Maxime Blondeau est enseignant, conférencier et entrepreneur.
Depuis plusieurs années, il s’intéresse aux représentations du monde. Son terrain de jeu : la cosmographie. Sur les réseaux sociaux, il partage quotidiennement des cartes, des modélisations et des vues satellites.
Dans l’entretien à suivre, il revient sur son parcours et détaille la méthode qu’il a mise au point pour nous aider à prendre conscience de la paire de lunettes avec laquelle nous voyons et comprenons le monde… pour pouvoir mieux en changer.
Entretien enregistré le 20 mars 2023
Remerciements : agence Logarythm
Entretien enregistré le 20 mars 2023
Remerciements : agence Logarythm
Transcript de l’entretien
(Réalisé automatiquement par Ausha, adapté et amélioré avec amour par un humain)
Thomas Gauthier
Bonjour Maxime.
Maxime Blondeau
Bonjour Thomas.
Thomas Gauthier
Alors ça y est, tu es face à l’oracle, tu vas pouvoir lui poser trois questions sur l’avenir. Par quelles questions est-ce que tu souhaites commencer ?
Maxime Blondeau
Alors question… Difficile, honnêtement.
J’ai passé beaucoup de temps à m’interroger sur la question que je pourrais poser à quelqu’un ou quelque chose d’omniscient, qui serait capable de répondre sur l’avenir. C’est une question beaucoup plus profonde que ça en a l’air, je trouve.
D’ailleurs, avant de répondre, je signale qu’un de mes romans préférés s’appelle La main gauche de la nuit, d’une auteur de science-fiction qui s’appelle Ursula Le Guin. Le héros est confronté à exactement cette situation, et pendant des pages et des pages, il s’interroge. À la fin, il finit par poser une question de l’ordre de l’intime, totalement personnelle, sur sa propre existence, parce qu’il n’arrive pas du tout à poser la bonne question sur ce qui va concerner quelque chose de beaucoup plus universel.
Donc il abandonne un petit peu et il pose une question très intime. Ce n’est pas du tout ce que je vais faire là-dessus.
En l’occurrence, j’ai quand même essayé de poser une question plutôt universelle, ou en tout cas visée… holistique, et j’ai essayé de répondre à cette question. Donc je pense que la première question, à la fois vaste, mais je serais curieux de connaître la réponse de quelqu’un d’admissant, ce serait quelque chose qui a trait à la place de l’humanité sur la Terre.
Je pense que je poserais cette question. Quelle est la place, ou quelle doit être la place de l’humanité sur la Terre ?
Et quand je dis Terre, je veux dire l’ensemble de ce qui compose la Terre. Le vivant, le géologique, l’environnement, le milieu, la planète, le territoire.
Quelle doit être la place de l’humanité sur la Terre ? Je serais curieux d’entendre une réponse simple à cette question très compliquée.
Thomas Gauthier
Tu commences effectivement avec une question qui n’est pas des plus aisées. Celles et ceux qui s’intéressent à cette place que prend l’humanité ont probablement entendu parler d’anthropocène.
Les chercheurs nous disent que nous sommes vraisemblablement entrés dans une nouvelle époque géologique, lors de laquelle l’espèce humaine est devenue la force géologique principale, ce qui dit quelque chose quand même de l’emprise que cette humanité a pu prendre sur Terre. Je me permets de te renvoyer une question, puisque tu imagines bien que je ne me permettrais pas d’être l’oracle.
Selon toi, selon ta pratique, selon les rencontres que tu peux faire, dans quel lieu, en quel moment, dans quelle communauté, dans quel… contexte organisationnel, ces questions de place prises par l’humanité sur Terre sont-elles posées, sont-elles abordées et à contrario, y a-t-il encore des lieux, y a-t-il encore des communautés où ces questions devraient être, selon toi, abordées mais font difficilement leur place parmi les autres questions qui se posent ?
Maxime Blondeau
Je pense que cette question-là on ne se la pose que très rarement. Déjà, de nos jours, à la différence de certaines périodes historiques où la notion d’humanité, de genre humain, c’est-à-dire la prise en compte de l’humanité en tant que fait universel, global, était quotidiennement questionnée, ce n’est pas la norme.
Aujourd’hui, je pense que dans le monde de l’entreprise, dans le monde de la décision publique, dans la sphère familiale, à l’échelle individuelle, on se pose rarement la question. spirituelle, métaphysique, de la place de l’humanité sur Terre, puisque ça fait appel à des notions parfois religieuses, à des notions en tout cas spirituelles. Je qualifie souvent ce type de question de cosmologique, c’est-à-dire la relation qu’on développe avec l’univers, avec l’ordre des choses, avec son environnement naturel, son territoire.
Donc en fait, un de mes constats, et d’ailleurs mes activités, à la fois de conseil quand je vais voir des entreprises, d’enseignant quand je fais contact d’étudiants, ou de conférencier auprès de publics variés de toutes générations, le constat que je fais, c’est que cette question n’est pas assez souvent posée. On va avoir des sentiments, des émotions qui émergent par rapport à la place de l’humanité.
Il va y avoir certaines personnes qui vont dire que l’humanité est un virus, de toute façon on fait du mal à notre milieu et à notre environnement. Peut-être que ce qui est souhaitable c’est qu’on disparaisse parce que l’humanité est toxique.
D’autres à l’inverse qui vont ne penser le monde qu’au prisme de l’humain et de l’humanité, avoir une vision très anthropocentrée et qui exclut finalement les relations et les interactions. entre l’humain et son propre milieu. Mais la question de la place de l’humain dans un tissu de relation beaucoup plus large qu’on pourrait appeler le milieu ou l’habitat de l’homme, ce n’est pas une question qui est posée en pratique très souvent.
Dans le cadre de conversations ou de discussions philosophiques ou spirituelles, ça peut être le cas, en pratique, pour des décisions, en tout cas comme guide ou comme… boussole d’action pour des décisions pragmatiques dans l’entreprise, en politique publique, à toute échelle, en fait, c’est très rare qu’on se pose la question. Parce que souvent, peut-être, la réponse à ce type de questions relève d’une hiérarchie des valeurs qui est intime, en fait, qui va relever l’éducation, de la culture.
C’est pour ça que c’est une question qui traduit bien, moi, la difficulté que j’ai à traiter mes sujets, c’est-à-dire traiter la complexité. traiter l’ensemble des paramètres qu’il faudrait traiter pour répondre aux questions que posent les dérèglements écologiques ou les questions d’orientation technologique, énergétique, etc. Parce que le nombre de paramètres à prendre en compte, en réalité, dépasse l’entendement.
On est sur une logique de difficulté à appréhender les fluides, à appréhender ce qui dépasse un petit peu notre entendement. Donc, en pratique, ce n’est pas du tout une question qu’on se pose souvent.
Thomas Gauthier
Pour revenir en cosmologie, ça me fait penser à ce séminaire que tu as proposé, il me semble, à des élèves ingénieurs il y a quelque temps, dans lequel tu questionnes justement les représentations de cet univers que nous habitons. Est-ce que tu veux bien partager avec nous peut-être quelques échanges que tu as pu avoir avec ces étudiants, quelques questions qu’ont soulevé ton séminaire ?
Maxime Blondeau
Oui, alors le terme cosmologique, pour moi, ou cosmologie, je l’utilise d’une façon peut-être un peu singulière. Aujourd’hui, la cosmologie, en termes scientifiques, c’est une branche de l’astrophysique.
C’est plutôt ce qui va aller étudier la naissance de l’univers ou les propriétés de l’univers. Et ça relève aujourd’hui le point le plus loin d’exploration de ces questions qu’on atteint, la frontière scientifique, c’est plutôt l’astrophysique.
La singularité de mon regard m’amène à penser la cosmologie du proche, c’est-à-dire un rapport, un questionnement sur à la fois la naissance et les propriétés. du monde qui nous entoure, mais à une distance spatio-temporelle beaucoup plus réduite. La cosmologie du territoire immédiat, notre relation avec le monde immédiat.
