Q179 | La fiction comme un système complexe ?

11 novembre 2023
16 mins de lecture
Image réalisée par Maxime Schertenleib - https://maximeschertenleib.ch

«Parce que l’information dépend, non seulement de ce qui est effectivement dit, mais aussi de ce qui aurait pu être dit, sa mesure est une propriété d’un ensemble de messages possibles, ce qu’on appelle « ensemble » en mécanique statistique. Un tel ensemble est plus qu’un ensemble au sens mathématique simple ; c’est un ensemble auquel on attribue une mesure de probabilité. »

Norbert Wiener, La Cybernétique

La société contemporaine dépend largement des progrès technoscientifiques. Subtilement, la technique s’est insinuée dans la vie de tous les jours. Désormais, les outils technologiques font partie de notre quotidien le plus intime et soutiennent la plupart de nos interactions. De fait, tout individu participe pleinement, bon gré mal gré, à cet univers complexe où s’entremêlent actes matériels et virtuels, communications analogiques et numériques, noyé dans un océan d’informations, d’images et de sons, en prise constante avec l’immédiateté.

La technologie, dans sa quotidienneté rassurante, pousse cependant l’individu à la remotivation extrême de son rapport au monde au travers des réalités augmentées ou virtuelles.

Les systèmes numériques inventent une nouvelle forme d’interaction avec le réel, dans un paradoxe insoluble, contraignant à expérimenter, à considérer le monde dans le flux et le reflux numériques, dans une intimité solitaire et égocentrée.

Cette expérience captivante – au sens premier, c’est-à-dire qui rend captif – engendre un sentiment diffus de monde globalisé dans lequel les individus se confondent et se fondent dans une masse indistincte, immatérielle, cherchant aussi bien à s’ancrer sur des rivages numériques qu’à s’individuer matériellement, dans une lutte de tous les instants, afin de participer à la grande narration du monde, à la manière de solistes forcenés et forcés de s’entendre au sein d’un concert symphonique.

Illustration : Elliott Dold Jr. Henry J. Kostkos, « The Emperor’s Heart » in Astounding Stories, Volume 13 N°4, 1934.
Source : archive.org

Après la Seconde Guerre mondiale, le philosophe Günther Anders [1] produit la vision radicale d’une humanité condamnée à se dissoudre dans une société mécanique où l’humain se cantonnerait à manipuler des leviers et des commandes ; un rôle déresponsabilisé, subalterne, d’opérateur machine, de push-button, à l’image d’un ouvrier sur une chaîne d’usine ou d’un soldat dans un bunker.

Anders indique que la machine est conçue comme un ensemble d’éléments qui, d’une part, travaillent en toute indépendance, et d’autre part, alimentent le fonctionnement d’un système plus grand.

Dans cette perspective, le monde lui-même se définit comme une sorte de machine universelle.

Ce monde-machine est déterminé par deux tendances : l’une qui cherche à humanifier (faire humain) la machine, l’autre à réifier (faire chose) l’humain. Dans une société de la machine, l’homme évolue comme un corps étranger et doit s’adapter aux appareils qu’il a lui-même conçus dans un étrange processus inversé de human engineering ; il s’agit alors de réfléchir à l’interfaçage entre homme et machine.

Plus largement, Anders nous motive à repenser l’humanité, non seulement, dans son rapport avec la technologie, mais encore, dans la place qu’elle occupe au sein d’un univers transformé par ses propres outils.

1. ORDRE ET SYSTÈME COMPLEXE

Il semble trivial de penser l’humain comme un être doué de raison, gérant et manipulant son environnement dans un but d’optimisation sociétal, un être logique et calculateur qui, tout en tentant de rationaliser le monde qui l’entoure, ne reste pas moins sensible à l’imprévisible et à l’irrationnel.

De même, lorsqu’il s’agit de considérer la société – c’est-à-dire cette vie collective, politique et éthique, traversée d’interactions diverses, au sein de laquelle se développent cultures et civilisations –, comme une organisation complexe fondée sur l’ordre et le rationalisme. Or, le corps social hérite des mêmes caractéristiques que sa partie minimale et constitutive.

Homme et société sont faits d’un tressage, au sens latin de complexus, d’éléments divers qu’il est difficile, pour ne pas dire impossible, de recenser. Il y a là, au sein de ces organisations, un formidable système relationnel tenant sur un enchevêtrement d’entrelacements, tout à la fois solide et souple, à l’image d’un faisceau de branches, qui peut en tout temps se déliter sous l’impulsion de phénomènes imprévisibles.

