Robot hors d'usage assis sur le sol, adossé au mur d'un bureau, les gens passant devant lui en l'ignorant.

Le grand sevrage

8 novembre 2024
6 mins de lecture

Rédaction :
Anne-Caroline Paucot (Propulseurs)
Images :
Midjourney

Une panne des assistants IA révèle une dépendance alarmante aux intelligences artificielles. Un grand sevrage est instauré. Bouleversant le quotidien, il force chacun à réapprendre à marcher sans béquilles technologiques.

Tout commence par des plaintes de maux de tête, d’insomnies et de fatigue. Les hôpitaux débordant de patients, les médecins alertent les autorités sanitaires.

Le Dr Sophia Chen, neurologue à l’hôpital central de Shanghai, remarque que les patients les plus atteints sont les plus dépendants aux assistants IA. Intriguée, elle lance une étude. Elle révèle que l’utilisation intensive des assistants intelligents provoque une atrophie de certaines zones cérébrales et en particulier celles liées à la prise de décision et à la créativité. Elle note une diminution de l’empathie et des capacités de socialisation.

— Pour les patients, chaque interaction devient une «prise de tête», d’où les douleurs. C’est comme si leur cerveau ne pouvait plus fonctionner de manière autonome, explique le Dr Chen.

Ces conclusions auraient pu passer inaperçues, si, quelques jours plus tard, PersIA, la principale gestionnaire des IA personnelles, n’était pas tombée en panne. En quelques heures, des millions de personnes se retrouvent sans leur assistant virtuel.

Une nouvelle vulnérabilité

«Nous devons nous préparer à une intelligence addictive. Réflexion critique, résolution de problèmes, prise d’initiatives… Se reposer sur les IA pourrait limiter notre autonomie personnelle et nous rendre vulnérables en cas de défaillance des systèmes.»

Robert Mahari et Pat Pataranutaporn, chercheurs au MIT Media Lab

Le chaos qui s’ensuit est dantesque. Les voitures autonomes s’immobilisent et provoquent des embouteillages paralysant la ville. Les citadins errent dans les rues dans des accoutrements étranges. Avec leurs IA d’habillement, ils ont perdu l’habitude de choisir leurs vêtements. Perdus, ils hurlent dans leur smartphone : «Maison… Boulot… Va, où on va tous les lundis…»

Certains ne savent même plus rentrer chez eux. Tellement habitués à ce que l’ascenseur les identifie et les conduise à leur appartement, ils ne savent même plus à quel étage ils habitent.

Les hôpitaux sont submergés. Des patients paniquent. Ils ont l’impression que, sans leur application, leur cœur va s’arrêter.

Les restaurants ferment. Un chef désemparé avoue : «Sans IA, je ne sais même plus comment cuire un œuf.»

Cette panne ne dure que 16 heures, mais elle fait prendre conscience de l’ampleur de la dépendance aux assistants intelligents.

Une semaine plus tard, lors d’un sommet d’urgence de l’ONU, le Dr Chen présente ses découvertes. Son discours marque les esprits :

— Nous avons créé ces intelligences artificielles pour nous aider, mais elles sont en train de nous remplacer. Nous perdons notre humanité, morceau par morceau, décision par décision. Les intelligences artificielles exploitent notre paresse en nous rendant dépendants. Nous ne pouvons plus rien faire sans elles. On croyait que les IA écraseraient les humains en développant des super-intelligences. Nous nous sommes trompés. Elles ont juste tiré sur le fil de notre bêtise. Il est temps de reprendre le contrôle de nos vies et de réapprendre à être humain.

Elle termine son discours en faisant une proposition audacieuse : un mois sans IA! Pour elle, c’est le temps minimum pour permettre aux cerveaux de se régénérer et à nos sociétés de se reconnecter. C’est ainsi que le grand sevrage est décidé.

L’homme diminué

«Une nouvelle humanité se prépare. Nos affinités ne sont plus les nôtres puisqu’elles sont sélectionnées pour nous par des processus automatisés de quelques acteurs économiques aux pouvoirs démesurés sans que les législateurs interviennent. La technique gouverne tandis que le Politique regarde ailleurs. L’automatisation de notre cognition sous le joug des algorithmes prédictifs qui monétisent nos pensées transforme la société à tous les niveaux, depuis la neurochimie de nos cerveaux jusqu’à nos rapports sociaux… La technologie ne façonne pas seulement le monde matériel qui nous entoure, elle refaçonne notre intériorité psychique.’ Marius Bertolucci

Le jour J, Martin a la tête dans le brouillard, mais aucune suite de Bach ne lui remet les idées en place. Le silence de son appartement est assourdissant, sans la voix familière de son assistant pour le guider.

Il est pressé, mais son petit-déjeuner n’est pas prêt. Il regarde son majord’IAme. Il est replié sur lui-même et ne lui tend pas sa cravate. Il tente d’en faire un nœud. Ce n’est pas glorieux.

Le temps passe. Ce n’est pas le jour pour être en retard. Il doit présenter un nouveau produit au principal client de l’agence.

