Lors d’un échange avec une classe MBA de emlyon, une question a été posée sur les possibles difficultés rencontrées dans la vie de tous les jours d’un programme de prospective et la réception des documents produits (scenarios, fictions, jeux, etc.). Cela fut un bon stimulant pour présenter quelques éléments peu souvent exprimés dans ce métier.
Comme chacun des billets de ce site, les expériences sont très subjectives et nous serions heureux de récolter vos vécus et avis sous forme de commentaires.
Le poids du quotidien
Alors que la majorité de vos collègues se débattent déjà avec leurs défis quotidiens, vous venez les embêter avec des concepts improbables pouvant se réaliser dans des horizons temporels indéterminés.
Comment ne pas penser à la réplique de Coluche dans le contexte de l’information “Et moi je dis alors que quand un mec sur une information il en connaît pas plus que ça, il n’a qu’à fermer sa gueule ! Et même, à la rigueur, il serait pas venu, on s’rait pas fâchés! ”
Le message est clair et vous vous retrouvez bien souvent tout seul dans votre époque encore à venir, mais qui vous est quotidienne!
Dans le fond cependant, ce n’est pas tellement l’espace temps qui perturbe, mais le fait que vous apportez un changement possible alors que l’être humain est généralement attiré par la stabilité, les coutumes, les habitudes. Vous êtes donc un oiseau de mauvais augure annonçant une probable remise en question, un possible changement.
Que faire ?
- Si vous voulez transmettre un message, coupez les gens de leurs tâches quotidiennes et mettez-les en situation de pouvoir se concentrer sur l’espace temps désiré.
- Connecter le futur au présent; tissez des liens afin que les participants perçoivent l’utilité immédiate de vos réflexions, fictions et autres produits d’information.
- Rendre visible la nécessité et les opportunités du changement en opposition aux risques de l’immobilité.
- Créer un sentiment d’urgence artificiel (nouveaux produits par rapport à la concurrence; menace imminente, etc.) dans les raisons pour lesquelles le futur doit être considéré.
L’improbabilité de l’incertain
Si la phase de caractérisation de la probabilité de réalisation du scenario, du narratif ou de la fiction que vous avez réalisé devrait faire partie du processus d’élaboration, l’être humain est programmé pour se fier à son instinct et c’est là que ses biais cognitifs se révèlent dans toute leur splendeur!
Ne sous-estimez jamais l’optimisme des gens
En toute bonne fois, ce qui peut apparaître comme des opportunités ou des menaces pour certains, ne le sont pas toujours a priori pour d’autres. Et comme tout cela se déroule bien loin du présent, nous aborderons la chose quand ce sera le moment… Cela vous semble familier ?
Le souci parfois est que comme pour planifier la résilience, une fois que les événements se produisent, il est trop tard et l’anticipation fait place à la réaction.
Que faire ?
- Présentez les choses de manière objective tout en restant dans votre sphère de compétences. Ce n’est peut-être pas dans votre cahier des charges de prioriser les actions, mais uniquement de rendre visible de possibles conséquences en fonction des choix effectués.
Le déjà-vu des nouveautés
Comme vous devriez avoir le privilège d’être en contact avec le monde des dernières tendances et de l’innovation dans votre domaine d’activité, vous allez vite vous rendre compte, convergence oblige, d’être informé sur de nombreux domaines connexes. Ayant entendu parler d’un projet à idéation et l’ayant vu grandir, la surprise lors de son arrivée à maturité sera toute relative. Et il faut que ce soit comme cela, car rappelez-vous que c’est votre métier que d’anticiper. Cependant il peut être difficile de partager l’enthousiasme et l’émerveillement que peut provoquer la découverte d’une nouveauté.
Que faire ?
- Restez affable devant l’enthousiasme d’autrui!
- C’est une chose d’avoir des idées, une autre de les réaliser! Est-ce que les produits et les éléments qui se matérialisent correspondent vraiment 100% à vos attentes, ou certains aspects vous surprennent-ils aussi? Pourquoi ces choix ont-il été fait ? Pourquoi maintenant?
