« La meilleure façon de prédire l’avenir, c’est de le créer. »
Depuis toujours, les organisations cherchent des méthodes efficaces pour anticiper l’avenir et pour se préparer aux situations imprévues : défis socio-économiques et environnementaux, ruptures technologiques, concurrence, situations de crise, etc.
Cet article décrit une méthode originale, inspirée de notre expérience de créatifs qui aident les équipes à imaginer le futur pour orienter des décisions applicables aujourd’hui.
Notre approche, au début empirique, a évoluée au fil des années, des ateliers et des sujets abordés. C’est avec ma collègue Anne-Caroline Paucot (Les Propulseurs), que nous avons progressivement développé une méthode efficace, testée et améliorée avec des groupes variés. Elle a été utilisée par des personnes de différents niveaux d’expérience en prospective, de tous âges, étudiants ou professionnels, dans divers secteurs comme l’éducation, l’industrie, la santé, la défense, les ressources humaines, entre autres.
C’est donc cette méthode que nous souhaitons partager ici avec vous, cher lecteur de l’Atelier des futurs.
Posons le décor
Le point de départ de la méthode est l’implication des équipes dans des sessions de travail ludiques et accessibles.
Ce n’est pas parce que vos interlocuteurs sont des gens géniaux, de grands experts ou d’éminents spécialistes que nous, les gentils agitateurs d’idées, ne maitrisons pas, qu’il est interdit de leur apporter un air nouveau à respirer. Voire, un peu de gaz hilarant.
En réalité, même si certaines personnes vous paraissent inaccessibles, intellectuellement parlant, ce sont très souvent les premières à vouloir souffler dans une langue de belle-mère. Bien sûr, sans aller jusqu’à proposer cet accessoire aux participants, nous pouvons témoigner que plus l’ambiance est détendue, plus la créativité et l’imagination se débrident. Un bol de chamalow et autres sucreries, notés D sur l’échelle nutriscore, suffisent le plus souvent à détendre l’atmosphère.
Le plaisir et la prise de hauteur, par rapport aux contraintes du quotidien, sont deux composantes indispensables à la réussite de l’opération. Il faut donc postuler haut et fort, devant vos participants dubitatifs, qu’ils sont instantanément propulsés à la vitesse de la lumière en 2050. Ou en 2092, peu importe. Pourvu que les casquettes de chef, sous-chef et sur-chef restent au vestiaire et que les cerveaux soient recâblés pour penser : « Mais oui, en 2092, c’est possible ! »
Des futurs possibles à la carte
Quelles sont les briques de construction de la méthode ? Au risque de vous décevoir, elles sont élémentaires et simples à appréhender. La méthode ne tient pas en une image PowerPoint qui reste incompréhensible même après 20 minutes d’explications où vous aurez entendu en boucle les mots : impactant, auto-adaptable, scalable, holistique, circulaire… Cela vous rappelle quelque chose ?
Au lieu de cela, nous distribuons à tous des jeux de cartes. Ce format étant connu de tous, permet à chacun de prendre en main, au sens propre, le sujet de réflexion proposé.
Constitués de 56 à 96 cartes, ces jeux sont spécialement constitués pour le public présent. Ils tiennent compte du secteur d’activité et du profil des participants. Chaque carte étant conçue pour déclencher une discussion, des réactions et des interrogations.
Toutefois, si l’un des participants commence à raconter comment il s’est retrouvé en slip à l’issue d’une partie mémorable de strip Poker, pensez à recadrer les discussions (oui c’est arrivé) !
Un outil de réflexion accessible à tous
Les cartes sont réparties en quatre catégories principales : des défis, des technologies, des innovations et des scénarios. Chaque catégorie propose une perspective propre de la thématique de travail. Favorisant ainsi la richesse et la créativité des réflexions.
- Les cartes défis abordent des problématiques actuelles et futures, telles que le réchauffement climatique, la raréfaction des ressources, etc.
- Les cartes technologies présentent des avancées actuelles ou émergentes en biotech, numérique, quantique, énergie, robotique, IA, etc.
- Les cartes innovations explorent des solutions novatrices détectées dans les labos, dans les écoles, startups, etc.
- Les cartes scénarios proposent des situations fictives, plausibles ou non, qui ont pour fonction de faire décoller les imaginaires.
Au fil des exercices, nous invitons les participants à tirer des cartes, puis à croiser les idées et les questions qu’elles suscitent. Les cartes agissent ainsi comme des catalyseurs de l’imagination des équipes.
