/

Q172 | Comment le monde du hardware inspire le monde prospectif et vice-versa ?

38 mins de lecture
Crédit photo : @ Marko Simičić (IMEC)

Préambule

Cet article s’inscrit dans la logique du rapport « Electronics Foresight » conçu et réalisé par notre agence, dans le cadre du programme de recherche suisse « Prospective Technologique » d’armasuisse Sciences et Technologies.

AgenceProton a pris le parti de lancer les imaginaires technologiques des parties prenantes des organisations, pour renforcer leurs visions stratégiques. Par différentes méthodes créatives, nous éclairons des directions possibles pour la recherche, le développement de produits, l’innovation et sa planification, et de façon générale, la prise de décision.

Cette fois-ci, nous avons pris comme point de départ à l’imagination, des développements hardware très particuliers. Parmi l’éventail de composants physiques et tangibles de dispositifs électroniques, notre choix s’est arrêté sur la micropuce appelée ASIC – pour Application-Specified Integrated Circuit.

Sur la base d’une sélection inspirante d’innovations récentes, matérialisées par ce type de circuits intégrés conçus sur-mesure, nous accompagnons la pensée imaginative et créative, jusqu’au cœur des organisations.

Comment stimuler l’imagination avec ces micropuces ? Comment inciter les équipes techniques et marketing à envisager des applications inédites, des partenariats innovants et des solutions originales pour leurs défis futurs?

C’est ce que nous allons mieux comprendre, en approfondissant dans cet article la relation dynamique entre le hardware (souvent appelé matériel) et la prospective ; ressort qui sous-tend « Electronics Foresight » pour explorer des futurs.

  1. Omniprésence de la technologie 
      1.1. Du feu au silicium
 
  1. Enseignement des feuilles de route 

1. Omniprésence de la technologie

1.1 Du feu au silicium

L’histoire de l’humanité est marquée par notre fascination pour la technologie et notre désir constant de repousser les limites de ce que nous pouvons accomplir. « Du feu au silicium » résume bien cette progression spectaculaire.

Le feu, qui a été maîtrisé par nos ancêtres il y a des milliers d’années, a marqué le début de notre utilisation intentionnelle d’une technologie pour améliorer nos vies. Il a fourni chaleur, lumière, et la possibilité de cuisiner les aliments, ce qui a eu un impact énorme sur notre évolution en tant qu’espèce.

Le silicium, d’autre part, est au cœur de la révolution technologique moderne. Le silicium est le principal matériau utilisé dans la fabrication des puces électroniques, la base de nos ordinateurs, smartphones, tablettes et autres appareils électroniques. Cette transition vers le silicium et la miniaturisation des composants électroniques ont ouvert la voie à une révolution numérique, transformant radicalement la façon dont nous communiquons, travaillons, apprenons et vivons.

Les avancées technologiques et les réalisations humaines peuvent inspirer un sens d’émerveillement et de fascination. Au fil du temps, cela n’a cessé de croître. Nous inventons des machines de plus en plus compliquées, explorons l’espace, créons des réseaux mondiaux de communication instantanée, et développons des intelligences artificielles capables d’apprendre et de raisonner.

La technologie a le pouvoir de résoudre des problèmes complexes, et de façonner nos comportements et nos sociétés.

1.2 Rôle enveloppant de la technologie

Les dispositifs portables tels que les montres connectées, les capteurs de fitness et les lunettes intelligentes sont devenus familiers. Ils nous permettent de surveiller notre santé, de rester connectés en permanence et d’interagir avec notre environnement d’une manière nouvelle.

A pas feutré, la technologie nous environne et progresse vers nos corps et nos esprits. Elle permet d’augmenter sans commune mesure nos capacités physiques, cognitives et sensorielles. La technologie a le pouvoir de redéfinir nos limites humaines.

Sans répit, les avancées technologiques continuent à repousser les limites de ce qui est possible. Les domaines de la biotechnologie, de la nanotechnologie et de l’intelligence artificielle contribuent à façonner cette évolution.

