En cherchant au mois de janvier 2025 comment redynamiser certaines présentations par rapport à l’année précédente et trouver un angle d’approche original, j’ai eu le privilège d’en parler avec M. Benoit Dubuis, président notamment de l’Académie suisse des sciences techniques (SATW).
Par le plus grand des hasard donc (vraiment ?), nous sommes arrivés sur les thèmes de la résilience et de la souveraineté. Rien de bien nouveau me direz-vous dans le domaine de la sécurité et de la défense. Je vous le concède d’un point de vue du vocabulaire, mais on niveaux des réflexions stratégiques, c’est toujours un peu l’éléphant dans la pièce.
Avec sa générosité habituelle, Benoit me partage ses réflexions ainsi que ce fantastique document, à la croisée du design fiction dans sa forme et de l’actualité dans son contenu – chapeau bas – dont j’ai la permission de vous faire profiter également.

Conforté et inspiré par notre échange, vous trouverez dans ce billet les réflexions en cours autour de cette dimension technologique appelée « souveraineté ».
Je ne pense pas qu’elle soit nouvelle en tant que telle, mais plutôt que le monde actuel et ses évolutions technologiques galopantes lui donnent une dimension et une importance stratégique supplémentaire, peu présente me semble-t-il dans les travaux de prospective technologique.
Ceux-ci se focalisent principalement sur les nouvelles possibilités potentiellement offertes par ces technologies plus que le côté « meta » de celles-ci. Aucun mal à cela naturellement, mais dans le cadre d’un dispositif prospectif au service d’un gouvernement qui plus est dans le domaine de la défense, cette dimension me semble soudainement fondamentale à explorer car elle permet d’expliquer, toujours de manière extrêmement simplifié, cette nouvelle réalité technologique, qui se veut elle de plus en plus complexe.

Acteurs : Les grands partenariats
Les domaines de la prospective et de l’anticipation interagissent en permanence avec celui de l’innovation, et dans ce contexte la notion de partenariat entre le monde public et le monde privé est bien souvent évoqué (PPP – Partenariat Public Privé) et conduit à des formes de collaborations naturelles, souhaitables et souhaitées.
En parallèle se passe également un autre partenariat, aucunement caché, mais peut-être moins présent dans les consciences. La croyance qu’au niveau technologique, le monde de la défense bénéficie d’une avance sur le monde civile est toujours bien présente, alors que c’est bien le contraire qui se produit.
La cause n’est n’as ici considérée, mais le fait est que c’est bel et bien l’industrie civile (communication, médecine, spatial, jeux vidéos, etc) qui apporte les innovations au monde sécuritaire, l’industrie de défense attendant la maturité de produit la plus avancée afin d’avoir le moins possible de frais de développement, mais uniquement des frais d’adaptation. Comme je le dis souvent, les applications militaires possibles font froid dans le dos, mais les technologies sont elles bien civiles.
A ce propos, je ne peux mentionner les excellentes réflexions sur le sujet de M. Ulf Ehlert pouvant se résumer au dilemme de ce qui est réalisable vs ce qui est désirable.

