Après avoir cherché à comprendre pourquoi et comment les organisations se projetaient dans les futurs, il nous semblait important d’aborder une question souvent laissée en suspens : comment peut-on mesurer les résultats d’une démarche d’anticipation ? De quelle manière atteste-t-on de l’efficacité d’une activité d’anticipation ? Assez logiquement nous pourrions nous repencher sur les effets attendus, et vérifier que ceux-ci aient bien été constatés. Mais est-ce si simple que celà ?
Peut-on vraiment mesurer les résultats ?
Le premier élément qui ressort de notre étude est que la préoccupation au sujet des résultats n’est pas majeure. Bon nombre de nos interlocuteurs en sont encore à batailler plus en amont, c’est-à-dire à faire savoir que l’anticipation existe et non pas qu’elle fonctionne, pour paraphraser une source qui a souhaité rester anonyme.
Néanmoins la quasi totalité des personnes interrogées s’est posée la question de la mesure des résultats, même si elles attestent du caractère parfois embryonnaire de leur réflexion sur le sujet.
La difficulté de l’exercice est souvent mise en avant car il n’est pas simple d’objectiver l’efficacité d’une démarche d’anticipation au vu de la nature très particulière de l’activité.
Des critères d’évaluation variés, à relier aux niveaux d’ambition
Malgré la difficulté de l’exercice, notre étude révèle que la plupart des organisations se préoccupent des résultats de leur activité d’anticipation, mais avec des critères d’évaluation différents.
Nous avons choisi de les regrouper en cinq catégories, de les relier aux trois niveaux d’ambition de l’anticipation présentés plus tôt dans cette étude et de mettre en valeur leurs différences.
La satisfaction des cibles – Ambition Niveau 1
Ce critère fait partie du socle de base car il est cité spontanément par plus de la moitié des personnes que nous avons interviewées.
La “satisfaction des cibles” signifie le plus souvent aller recueillir les avis et les retours sur des productions, de manière formelle, via un questionnaire par exemple, ou de manière informelle, lors d’échanges suite à une présentation ou le partage d’un document.
On évalue ici la qualité perçue de la production, sans forcément juger de son impact.
C’est la raison pour laquelle nous avons rattaché ce critère à une ambition de Niveau 1 (conforter l’organisation actuelle).
La résonance des travaux – Ambition Niveau 2
Il s’agit ici d’évaluer si les travaux ont trouvé un écho favorable, notamment d’un point de vue quantitatif.
Ont-ils été largement diffusés et partagés, parfois au-delà du public cible ? Ont-ils fait réagir ?
C’est pour cette raison que ce critère est souvent accompagné par un outillage permettant d’amener des éléments statistiques dans la réflexion, comme un nombre de téléchargements pour un document par exemple, ou un nombre de personnes assistant à une conférence, etc.
Au-delà du caractère quantitatif, certaines organisations essaient également de dessiner une cartographie des acteurs et des points de vue, en traçant les réactions et interactions provoquées par la publication ou la présentation de leurs travaux.
Cela a-t-il permis de développer le réseau et les connexions de l’organisation ? Les personnes touchées se sont-elles emparées des travaux pour les partager plus largement ?
La capacité à décentrer l’organisation – Ambition Niveau 2
Pour ce critère, l’évaluation se fait également d’un point de vue quantitatif, mais en se recentrant cette fois-ci sur le contenu, et non sur les destinataires.
On va ici chercher à évaluer la capacité du dispositif d’anticipation à se décentrer, “sortir de son couloir de nage” et donc à aller explorer des sujets ou des scénarios qui vont questionner voire mettre en difficulté l’organisation.
Accepte-t-elle d’explorer ses angles morts ? Est-elle vraiment capable d’envisager tous les futurs possibles, même ceux qui contredisent ses propres intérêts
La capacité à transformer – Ambition Niveau 3
Pour reprendre une des formules de l’étude, ce critère cherche à évaluer la capacité à “passer du signal à l’action”.
Les travaux d’anticipation vont-ils donner lieu à des projets d’expérimentation ?
La première manière de mesurer les résultats est de voir si les travaux présentés vont obtenir un accord pour donner lieu à une déclinaison opérationnelle, comme le montre notre citation ci-dessous. Et pour aller encore un cran plus loin, certaines organisations interrogées vont jusqu’à évaluer les projets d’expérimentation eux-mêmes.
Ont-ils permis d’en tirer des enseignements valorisables ? Ont-ils apporté de la valeur pour les parties prenantes ? Ont-ils été déployés plus largement ?
Les évolutions sur les prises de décision et la gouvernance – Ambition Niveau 3
Comme le montre notre article sur les effets attendus d’une démarche d’anticipation, les effets organisationnels sont souvent négligés.
Pour autant l’évolution de l’organisation est un critère qui a été cité lors de nos interviews.
L’ambition de Niveau 3 visant à “définir l’organisation de demain”, il est plutôt logique que l’on retrouve parmi les critères d’évaluation un marqueur sur l’évolution de l’organisation.
Comme le montre la citation ci-dessous, c’est avant tout au niveau des modes de gouvernance et prises de décisions, que l’on va pouvoir évaluer l’efficacité de l’activité d’anticipation.