Et j’emploie le terme cosmologique dans un sens un petit peu élargi ou rétréci, c’est selon, mais en tout cas différent du mot tel qu’employé à notre époque. Au XVe siècle, cosmologie, cosmographie, c’était des mots qui pouvaient remplacer la géographie. où les sciences du vivant, les sciences de la vie et les sciences de la terre, étaient employées dans le sens que moi je veux réutiliser.
C’est-à-dire notre rapport au monde dans toutes ses dimensions. Donc en effet, avec certains ingénieurs, dans plusieurs écoles, j’enseigne au Mines de Paris, à Centrale, dans un réseau d’écoles d’ingénieurs qui s’appelle l’ICAM, j’étudie notre rapport au monde, surtout sous l’angle de l’effet que vont produire nos choix techniques sur la perception du monde. sur la perception du territoire, la représentation qu’on s’en fait et la manière en tourne d’interagir avec lui.
Donc en gros, avec les ingénieurs, je vais poser quelques grandes définitions. Qu’est-ce qu’une cosmologie ?
Qu’est-ce qu’une cosmovision ? Qu’est-ce qu’une cosmogonie ?
C’est-à-dire le récit de naissance et de création du monde, pour essayer d’identifier les points, justement, qui vont relever du technique, du système technique, qui viennent à… moduler, influencer, déterminer la représentation qu’on se fait du monde. Alors, c’est difficile parfois pour des ingénieurs qui vont avoir un prisme d’analyse. d’un système technique, quel qu’il soit, on peut parler de transport, de technologie de communication, ou d’énergie, peu importe, l’ingénieur va avoir peut-être une grille de lecture de ce système technique qui est fondée sur une cause et un effet, c’est-à-dire le système technique, il part de là et il nous emmène là, il va produire cet effet.
Et moi j’essaie de réintégrer ces systèmes techniques dans un milieu beaucoup plus large, et d’intervenir un nombre d’interactions quasi illimitées, avec un territoire, avec une culture, avec du matériel et de l’immatériel, et qui vient potentiellement changer notre rapport à l’espace et au temps. Pourquoi ?
Parce que moi en anthropologie, je fais beaucoup d’anthropologie, dans le sens où je parle de cosmologie par le biais de l’anthropologie. qui est une discipline qui n’est pas centrée sur l’homme, mais qui étudie quand même le phénomène humain. Et grâce à l’anthropologie, j’étudie les techniques.
Et l’anthropologie technique nous montre, depuis des décennies, que les techniques modulent notre relation à l’espace et au temps. Quand vous découvrez le feu…
Notre rapport à l’espace et au temps, je veux dire au paléolithique où on découvre le feu. Notre relation à l’espace et au temps change.
Quand on invente l’alphabet, un moyen de communiquer différent. Notre relation à l’espace et au temps change.
Quand on invente JetGPT, notre relation à l’espace et au temps change. Ce que je veux dire par là, c’est qu’avec ces ingénieurs, je vais aller questionner ces effets d’un système technique qui vont… bien au-delà du but pour lequel ils ont été conçus.
En gros, je vais réfléchir aux externalités des technologies. Et ça, ça m’amène en fait tout un nouvel horizon qui est celui de la cosmologie.
Certains étudiants vont avoir des intuitions, vont avoir un regard sur la dimension cosmologique des systèmes techniques, qui leur est propre, qui a aussi de leur éducation, de leur regard, de leur sensibilité. Mais ce qui m’intéresse, moi, c’est simplement d’aller braquer leur regard dans cette direction. et puis d’aller faire cet exercice qui n’est pas forcément naturel, ce n’est pas forcément plus simple, parce que c’est moins linéaire comme travail, et pourtant, je trouve ça extrêmement fécond.
Thomas Gauthier
Tu as la possibilité maintenant de retourner te présenter devant l’oracle, lui poser une deuxième question, qu’est-ce que tu veux lui demander maintenant ?
Maxime Blondeau
Alors, ma deuxième question vient en appui de la première, parce que je crois que… Le travail qu’on peut faire sur notre place dans le monde, ou en tout cas la place que nous devrions occuper, la place qui gêne le moins, ou qui est à la hauteur de nos responsabilités, ou qui est en gros la meilleure place possible de l’humanité dans le monde, passe par une augmentation de notre niveau de conscience du monde lui-même.
Donc la question que je poserai, c’est comment augmenter notre perception du monde ? Parce que c’est extrêmement compliqué pour les raisons que je viens tout juste d’évoquer. de percevoir le monde dans son infinie variété et dans son infinie complexité.
Et ce qui est très difficile pour un être humain, ou un être d’ailleurs aussi limité qu’un être humain, c’est de savoir dans quelle direction regarder quand on veut regarder le monde. C’est tellement vaste, à 360 degrés, avec des ramifications illimitées, des liens, des relations partout.
Comment est-ce qu’on augmente dans ces conditions ? notre perception du monde ? Ce serait cette question, avec derrière une idée peut-être de méthode, mais aussi de direction.
En quelle direction doit-on regarder ? Est-ce que d’ailleurs c’est une direction ou c’est une attitude, une approche, une manière de s’ouvrir ? Ça va peut-être être un travail sur soi plus qu’une direction qu’il faut rechercher.
Mais j’ai cette intuition que en éveillant, en s’éveillant au monde d’une certaine manière, en augmentant notre perception du monde, Tous ces aspects, quand je dis monde, c’est le territoire, c’est le vivant, c’est la géologie, c’est l’espace et le temps. Quand on augmente cette conscience, il y a des chances qu’on trouve notre place.
En tout cas, qu’on trouve une meilleure place que celle qu’on occupe aujourd’hui dans nos milieux, dans notre habitat. Voilà, donc ma deuxième question, ce serait comment on augmente cette perception du monde ?
Parce que je crois qu’on est assez aveugle, on est trop aveugle à trop de choses dans notre relation au monde. C’est une question attentionnelle aussi, c’est une question d’attention.
L’attention, à l’origine, c’est un mot latin qui veut dire tendre son esprit vers quelque chose. Je travaille beaucoup sur la notion d’attention.
Comment est-ce qu’on oriente notre attention ? Comment est-ce qu’on la travaille ?
Comment est-ce qu’on l’augmente ? Comment est-ce qu’on a confiance de notre propre attention et de nos choix attentionnels ?
Donc voilà, j’espère que l’oracle m’apporte un élément dans la façon qu’on pourrait développer d’augmenter notre perception du monde.
Thomas Gauthier
Et si tu poses cette question à l’oracle, c’est peut-être aussi parce que d’ores et déjà tu t’emploies toi-même à travers certaines activités de proposer peut-être des dispositifs qui permettent aux uns et aux autres d’accroître leur perception du monde et leur attention au monde. Je dérive un tout petit peu vers ce qui pourrait être la dernière partie de notre échange.
Est-ce que tu peux nous partager déjà quelques-unes de tes pratiques concernant l’accroissement, l’enrichissement de cette perception et de cette attention au monde ?
Maxime Blondeau
Oui, alors c’est évidemment un chemin, il n’y a pas une recette, mais j’essaye de trouver des zones où on voit bien qu’il y a un différentiel qui existe et il y a une élévation de conscience qui se produit. Alors je ne parle pas de choses… entièrement métaphysiques, d’éveil spirituel, à base de chamanisme et tout, même si ça existe.
C’est des voies qui peuvent être prises de l’ordre du religieux, du spirituel. Mais moi, je ne parle pas de ça.
Je parle beaucoup plus. Ce qui va m’intéresser beaucoup plus, c’est la dimension collective, ce qui va relever du commun, de nos choix techniques, de nos choix extrêmement concrets.
Et je vous donne un exemple qui correspond à une initiative que j’ai lancée il y a plusieurs années, qui s’appelle Sailcop, qui est une un réseau de voyages en voilier, de transports de passagers en voilier. Et pour moi, c’est une bonne illustration de la façon dont un choix technique a une influence forte sur la perception qu’on va développer du territoire.
Je m’explique. Cette coopérative qu’on a lancée de transport en voilier, elle a commencé par proposer à des personnes qui le souhaitent d’aller en Corse depuis le continent français en voilier.