- Gardez des yeux d’enfant et changez votre façon de voir les choses en vous mettant dans le peau de quelqu’un d’autre
Capitaine, mon capitaine !
Pas sûr que “capitaine” soit toujours le bon grade dans toutes les circonstances, mais sur un bateau il n’y a qu’un capitaine et c’est lui normalement qui définit le cap et la route de l’embarcation.
Il y a un capitaine et parfois des milliers de membres d’équipage qui vont permettre de rejoindre le bon port. Mais il n’y a qu’un capitaine (clin d’oeil).
Cela explique parfois le manque de participation ou d’enthousiasme à certains ateliers. En plus du poids du quotidien mentionné plus haut.
Que faire ?
- Faites du capitaine un allié, pour autant que cela n’est pas déjà le cas par la simple existence de votre fonction ! Si c’est le cas, soyez proactif dans vos produits, dans vos informations, dans les thèmes traités et la façon de le faire; anticipez les besoins.
- Rendez vos produits indispensables et visibles, dans le sens qu’une décision prise sans consulter vos informations pourrait être vue comme pas totalement renseignée. Pas de fausse modestie, ni de fausses ambitions: si votre poste existe, c’est bien que quelqu’un l’a voulu.
Penser différemment, un « ennemi » après l’autre
Se projeter dans le futur a pour conséquence de soulever de nombreuses questions sur comment certaines choses y seront réalisées. Les attentes peuvent être justement de pousser à penser différemment – Think Different pour reprendre l’ancien slogan d’Apple – soit dans un contexte nouveau produit, soit dans un contexte plus défensif (Red Team).
Penser différemment, c’est concrètement sortir de la pensée linéaire avec tout ce que cela comporte.
Penser différemment, c’est concrètement sortir de la pensée linéaire avec tout ce que cela comporte. La conséquence peut être de suggérer au responsable d’un produit que celui-ci, sous sa forme linéairement améliorée, n’aura plus de raison d’être (Kodak), comme celle d’annoncer que certaines compétences professionnelles devront être modifiées sous peine de devenir obsolètes.
En général ce genre d’annonce ne génère pas une sympathie immédiate, mais plutôt des réactions pouvant être assez brutales et épidermiques. Cela est assez normal car les scenarios lointains ont désormais des implications non plus générales, mais individuelles et personnelles.
Que faire ?
- Présenter le message de manière indirecte de façon à ce que les personnes intéressées arrivent d’elles-mêmes aux conclusions. Vous allez peut-être devoir prendre sur vous une certaine frustration pour ne pas avoir la paternité des idées, mais celles-ci seront alors mises en oeuvre plus facilement.
- Répéter, répéter, répéter le message. La première fois, c’est la surprise, le rejet possible; quelques itérations plus tard, on connaît le message; d’autres itérations et on s’approprie presque le message.
En conclusion
Même si c’est sans aucun doute le plus beau métier du monde, avoir la chance et l’opportunité de réfléchir au futur a ses possibles éléments d’ombre et ce comme toute autre activité !
Partir informé est sans aucun doute un avantage, mais avoir quelques cordes à son arc est sans aucun doute positif, surtout lorsque futur, prospective et stratégie commencent à se mélanger.
En bref:
- Soyez convaincu de changer le monde, une idée, un produit d’information après l’autre… soyez patient, ouvert, mais borné !
- Réalisez vos tâches de façon à en être fier·e, sans vous préoccuper uniquement de l’impact à court terme.
- Agissez à l’intérieur de votre sphère de compétences, du mieux que vous pouvez. Concentrez-vous sur ce que vous pouvez améliorer, comment vous pouvez le faire; soyez conscient, mais ne vous préoccupez pas (trop) des décisions résultant de vos travaux.
- Osez malgré tout et surtout, car comme le disent certains de mes supérieurs “Si vous ne le faites, personne d’autre ne le fera à votre place”.