Des start-ups portent de folles promesses, comme l’australienne Synchron. Sa baseline résonne comme un mantra : « The brain unlocked ». Sa vision est d’alléger des pathologies invalidantes, liées principalement à des accidents cérébraux.

Elle est spécialisée dans les puces cérébrales que l’on place dans le système vasculaire du cerveau. La jeune société technologique vient de devancer sa rivale Neuralink d’Elon Musk, dans les essais sur l’homme de son « interface cerveau-ordinateur implantable ».

Les interfaces cerveau-ordinateur (ou Brain-Computer Interface – BCI) sont des neuro-technologies très prometteuses pour de nombreuses applications. Elles sont actuellement encore insuffisamment fiables.

Cependant, elles permettent déjà à la technologie de se connecter directement à notre cerveau. Ces interfaces pourraient permettre aux personnes handicapées de contrôler des prothèses, aux chercheurs d’explorer la cognition humaine, et à d’autres, d’interagir avec des ordinateurs par la pensée.

Dès à présent, les technologies de réalité augmentée et virtuelle offrent des expériences qui fusionnent le monde numérique avec le monde physique. Cela peut transformer la façon dont nous interagissons avec notre environnement et comment nous percevons la réalité.

Le rapprochement croissant entre la technologie et notre corps ouvre la voie à de nouvelles expériences, opportunités et défis.

1.3 Le mythe de la cathédrale

La technologie est devenue omniprésente dans nos sociétés modernes, et de nombreuses personnes, qu’elles soient technophiles passionnées ou simplement utilisatrices occasionnelles, en tirent des avantages et en sont influencées d’une manière ou d’une autre. La fascination pour le hardware et la technologie peut varier en fonction des intérêts, des expériences et des besoins de chaque individu.

Certaines personnes sont des passionnées de technologie, prêtes à creuser dans les détails techniques, à construire et à démonter des appareils, et à suivre de près les dernières avancées dans le monde de l’informatique et de l’électronique.

Beaucoup de gens ont un intérêt général pour la technologie, sans être nécessairement à fond dans les aspects techniques. Ils peuvent apprécier les nouvelles fonctionnalités de leurs appareils, utiliser des logiciels et applications sans comprendre les mécanismes internes, et être curieux des développements technologiques sans nécessairement devenir des experts.

En fonction des croyances personnelles, culturelles et religieuses de chaque individu, la perception de la technologie diffère.

Quand certains peuvent voir la technologie comme une simple manifestation du potentiel humain sans nécessairement avoir de connotations particulières, d’autres pensent tendre vers quelque chose de divin.

On parle alors du « mythe de la cathédrale ».

Elle est l’idée qui relie la construction des grandes cathédrales gothiques au Moyen Âge, à une quête spirituelle et à un désir de rapprochement avec le divin.

Les cathédrales gothiques, telles que la cathédrale Notre-Dame de Paris, la cathédrale Notre-Dame de Chartres et d’autres, ont été construites avec une ingéniosité technique remarquable pour leur époque. Les architectes et les artisans ont utilisé des techniques de construction innovantes, comme les arcs-boutants, les voûtes en croisée d’ogives et les vitraux colorés, pour créer des structures monumentales qui semblaient toucher le ciel.

La façade occidentale, le portail royal et le parvis de la cathédrale Notre-Dame de Chartres.

Ces cathédrales étaient des lieux de culte, mais elles étaient également perçues comme des œuvres d’art inspirantes et des témoignages de la grandeur divine.

Le mythe de la cathédrale suggère que les bâtisseurs de ces édifices utilisaient leur savoir-faire technologique comme une manière d’exprimer leur dévotion religieuse et de se rapprocher de Dieu. La beauté et la grandeur de ces structures honoraient Dieu et inspiraient une connexion spirituelle. La combinaison de la technologie et de l’art dans la construction des cathédrales était ainsi considérée comme un moyen de transcender le terrestre pour atteindre le divin.