Donc c’est un trajet qui va durer une dizaine d’heures entre Toulon et Calvi, pour être très précis. On peut partir en fin d’après-midi et arriver au petit matin sur l’île de beauté, en partant du sud de la France du Var de Toulon.
Pourquoi est-ce qu’on a choisi ce premier trajet ? Parce que c’est un marché énorme au niveau de l’aviation et du ferry.
Vous avez 9 millions de personnes à peu près par an qui font ce trajet-là. On s’est dit que sur 9 millions de personnes, il va y avoir quelques personnes qui ont envie de faire l’expérience avec nous, de prendre un voilier, passer une nuit à bord sur des voiliers qui peuvent embarquer entre 5 et 10 personnes, et d’aller explorer avec nous l’effet que cela produit sur la perception du territoire.
Si on part de Paris et qu’on arrive à l’aéroport de Figari et que ça nous prend une petite heure et demie en avion et qu’on est projeté tout à coup sur un autre territoire très différent avec une végétation… une faune, une flore, un climat qui est très différent, comment est-ce qu’on vit le territoire ? Et si, à l’inverse, on choisit de se déplacer en voilier, de prendre son temps, d’être plongé dans les éléments, de voir la faune et la flore intermédiaires sur son chemin, de voir son évolution graduelle, d’être immergé aussi dans l’élément naturel, l’eau, l’air, la lumière, sur ce trajet-là ? ce qu’on constate, c’est que ça modifie radicalement la perception qu’on développe du territoire une fois qu’on est encore…
C’est valable pour le chemin vert, mais en fait, c’est valable pour à peu près tous les chemins. Donc là, on voit avec ce travail qui est mené qu’un choix technique, je prends un avion ou je prends un voivier, peut avoir une influence significative sur la perception du territoire.
En l’occurrence, c’est ce sujet-là, moi, qui m’intéressait. Et c’est ce que l’anthropologie montre, un choix technique a… une influence détermine la perception qu’on a de l’espace et du temps.
Si on se déplace en avion, si on se déplace en voilier, certes, ça prend un peu plus de temps, mais ça produit aussi une mutation, une métamorphose, une transformation, une évolution que moi j’appelle cosmologique. C’est-à-dire la perception, la relation qu’on va développer avec le monde qui nous entend.
Voilà, c’est qu’une piste. Il y a évidemment plein d’autres choses.
Il y a des disciplines intellectuelles, des façons de penser. Un certain regard, il y a des dimensions culturelles, il y a la dimension de l’imaginaire, du récit aussi, qu’on se partage, qu’on développe, dont on se nourrit dans notre représentation du monde et du territoire.
Il y a plein de voies de direction. Celle qui est moins intuitive et qui est probablement au cœur de mon sujet, puisque je cherche à établir les relations entre nos choix techniques et la question des dérèglements écologiques, c’est la relation qu’il va y avoir entre des choix techniques très concrets. et la perception qu’on va développer du monde. Ça marche pour le transport, la mobilité, ça marche aussi pour l’habitat, ça marche aussi pour le numérique, ça marche aussi pour tout un tas d’autres champs techniques.
Thomas Gauthier
Alors je vais tenter de rebondir sur cet exemple, ce projet que tu viens de nous partager, Cellcop. Pour le relier aussi à la première question que tu as posée à l’oracle et certaines questions que je me pose par ailleurs et que j’ai pu poser à d’autres invités.
Tu as parlé de technique, tu as parlé de choix technique. Certains disent de la transition énergétique, je ne sais pas si c’est cette expression qu’il faut retenir, qu’elle n’est certainement pas qu’affaire de substitution de technologies par d’autres technologies, mais elle présuppose un rapport nouveau à l’espace et au temps. probablement différent lorsque l’accélération qui a pu permettre le recours aux combustibles fossiles ne sera plus omniprésente.
Peut-être que le temps va devoir effectivement s’arrêter ou en tout cas se ralentir dans un régime technique qui sera peut-être différent et certainement moins puissant en termes absolus que le régime technique que permettent les combustibles fossiles. Je me demande dans quelle mesure est-ce que des expériences immersives comme celle que tu as fait vivre à ces marins d’un jour ou ces marins de quelques heures, comment ces expériences immersives pourraient être envisagées pour aider des collectifs, des communautés, voire peut-être même les habitants de tout un territoire, à acquérir ensemble des souvenirs du futur et à découvrir ensemble le caractère désirable d’un futur qui n’est pas juste le prolongement du présent, qui n’est pas juste fait toujours. d’accélération, d’amplification, d’intensification.
Est-ce que finalement, on peut imaginer des travaux comme les tiens, comme des leviers pour activer non pas la transition énergétique, à nouveau je ne sais pas tout à fait ce que c’est, mais activer un désir collectif de monde, de régime technique qui ne serait plus celui qui prévaut depuis grosso modo deux siècles ?
Maxime Blondeau
En tout cas, je l’espère, puisque c’est ce type de transformation à laquelle j’ai envie de contribuer. Après, moi, je ne vais pas avoir un regard plus, moins, sur à la fois la dimension temporelle, vitesse, accélération.
C’est valable pour les questions de croissance économique, c’est valable pour les questions à tous ces sujets-là. En fait, je crois que, justement, la clé réside dans notre capacité à sortir d’une vision linéaire de ces sujets-là.
Donc, en fait, pour moi, c’est en s’extrayant Une vision qui serait limitée à « c’est en allant vers le plus qu’on va trouver la solution » ou à l’inverse, « c’est en allant vers le moins qu’on va trouver la solution » , mais qu’au contraire, on commence à penser les dynamiques qui nous unissent au milieu et au territoire de façon beaucoup plus systémique et complexe. Ce qui, en fait, n’est pas une manière de mettre de côté la question de la décroissance ou la question du problème qui est posé par un philosophe comme Arnaud Rosa de l’accélération sociale qui va être liée aux questions de l’accélération technique.
Il y a, je crois, en effet, la question du désir qui relève de l’imaginaire, du futur désirable ou de perspectives désirables. Je réfléchis beaucoup à ces sujets.
Il y a la question des besoins, l’expression des besoins, de la réalisation des besoins. Il va entrer en compte notre capacité ou non à produire des scénarios désirables de transition ou d’évolution. plus à l’aise avec la notion d’évolution que la notion de transition.
Parce que la notion de transition, pour moi, elle reste justement linéaire. Alors que la notion d’évolution fait rentrer l’interaction entre l’être et son milieu dans l’équation.
Donc je suis plus à l’aise avec cette notion d’évolution, même si elle n’est pas plus simple à traiter. Donc oui, je crois malheureusement que si on veut faire procéder ou déclencher une évolution, massive, systémique, pour que nos sociétés puissent proposer d’ailleurs à ces générations un futur qui soit durable, souhaitable, heureux, viable déjà, il faudra sans doute, et c’est dangereux, en passer par des messages liés aux pulsions primaires.
Alors ça c’est tout un travail que je n’ai pas vraiment développé. que j’ai beaucoup réfléchi, qui est que malheureusement, les grandes décisions, quand elles vont relever de niveaux aussi importants, vastes, aussi systémiques que ceux d’une nation, même d’une région, ou d’une immense collectivité, on va vraiment parler de centaines de milliers ou de millions de personnes, le niveau de complexité du message, en fait, ce qui va permettre ces transitions, ces transformations ou ces évolutions, relève de quelque chose d’aussi profond et basique que les pulsions primaires. Donc quelles sont les pulsions primaires sur lesquelles on devrait insister pour opérer ces évolutions désirables ?
Alors là, il y a plusieurs fois. sachant qu’elles ont toutes leur part d’ombre, qu’elles sont toutes dangereuses, parce que comme toute pulsion primaire, il y a des risques quand on navigue dans ces eaux-là. Alors ça peut être une notion de peur sur laquelle beaucoup jouent aujourd’hui pour accélérer la transition écologique, avec tout ce que ça charrie de risques et de problèmes, d’inconvénients.
