des enjeux de sécurité énergétique. Peut-être que les enjeux de sécurité spirituelle sont aussi finalement omniprésents autour de nous.

Et la sécurité ou les sécurités ont finalement été évacuées de différents champs disciplinaires, des préoccupations de nos élites, pour reprendre le terme que tu as employé, parce qu’elles avaient été d’une certaine façon naturalisées et elles semblaient… coulée de sources. On a beaucoup avec toi interrogé l’oracle, on va regarder maintenant si tu le veux bien dans le rétroviseur, on se tourne vers l’histoire, est-ce que tu veux bien ramener, s’il te plaît Jean-Philippe, trois événements qui selon toi ont marqué cette histoire et qui peuvent nous servir aujourd’hui de point de repère, de balise, pour mieux nous orienter ?

Jean-Philippe Decka

Oui, tout à fait. Alors, pareil, je suis assez féru d’histoire, tout en étant très amateur là-dessus, donc c’était difficile de choisir des moments en particulier.

Et puis en plus, je ne maîtrise pas tout autour de ces dates et de ces moments, donc je vais essayer de ne pas dire trop de bêtises. Je m’excuse auprès des historiens spécialistes si finalement je m’égare un petit peu.

Mais pour choisir trois dates, la première en fait que je voulais évoquer, c’est 1492 et notamment la découverte de l’Amérique. Alors pourquoi ?

En fait, je voulais évoquer cette date parce que cette date 1492, la manière dont elle est enseignée aujourd’hui à tous les petits Français, petits et plus ou moins vieux d’ailleurs, à l’école et de manière générale, on la définit comme on a découvert l’Amérique. Mais en fait, on n’a pas du tout découvert l’Amérique.

L’Amérique était déjà occupée par des êtres vivants depuis des dizaines de milliers d’années. C’est vraiment les occidentaux qui ont découvert l’Amérique, sachant qu’a priori, le nord de l’Amérique avait déjà été découvert bien auparavant par les vikings.

Au-delà de cette petite anecdote, je trouvais très intéressant de mettre en lumière le regard très occidental qu’on peut avoir sur le monde en le posant de manière complètement globale, comme si c’était une évidence et comme si finalement on le… le modèle occidental, la manière de penser le monde occidental n’était que la seule qui vaille. Je reprendrai un peu les mots d’Aurélien Barrault lors de l’événement du MEDEF cet été, qui était assez intéressant et marquant sur ce thème-là, où il disait simplement, c’est quand même dingue que nous, occidentaux, on soit là à essayer de trouver des solutions pour des problèmes dans des pays dits en développement.

Alors que nous sommes le problème et qu’aujourd’hui, une grosse partie du problème que nous avons sur cette planète est due à l’accélération du mode de vie, du modèle exporté à coup d’impérialisme, de violence, de s’enverser par nous les occidentaux. Donc cette date, je trouve, met ça pas mal en lumière et on gagnerait vraiment à essayer de se décentrer et à repenser un petit peu notre rapport au monde de manière plurielle. en dehors du seul prisme culturel et de la seule vision purement occidentale.

Là-dessus, pour ceux qui aiment l’histoire, il y a un super bouquin qui a été co-écrit par plusieurs historiens sous la direction de Patrick Boucheron qui s’appelle Une histoire mondiale de la France, qui reprend différents événements justement, mais qui les met en lumière avec qu’est-ce qui s’est réellement passé autour, un regard qui n’est pas uniquement celui de la France, etc.

Thomas Gauthier

Donc 1492 nous ramène à une intention quelque part… colonisatrice qui semble avoir caractérisé les sociétés occidentales depuis plusieurs siècles. L’effort de colonisation aujourd’hui dépasse même la biosphère puisque Elon Musk et d’autres souhaitent nous amener à coloniser le grand espace.

Est-ce que tu peux ramener maintenant un deuxième événement historique, s’il te plaît ?