Cette complexité doit être considérée dans son ensemble : le tout dépasse la somme des parties constitutives de l’ensemble.

Aujourd’hui, l’idée même de ce que l’on nomme « la société moderne » se fonde vraisemblablement sur une forme de matérialisme raisonnable : un matérialisme éprouvé par le temps et garanti par le couple formé par la science et la technologie.

L’alliance méthodique entre l’aspect théorique de la science et le pragmatisme de la technologie a depuis longtemps pris le pas sur la notion de progrès.

Cette énonciation péremptoire résonne comme un stéréotype positiviste, comme le lointain héritage d’une vision universaliste, qui résume dans l’absolu la suprématie biologique d’une humanité réflexive et inventive. Ce stéréotype
de pensée dit quelque chose de fondamental sur la dualité d’un être pragmatique qui ne peut raisonnablement se couper de l’imprévisibilité, de l’indétermination et de l’irrationnel.

2. DOUTE ET IMAGINAIRE

La combinaison complexe des technologies apporte à l’individu des garanties indéniables de confort, de survie, de richesse, de sécurité, voire de sérénité.

Aussi, peut-on s’étonner de la défiance ponctuelle envers les scientifiques et techniciens (ingénieurs, chercheurs, médecins, etc.) exprimée par certains milieux sociaux qui semblent pourtant profiter pleinement des avantages engendrés par leurs efforts.

Le cartésianisme n’empêche en rien le scepticisme, bien au contraire, l’humain ne se laisse pas totalement duper par le système qu’il a lui-même mis en place. Il sait, il se doute que derrière une théorie scientifique, derrière une machine, derrière un programme informatique – aussi déshumanisé qu’un algorithme incompréhensible – se cache un autre humain.

Cette présence impérative dévoile le grain de sable dans la machine. Ce relent de faillibilité enraie, d’une certaine façon, la dynamique du rationalisme technologique. La création partage forcément les défauts de son créateur.

À ce titre, l’exemple de la défiance affichée par certains Suisses vis-à-vis du vaccin contre la COVID-19, alors qu’ils profitent au jour le jour des infrastructures et compétences médicales nationales, illustre pleinement ce paradoxe. De même, lorsque cette société refuse sciemment les outils officiels de traçage informatique mis en place pour endiguer la pandémie, sous couvert de protection de la liberté individuelle, alors que cette même société se laisse tracer par de grands groupes privés en contrepartie d’avantages commerciaux. Cet exemple semble relever de l’absurde, d’une réaction populaire conditionnée par les débordements de l’imaginaire collectif, comme dans un mauvais roman de science-fiction.

Au sein d’un système complexe, considéré comme une machine cybernétique, l’ordre produit de l’information redondante alors que le désordre génère du bruit. Or, ce bruit, à l’image d’un parasitage inconséquent, dégage à son tour une information spécifique sur la dynamique du système en lui-même.

Invention, propagande, brouillage, fake news, élucubrations et rumeurs, l’information produit aussi un large bruit, qui n’en est pas moins signifiant pour celui qui cherche à comprendre une société rationnelle tournée vers l’histoire et la fiction.

On ne relève pas toujours l’importance des mythes modernes formalisés et mutés par les fictions populaires. Depuis toujours, l’humain raconte des histoires ; par ailleurs, il se raconte des histoires.

Désormais, la multiplication des supports de fictions tels que la littérature, la bande dessinée, le cinéma, la télévision ou les jeux vidéo impacte continuellement et durablement l’imaginaire collectif.

Dans ce sens, l’apport immersif des dernières technologies brouille d’autant plus les frontières délimitant réalité et fantasme, potentiel et vraisemblance. De plus en plus, le monde semble se déterminer dans un tout narratif.

Depuis toujours, l’humain raconte des histoires ; par ailleurs, il se raconte des histoires.

3. LA FICTION LABORATOIRE

Le statut de la fiction oscille entre diverses appréciations : invention, imaginaire, chimère, illusion, simulation ou faux-semblant, etc.

Elle n’a finalement aucune définition catégorique et se laisse aisément déterminer par les sentiments et impressions de tout un chacun.