Il y a la notion à l’inverse de pulsions de vie, de pulsions de mort. les questions de santé, questions de pulsions de protection, de désirs de protection des siens, de ses enfants, et tout un tas de champs comme ça, de pulsions primaires, qui à mon avis, vont être les leviers les plus efficaces pour opérer des mutations. Le problème, c’est que quand on décide, quand vous avez des individus qui vont décider à l’échelle de la société, d’aller faire vibrer des messages à ces niveaux-là, ça devient dangereux. Ça devient dangereux puisque ça peut vite on peut vite en perdre le contrôle parce qu’on est à des niveaux très profonds psyché, collectif donc c’est dangereux j’ai pas de réponse toute faite sur la façon de le faire mais je crois que ça répond un petit peu à la question qui était posée il y a une autre manière d’y répondre qui est plutôt celle que j’explore aujourd’hui il y a aussi une part d’ombre mais qui est qu’en fait, nos imaginaires, notre interaction avec le monde, notre relation cosmologique au territoire, est en fait totalement inconsciente.
C’est en fait totalement inconsciente et relève notamment de toute la structure technique qui nous entoure. Et en fait, nous vivons, que nous le voulions ou non, dans un monde extrêmement programmé, qui est très très programmé par les systèmes techniques qui nous entourent, la façon dont on se déplace, notre habitat, nos maisons. le travail, et en fait, en réalité, ultra programmés par des systèmes techniques qui vont déterminer, qui vont scénariser nos existences.
Et en fait, la relation qu’on développe avec le monde et la représentation qu’on s’en fait relève de déterminations, de déterminants inconscients, et qui relèvent beaucoup, beaucoup plus qu’on ne le croit des systèmes techniques qui nous entourent. Donc là, ça voudrait dire que ce n’est pas tant une question de message qui va relever de pulsions ou de… message politique, il va nous faire prendre conscience de l’impérieuse transition métamorphose ou évolution à conduire.
Et en fait, on va être dans l’ordre de la transformation de la structure qui nous oriente tous collectivement, sans qu’on soit forcément conscient, vers des actes, des gestes des futurs plus désirables. Et vous voyez bien aussi qu’il y a une part d’ombre dans ce scénario-là, puisque du coup, c’est une manière un petit peu de nier le libre-arbitre de chacun, une manière de d’assumer le fait qu’on n’est pas filibre et qu’on est très déterminé.
Et c’est une vision un peu technocrate. Là, on est sur le véritable pouvoir.
En tout cas, ceux qui agissent sur nos désirs ou nos relations au monde relèveraient de… Est entre les mains de ceux qui décident des systèmes techniques qui régissent nos sociétés.
Donc, c’est aussi assez flippant. Mais bon, qu’est-ce qui est plus flippant ?
C’est de manipuler nos pulsions primaires par des messages qui vont faire vibrer ces niveaux-là. ou d’aller établir de façon peut-être plus douce, mais beaucoup plus insidieuse, la façon dont nos choix sont orientés par des systèmes techniques ou des structures techniques qui nous entourent.
Thomas Gauthier
On laissera chacun répondre à la dernière question que tu poses. Y a-t-il parmi ces deux voies une qui peut être préférable à l’autre ?
Je me garderai bien en tout cas de répondre à cette question. Je te laisse peut-être passer une dernière fois devant l’oracle.
Il te reste une dernière option, une dernière question que tu peux lui poser. Laquelle est-elle ?
Maxime Blondeau
Pour le coup, la transition va être toute faite, puisque la troisième question qui s’inscrit dans le prolongement des deux premières que je voulais poser à l’oracle, c’était « Qu’est-ce qu’une bonne programmation du monde ? » et « Qu’est-ce qu’une mauvaise programmation du monde ? » Pourquoi j’emploie ce terme de programmation ? Parce que programmation, en sens étymologique, ça veut dire la préécriture.
Tous les mythes, Prométhée, le mot Prométhée, qui est d’ailleurs un personnage de la mythologie grecque, un titan. dont le nom signifie « penser avant » , « prometter » , ça ressemble étrangement au programme qui veut dire « écrire avant » du grammar. Donc le programme, c’est la préécriture, si vous voulez, d’un effet.
Dans mon cours à Sciences Po à Paris, avec des étudiants en master, pendant tout un semestre, on étudie cette notion de programmation. mais pas seulement au sens des algorithmes, du numérique, de toutes ces machines automatiques qui vont programmer, au sens du développeur du code, le monde. J’intègre aussi dans la réflexion la façon dont l’aménagement du territoire va programmer notre relation au territoire.
Ou le choix de telle ou telle carburation, mode de propulsion en termes de transport ou de mobilité, va programmer notre relation au monde. Ou la façon dont un parc nucléaire sur 40 ans va être bâti avec des durées de vie, c’est une manière de programmer notre rapport énergétique au monde.
Donc en fait, qu’on le veuille ou non, nous sommes aujourd’hui dans un monde qui est extrêmement programmé. Donc la programmation du monde, moi ce que je vois, c’est que ça peut avoir deux effets sur les gens, quand j’en parle.
Soit un effet très, pour les gens qui sont plus enthousiastes, ou qui ont une confiance peut-être en la capacité de l’humanité à améliorer le monde, en disant, ah oui, programmation du monde, on devrait vraiment penser beaucoup plus en termes, et construire des structures qui nous permettent de bâtir un monde qui est plus désirable, plus viable, plus équilibré, plus harmonieux. Et donc la programmation du monde, c’est un potentiel… c’est positif, la programmation du monde.
Et puis d’autres, quand ils entendent « programmation du monde » , entendent tout de suite « mais c’est nos libertés qui sont contraintes, moi je ne veux pas d’un monde qui est programmé, j’ai besoin de vivre dans un monde qui me laisse le champ libre, qui me laisse un horizon ouvert et je ne sais pas de quoi l’avenir sera fait, c’est ça dont j’ai envie, je ne veux surtout pas d’un monde programmé. » Et donc, en fait, la question que je veux poser à l’oracle, c’est comment est-ce qu’on distingue la bonne de la mauvaise programmation ? Parce que…
J’imagine qu’il y a tout un tas de façons de voir l’effet qu’on a sur le monde, par le biais de la technique, mais aussi les récits, puisque l’anthropologie culturelle nous montre bien que les mythes, les récits, les histoires qu’on se raconte ou qu’on raconte à nos jeunes enfants, à nos enfants quand ils sont tout jeunes, ont programmé. Moi j’ai une petite fille de 3 ans, je vois bien que tout ce que je lui ai raconté depuis un an ou deux, a quelque part fait à la programme, que je le veuille ou non. Ça vient préécrire des choses chez elle qui vont s’exprimer, se développer peut-être dans sa vie.
Et c’est assez difficile de savoir quand ce n’est pas souhaitable comme programmation, il ne faudrait pas que je la programme là-dessus. Et à l’inverse, il faut quand même que je la cadre, que j’apporte une forme de tuteur comme pour un végétal et que d’une certaine manière, j’aille programmer.
Donc souvent, je prends la distinction entre programme… Hum. développeur, du codeur, qui va vraiment aller travailler c’est une vision beaucoup plus quantitative et mécanique de la programmation le code, code source, ou le jardinier qui en fait va programmer aussi sa saison, va programmer son jardin va avoir une vision des actes ou des gestes à accomplir pour aller programmer la façon dont son jardin va… où ces végétaux vont éclore et dans ces parterres où ces arbres fruitiers vont pouvoir se développer.
Donc en fait, la programmation, pour moi, elle est très très ambivalente, et c’est un petit peu ce que Marc Aurel disait quand j’aime beaucoup Marc Aurel, j’ai beaucoup vécu, j’ai vécu plusieurs années à Rome, et je plongeais dans la pensée de Marc Aurel que j’adore. Et une de ses citations, je pense, les plus connues, les plus célèbres, c’est, alors j’ai pas les mots exacts, mais l’idée, c’est Donnez-moi la force de ne pas changer ce qui ne peut pas l’être et le courage de changer ce qui peut l’être.
Donc il y a ce discernement-là entre ce qu’on doit changer et ce qu’on ne doit pas changer. Pour moi, c’est vraiment une question d’une profondeur infinie.
Et s’il y a un oracle qui pourrait m’aider à savoir comment discerner ce qui doit être changé de ce qui ne doit pas l’être, au travers de la programmation, cette notion de rapport au… temps et à l’avenir, à ce qui est écrit, à ce qui est déterminé et à l’inverse, qui ne l’est pas et donc ce qui est libre, ça me m’aiderait beaucoup.
