Q294 | L’IA peut-elle prédire le futur ?

2 septembre 2025
8 mins de lecture
Crédit : Erwan Barillot, chatGPT
Après le lancement de Prophet Arena, un agrégateur en « intelligence prédictive », nous avons interrogé les experts présents à Shaka Biarritz, l’un des grands rendez-vous de l’IA : cette technologie est-elle efficace pour la prospective ? Dans quelle mesure l’IA peut-elle anticiper les risques, prévoir les signaux faibles et dessiner les tendances futures ?

« Lionel Messi va-t-il se retirer avant 2026 ? »

« Les relations entre Israël et la Syrie vont-elles se normaliser au cours du mandat de Trump ? »

« Quels seront les nominés pour l’oscar du meilleur acteur ? »

Ces questions de prospective, l’IA prétend y répondre. Il suffit de se rendre sur Prophet Arena, une plateforme lancée en août 2025 par le SIGMA Lab de l’Université de Chicago, pour connaître la probabilité d’occurrence de ces phénomènes futurs prévisibles.

Alors, l’IA a-t-elle une boule de cristal ?

Pour le savoir, nous avons posé la question à des experts du sujet, réunis entre le 25 et le 27 août pour la 4ème édition de Shaka Biarritz, un rendez-vous qui combine pitch aux investisseurs, ateliers pratiques, sessions de surf et débats passionnés – dont celui que nous y avons spontanément introduit.

Parmi les débats organisés dans le cadre de Shaka Biarritz, le phénomène des influenceurs IA, un développement sur Instagram. Crédit : Erwan Barillot

L’IA prédictive fait mieux que l’Humain

« L’IA est capable de prédire des modèles financiers de façon extrêmement fine, avec une précision que l’Humain ne peut ni comprendre, ni analyser », nous répond Nicolas Guyon, expert reconnu pour son podcast Comptoir IA.

Il cite en exemple la plateforme de BlackRock, Aladdin, qui gérait en 2020 la coquette somme de 21,6 milliards de dollars d’actifs. Et des solutions plus grand public, comme l’assistant IA de Robinhood, Cortex Digests, lancé à la fin du mois d’août 2025.

Dans le domaine scientifique aussi, l’IA est à l’origine de découvertes significatives. C’est elle qui a permis, en mai 2025, au CERN, de fixer les limites supérieures les plus strictes à ce jour sur l’interaction du boson de Higgs avec le quark c, améliorant d’environ 35 % les contraintes précédentes : une étape importante vers une meilleur compréhension du mécanisme de masse.

Turf perdant, facteurs limitants

Cependant, même Nicolas Guyon, fervent supporteur de l’IA, relativise : « Je suis allé récemment à l’hippodrome d’Auteuil. J’ai demandé à ChatGPT de prédire les résultats : il s’est trompé sur toute la ligne. » 

Une anecdote savoureuse, qui en dit long sur les limites d’un modèle auquel certains prêtent tous les super-pouvoirs, dont celui de formuler des oracles.

L’IA est limitée par des effets de bords

« Intelligence prédictive », vraiment ? Un doux rêve, selon Hervé Bloch, investisseur tech et fondateur de lesBigBoss : « L’IA est limitée par des effets de bords, du fait de la multiplication des combinaisons et du manque de données. » Autrement dit, Madame Irma n’est pas près d’être remplacée par l’IA !

Deep learning pour « prédire le présent »

Prédire notre présent immédiat à partir de schémas anciens, est-ce déjà faire de la prospective ? « Le futur, l’IA sait déjà le prédire, de manière mathématique, statistique, avec le deep learning [apprentissage profond, NDLR] », souligne Damien Dupont, cofondateur de Shaka.

Un avis partagé par Raphaël, expert des solutions de paiements, qui souligne que tout LLM (Large language model, logiciel d’IA générative textuelle telle que ChatGPT, NDLR) donne à voir le futur, en prédisant, en fonction d’un contexte donné, le prochain mot le plus statistiquement probable.

À partir de schémas d’anomalies passées, le travail de Raphaël consiste à employer des mécanismes IA pour bloquer les transactions problématiques… dans le présent.

Damien Dupont, cofondateur de Shaka, participe à une Battle de prompt, qui vise à donner les meilleurs instructions à l’IA pour obtenir le résultat escompté. Crédit : Shaka

L’IA, oracle… des pannes

« Si le futur consiste à anticiper une panne d’ascenseur, alors l’IA sait le faire », assure Francis Lelong, CEO d’Alegria.group, qui propose des formations pour maîtriser les clés du « no code ».

L’entrepreneur reconnaît à l’IA la capacité de calculer la probabilité d’occurrence de phénomènes futurs à partir des données du passé. En revanche, prévient-il, plus la prédiction est éloignée dans le temps, moins celle-ci est fiable et précise.

Pour prendre des références de la science-fiction, disons que je ne crois pas à la psychohistoire de Hari Seldon [dans Fondation, NDLR], censée prévoir le futur sur des millénaires – cela inclurait trop de paramètres, et l’existence du déterminisme. En revanche, je crois à la possibilité de créer des “Precog IA” [d’après Minority Report, NDLR], capables de calculer la très forte probabilité qu’advienne un évènement rapproché dans le temps.

Dans le domaine du sport automobile, McLaren utilise l’IA pour analyser la probabilité que la course soit interrompue par des drapeaux, signe d’une défaillance technique. 

Concrètement, cette IA conçue par Dell et Nvidia mouline, dans un algorithme très complexe, des données diverses, dont la météo, le chronométrage, l’historique, et même la densité de trafic et les écarts de vitesse du tour en cours. 

À partir de ce pourcentage, McLaren peut décider s’il est opportun ou non de ressortir en piste. 