Cette identification des cinq critères d’évaluation est associée aux niveaux d’ambition de l’organisation.
Néanmoins, si l’on observe ces critères sous un autre angle, nous constatons qu’ils sont ici lié à un focus particulier.
En effet, ils objectivent d’abord des éléments tangibles (productions issues de l’anticipation) pour aller vers des éléments moins tangibles, plus difficiles à évaluer comme la performance de la cellule d’anticipation et les impacts organisationnels de celle-ci.
Face à ce caractère mou voire impalpable des objets d’analyse évoqués, nous sommes plus interrogatifs que conclusifs : jusqu’où faut-il consacrer de l’effort à évaluer, à objectiver une démarche d’anticipation au regard de la difficulté à qualifier ces éléments ?
Probablement que la réponse se trouve dans le questionnement et la démarche d’évaluation plus que dans les mesures et résultats…
Jusqu’où faut-il consacrer de l’effort à évaluer, à objectiver une démarche d’anticipation au regard de la difficulté à qualifier ces éléments?
Critères d’évaluation | Niveau d’ambition | Focus du critère |
La satisfaction des cibles | 1 – Conforter l’organisation actuelle | Les productions issues de l’anticipation |
La résonance des travaux | 1 – Conforter l’organisation actuelle | Les productions issues de l’anticipation |
La capacité à décentrer l’organisation | 2 – Challenger l’organisation actuelle | La performance de la cellule d’anticipation |
La capacité à transformer | 2 – Challenger l’organisation actuelle | La performance de la cellule d’anticipation |
Les évolutions sur les prises de décision et la gouvernance | 3 – Redéfinir l’organisation de demain | Les impacts organisationnels |
Le simple fait d’envisager les futurs est déjà utile à l’organisation
Au-delà des réponses à nos interviews, nous nous sommes également penchés sur la littérature de recherche autour du sujet, et il s’avère que son étendue correspond assez bien au niveau de réflexion de nos participants : c’est un sujet identifié, mais qui ne fait pas encore l’objet de nombreux travaux.
Néanmoins, les études que nous avons consultées permettent de relativiser l’importance que l’on pourrait donner à la mesure des résultats d’une activité d’anticipation. En effet, il est de toute façon déjà bénéfique de faire l’exercice de se projeter et de chercher à anticiper, que ce soit pour une organisation ou un individu.
D’après l’article « Decision Making and Planning Under Low Levels of Predictability: Enhancing the Scenario Method. » de Wright, G., & Goodwin, P. (2009), la création et l’utilisation régulière de scénarios favoriseraient une meilleure réactivité stratégique, en aidant les décideurs à s’entraîner mentalement à réagir dans différents contextes futurs, ce qui permettrait ainsi d’améliorer leur réactivité en cas de crise.
Par ailleurs sur le plan individuel, certaines recherches en neurosciences autour de ce qui est appelé Episodic Future Thinking (capacité de l’être humain à simuler mentalement l’avenir) suggèrent que le fait de nous entraîner à nous projeter de manière détaillée dans l’avenir pourrait améliorer notre capacité à réagir face à l’inattendu.
Ceci milite pour que l’activité d’anticipation ne reste pas cantonnée aux seules cellules ou dispositifs d’anticipation mais se diffuse et infuse dans l’ensemble de l’organisation.
Au-delà d’interroger notre panel sur la mesure des résultats, nous l’avons également questionné sur la manière dont les dispositifs d’anticipation gèrent l’amélioration continue.
Il semblerait qu’au vu du caractère réflexif et systémique de l’activité d’anticipation et des profils qu’elle attire, les acteurs en question ont de manière instinctive ou naturelle le réflexe de prendre du recul sur leur manière de travailler et d’interroger l’efficacité des méthodes et pratiques utilisées.
La grande majorité des personnes interviewées déclarent organiser de manière récurrente des moment de réflexion pour questionner leur mode de fonctionnement. La récurrence et les formats varient en fonction des organisations : certaines vont parler de “rétrospective”, mensuelle ou trimestrielle, pour d’autres il s’agira de “séminaire” annuel ou bi-annuel.
Dans tous les cas, les personnes interviewées nous ont cité très spontanément des adaptations dans leur mode de fonctionnement qui ont découlé de ces temps dédiés à l’amélioration continue. Et on retrouve dans la plupart des organisations une volonté de renouveler de manière constante les approches, les pratiques et de se confronter à d’autres méthodes et points de vue.
En synthèse
La problématique
Peut-on vraiment mesurer les résultats d’une activité d’anticipation, et si oui, comment le faire ?
Les pistes de réponse
La difficulté de mesurer les résultats est partagée par un grande nombre d’acteurs, et la problématique n’est pas vue comme prioritaire.
Nous identifions néanmoins cinq critères d’évaluation, que nous avons reliés au trois niveaux d’ambition définis plus tôt dans l’étude.
Les directions d’action
Pour les organisations il est nécessaire de mettre les critères d’évaluation en regard du niveau d’ambition posée.
Il est également important d’avoir en tête que l’exercice d’anticipation porte en soi des bénéfices pour les organisations ou individus qui le pratiquent.
A ce titre la pratique doit se diffuser le plus largement possible pour préparer l’organisation aux temps incertains qui s’annoncent.
Et vous, qu’en pensez-vous ?
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