Thomas Gauthier
Et en citant Marc Orel et la pensée stoïcienne, je pense que ce que tu injectes aussi dans la discussion et dans la question que tu poses à l’oracle, c’est la recherche du niveau nécessaire d’humilité aussi dans les actions humaines que l’on pose, dans la capacité présumée aussi de ces actions à transformer le réel autour de soi. Je te propose qu’après avoir exploré les futurs sous forme de questions, on regarde maintenant dans le rétroviseur.
Est-ce que tu peux commencer par nous ramener un épisode, un événement, une date, une dynamique historique qui selon toi peut nous être aujourd’hui utile pour nous orienter dans ces temps incertains et peut-être même aussi nous servir à nous projeter vers les futurs ?
Maxime Blondeau
Moi j’adore l’histoire, mais quand on fait un peu de l’anthropologie, on est quand même très souvent tenté d’aller se plonger dans les racines. L’histoire humaine.
Alors, l’événement que j’ai choisi, c’est pour moi un des événements les plus… lourd à la fois de conséquences et sans doute les plus importantes de l’histoire de l’humanité, c’est la révolution néolithique. Donc on est en train en ce moment depuis dix ou quinze ans de découvrir énormément de choses dans une région dans le sud de la Turquie autour d’un temple qui s’appelle Gobekli Tepe et de temples alentours qui seraient peut-être d’ailleurs encore plus anciens et qui datent allez on va dire entre 10 000 et 12 000 ans avant notre ère. avant aujourd’hui, pardon, avant le présent, et qui serait le site ou les sites témoins de cette transformation progressive qui s’est établie sur plusieurs siècles, peut-être millénaires, mais dont les conséquences sont extraordinairement profondes, conséquences cosmologiques, on en a en plein dans mes sujets, de représentation et de relation au monde.
C’est le passage d’une humanité chasseur-cueilleur à une humanité sédentaire qui pratiquent l’agriculture. Donc ce passage-là, pour moi, il est extraordinairement profond.
On en trouve des récits sous des formes très variées dans un très très grand nombre de mythes. La révolution néolithique, elle a eu lieu à 6 ou 7 ou 10 endroits, et peut-être même encore plus, de la planète.
Tout ne s’est pas passé à cet endroit précis au sud de la Turquie, au nord de la Mésopotamie, au Croche-Orient. Il y a eu d’autres endroits où la révolution néolithique s’est produite, mais pas en même temps.
La première, en tout cas, en l’état des connaissances historiques et anthropologiques et archéologiques, quant en Corène, la première scène de métamorphose de ce type-là, c’est le sud de la Turquie, c’est Gobekli Tepe, c’est la néolithique du Proche-Rien. Moi, c’est un moment qui me classine, parce que d’ailleurs, on ne sait toujours pas si…
La révolution néolithique a eu lieu parce que Gobekli Tepe est le plus ancien temple connu de l’histoire de l’humanité. C’est un site dans lequel il y a des stèles anthropomorphiques, il y a des animaux qui ont été sculptés.
C’est vraiment très ancien, on n’a jamais retrouvé d’autres édifices en pierre de cette époque qui pouvaient être des habitats, c’est-à-dire des maisons, les plus anciens temples, bâtiments en fait, c’est plutôt mal. On est sur 5000, 6000.
Là, on est 6000 ans, deux fois plus anciens. Vraiment un site très rare.
Et la question, c’est est-ce que ces pierres dressées, ce temple a généré un afflux de population qui a généré des banquets, un rapport à l’alimentation qui a transformé et qui a généré une sédentarisation ? Ou est-ce qu’à l’inverse, c’est parce qu’on a commencé à domestiquer certaines… céréales, avoine, lentilles, etc., que des temples et donc des formes de religions, proto-religions, polythéistes, ou en tout cas avec des idoles, s’est construite autour de ces sites.
On ne sait pas. On ne sait pas si…
Est-ce que c’est la représentation du monde qui a généré les transformations techniques, ou est-ce que ce sont les transformations techniques qui ont généré une autre représentation du monde ? En tout cas, on est au… au cœur de ce qui m’intéresse, c’est-à-dire le cosmologique.
Et ce lien très très fort entre les relations techniques au monde et la représentation qui aurait l’avantage du récit, de l’imaginaire, de la croyance, du religieux. Moi je crois qu’une grande partie des dérèglements écologiques dont nous sommes aujourd’hui les témoins sont nés de cette transformation radicale et profonde d’un territoire, d’un habitat qui subit naturellement à nos besoins. à tout à coup un territoire qu’il s’agit d’exploiter ou en tout cas de travailler pour aller produire du végétal.
Et puis pas longtemps après, vous avez les premiers aliments qui sont domestiqués, les tailles, les taureaux, les bœufs, les chèvres, etc. Donc, voilà, la révolution néolithique qui n’est pas un événement isolé, mais qui est plutôt un processus de transformation.
C’est ce que je choisirais comme grande étape historique de l’histoire de l’humanité, qu’on devrait plus analyser, mieux comprendre, pour résoudre tout un tas de problèmes dans notre relation au monde d’aujourd’hui.
Thomas Gauthier
Et la relation au monde d’aujourd’hui, qui paraît effectivement mal en point, appelle probablement des transformations sociotechniques d’une ampleur peut-être comparable aux transformations sociotechniques que tu rapportes avec la révolution néolithique. est-ce qu’aujourd’hui… à travers tes recherches, à travers tes lectures, à travers tes rencontres, tu serais prêt à te risquer à pointer du doigt quelque part à la surface du globe un ou plusieurs lieux, un ou plusieurs processus en cours qui pourraient… du point de vue d’archéologues qui séviront dans un siècle, dans deux siècles, dans cinq siècles, avoir la même signification historique que ce site du sud de la Turquie dont tu viens de nous parler. Y a-t-il aujourd’hui, dans cette époque faite de transformations radicales, au sens où il va falloir interroger les racines mêmes de la vie en société, du rapport société-technique, des lieux qui préfigurent peut-être des futurs sites archéologiques ?
Maxime Blondeau
Une des caractéristiques de l’anthropocène, qui est cette période qui est proposée, puisqu’elle n’est pas unanimement reconnue comme étant une ère géologique en soi, mais en tout cas qui est proposée comme grille de lecture de ces 150-200 dernières années, les caractéristiques de l’anthropocène, c’est que dans des millions d’années, il est évident que les archéologues trouveront beaucoup, beaucoup de béton, de ciment, de pierre. je ne sais plus quel est le terme exact, mais en tout cas de matériaux de construction. C’est probablement ce que les archéologues des millénaires futurs trouveront à notre époque.
Ce sera peut-être pire dans les prochains siècles, les prochains millénaires. Mais en tout cas, c’est pour moi un symptôme historique à l’échelle de l’humanité du dérèglement de notre époque, l’artificialisation du monde.
Il y a une donnée que j’aime beaucoup partager, même si elle est assez imprécise encore. qui est celle du rapport entre la masse anthropogénique, la masse totale de ce que l’humanité produit, surtout du béton, de la brique, du ciment, par rapport à la biomasse terrestre. En 2020, aux alentours de 2020, pour la première fois de l’histoire de l’humanité et de la Terre, la masse totale anthropogénique a dépassé la biomasse, donc la masse totale du vivant sur la Terre. et la trajectoire c’est que dans les décennies qui viennent on serait une multiplication par 3 de la masse anthropogénique donc dans une trentaine d’années il y a trois fois plus de matériaux de construction que de biomasse sur la Terre donc voilà, si on parle de ce constat là probablement le site archéologique ou les sites archéologiques les plus représentatifs de notre époque seraient les sites qui sont le plus abondamment artificialisés sur la Terre Il y en a plusieurs, le nord de l’Europe, les Nélux notamment, mais même on peut inclure des zones comme Londres ou comme Paris, qui sont des zones extraordinairement artificialisées à l’échelle de l’humanité, avec une quantité de matériaux de construction gigantesque.