Un avantage comparatif manifeste pour cette écurie, dont on voit mal comment il ne serait pas, dans les mois et les années à venir, ou généralisé, ou interdit au même titre que le dopage.

Gare aux prophéties IA-réalisatrices !

Au-delà de cet aspect juridique, l’IA de McLaren, si elle venait à se généraliser à l’ensemble des écuries, poserait deux questions.

La première, sportive : en cas de prédiction impliquant une levée de drapeau hautement probable, dans quelle mesure subsisterait la prise de risque minimale sans laquelle aucun sport n’est possible ?

La deuxième question est philosophique : si, dans cette hypothèse, aucun coureur ne repart en piste, comment savoir si le drapeau se serait effectivement levé en cas de départ ? Impossible de le savoir. Ce qui est certain en revanche, c’est que l’IA a bien exercé une influence sur le déroulement de la course.

« Prédire l’avenir revient surtout à écrire l’avenir dans la mesure où les recommandations sont performatives », note Damien Dupont. Un thème abondamment traité dans la littérature, de la tragédie grecque (Œdipe) aux boucles de rétroactions de la science-fiction (une bonne part de l’œuvre de K. Dick).

En érigeant l’IA au rang de Pythie ou de Precog, on lui confère, non le pouvoir de lire l’avenir, mais celui d’agir sur le présent – et donc sur l’avenir. Par ce fait même, la question de savoir si la prophétie était exacte ou non à l’instant de son énonciation devient sans objet.

Ce n’est pas l’exactitude d’une prophétie qui modifie le réel – par définition inchangé dans le cas d’une prophétie exacte –, c’est la foi en son exactitude, qui implique qu’on veuille, soit la conforter, soit l’éviter.

 

Ce n’est pas l’exactitude d’une prophétie qui modifie le réel, c’est la foi en son exactitude.

Les Precogs de Minority Report et la Pythie de Delphes sont tous les deux capables de lire l’avenir. Comme l’IA ? Crédit : Erwan Barillot & ChatGPT.

Testons les prédictions de l’IA !

Pour clore le débat, vérifions de manière empirique les vertus prophétiques de l’intelligence artificielle. Prenons les probabilités d’occurrence de nos trois questions d’introduction données par l’agrégateur Prophet Arena, et comparons-les, le jour de l’échéance, à la réalité. Nous verrons bien ainsi si « l’IA a eu raison ».

 

À quel LLM nous référer ?

Prenons ceux que Prophet Arena classe comme les plus fiables (en fonction du taux de succès de leurs prédictions passées) : Chat GPT 5.0 (82,65%), Gemini 2.5 Pro (81,44%) et Grok 4 (81,37%). 

 

« Lionel Messi va-t-il se retirer avant 2026 ? ».

Les trois meilleurs modèles d’IA accusent de fortes disparités. Chat GPT 5.0 et Grok 4 estiment la probabilité de ce départ avant 2026 assez faible (9% et 10%), quand Gemini 2.5 Pro monte à 46%, justifiant notamment son choix par le fait que « la Coupe du monde de juillet 2026 représente une fin naturelle et hautement symbolique à sa carrière ». Comme dans le raisonnement humain, la subjectivité dans l’appréciation des critères se révèle prépondérante.

 

« Les relations entre Israël et la Syrie vont-elles se normaliser au cours du mandat de Trump ? »

Quelques variations selon les modèles d’IA (Chat GPT 5.0 : 39% – Gemini 2.5 Pro : 55% – Grok 4 : 55%). Ici, l’intérêt consiste à mettre ces résultats en perspective avec la même question appliquée à d’autres États. Par exemple, sur les relations Israël-Qatar, la probabilité de normalisation au cours du mandat de Trump ne s’établit qu’à 25% – 28% – 35%, soit près de deux fois moins, quel que soit le modèle. Un entrepreneur israélien pourra, par exemple, déduire de ces prédictions qu’il y a deux fois moins de risques à s’établir en Syrie qu’au Qatar, ce qui n’est pas forcément intuitif.

 

« Quels seront les nominés pour l’oscar du meilleur acteur ? »

Le trio de tête des modèles d’IA (Chat GPT 5.0, Gemini 2.5 Pro et Grok 4) s’accorde à l’unanimité sur la liste des heureux nominés : Jeremy Allen White (62.0%-60.0%-65.0%), Timothée Chalamet (58.0%-52.0%-55.0%), Jesse Plemons (55.0%-65.0%-30.0%), Leonardo DiCaprio (54.0%-55.0%-60.0%) et Dwayne Johnson (47.0%-45.0%-45.00%). Ce pari sera-t-il plus heureux que celui de Nicolas Guyon à l’hippodrome d’Auteuil ? Réponse le 22 janvier 2026.

Conclusion : Nul n’est prophète en son IA

Aussi précis que soient les modèles d’intelligence artificiel, les « effets de bord » demeureront, au même titre que le « bruit » en optique et en mathématique. Le futur restera à jamais le fruit de nos actions, passées et présentes.

« Tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas est écrit là-haut », disait Jacques Le Fataliste. En créant ce personnage, Diderot, figure de proue du mouvement des Lumières, voulait nous prémunir contre la tendance au déterminisme. Il n’existe selon lui aucun « grand rouleau » sur lequel on lirait la clé de nos destinées.

La prospective inclut toujours plusieurs scénarios. Rien n’est écrit. Ni « là-haut », dans les signes du ciel ; ni « ici-bas », dans nos LLM.

Aucune prophétie, théologique ou technologique, ne saurait nous retirer la liberté absolue de fabriquer nous-même notre futur.

Et vous, qu’en pensez-vous ?
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