Cependant, ce qui a stimulé les innovations architecturales, structurelles et plastiques du gothique, c’est la recherche massive de lumière, et cela parce que la lumière (selon les idées néoplatoniciennes justement redécouvertes à ce moment-là) est considérée comme la manifestation la plus visible du divin. Derrière l’innovation technique, il y a donc une pensée philosophique. Ce ne sont donc pas les prouesses techniques qui sont considérées comme une offrande à Dieu, mais plutôt ses effets. La prouesse technique accompagne et signale un éveil des consciences, une confiance complètement nouvelle dans les capacités humaines de raisonnement et de création: dans certains milieux et certaines écoles, on admet que le raisonnement peut soutenir, accompagner la foi dans l’accès à Dieu.

Ce mythe met en lumière la façon dont la technologie peut être utilisée pour exprimer des aspirations spirituelles et créatives. Il montre également comment les avancées techniques d’une époque peuvent être mises au service d’objectifs plus vastes que la simple utilité fonctionnelle.

En fonction des croyances personnelles, culturelles et religieuses de chaque individu, la perception de la technologie diffère.

La technologie a créé un réseau mondial de communication instantanée qui relie des individus du monde entier. Certains pourraient voir cela comme un moyen de rapprocher les gens, reflétant ainsi des idées de connexion et d’unité souvent associées au divin.

Les avancées médicales pourraient être perçues comme un moyen de prolonger la vie humaine, se rapprochant ainsi de l’immortalité, un concept souvent associé au divin dans certaines croyances religieuses.

Les transhumanistes, relevant d’un courant de pensée datant de l’Antiquité, sont dans cette quête d’éradiquer la mort, de tendre vers l’immortalité. Ils prônent l’utilisation de la technologie pour améliorer les capacités humaines, ce qui pourrait être interprété comme une forme de transcendance vers des états plus avancés.

Les exploits que permet la technologie pousse sans cesse vers la métaphore spirituelle et rejoint le mythe de la cathédrale. Elle est vue comme un moyen d’atteindre des réalisations qui étaient autrefois considérées comme divines ou impossibles.

1.4 Diffusion de la technologie

La technologie ne cesse d’étendre son territoire d’action. Elle est portée en tout premier lieu, par ceux dont le métier est d’être par essence, dans l’élan technologique.
Les chercheurs travaillent sur le développement de nouvelles technologies et de nouvelles connaissances scientifiques. Leur intérêt est guidé par la recherche de solutions à des problèmes complexes et l’expansion des connaissances.

Les ingénieurs et techniciens conçoivent, développent et mettent en œuvre des technologies. Leur intérêt est lié à la création et à l’amélioration des systèmes, des appareils et des infrastructures technologiques.

Les centres de recherches et les industries dans lesquelles œuvrent ce personnel qualifié, n’ont jamais été aussi efficaces pour transférer entre eux de la connaissance, et ainsi accélérer les développements technologiques, dopés par des financements publics et privés.

Par retour d’expérience, les industriels savent également que les usages imaginés par les concepteurs sont souvent largement mis en défaut, lorsque les utilisateurs s’en saisissent. Plusieurs stratégies sont donc mises en place pour travailler sur une meilleure adoption :

  • Les industriels s’adaptent de plus en plus à un usage diversifié de leur technologie. On parle de plasticité de l’usage et versatilité de la plateforme. Le smartphone embarque une multitude de composants hardware, qui permettent de démultiplier ses usages.

  • L’appropriation constitue un moment de réorientation de l’usage et d’une possible réinvention de l’objet technique. Les industriels vont impliquer l’« usager » dans le processus d’innovation. L’approche de conception participative augmente ainsi les chances que les utilisateurs adoptent la solution, une fois qu’elle sera mise sur le marché.

  • Dans de nouvelles configurations, les industriels incorporent le futur « usager » – implicitement ou explicitement – dans le processus même de production. L’appropriation des innovations par les usagers se fait plus active et créative. Des communautés d’utilisateurs et de créateurs sont mobilisés pour finaliser le produit ou le projet.