Après, il y a des grandes métropoles du monde qui peuvent en être les symptômes aussi. Donc voilà, moi c’est spontanément, sans réfléchir, je pense à ça.
Donc ça vient vraiment questionner notre rapport à l’habitat. Pour moi, ça vient traduire une forme d’aveuglement, ou en tout cas d’excès, d’hubris, je ne sais pas comment on peut le qualifier, à la façon dont nous tissons des liens avec l’environnement dont nous sommes dépendants, et qui de plus en plus devient dépendant de nous-mêmes aussi.
Donc, en tout cas d’aveuglement à ces liens interdépendants. Tu ne peux pas dire que moi, je n’aime pas les villes.
J’adore Paris. Je suis vivant en Bretagne, mais il y a quelque chose de magnifique aussi, puisque je crois être philanthrope dans le sens où je trouve que ce que fait l’humanité est superbe, magnifique, mais déséquilibré.
Donc, ces grandes métropoles très urbanisées, très artificialisées, elles ont quelque chose de superbe. Donc je ne suis pas dans un rejet total de ces objets. ces artefacts archéologiques du futur, mais en tout cas, elles traduisent un dérèglement et un déséquilibre.
Thomas Gauthier
Avec le premier repère historique que tu nous as partagé, tu es parti très très loin dans l’histoire. Est-ce que tu veux bien maintenant nous ramener un deuxième repère historique ?
Maxime Blondeau
Le deuxième auquel j’ai pensé, c’est un moment qui m’a fasciné. En fait, c’est un des moments historiques qui m’a le plus fasciné, parce qu’après avoir travaillé pendant plusieurs années à Préméditude, Je suis parti faire un grand voyage, j’ai vécu en Chine, au Tibet, et puis je suis allé m’installer à Rome, comme je disais tout à l’heure.
En fait, il y a une quête historique qui m’a animé, c’était avant que je fasse des études d’anthropologie, et qui se situait aux alentours de la période qu’on appelle, dans l’Europe du bassin méditerranéen oriental, les âges sombres. Les âges sombres, c’est une période qui va, grosso modo, de moins 1200 avant Jésus-Christ à moins 700 avant Jésus-Christ, c’est-à-dire que avant l’émergence des civilisations classiques gréco-romaines.
Donc on a une période de 500 ans, entre moins 1200 et moins 700, avant que Rome… la Grèce puis Rome n’émergent dans le bassin du Ternier. Une période qu’on appelle les âges sombres.
Et en fait, c’est une période, les âges sombres, qui est marquée par la présence de centaines et de centaines de colonies phéniciennes, donc des civilisations de Levant, qui ont syncrétisé les souvenirs, ou en tout cas les héritages, des civilisations égyptiennes et mésopotamiennes, qui ont joué un grand rôle dans l’émergence de la civilisation grecque. et dans l’émergence de la civilisation romaine par l’intermédiaire de Carthage, qui en est l’émanation secondaire. Et donc j’ai été passionné pendant des années, 5-6 ans par cette période-là.
Pourquoi ? Parce que pour moi c’est la gestation de l’Occident qui s’est produite à ce moment-là, donc des civilisations orientales mais qui portaient en elles le germe de l’Occident. et qui ont d’ailleurs physiquement, je veux dire, colonisé les littoraux de l’Occident contemporain, dont on a plus ou moins oublié l’héritage, pour plein de raisons, des questions religieuses, des questions parfois bassement racistes aussi, ou en tout cas, de choc de civilisation.
Bref, l’Occident peine encore aujourd’hui à se trouver ou à accepter son héritage oriental. Mais donc, moi, j’ai étudié pas mal cette… de perdre. À ma façon, pas de façon académique, j’ai lu des livres, j’ai été sur les sites, j’ai essayé vraiment d’enquêter à ma manière.
Peut-être qu’un jour j’en ferai un livre. Enfin, j’espère que j’arriverai à en faire un livre rassemblé de tout ce que j’ai accumulé comme données sur cet événement.
Et la civilisation levantine, phénicienne notamment, a apporté énormément de choses en matière technique à Saint-Étienne. On dit qu’ils sont à l’origine notamment des mathématiques, que…
Des premiers termes comme la philosophie, que c’est les premiers à avoir eu des bâtiments, à avoir développé des cités avec des bâtiments sur plusieurs étages. Ils avaient une des connaissances agronomiques extraordinaires pour l’époque qui sont transmises à toutes les civilisations du bassin méditerranéen.
Et puis, sans doute, la musique. Et puis, sans doute, ils sont connus pour avoir alphabétisé le bassin méditerranéen.
Et on parle de l’alphabet phénicien qui serait le premier alphabet phénicien. alphabet linéaire, une espèce de passage au niveau de la façon dont l’écriture a été conçue et pensée, que je trouve extraordinaire, peut-être pas aussi important à l’échelle de l’humanité que la révolution néolithique, mais on n’est pas loin pour moi, on est dans une transformation extraordinaire. L’alphabet c’est quoi ?
C’est le passage de systèmes graphiques, d’idéogrammes ou logographiques ou cunéiformes, en tout cas qui sont des représentations non linéaires du monde. du monde, du langage, mais donc du monde, à une représentation combinatoire. Imaginons, avec 26 caractères, on peut représenter tout l’univers.
Et à ce moment-là, les mythes et les récits légendaires parlent d’un alphabet qui aurait été développé dans des temples de Phénicie, peut-être à Byblos, qui d’ailleurs, par étymologie, a eu une postérité importante. peut-être héritier de choses qui se sont produites à la fois en Mésopotamie et en Égypte aussi. En tout cas, il y a eu un moment où l’alphabet a été développé. Ça a permis une démocratisation des savoirs, ça a permis un regard sur le monde beaucoup plus combinatoire.
Pour moi, une transformation cosmologique extraordinaire. Ça a coïncidé aussi avec un effondrement partiel des civilisations. On parle de l’ancien monde et du nouveau monde à ce moment-là.
Pourquoi on parle d’âge sombre ? Parce que les civilisations mycéniennes, les civilisations égyptiennes, hittites, se sont partiellement effondrées à ce moment-là.
Sans doute pour des questions de changement climatique, peut-être d’éruption volcanique, de tsunamis à répétition, on ne sait pas. Il y a un livre qui a été écrit par Eric Klein qui s’appelle « Moins 1177 quand la civilisation s’est effondrée » , qui est le tout début de cette période.
Et c’est aussi l’ère des légendes. C’est l’époque de la guerre de Troie, c’est l’époque de Moïse et de Ramsès, c’est vraiment la période des légendes.
Puisqu’en gros, l’Occident n’avait pas l’écriture pendant 500 ans, donc on est avant que les récits puissent être transmis et qu’on ait des héritages qui soient concrets. C’est l’époque d’Homère aussi.
Moi, j’ai eu une fascination pour cette époque-là. Et ça a coïncidé avec cette grande révolution qui est la révolution alphabétique.
Et pour rappel, tous les alphabets du monde linéaires, hormis les alphabets type japonais, syllabaire, qui ont des radis, mais l’alphabet latin, l’alphabet grec, l’alphabet étrusque, par extension l’alphabet arabe, dérivent de cet alphabet qui a été inventé à ce moment-là. Je pourrais en parler des heures.
Là, j’essaye de synthétiser. Il manque énormément d’aspects que je trouve fascinants dans cette révolution-là, mais je choisis de le citer aussi.
Thomas Gauthier
Il te reste peut-être une troisième et dernière option pour nous ramener à un moment de l’histoire. Tu es donc parti avec les deux premiers moments sur des dynamiques historiques longues qui ont structuré et continuent de structurer en partie, comme tu l’as dit, nos cosmologies.
Quel serait ce troisième épisode ? ce troisième événement historique que tu souhaites partager ?
Maxime Blondeau
Alors je vais en choisir un qui relève du cosmologique aussi, puisque c’est vraiment ce qui me passionne, mais qui est beaucoup plus simple à envisager que les deux premiers, qui sont assez mystérieux encore quand même, puisque c’est des transformations qui sont très profondes, néolithiques ou alphabets, que je vais citer 1911, la conquête, même si c’est un mot qui peut prêter à débat en tout cas, c’est le mot qu’il utilisait, mais qui traduit, qui porte en lui une certaine vision du rapport au territoire, la conquête du pôle sud. Donc, en 1911, une expédition norvégienne atteint pour la première fois le pôle sud.