Ces dernières années - ou décennies - un changement de paradigme s'est opéré qui s'est traduit par l'utilisation croissante de technologies civiles à des fins militaires (double usage). En rouge, vous voyez comment différentes technologies peuvent être utilisées au fil du temps pour améliorer l'exécution d'une fonction. Source : Defence Future Technologies - Emerging Technology Trends, 2015
En considérant cette réalité de l’innovation et de la sécurité, on constate rapidement que ces deux partenariats ne sont pas indépendants mais ont des intérêts communs et sont entrelacés à de nombreux niveaux. La réalité se présente donc bien inclusive, et avait déjà été thématisée par Qiao Liang et Wang Xiangsui dans « La guerre hors limites » :
Ce qui est intéressant avec cette simple représentation est que rien ne nous empêche de modifier légèrement les partenariats afin de refléter le nouvel univers technologique.
Et en complément donc, nous obtenons logiquement les entités en charge de la défense d’un pays :
Apparition de la notion de souveraineté
Ce continuum n’est pas nouveaux je vous le concède, mais les technologies à fortes composantes digitales telles que la robotique et l’Intelligence Artificielle pour ne citer que les plus populaires occultent l’importance de certains composants ou processus clés, sans lesquels aucun système ne fonctionne et donc rendent toute action impossible.
C’est là que la notion de souveraineté entre en jeu. Souveraineté signifie « le pouvoir d’agir ». Et cette liberté est celle à laquelle on aspire, que l’on soit un individu, une entreprise ou un pays.
Au niveau technologique à nouveau, cela se matérialise par la maîtrise de la chaîne d’approvisionnement.
Et c’est à des fins de mesures de cette souveraineté que la matrice proposée par Benoit Dubuis prend tout son sens ainsi que les indicateurs qui en découleront logiquement.
Avoir conscience du degré de souveraineté – ou de main mise – sur une technologie ou un système ou produit quel qu’il soit devrait désormais faire partie de l’équation d’anticipation technologique. Cela est différent naturellement de la notion de « maîtrise » d’un système.
La question est nouvelle et résulte de la complexité et de la digitalisation du monde dans lequel nous nous trouvons : dépendance de composants hardware, de mises à jour de logiciels i.e. software & firmware.
Souveraineté vs performance ?
Naturellement, il ne semble pas possible d’être souverain sur tous les domaines et il va falloir choisir ses batailles. Celles-ci se traduisent dans notre environnement sous forme de technologies ou de produits intégrant ces technologies.
La question qui se pose naturellement est de savoir s’il faut brader une façon de faire peut-être moins performante, mais souveraine contre une façon de faire améliorée (rapidité, quantité, coût, etc.) mais qui créera de nouvelles dépendances. Faut-il maintenir les deux, l’une en support de l’autre ?
Loin de moi la prétention d’y apporter une réponse qui sera certainement spécifique à chaque cas de figure, mais je suis d’avis qu’il est bon de se la poser. Cela peut être par rapport à des choix technologiques, mais également de matériel tout comme de fournisseurs.
Des alternatives existent bien souvent par rapport aux choix que l’on ferait par réflexe ou par simplicité, et c’est là qu’une vision à long terme peut être primordiale afin de prendre de bonnes décisions. Là aussi, une décision pour le court-terme peut se révéler catastrophique pour le moyen ou le long terme. L’ambition n’est naturellement pas de prétendre pouvoir tout anticiper, mais au moins d’essayer de se projeter et d’imaginer des scénarios ou des situations alternatives.
Certains éléments locaux tout comme le low-tech pourraient apporter des pistes de réflexions auxquelles il faudra naturellement considérer le degré de souveraineté, l’un n’impliquant pas nécessairement l’autre !
Derrière cette notion de souveraineté pointe également la notion de « niveau d’ambition ». Celui-ci devrait également être analysé de manière objective afin de déterminer le niveau que l’on souhaite atteindre et ce que cela signifie concrètement en terme d’investissements que ce soit en temps, en ressources humaines et financières ou autres.
Là également, le processus de réflexion et d’anticipation, similaire et adaptable à de nombreuses situations, peut – doit, devrait (?) – se faire au niveau individuel, au niveau de organisation ou du pays. Et si celui-ci est bel et bien fait, reste l’étape de la diffusion et de la communication à ne pas sous-estimer !
Conclusion
A l’heure où pour beaucoup de technologies, l’approche prospective consiste à les mettre en situations, ce à quoi l’on ne prête pas directement attention peut se révéler une fois de plus l’élément stratégique décisif. Si la question de la souveraineté a, je l’imagine, toujours été présente, la digitalisation a rendue celle-ci du point de vue technologique, extrêmement complexe.
On parle ici de l’aspect uniquement technologique, mais l’aspect de la propriété d’une organisation a également toute son importance de part la cotation en bourse de nombre de celles-ci. A qui appartient vraiment une société ? Cette question demande un suivi permanent des différentes transactions joint parfois à un vrai travail d’investigation afin de rétablir la vérité.
Considérer ce paramètre ne va pas être simple et je pense que dans nombre de circonstances le réveil ne sera pas forcément agréable. Mais il n’y a pas de fatalité. Cette thématique, à toute les échelles, s’inscrit nécessairement dans le temps long, et c’est là que la prospective trouve sa légitimité.
La question est nouvelle et résulte de la complexité et de la digitalisation du monde dans lequel nous nous trouvons : dépendance de composants hardware, de mises à jour de logiciels i.e. software & firmware.

Penser le temps long offre l’opportunité non seulement d’anticiper certaines conséquences, mais également, si utilisé à bon escient, de construire un avantage stratégique auquel toute réaction dans temps court n’aura que peu ou pas d’effet.
Comme l’ont très bien relevés Isabelle Chappuis et Adrian Taylor, un des grands défis sera de trouver les parties prenantes permettant de penser et d’influencer sur le temps long, car la majorité de l’attention d’une organisation ou d’une entreprise se porte nécessairement sur le court terme et l’immédiat.
Devant les promesses des technologies en devenir, ne vaut-il pas la peine de donner plus de visibilité à l’importance de la souveraineté afin d’anticiper la dystopie pour mieux construire un futur désirable ?
Remerciements :
Un grand merci à Benoit Dupuis pour nos discussions ainsi que pour ses réflexions sur le site https://republic-of-innovation.ch
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