Dans le chapitre Diffusion de leur ouvrage « Sciences, Technologies et Société de A à Z », les professeurs et chercheurs Pierre Doray, Jorge Niosi et Serge Proulx de l’Université de Montréal font l’analyse suivante : « des travaux plus récents ont tendance à rompre avec ces visions classiques qui distinguent fortement le moment de la production des innovations technologiques de celui de leur diffusion et enfin, de leur appropriation ». Tout s’imbrique et concoure à cette diffusion grandissante.

Dans « Electronics Foresight », l’observation du potentiel de diffusion de la technologie, est menée à l’échelle des puces. On peut distinguer dans le monde du hardware l’initiative RISC-V, qui permet d’abaisser les barrières à l’entrée dans la conception, et in fine d’agrandir la communauté d’utilisateurs.

La technologie utilise le hardware et le software de façon complémentaire. Le hardware est considéré comme un contenant, et le software comme un contenu qui est adressé à l’utilisateur final.

De plus en plus la frontière se brouille. Le software va au plus près du hardware, pour des raisons d’efficacité énergétique et de performance. Et le hardware se transforme aussi, pour devenir conformable au software. Cette tendance est souvent guidée par une démarche de biomimétisme.

Dans la puce bio-inspirée NimbleAI, l’architecture neuromorphique intégrée représente un exemple significatif d’intégration : capacité à percevoir son environnement et à reprogrammer son traitement en fonction du contexte.

Perceiving a 3D world from a neuromorphic 3D silicon architecture. Source: Nimbleai.eu

L’intégration photonique consiste à manipuler la lumière (photons) de manière efficace et contrôlée, en utilisant des composants optiques miniaturisés intégrés sur une puce – de manière similaire à l’électronique intégrée sur une puce de silicium. Cette technologie est encore relativement nouvelle, elle est en phase de croissance.

Le traitement des données peut devenir un goulot d’étranglement en termes de vitesse et de bande passante, ce qui peut être surmonté en utilisant la photonique pour la communication à haute vitesse.

Ces circuits PIC (Photonic Integrated Circuit) illustrent la tendance et l’évolution vécues, durant les dernières décennies, dans le domaine des circuits et composants électroniques : de plus en plus petits car de plus en plus condensés, de plus en plus performants, de moins en moins gourmands enénergie par gigabit traité.

Cela ouvre la voie à de nombreuses avancées technologiques et applications dans divers domaines.

De grands entrepreneurs dans la technologie investissent notamment dans le développement de puces, gérant des algorithmes d’intelligence artificielle (IA) en périphérie de réseau (Edge). Ce n’est pas vraiment anodin. Ils se sentent « investis » de donner naissance à un nouveau niveau d’intelligence. Ils sont animés par une forme d’activisme, pour changer le monde. Ils sont également portés par leur ego, stimulant la compétition entre eux. Ces acteurs influents ne cessent d’essaimer et de gagner en notoriété.

1.5 Le grand retour du hardware

Les « Chip Act » se multiplient. De nombreux pays sont engagés dans une course aux investissements massifs. L’objectif est de construire des usines, comme étape majeure, vers l’autosuffisance en puces électroniques. La bataille mondiale est lancée, pour investir lourdement dans de nouvelles capacités industrielles à la pointe.

Le Japon à travers la société Rapidus s’est rapproché de l’IMEC, le laboratoire de recherche belge. Cette alliance stratégique devra aider le pays à produire des semi-conducteurs de 2 nanomètres à l’horizon 2027. Quant à INTEL, il annonce notamment deux nouvelles installations de semi-conducteurs en Allemagne. Le leader du marché des semi-conducteur prévoit d’apporter dans ces fabs « l’ère Angstrom », la plus avancée.

Il y a une demande insatiable pour les semi-conducteurs et les puces. Comme le résume Chris Miller, l’auteur de « Chip War », les semi-conducteurs (au cœur de ces composants cruciaux) sont le pétrole du XXIe siècle. Ils sont essentiels au fonctionnement de l’économie moderne. Tous les produits manufacturés, depuis les voitures en passant par les téléphones, les PC, les data centers ou demain, l’intelligence artificielle. La transformation numérique, ainsi que la transition vers les énergies propres, accroissent les besoins en puces électroniques.