Et donc, ça a symbolisé la conquête du dernier continent, Antarctique. Donc, le continent Antarctique, à ce moment-là, d’ailleurs, ce n’est toujours pas le cas, mais a été considéré comme exploré, atteint, conquis.
C’est le dernier continent. que l’humanité a exploré. Et quand on regarde l’histoire de ce qu’en anthropologie on pourrait appeler le volume géographique mental de l’humanité, c’est-à-dire ce que l’humanité se représentait comme territoire, en fait comme conscience géographique, comme conscience planétaire.
L’Antarctique, la conquête de l’Antarctique en 1911, pour moi c’est un passage à la fois symbolique mais aussi extrêmement concret d’un niveau cosmologique à un autre. pour moi, c’est l’achèvement d’une forme de mondialisation. C’est-à-dire qu’on a atteint le dernier point géographique qu’on pouvait atteindre.
Alors bien sûr, il y a resté des îles, et encore aujourd’hui, il y a des espaces inexplorés. Mais symboliquement, dans la cartographie, dans le dessin du monde qu’on se représentait, c’est un passage 1911.
Et ça correspond à toute une série de prises de conscience dont Paul Valéry va ensuite très bien parler quelques décennies plus tard. dans son livre qui s’appelle « Regards sur le monde actuel » , dans lequel il a cette phrase qui est devenue célèbre, « Le temps du monde fini commence » , où il parle de cette idée selon laquelle, ça y est, plus un îlot, plus un rocher que l’humanité n’a pas inscrit sur un registre, sur la planète Terre. En fait, on peut considérer que c’est d’une part la mondialisation qui se déclenche, c’est-à-dire que ça y est, l’humanité prend conscience qu’elle habite sur un petit îlot, et la planète Terre.
Paul Valéry en parle super bien, il explique comment à partir du moment où on décide d’obéir ou de résister à cette nouvelle condition universelle, le fait que l’humanité vit dans un territoire qui devient limité et fini, il y a tout un tas de transformations qui vont se déclencher. Et ces limites, c’est lui, dans les années 20-30, Paul Valéry, en conséquence de ce grand fait, pour le citer, ne va pas se mettre à parler d’Internet et de la crise écologique, c’est-à-dire une augmentation progressive des liens de communication qui vont unir toutes les parties du monde, puisque du coup on se retrouve dans un espace limité, mais ça ne veut pas dire que l’humanité ne va pas continuer à croître et à se développer, donc du coup ça va prendre quelle forme ? Ça va prendre une augmentation qui unisse toutes les parties du monde.
Donc quelque part, Internet ou la mondialisation des systèmes de communication, ça correspond à une conséquence de ce grand fait. Et puis le deuxième, c’est la crise écologique, parce que Paul Valéry… présuppose en disant à un moment donné on va faire un inventaire de nos ressources naturelles puisque du coup on va à un moment donné se dire bon bah puisqu’on vit dans un espace limité il va falloir se poser la question de ce qui se trouve sur cet espace est ce que nous consommons sur cet espace et donc potentiellement cette date de 1911 on peut la choisir comme une date symbolique puisque évidemment c’est pas que inversement extraordinaire ce moment là mais en tout cas de date symbolique d’achèvement d’une forme de mondialisation spatiale et donc le commencement d’une prise de conscience à la fois de liens permanents qui unissent toutes les parties de l’humanité sur un espace limité et aussi de prise de conscience écologique progressive.
Thomas Gauthier
Et avec ce dernier repère historique, la transition est toute trouvée vers la troisième et dernière partie de notre échange. J’aimerais s’il te plaît maintenant Maxime que tu nous parles du temps présent et des différentes formes que tes interventions dans le monde peuvent prendre.
Tu en as évoqué… certaines déjà, on s’est parlé ensemble de Sailcop, peut-être y a-t-il d’autres initiatives dont tu es à l’origine ou à la co-origine que tu souhaiterais maintenant partager avec les auditeurs ?
Maxime Blondeau
Oui, alors, Selkop, je précise, je ne suis pas le fondateur unique de cette initiative. On a lancé ça à plusieurs, mais peut-être les trois qui avons le plus lancé cette initiative.
C’est Maxime de Rostolan, qui a aussi lancé plusieurs initiatives dans le monde de l’agroécologie, puis aujourd’hui de la forêt. Et Arthur Levaillant, qui est un navigateur, qui a fait plusieurs grandes courses au large, comme la route du Rhum. à la Transat Jacques Vabre et d’autres.
Et donc, c’est tous les trois qui ont relancé ça ici dans le Sud-Bretagne. Et puis encore, c’est le Pays des Transatlantiques, etc.
Donc voilà, tout juste pour préciser que je n’étais pas le seul à avoir lancé cette coopérative. Alors, d’autres choses que j’ai lancées, moi, j’ai trois casquettes principales.
La première, c’est celle de conférencier. Donc, j’ai des messages que j’essaye de partager dans les entreprises ou auprès d’associations ou de collectivités. vraiment ce côté un petit peu un récit où je peux essayer d’inspirer ou alors de provoquer parfois des crises de conscience, sensibiliser et puis mobiliser aussi quand il y a des objectifs qui sont déjà prédéfinis.
J’ai une deuxième casquette qui est plutôt celle de lanceur d’initiatives ou d’entreprise, même si je n’ai pas trop un statut de start-upper, entrepreneur au sens où je deviens très riche très vite. C’est pas trop ça que je fais, donc j’ai lancé une coopérative d’intérêt collectif Cellcop, qui va pas nous permettre d’être très riches très vite, mais plutôt de créer des réseaux qui vont inclure différentes parties prenantes sur des territoires, les usagers, les collectivités, les propriétaires de voiliers, par exemple.
J’ai aussi lancé le printemps écologique. En 2019, on a commencé à avoir eu cette idée, puis la création officielle, on peut la dater au 1er mai 2020. 1er mai, date symbolique, fête du travail pour ceux qui auront été vigilants.
C’est le premier éco-syndicat, c’est la première fédération d’éco-syndicats. Donc on a décidé d’investir le champ du dialogue social.
Et moi, mon intention principale… A l’origine, c’était justement d’amener de nouveaux champs de dialogue, de concertation, de délibération, pour accélérer la transition ou l’évolution ou le virage ou la redirecte écologique, en face d’utiliser comme terme, par le biais du dialogue social.
Pourquoi ? Parce que les syndicats, depuis 1884, sont des organisations, c’est des associations aux lois de 1884.
Ce n’est pas la loi 901, c’est la loi 1884. Ce sont les premières formes d’association en France.
Elles disposent d’un monopole qui est celui des négociations collectives dans les entreprises. Et nous, on était parti du fait que les entreprises jouent un rôle important, notamment en matière d’orientation technologique, en matière d’impact mesurable sur les écosystèmes.
Et donc, s’ils font partie du problème, potentiellement, ils peuvent faire partie de la solution. Mais ça, ça passe sans doute par de la concertation, de la délibération, du dialogue, de la prise en considération d’autres indicateurs, d’autres mesures de la valeur et que ça pouvait potentiellement passer par des décisions collectives.
En fait, on a vu que le syndicat, c’était une organisation qui était très puissante puisqu’elle dispose de ce monopole des négociations collectives et donc qu’elle était la seule à même d’aller créer du droit interne à l’intérieur d’une organisation. Il fallait créer de la loi, on va dire, ad hoc à l’intérieur des entreprises ou des administrations publiques.
Donc c’est là qu’on est partis. Moi, j’avais envie de créer des dynamiques autour des triptyques écologie, technologie et sociale, puisque le dialogue social pourrait nous permettre d’aller poser toute notre question d’ordre écologique et d’ordre technologique, les trois étant intimement liés.
Une décision technologique a des conséquences écologiques, mais une des conséquences sociales. La question de la transition écologique va relever du domaine du technologique, mais aussi de la transition du domaine social, que ce soit en termes d’emploi, que ce soit en termes de formation, de qualification, aussi en termes de protection des transitions, puisque une transition écologique passe nécessairement par des choix importants à faire en termes de filières, des investissements, comme des investissements à faire.