À ce stade, cher lecteur, je sens ton impatience, jusqu’à lire dans tes pensées l’interrogation suivante : « Et alors, concrètement ? »
Concrètement la suite des échanges consiste à créer des mots pour nommer de nouveaux concepts, services, produits, activités ou métiers de demain. Les mots étant les briques de la pensée, créer des mots permet de faire exister des choses ou des concepts qui n’existent pas encore.
Créer des mots, c’est déjà faire exister le futur.
Stimulées par ces interactions, les idées fusent et divergent. Il est important alors de limiter les débordements excessifs qui conduiraient à perdre de vue l’objectif de réflexion fixé en amont.
Il faut donc poser des contraintes en faisant jouer les participants dans un cadre bien délimité, en durée, en nombre et en type de contenus à produire.
L’expérience nous a montré que l’étape de conception des supports, qui constituent le kit d’animation, est déterminante pour le succès des ateliers. Le contenu et la forme des supports ne doivent pas tomber dans l’un des travers suivants : trop complexes et peu lisibles, personne ne va lire et comprendre. Pas assez directifs, trop vagues et abstraits, les participants se demandent ce qu’on attend d’eux. Sans support de travail adéquat, les discussions peuvent rapidement tourner en rond et devenir peu exploitables.
Nous avons utilisé cette méthode dans des contextes très différents, et toujours avec des résultats très positifs, mais que notre modestie nous interdit d’étaler ici.
Je me limiterai donc ici à mentionner juste trois exemples récents, conçus et animés avec ma collègue Anne-Caroline Paucot. Exemples toutefois non représentatifs, puisqu’aucune mission n’a, jusqu’à présent, été comparable à une autre.
Think tank Futura-mobility.
Nous avons organisé des ateliers pour concevoir les métiers futurs de la mobilité et du transport. Les idées produites ont été illustrées, mises en récits et en pages dans le livre « Transportez-nous ».
Ce travail a été aussi intégré dans une section thématique du « Dico des Métiers de Demain». Portant ainsi à 170 le nombre de métiers — tous secteurs confondus — décrits dans la troisième édition du Dico.
Groupe Amnyos.
Pour cette organisation spécialisée dans l’accompagnement de l’action publique, nous avons développé une centaine de cartes sur le futur du travail.
Ces cartes ont servi de base à un atelier participatif, permettant aux participants d’explorer et de définir les contours du travail de demain. Ces réflexions ont conduit le groupe à proposer à ses clients des solutions qui anticipent mieux les défis sociaux et économiques à venir.
Prospective technologique, armasuisse.
Plusieurs ateliers ont été conçus ces quatre dernières années afin d’explorer des questions sensibles autour du futur de la défense du territoire suisse.
Certains supports d’atelier comprenaient des scénarios de guerre avancés, stimulant la réflexion sur de nouvelles stratégies, technologies et défis éthiques.
Les productions ont conduit à des publications variées : livre « Soldat du futur », cahiers d’exploration de thématiques spécifiques, jeu de cartes de stratégie « Militarot ».
Les réflexions et les travaux collectifs ont permis à différents services de la défense, d’interroger leurs stratégies.
La diversité de ces quelques exemples prouve — et toujours à notre grand étonnement ! — que la méthode proposée s’adapte à tout type de secteur d’activité, de public et de contrainte.
L’art d’impliquer ses équipes dans la prospective
Une étape cruciale du dispositif proposé concerne les modalités de restitution des travaux réalisés par les participants au cours des ateliers. Cette phase de partage est essentielle pour plusieurs raisons. Elle permet, en effet, à chaque équipe de valoriser son travail en présentant les idées, les mots ou les récits qu’elle a créés. Cette mise en commun contribue à enrichir la réflexion collective et à stimuler l’émulation au sein des groupes.
L’étape de restitution, appelée parfois célébration (mettez en fond sonore le tube du même nom de Kool and the Gang, pour capter l’état d’esprit) est obligatoire pour offrir à chacun sa minute de reconnaissance pour les efforts accomplis.
Lors d’une journée de travail, il est recommandé de prévoir plusieurs séquences de restitution.
D’un point de vue pratique, si votre atelier compte plus de 25 participants, il est judicieux de prévoir un compte à rebours qui affiche le temps restant aux intervenants. Cela permet à l’audience d’applaudir à l’issue de temps impartit, et ce, même si un orateur trop bavard espérait insidieusement doubler son temps de parole.