L’innovation se jouent à cette échelle nanométrique. Les puces IA sont en plein boom. Alors que l’on associe communément l’intelligence artificielle aux algorithmes, donc au software, on sous-estime à quel point elle repose au contraire sur le hardware. Le phénomène ChatGPT, demande d’avoir des dizaines de milliers de puces électroniques, capables de traiter de grandes quantités de données. Des fermes de serveurs sont construits à tour de bras.

Les architectures d’accélérateurs matériels IA innovantes continuent de s’étendre. L’IA portative, qui nous accompagnera au quotidien comme le fait aujourd’hui le smartphone, sera une des prochaines innovations technologiques majeures.

Afin de ne pas être ralenti dans leurs avancées technologiques, de grandes firmes font désormais leur software et leur hardware. Elles construisent leur propre usine, ou nouent des partenariats d’exclusivité comme APPLE.

Nous observons que l’humain est fasciné par la technologie. Le phénomène de diffusion technologique reste « inépuisable » en raison de l’accélération constante de l’innovation, alimentée par la recherche, la concurrence et la demande. 

La démonstration concrète des avantages, et de l’effet de réseau attire de plus en plus d’utilisateurs, créant ainsi un cercle vertueux/vicieux d’adoption. Avec la montée en puissance de capacités de production, en facilitant le transfert de connaissances des laboratoires aux usines, en comblant le fossé entre la recherche et l’innovation et les activités industrielles, de nouveaux besoins se créent. On amplifie la dynamique.

2. Enseignements des feuilles de route

2.1 Tendances lourdes et technologies émergentes

Les prospectivistes sont des experts qui se spécialisent dans l’étude des tendances futures et des scénarios possibles. Ils surveillent de près les avancées technologiques et scientifiques. Ils consultent des publications académiques, participent à des conférences, et suivent les travaux de recherche, pour comprendre quelles innovations pourraient émerger dans le futur. Ils peuvent en parallèle, mener des entretiens avec des chercheurs, des ingénieurs et des techniciens dans différents domaines, pour recueillir leurs opinions et leurs perspectives sur les tendances futures. Ces interviews permettent d’obtenir des informations qualitatives importantes.

Les prospectivistes s’appuient sur une variété de sources d’information et de méthodes pour anticiper les évolutions à venir. Certains ont fait de l’examen des tendances socioculturelles leur spécialité, pour prédire les changements dans la demande. D’autres ont une approche transdisciplinaire qui combinent notamment des méthodes prospectives avec du design, comme les collectifs « Making Tomorrow » ou « Le Coup d’Après ». Mais ce qui les caractérisent tous, c’est leur propension à repérer, dans l’environnement économique, technologique, social et politique, des signaux pour anticiper les évolutions significatives.

Pour le rapport d’étude « Electronic Foresight », nous nous sommes documentés avec les feuilles de route de la microélectronique, et celles d’industriels ayant développé récemment un ASIC remarquable. Nous avons complété notre approche en allant au plus près de la vision d’experts européens du semi-conducteur.

Les feuilles de route d’industriels (Technological roadmaps) sont le reflet de scénarios réalistes des évolutions du domaine des organisations à forte composante technologique. Ausculter le futur, à l’aune de ces documents, est particulièrement riche d’enseignements, sur des tendances lourdes et des technologies émergentes. Mises bout à bout, elles projettent des lignées de caractéristiques et de performances, qui sont les ingrédients pour concocter les produits et les services du futur.

Les feuilles de route sont l’expression du Momentum technologique. Ces trajectoires sont intéressantes, pour peu qu’on les regarde avec la distance suffisante. En effet, les feuilles de route technologiques supposent souvent une projection en ligne droite ou un scénario unique. Elles peuvent devenir moins utiles face à des changements volatiles, systémiques et soudains. Toutefois, il ne fait aucun doute que ces planifications stratégiques sont instructives. Elles sont plus que jamais à l’écoute des secteurs applicatifs et des besoins des utilisateurs.