Donc tout ça, ça relève du social. Donc voilà, l’idée c’était de créer cette espèce de réacteur technologique, écologique, social, et d’amener ces sujets-là sur le champ du dialogue social par intermédiaire des syndicats.
Donc ça veut dire qu’on a investi un paysage qui est déjà saturé d’une certaine manière par des acteurs qui sont très importants, qui sont la CGT, la CFDT, etc. Les grands acteurs du dialogue social, les syndicats représentatifs en France.
Et donc voilà, au départ on a lancé ça et puis on s’est dit qu’on allaitavoir l’intention de devenir représentatif, d’avoir des milliers, des dizaines de milliers, des centaines de milliers d’adhérents un jour pour être aussi fort que les grands syndicats. Donc moi, j’ai lancé ça pendant un an et demi, deux ans.
Puis là, aujourd’hui, il y a une équipe de salariés. Il y a Anne Lecor, un frère qui s’appelle Armand, Blondeau aussi, qui s’occupe un peu du développement et du lancement de cette initiative.
Aujourd’hui, l’approche, elle est davantage d’aller donner des armes et des outils à tous les autres syndicats pour qu’eux-mêmes se transforment. On a bien vu aussi que la temporalité dans le monde du paysage syndical, elle était plutôt lente.
En tout cas, pour que des forces se construisent, il faut des décennies. À CGT, on parle de 150 ans, on parle presque de siècles, quand on réfléchit à la façon dont ça s’est construit. Donc là, aujourd’hui, on est sur des temporalités, enfin, on est sur un objectif qui consiste beaucoup plus à aller nourrir, à aller irriguer les acteurs existants. tout en étant en syndicat nous-mêmes.
Et là, il y a quelques semaines, par exemple, le printemps écologique a dévoilé sa boîte à outils écologique, donc plus d’une soixantaine de fiches qui viendraient servir des salariés ou des agents d’administration qui se disent « moi j’ai envie de transformer mon organisation, comment est-ce que par le biais du code du travail, du droit social, du droit du travail, je peux augmenter la vitesse à laquelle mon organisation se transforme ? » Et c’est très très concret. Et d’une certaine manière, moi, ce qui m’intéresse, plutôt sur la tranche intellectuelle de ce type de projet, de ce dont on m’a parlé avant, c’est la dimension cosmologique de l’entreprise ou de l’administration. Ça veut dire, en gros, comment est-ce qu’elle perçoit le territoire ?
Soit, justement, mon rapport au territoire est ultra secondaire, voire inexistant. Je n’intègre pas à ma comptabilité, je n’intègre pas à mes objectifs, je n’intègre pas à la mesure de ma valeur ou à l’évaluation de mon impact.
Ou soit, au contraire, Pour moi, c’est du cosmologique très appliqué dans une organisation, ou au contraire, j’essaie de faire rentrer ma relation au territoire, ma relation à l’eau, aux écosystèmes, aux vivants, à l’énergie, aux ressources, dans mon modèle, dans mon programme. Là, vous voyez la relation cosmologique-programmation, puisque d’une certaine manière, les organisations, que ce soit les entreprises ou des branches de l’administration publique, ce sont des grands programmes. c’est des pré-écritures d’action qui vont venir accompagner, par exemple, fiches de poste, qui sont des petites touches à l’intérieur d’un grand programme qui vont produire un effet sur le monde.
Et donc moi, la grande question à laquelle je n’ai pas de réponse toute faite, mais en tout cas l’objectif immense qui m’anime, c’est de réussir à changer le programme. Comment est-ce qu’on change le programme d’une entreprise sans le détruire ?
Mais comment est-ce qu’on l’augmente ? Comment est-ce qu’on le transforme ?
Et ça passe notamment, et je remonte les premières questions que j’ai posées à l’oracle, ça passe par augmenter la perception du monde de la part d’une entreprise. Comment est-ce qu’une entreprise augmente sa propre perception du monde ?
Comment est-ce qu’elle dispose de cartes ? Est-ce qu’elle a une vision de son propre territoire sur lequel elle est installée ?
Comment est-ce qu’elle le voit ? C’est peut-être des grilles, des pistes qui permettraient à l’organisation d’éveiller son niveau de conscience. de perfection du territoire.
Voilà, donc je peux citer ça aussi. Et puis, j’ai aussi une activité, on va dire, plutôt à la très grande publique de production de contenu, sur les réseaux sociaux, sur LinkedIn, où je publie très régulièrement, quasiment tous les jours, des représentations du monde. Ça peut être des cartes, beaucoup de cartes, mais aussi des vues satellites ou alors des représentations schématiques du monde.
Mais je m’intéresse à la façon dont on le raconte, dont on tout le représente, le territoire. Et en général, j’écris à côté un petit texte qui me permet d’explorer une question, un sujet.
Et puis voilà, ça a une assez grosse audience depuis quelques mois. Et c’est ultra rassurant parce que ça a bien confirmé mon intuition qui est que nous sommes au cœur d’une grande crise cosmologique et qu’on a besoin d’avoir des repères sur notre relation au monde.
Et puis j’ai ce travail aussi, on parle de repères, de prospectives, donc j’accompagne quelques acteurs du domaine privé ou du domaine public, de la politique publique, sur la façon dont on va anticiper les évolutions du territoire ou les évolutions technologiques, donc prospectives territoriales, prospectives technologiques. Normalement vous voyez le lien que je fais entre ces deux grands champs dans notre rapport au monde.
Donc j’ai aussi une activité d’accompagnement et de conseil en matière prospective. Et pourquoi tout ça m’intéresse ?
Parce que l’attitude prospective, elle a des effets psychologiques extrêmement positifs. Elles ne donnent pas forcément toutes les clés, toutes les réponses, toutes les solutions magiques aux problèmes multiples du dérèglement écologique, par exemple, mais elles vont apporter une forme de sérénité dans notre capacité à nous adapter, à notre capacité à nous réagir, en fait, à se transformer soi-même, parce qu’on a pensé l’avenir. Ça, je trouve ça super positif.
Donc, même si on ne trouve pas forcément… toutes les solutions avec une attitude prospective, on gagne beaucoup en confiance et on réduit beaucoup en éco-anxiété. Que ce soit au niveau individuel ou au niveau d’une entreprise, ça a vraiment de la valeur. Ça fait partie de mes convictions aujourd’hui.
Thomas Gauthier
Pour tenter alors de rassembler ce qui était part et mettre en lien plusieurs choses que tu nous as dites, il me semble que c’est à Paul-Valéry qu’on attribue la citation selon laquelle nous avançons dans l’avenir à reculons, citation qui est Merci. souvent reprise par les premiers prospectivistes français, au premier rang desquels Gaston Berger, pour justement expliquer quelle peut être la place d’une attitude prospective dans un monde en profonde accélération, en profonde transformation, en profonde évolution, pour reprendre tes termes. J’aime aussi beaucoup ce que tu nous as dit et la façon dont tu as mis en lien l’enquête sur la programmation du monde, l’enquête sur la… cosmologie, l’importance peut-être parfois non dite des visions du monde, des rapports au monde qui structurent, qui organisent nos manières d’être nos manières d’agir, nos manières de réagir.
J’entends bien à travers tes propos que c’est une enquête protéiforme que tu mènes finalement à travers les différents médias, à travers les différentes formes d’intervention et je te remercie infiniment Maxime pour le temps que tu as accordé à ce podcast
Maxime Blondeau
Merci Thomas et merci à tous ceux qui s’intéressent à ces sujets parce que je crois que ça peut être utile. J’espère.
Thomas Gauthier
Sans doute.
Maxime Blondeau
A bientôt. Au revoir Maxime.
Maxime Blondeau
Merci d’avoir écouté ce nouvel épisode de Remarquables. L’ensemble des épisodes est disponible sur le site atelier au singulier desfuturs Pour ne rien rater des prochains, abonnez-vous, n’hésitez pas à laisser une note et à parler du podcast autour de vous.
A bientôt !