Jean-Philippe Decka

Oui, tout à fait. Un deuxième événement que j’ai découvert assez tardivement, moi-même. en m’intéressant à l’anarchisme, et qui est celui de la Commune de Paris. donc en 1871 et du coup dont je parle un petit peu à chaque fois en classe aussi puisque c’est assez intéressant de voir que très peu de gens sont au courant très peu de gens connaissent ce fait de la commune de paris donc pour remettre un petit peu en situation en 1870 qu’est ce qui se passe en france il ya la guerre franco prussienne qui finalement est perdue par la france avec l’armée prussienne qui qui arrive des déclare finalement à versailles la création de l’Allemagne avec d’autres forces, d’autres nations allemandes finalement.

Et puis, il y a une partie de l’État français qui accepte cette paix, cette défaite avec l’Allemagne et une autre partie qui la refuse. Et une ville comme Paris, notamment, une partie de ses habitants décide de continuer la révolte et commence à former une sorte d’autogestion. commune en fait, dans le sens où on va repenser complètement la manière dont on évolue et dont on fait société ensemble au sein de cette commune de Paris, avec finalement un certain respect et une certaine fin des hiérarchisations entre les individus, la naissance de citoyens militaires ou citoyens défenseurs, un peu comme on l’avait connu pendant la Révolution française, etc.

Et qui est une première volonté en fait de d’autres modèles de société, sortis de la domination, sortis d’un certain contrôle d’un État, avec vraiment une autogestion des individus, et qui, je trouve, est très intéressante, malgré le fait qu’elle ait été réprimée dans le sang, en fait, derrière, par les armées qu’on appelle les armées versaillaises, qui étaient et qui ont donné lieu ensuite à la formation du début de la Troisième République en France. Et donc voilà, je trouve les deux aspects très intéressants sur cette date de 1871.

D’abord, le côté un peu espoir est très intéressant de voir que, en fait, les individus sont tout à fait en capacité de s’auto-gérer. On n’a pas forcément besoin, comme le disait Hobbes, d’un grand État ou d’un roi, d’un souverain qui va nous permettre de mettre de l’ordre à travers toute cette population complètement malfaisante par nature et qui est incapable de… de s’organiser parce qu’elle ne va chercher que son profit individuel en permanence.

On sait bien que c’est faux. Et c’est une des démonstrations dans l’histoire que cela est possible, que cela fonctionne.

Et puis l’autre, le revers de la médaille, qui est plus le côté, oui, mais quand on veut sortir de la dimension de contrôle d’un État, quand on veut finalement s’émanciper… et qu’on n’a pas les capacités de se défendre, ça peut donner des bains de sang, comme celui de la Commune, et puis il y en a eu d’autres tout au long du XXe siècle.

Thomas Gauthier

Est-ce que, pour utiliser justement cette balise historique comme un point de repère pour regarder attentivement le présent, tu constates, que ce soit en France, que ce soit en Europe, que ce soit ailleurs dans le monde, des formes d’organisation citoyenne qui sont portées… porteuse d’espoir, qui propose peut-être des dépassements du modèle des États-nations, qui a certainement tout un tas de vertus, mais aussi qui montre un certain nombre de limites. Je pense aussi que les systèmes de gouvernance internationale type onusien sont en train de montrer des limites.

Ils ont été très efficaces pour empêcher jusque-là un conflit nucléaire mondial, il faut leur reconnaître je pense. Mais en même temps, on se rend compte que face aux enjeux existentiels, les modèles de gouvernance qui sont à l’œuvre aujourd’hui, structurés autour des États-nations, structurés autour des systèmes internationaux de gouvernance, système onusien et autres agences et organisations internationales, semblent montrer leurs limites.

Qu’est-ce que l’on peut voir de plus près aujourd’hui qui donne espoir en des formes alternatives d’organisation des peuples ?

Jean-Philippe Decka

Il y en a énormément, mais qui sont toujours à petite échelle. C’est ce qu’on peut voir à travers la formation des co-lieux, des co-villages, de communautés. de ZAD comme celle de Notre-Dame-des-Landes, où bien évidemment, on pense à un modèle de société, à un modèle de gouvernance qui est complètement différent, qui est beaucoup plus démocratique, démocratique au sens de démocratie directe et non de démocratie représentative.