En parallèle des restitutions orales, il est tout aussi important de valoriser visuellement les productions réalisées.
En effet, l’affichage des travaux, le plus souvent sous forme de fresque d’idées (par exemple La Fresque du Climat), joue un rôle majeur dans le processus créatif. En donnant une vision panoramique des contributions de chacun, on favorise une bonne compréhension des différentes perspectives et approches.
Cette visualisation des idées stimule la réflexion de qualité et renforce le sentiment de réalisation auprès des participants. Elle permet aussi à chacun de comparer son travail, en volume et en qualité, avec celui des autres. Pour des ateliers d’une demi-journée ou plus, l’affichage des productions peut se faire au fil des séquences.
En outre, les productions sont partagées sur un mur numérique, accessible en ligne. Ce mur, organisé par thèmes, permet de prolonger les interactions, même après la fin des ateliers. Il sert de plateforme pour l’échange d’idées, la discussion et l’approfondissement des concepts élaborés.
Pour les organisateurs, c’est aussi le moyen le plus simple pour exploiter les productions en vue de la réalisation de publications post événement.
Mise en forme des productions en prévision de publication
En effet, il est essentiel, dans l’expérience proposée, que les travaux issus des ateliers ne se limitent pas aux présentations en plénière et au partage numérique. Ils doivent aussi conduire à la création de diverses publications, sous des formes adaptées aux besoins et au contexte de chaque organisation.
Voici des exemples de forme de publications et de restitutions que nous avons proposées et réalisées.
Des livres et guides du futur.
Ces publications, le plus souvent thématiques, sont centrées sur les spécificités de l’organisation. Elles offrent une synthèse approfondie des idées et des concepts développés pendant les ateliers.
Des cahiers.
Ils regroupent des analyses, des réflexions et des propositions issues des sessions de travail, fournissant un support de référence pour les participants et l’organisation. On a adopté un format qui évoque les cahiers de devoir de vacances, avec une partie de questions et d’exercices, afin de rendre plus attractif des sujets ardus.
Des illustrations.
Cela procure toujours une grande satisfaction à tous de faire intervenir des artistes et des illustrateurs de talent pour transformer les mots et concepts imaginés en images remarquables. La diffusion de cette mise en images permet de toucher un public élargi.
Des vidéos et des animations en motion-design.
Que ce soit sous forme de reportage, ou de création artistique, une vidéo réussie est toujours engageante.
Les vidéos permettent, par exemple, d’illustrer les histoires et les idées développées en ateliers, les rendant plus accessibles et attrayantes.
L’organisation d’expositions offre une nouvelle dimension aux productions. En les mettant en scène, une exposition suscite une expérience mémorable qui aide à élargir la visibilité de l’opération à l’ensemble des collaborateurs d’une organisation et au-delà.
Ces différentes formes de publications ne se limitent pas à documenter les travaux réalisés ; elles servent de catalyseurs pour de futures initiatives et réflexions au sein de l’organisation. Elles permettent de pérenniser les idées et de les intégrer de manière concrète dans la stratégie et la culture de l’entreprise.
Ces sessions favorisent non seulement l’innovation, mais renforcent également la cohésion d’équipe et la compréhension collective des enjeux futurs.
L’originalité de notre méthode tient à sa capacité à démocratiser la prospective. En rendant le processus ludique et engageant, nous parvenons à impliquer des profils très divers, des plus novices aux plus experts. Cette diversité des points de vue enrichit les perspectives et favorise l’émergence d’idées nouvelles.
En s’appuyant sur les contenus inspirants des cartes, puis sur la création de nouveaux mots et de récits, l’imagination est libérée des contraintes du présent et peut ainsi plus facilement penser « out of the box ».
« L’avenir appartient à ceux qui préparent demain aujourd’hui. »
En conclusion, notre méthode n’a pas pour but de prédire l’avenir, mais elle vise à le construire de manière collaborative.
En impliquant activement les collaborateurs dans un processus créatif et participatif, ceux-ci deviennent partie prenante du processus de conception du futur de leur organisation. Plus qu’un simple outil, cette méthode est une expérience enrichissante qui stimule autant l’intellect que l’émotion, renforçant la cohésion d’équipe et préparant les organisations aux défis de demain.
Nous sommes curieux de connaître votre avis sur notre approche. Avez-vous expérimenté des méthodes similaires ?
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