Aussi est-il peut-être plus facile d’énoncer ce que n’est pas une fiction.

  • Tout d’abord, elle n’est pas vérité ; elle n’a pas de substance autre que le propre matériel qui la constitue et qui s’active par l’interprétation de son récepteur.

  • Ensuite, la fiction ne cherche pas à dégager une forme de réalité, car celle-ci se conçoit avant tout comme une réalisation artistique ou divertissante.

  • La fiction n’est pas même une simulation ; elle se contente d’aligner des mots sur du papier ou des images pour créer du mouvement.

  • Cependant, par un principe d’efficience qui lui a permis de se développer pendant des millénaires, celle-ci respecte une certaine forme de crédibilité interne et culturelle que l’on peut nommer vraisemblance. Cette dernière notion assure à la fiction de ne pas tomber dans la pure fantasmagorie. Nul doute que la fiction n’est pas un objet aisé à définir alors qu’elle paraît comprise par tous.

  • En fin de compte, la fiction est depuis toujours un objet ambigu, plus ou moins accepté comme tel par ses émetteurs et récepteurs. Il faut bien considérer cette ambiguïté comme une nécessaire tension qui active le rapport de la fiction au réel, car celle-ci exprime notre relation au monde dans un incessant mouvement d’aller-retour entre ombres projetées et images véritables d’un univers que nous décodons au travers de nos sens et de nos idées.

De tout temps, elle réinvente le monde, qu’il soit du passé, du présent ou du futur. Elle fait état d’une large cartographie des possibles, des chimères, des espoirs et des échecs de ce que l’humain projette sur la réalité.

Auteur de la fin du XIXe siècle, Honoré de Balzac considérait la fiction littéraire comme un laboratoire permettant d’étudier et d’expérimenter les interactions sociales.

À la tête d’un vaste chantier littéraire, l’écrivain naturaliste utilisait le récit comme un observatoire potentiel des psychopathologies de l’homme social. Dans ce sens, la fiction participe à l’observation, à l’expérimentation, à l’hypothèse : elle est une digression du réel. Au contraire d’un projet plus serré, elle va puiser dans l’inconscient, la partialité, l’accident, l’imprévisible, parfois l’absurdité. Elle dessine les contours de l’imprévisibilité de l’humain en déployant, par l’expérience narrative, une vision complexe et sensible d’une société technologique en perpétuel changement.

Les éléments inventés sont autant d’informations directes ajoutant au bruit signifiant généré par le système complexe de la société technologique qui nous entoure. La fiction agit alors comme un sismographe captant les vibrations qui risquent d’ébranler le futur.

En terme énergétique, elle fonctionne comme un condensateur. Il s’agit bien d’appréhender la complexité du présent pour rendre compte des potentielles complications à venir.

Aussi les fictions prospectives peuvent-elles être considérées comme un paramètre supplémentaire dans une approche comparée et pluridisciplinaire – au même titre que d’autres objets d’étude tels que les sciences politiques ou la psychologie –, permettant d’esquisser non pas les contours d’un futur hypothétique, mais bien des tendances vraisemblables.

La fiction agit alors comme un sismographe captant les vibrations qui risquent d’ébranler le futur.

4. LA PRÉSENCE DE LA FICTION

« Tout cela n’est que de la fiction ». Cette expression populaire montre à quel point l’œuvre de fiction souffre a priori de son rapport irréaliste avec les contingences du monde physique.

C’est peut-être lui reprocher sa liberté de création. Elle passe parfois pour un divertissement, une caricature appauvrie, grossière, de peu d’intérêt. Certes, une caricature déforme, mais elle exprime une certaine vérité, un ressenti ; elle met au jour des traits saillants.

Peut-on la taxer d’être inconséquente ? On s’aperçoit désormais que le modèle narratif prend le pas dans la plupart des canaux employés par les médias ou les réseaux sociaux.

Cette réappropriation montre encore que les fictions marquent de leur empreinte le monde réel en instaurant discrètement des scénarios à leur avantage, en élaborant de nouvelles mythologies.

Les commerciaux et communicants ne s’y trompent pas. Les grandes marques n’hésitent plus à s’engager à l’intérieur des fictions populaires. De la NASA à des marques de voiture telles que Lexus ou Tesla, en passant par les acteurs des nouvelles technologies, il s’agit de s’inscrire dans l’imaginaire collectif tout en évaluant les potentiels de design en cours de développement.