Mais c’est vrai qu’il y a assez peu d’exemples à l’échelle d’une nation ou même d’une région ou d’une biorégion, comme on pourrait imaginer. La seule à laquelle je peux penser, mais je ne suis pas un spécialiste, c’est celle du Chiapas aujourd’hui, où effectivement…

C’est le Chiapas, qui est une région du Mexique, qui a cherché à s’émanciper et à construire un modèle de société assez différent et beaucoup plus démocratique, avec une relation de gouvernance très différente. d’un État centralisé, dominant, etc. Mais ce que je voulais dire par rapport à ça, et qui rejoint un petit peu ce qu’on disait tout à l’heure par rapport aux questions d’idéologie, et en reprenant cette histoire d’élite, de gens privilégiés, je pense que c’est très difficile de mettre en place de tels systèmes tant qu’on n’a pas déconstruit, encore une fois, de manière individuelle et de manière collective, au sein même de sa classe sociale de privilégiés, la notion de domination et de contrôle.

On l’a vu avec la crise sanitaire, on le voit en permanence avec un État et un gouvernement, alors en France et ailleurs, qui cherchent toujours à garder en fait un certain contrôle et qui a un rapport finalement à ses concitoyens qui est très infantilisant et avec une peur en fait de l’émancipation. des individus, une peur de l’esprit critique, une peur du droit de regard et une vraie nature oppressive en fait je repense aux écrits de David Graeber notamment D’être 5000 ans d’histoire sur la naissance des empires et ce que sont devenus ensuite les états-nations et les différentes formes d’états même si à travers notamment l’état-providence après 1945 qui a pu apporter bien des bénéfices au niveau des populations mais de manière générale, l’État qui est une force contraignante et une force d’oppression pour les individus et qui, en général, ne cherche absolument pas le bien commun. Donc voilà, je trouve que c’est intéressant de se rappeler ça et pour aussi déconstruire cette idée que l’État est là pour assurer le bien commun.

Thomas Gauthier

On va aborder maintenant la troisième et dernière question de cet entretien, c’est cette question qui porte sur le présent. Alors Gandhi nous invite à être le changement que l’on souhaite voir dans le monde et puis toi-même à travers tes activités, tu cherches à accorder, semble-t-il, ta vie et tes pensées.

Est-ce que tu peux maintenant, Jean-Philippe, nous raconter en quoi consistent tes multiples interventions, les expérimentations que tu as pu tenter, les objets que tu as pu créer, les rencontres que tu as provoquées ? Raconte-nous un tout petit peu comment, à partir de ton rapport au futur et au passé, dans le présent, tu portes un certain nombre d’actes.

Jean-Philippe Decka

Oui, je passe beaucoup de temps à réfléchir, on va dire, et je pense que c’est nécessaire. J’ai malheureusement aucune solution aux difficultés qui se présentent à nous. et c’est à la fois très frustrant et en même temps intéressant dans un cadre de recherche et de quête aujourd’hui ce que je fais de manière assez concrète c’est que pendant 10 ans j’ai été entrepreneur dans les startups de la tech, du numérique, vraiment le prototype même du startupeur.

Et ça fait 5 ans maintenant quasiment que je suis petit à petit sorti de cet environnement pour me diriger vers des activités de sensibilisation et de pédagogie à l’urgence sociale et écologique qui prennent différentes formes. Tu as parlé du podcast OZ, O-Z-E accent aigu. qui d’abord s’intéressait au parcours de diplômés de grandes écoles qui ont bifurqué pour s’engager, en interrogeant pourquoi les freins, les chemins empruntés, et qui aujourd’hui s’intéressent à différentes thématiques, toujours autour de l’urgence écologique et sociale.

Par exemple, la saison 5 qui vient de démarrer s’intéresse à la déconstruction des mythes et croyances du capitalisme néolibéral, en prenant à chaque fois un thème, une valeur, une croyance, comme le travail, le mérite, la propriété privée. sous un angle de recherche et une discipline particulière, l’anthropologie, la philosophie, l’économie, la sociologie, etc. Il y a ce livre que j’ai écrit là, qui est tiré notamment de mes interviews du podcast, de pas mal de recherches en sciences sociales et de mon parcours personnel, qui s’appelle « Le courage de renoncer » , qui est sorti mi-septembre et qui propose une réflexion et une source d’inspiration. pour celles et ceux qui se posent des questions et qui voudraient savoir par où prendre le goût et qui interrogent notamment les volontés d’émancipation d’une partie des élites, de leur voie royale, les freins rencontrés et les différents chemins qui se présentent à eux pour opérer une transformation radicale de notre modèle de société.