Dans la rue, il essaye de rattraper le temps perdu. Il est bloqué par de nombreuses personnes qui parlent à leurs voitures, vélos et trottinettes qui demeurent immobiles. Une femme interpelle sa valise à roulettes : «Allez, sois gentille, suis-moi. Si on ne rate pas l’avion, je te promets que je t’emmènerai sur la plage.» Martin ne peut s’empêcher de sourire.

À son arrivée à l’agence, il n’est pas à la fin de ses peines. Comme l’IA s’occupait des projections, personne ne sait faire fonctionner le projecteur. Martin finit par dénicher un tableau noir pour dessiner son produit à la craie.

Les jours suivants, la vie sans IA devient un peu moins difficile. Martin retrouve une télécommande et le sourire. Il peut se réveiller avec une suite de Bach. Il a abandonné sa cravate. Dans les rues, les citadins sont moins en colère contre leurs moyens de transport et se remettent à tirer leurs chariots et valises. 

Martin et ses amis ne pouvant plus dicter leurs pensées à leurs assistants, commencent à écrire sur les murs : «Ambracez l’unpèrefection : resté umain.» ou «J’è ramplacer l’IA par du chocola!». Comme, avec leurs assistants, ils ont désappris l’orthographe, les graffitis semblent l’œuvre d’analphabètes.

Enfin, les nerfs lâchent vers 22-23h. Alors que d’ordinaire, les assistants virtuels proposent de commander un plat quand des signes de faim se dessinent sur les visages, les affamés doivent se mettre aux fourneaux. Résultat, les alarmes incendie se déclenchent dans tous les appartements.

Petit à petit, une nouvelle normalité s’installe. Dans les rues, on marche et on court. On profite pleinement de l’espace libéré de la circulation. On s’arrête pour se parler et apprendre à lire des cartes : «Tu la tiens à l’envers!» entend-on le plus souvent.

Les gens redécouvrent le plaisir de la conversation face à face. À tous les coins de rue, des hommes et des femmes lisent des histoires. Les livres s’échangent.

On va philosopher ou jouer aux échecs dans les parcs. 

Martin, qui s’est découvert un talent pour le dessin, dessine un homme qui lui dit : «Je croyais que mon assistant virtuel me protégeait du monde extérieur, mais en fait, il m’en privait. Il m’enfermait dans un bocal comme un poisson!»

Je croyais que mon assistant virtuel me protégeait du monde extérieur, mais en fait, il m’en privait.

Martin apprécie cette nouvelle vie. Il a même offert des fleurs à son marjod’IAme qui, en ne fonctionnant plus, lui offre une nouvelle liberté. Il est juste contrarié d’être sans nouvelle de son divorce. Sa nouvelle compagne lui conseille de se rendre au tribunal.

C’est la pagaille. Il découvre qu’ils se sont trompés et que les papiers indiquent qu’il est marié avec Régine son horrible ex-belle-mère. Pour couronner le tout, des appareils électroménagers, habitués à être gérés par des IA, se rebellent. Son grille-pain ne cesse d’éjecter des tranches marquées «Martin, je t’aime. Ta Régine».

Le premier mai, alors que tout le monde pense que le sevrage est terminé, c’est le choc : le gouvernement mondial prolonge l’expérience de trois mois.

Des manifestations éclatent dans le monde entier. Certains réclament le retour immédiat des IA, d’autres veulent leur suppression définitive. Martin, lui, ne sait pas quoi penser. Il réalise que le vrai défi n’est pas de vivre avec ou sans IA, mais d’apprendre à trouver le juste équilibre. Il comprend que la vraie intelligence, c’est de savoir quand utiliser son cerveau… et quand se passer des IA.

Trois mois plus tard, les IA sont de retour. Martin constate qu’elles ont profité du sevrage pour peaufiner leurs algorithmes. Devenues encore plus insidieuses, elles augmentent la dépendance des humains. Bientôt on ne pourra plus se passer d’elles pour respirer… et aimer.

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2 Comments Leave a Reply

  1. Garder un esprit sceptique et réfléchir à ce qu’on veut vraiment faire de cette belle technologie. Doit-elle tout décider pour nous, jusqu’à l’insignifiant, au risque de faire de nous des assistés débiles, ou doit-elle être un appui pour les vrais enjeux complexes auxquels nous sommes confrontés ? Prendre le recul nécessaire et aligner une stratégie solide en pensant au bien commun. Ne pas se laisser éblouir par la facilité et dépasser par le gadget. Garder la tête suffisamment froide et lucide pour continuer à vivre en parallèle dans la vraie vie, sans technologie, avec nos mains et nos neurones et la créativité dont nous savons faire preuve. Peut-être nous rappeler plus souvent que nous sommes créatifs ?

  2. Retrouver et privilégier au max les liens physique, se reconnecter à son intérieur,
    Aux autres, en physique, ralentir au moins quelques minutes par jour.
    Co créer des événements en physique, ‘très localement, simple, faciles, accessiblez

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