L’expansion de l’image des marques dans l’univers imaginaire installe une sensation d’omniprésence dans le grand tout incertain de la culture.

En ce sens, l’inscription de leur univers propre dans des films de science-fiction impose non seulement leur design, mais encore l’idée de leur durabilité.

Cette manœuvre permet ainsi d’éprouver de nouveaux modèles et de légitimer leur image dans le temps.

5. LA THÉÂTRALISATION DU RÉEL

La fiction alimente un puits d’images référentes qui conditionnent fortement le réel.

De ce point de vue, la représentation des technologies et autres mondes futurs issue de l’imaginaire se nourrit de la science et de la technique tout en influençant les acteurs de ces domaines.

On observe ainsi un mouvement subtil entre l’imaginaire scientifique et le réel technologique. Dans La Femme sur la Lune (1929), Fritz Lang filme le décollage d’une fusée dans un décor étonnamment conjectural. La fusée à deux étages est guidée sur une zone de lancement qui regorge d’éléments réalistes, comme la présence d’un réservoir d’eau pour dissiper la chaleur des fusées. L’intérieur de la fusée propose des innovations prospectivistes : des couchettes permettant d’absorber l’accélération au décollage, des sangles au sol pour que l’équipage se maintienne au sol en apesanteur, etc. Le réalisateur ne prophétise aucunement la conquête spatiale. 

Il parvient, par un travail de documentation qui mêle vulgarisation technologique et récits de science-fiction [2], à évoquer des idées de son temps.

Son film propose une représentation vraisemblable qui inspire en retour ceux qui inventent. Plus tard, Wernher von Braun avouera l’influence de ce film dans les milieux de la recherche spatiale. Au moment du décollage, on assiste au premier compte à rebours de l’histoire spatiale. Dans le cadre de la fiction, ce décompte engage un effet dramatique. En effet, le réalisateur veut illustrer visuellement la tension de cet instant décisif. La présence des chiffres à l’écran permet de conditionner le regard du spectateur dans un film muet.

Plus tard, la NASA s’emparera de ce procédé lors des lancements réels. Cette réappropriation montre que la science et la technologie sont sensibles à la théâtralisation.

1953: Wernher Von Braun’s « Space Emergency Escape Capsule » par Fred Freeman, de Collier’s

Un autre exemple de l’entrelacement engageant le réel et l’imaginaire est fourni par le travail de Wernher von Braun en 1952, lorsqu’il tente de communiquer publiquement sur la conquête spatiale. Ainsi, dans la revue de vulgarisation Collier’s, von Braun publie des articles dont le ton oscille résolument entre le réalisme scientifique et la science-fiction. Il y parle notamment d’une grande station en forme de roue qui permettrait, par son mouvement rotatif, de créer une forme de pesanteur prolongée sur les humains. Ce module est présenté comme une station de passage pour l’exploration spatiale, un observatoire météorologique et une aide à la navigation.

Ces articles sont accompagnés d’images créées par Chesley Bonestell, illustrateur majeur de la science-fiction. Cette alliance inédite en termes de communication joue justement sur cette frontière intangible entre le possible et l’impossible, le réel et la fiction.

Elle engage le lecteur intellectuellement et émotionnellement. La fiction fonctionne comme une grande machinerie, un assemblage d’éléments disparates à l’image d’un système complexe. Par nature, elle engendre une mécanique de la communication qui contient aussi bien le canal, le message et le bruit, dans un échange incessant entre son univers propre et le monde extérieur – autrement dit, le réel éprouvé par l’auteur.

Ce lien entre monde matériel et fictionnel peut être perçu comme un interfaçage permettant de comprendre les mouvements entropiques entre ces deux univers. Le rapport entre la fiction et le réel, ainsi que son implication dans la compréhension du monde environnant, sont d’autres formes d’asymétries à considérer dans la société moderne.

Chaque individu construit par son expérience un système d’images et de références plus ou moins fictionnelles. Il se reconnaît au travers de mythologies factices qu’il considère comme des objets signifiants.

En tant qu’objet de retranscription de la sensibilité de l’individu au monde, la fiction permet de sonder l’impact de l’imaginaire sur le développement de la société.

6. LES GUERRES DU FUTUR

Parmi le grand nombre d’histoires d’anticipation ou de prospection éditées au début du XXe siècle, on dénombre l’apparition de centaines de récits, littéraires, sériels, populaires ou confidentiels, centrés sur la notion de guerres futures.