Transformation radicale au sens de transformation profonde. À côté de ça, j’ai essayé pendant un temps d’allier… activités économiques type start-up, jeunes entreprises et aussi impact social et écologique. Ce sont des choses sur lesquelles je m’interroge beaucoup.

Je ne suis pas sûr qu’on puisse y arriver de manière si simple, ce qui m’amène à reprendre mes études et à me lancer à partir du début de l’année prochaine dans une thèse sur la transformation du modèle économique des entreprises face aux limites planétaires pour justement creuser ce sujet qui est très compliqué puisque la création d’une entreprise, on va dire, plus ou moins vertueuse et quelque chose presque d’aisé entre guillemets aujourd’hui la question assez challenging est vraiment celle de la transformation des organisations existantes et de comment prendre en fait ce qui existe pour l’amener vers quelque chose de plus vertueux qui amène nécessairement en fait à des choix très complexes d’ordre de fermeture de coupure et de renoncement et qui et que voilà que j’ai envie d’interroger plus concrètement Puisque c’est un peu le réel, en fait. C’est au-delà de la création d’alternatives et de penser, en fait, à un système dans lequel on pourrait fonctionner au sein des limites planétaires, en répondant aux besoins fondamentaux des êtres humains, ce qui est hyper important.

Je pense que c’est aussi essentiel de se poser la question du chemin et de voir comment est-ce qu’on peut y arriver. Et c’est un petit peu à ça que je veux oeuvrer dans les années qui viennent. toujours en faisant de la sensibilisation et de la pédagogie.

Thomas Gauthier

Dans ces multiples activités de production, d’écriture, de rencontre, de pédagogie, qu’est-ce qui continue de te surprendre ?

Jean-Philippe Decka

La bienveillance. La bienveillance et les liens qui se créent entre les personnes, même quand on n’est pas d’accord, lorsqu’on a des rencontres, et notamment physiques.

C’est vraiment quelque chose que je vais essayer de multiplier aujourd’hui, qui me… plaît énormément, soit sous la forme de cours, de conférences ou même de table ronde, de discussions. Mais je trouve ça extrêmement important à l’heure où aujourd’hui les gens font…

C’est un peu bateau de dire ça, mais c’est vrai, communiquent de plus en plus à travers un smartphone, des réseaux sociaux, etc. Quelque chose qui tue fondamentalement pour moi notre humanité, de justement recréer ce tissu social, de recréer ce lien. pour réussir à se parler en étant bienveillant et de manière à échanger.

Et même si on n’est pas d’accord et qu’on se quitte sur un désaccord, ce n’est pas grave parce qu’au final, on aura recréé ce lien, on aura réussi à se parler et c’est ça faire société. C’est aussi être d’accord pour ne pas être d’accord.

Et ça, c’est quelque chose qui me plaît beaucoup, qui m’a pas mal surpris lors des différentes discussions que j’ai pu avoir et qui est très porteur d’espoir pour moi.

Thomas Gauthier

Je te propose qu’on reste sur ce mot d’espoir. Merci infiniment Jean-Philippe pour la qualité de l’échange, les pistes que tu nous as proposées, les questions que tu as formulées aussi sans réponse.

Je pense que le maître mot d’humilité aussi nous a suivis tout au long de cet entretien. Il est important de questionner, il est important certainement d’admirer celui ou celle qui cherche la vérité et peut-être par contre de craindre celle ou celui qui a trouvé la vérité comme si elle était désormais indépassable.

A bientôt x, merci.

Jean-Philippe Decka

Merci à toi.

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

Dernières parutions

IAddict

Le IAddict est un individu qui a été happé par l’intelligence artificielle. Il considère que c’est une extension cognitive de lui-même et une béquille indispensable…

Remparts légaux

Ceci est l'épisode 5 de la série « La menace cognitive » du Deftech Podcast. Ecrite et présentée par Bruno Giussani, elle décrypte les défis…

Guerre cognitive

Ceci est l'épisode 4 de la série « La menace cognitive » du Deftech Podcast. Ecrite et présentée par Bruno Giussani, elle décrypte les défis…