Ce mouvement endémique s’observe surtout à partir de la Première Guerre mondiale et atteint son apogée pendant l’entre-deux guerres. Ces textes tentent de penser les crises à venir, mais surtout, l’implication des technologies et des techniques modernes dans des conflits de plus en plus larges, de plus en plus sanglants.

Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, on note alors un épuisement créatif dans ces fictions bellicistes. Leur surproduction les a vidées de toutes notions prospectives capables de surpasser la réalité. Elles se fondent uniquement sur l’exagération de traits déjà connus.

En réalité, la technologie et les potentiels de cette dernière dépassent de loin les fantaisies fictionnelles qui consacrent leurs efforts à décrire ad nauseam les améliorations superlatives de l’armement, des transports, de la stratégie, ou de la puissance de feu. En effet, les innovations technologiques bouleversent littéralement la conception du monde commun.

Dorénavant, il faut questionner la place et les réactions d’une société technoscientifique dans un processus de guerre moderne qui englobe toutes les réalités.

Les récits de la seconde moitié du XXe siècle abandonnent les descriptions de guerres futures pour engendrer des futurs en guerre contre leur propre modélisation technologique. Le monde de demain multiplie crises et cataclysmes.

Dès les années 1980-1990, le mouvement fictionnel identifié sous le nom de cyberpunk marque le punctum de cette transformation. En illustrant des univers situés dans des futurs proches, impactés par le développement rapide de l’informatique, des auteurs tels que William Gibson (Neuromancien, 1984) et Neal Stephenson (Le Samouraï virtuel, 1992) annoncent l’ère du numérique, du cyberespace, des IA, de l’emprise des sociétés privées sur les sociétés civile, politique et militaire, la dilution des corps physiques, la gamification du monde, le renversement du pouvoir implicite à la manipulation massive de la donnée et de l’information.

Cette fragilité du monde contemporain perçue par le cyberpunk implique la mise en place de nouveaux paradigmes et, dans cette boîte à outils d’interprétation sociopolitique, la fiction permet notamment de saisir l’impact des technosciences sur le monde et d’esquisser les contours de cet humain supraliminaire : l’homme technologique confronté quotidiennement au simulacre de sens qui ne fait aucun sens ; l’homme connecté devenu une donnée quantifiable et négociable sur un réseau virtuel ; l’homme de l’hyperinformation, noyé dans la masse et l’instantanéité ; enfin, cet homme inadapté, devenu part congrue d’un système artificiel supérieur, semble condamné à se dissoudre dans un raffinement technologique dont il est le géniteur, mais qu’il ne comprend plus.

7. HUMANITAS IN MACHINA

De nombreuses fictions contemporaines proposent, sur le sort de cet humain technologique, des visions plus ou moins pessimistes qui se dessinent quasiment en temps réel au-devant de nos yeux. En cela, elles répondent à leur propre nature qui tient par la tension d’une narration canonique basée sur le suspens et la résolution d’une situation critique.

Cependant, en rétroaction à son époque d’écriture, les fictions contemporaines traitent moins de guerres, au sens traditionnel du terme, que de crises, de révoltes ou de cataclysmes.

D’une certaine manière, elles dégagent de nouveaux fronts en délaissant le schéma classique du deus ex machina pour se pencher sur l’humanitas in machina.

Rappelons-nous que l’homme est un être de fiction : dans ce double sens qu’il raconte depuis toujours son univers au travers d’histoires et qu’il influence son propre univers en écoutant ses histoires.

[1] Günther Anders (1902-1992), philosophe critique, est à l’origine d’une œuvre qui montre l’irrésistible métamorphose des hommes et du monde en machine. Son œuvre examine notamment la transformation de notre rapport au monde sous l’effet des nouveaux médias et constate l’état de désœuvrement du monde contemporain.

[2] En effet, Fritz Lang collectionnait les pulps magazines publiant des récits populaires de science-fiction : Astounding Science Fiction, Weird Tales et Galaxy. Sur le tournage du film, il a engagé le scientifique Hermann Oberth comme conseiller technique. Ce dernier sera à l’origine du premier lancement d’une fusée à combustible liquide. Wernher von Braun l’engagera en 1955 pour participer à la recherche en astronautique américaine.

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