Des organismes comme Gartner, McKinsey, KPMG, Yole, ou encore Deloitte, rivalisent pour produire des rapports synthétiques de «grandes tendances généralistes » et de « grandes tendances Tech ». Pour Deloitte, on peut retrouver entre autres pour 2023 : l’internet immersif, l’intelligence artificielle « ouverte », le multicloud, les architectures décentralisées. L’organisation finlandaise SITRA, la Dubaï Future Foundation ou encore le Copenhagen Institute for Future Studies captent aussi des tendances lourdes et des technologies émergentes. De la même façon, l’OTAN le fait avec sa Big picture Tech 2023-2043 (volume 1 et volume 2). 

Toute cette matière donne des repères pour l’avenir. 

Une pratique courante pour les industriels est d’alimenter leur réflexion en croisant ces différents rapports. Depuis les tendances lourdes généralistes jusqu’aux technologies émergentes les plus fines, elles peuvent impacter leur activité.

Les mégatendances sont généralement des développements continus et inévitables qui ont le potentiel de façonner le paysage futur. Ce sont des trajectoires qui s’inscrivent dans le long terme, qui pour la plupart gardent leur cap même en période de turbulences. Malgré le brouillard de l’incertitude à court terme, elles changent inexorablement le monde, le marché et les entreprises. La question n’est pas de savoir si elles se réaliseront, mais seulement quand et comment !

Les tendances émergentes sont des phénomènes plus récents qui commencent à prendre de l’importance. Elles sont souvent moins prévisibles que les mégatrends, car elles peuvent surgir rapidement en réponse à des événements ou des innovations spécifiques. Les technologies émergentes il y en a pléthore. Lesquelles sont signifiantes dans la masse ? C’est un des enjeux de la prospective de surveiller ces tendances et d’explorer comment elles peuvent s’appliquer à des contextes spécifiques pour en tirer des avantages significatifs.

L’industrie des semi-conducteurs déroule ses feuilles de route. Quand on réalise la part prépondérante du hardware dans nos sociétés modernes, elles sont un formidable observatoire du futur. Difficile de s’arrêter quand on est sur la lancée actuelle. Des usines spécialisées sont construites à tour de bras. Elles nécessitent 3 à 4 ans d’effort. La fabrication de puces est un processus complexe. Des fonctions compliquées sont réalisées sur des surfaces de plus en plus réduites. Les premières puces nouvelle génération n’en sortiront pas avant 5 à 6 ans, le temps que les process de fabrication soient au point. On ne s’aventure pas en dessous du nanomètre en un claquement de doigts ! Les produits manufacturés innovants qui les utiliseront, auront une durée de vie de 5 ans minimum.

Vu les dépenses d’investissement (CAPEX), les talents à former, les chaînes de valeurs mondiales à mettre en place (qui s’allongent et se complexifient), l’ingéniosité des machines à perfectionner, il est difficile de se réengager dans une autre voie. Par cette inertie propre à l’industrie des semi- conducteurs, on a déjà le paysage technologique très probable de « dans 10 ans ».

Avec « Electronics Foresight », nous sommes partis de quelques documents clefs, accessibles au public, certes averti mais en libre accès. Voici quelques exemples : « Nanoelectronics Roadmap for Europe » tiré du projet NEREID, « The Next Silicon Frontier » édité à l’occasion des 50 ans de EE TIMES, et des livres blancs (Artificial Intelligence & Genomics) de l’Institut de recherche inter- universitaire flamand en microélectronique et nanotechnologie, l’IMEC. L’Institut de Micro-Electronique et Composants est au cœur, plus que jamais, de la dynamique actuelle autour du hardware. En mettant à disposition un environnement unique où les nouvelles technologies peuvent être évaluées, développées, affinées et validées, il détient un panorama relativement exhaustif des tendances à venir.

Quand on est partie prenante d’une entreprise à forte dominante technologique, on va avoir tendance à coller à l’ambition affichée. La feuille de route s’est imposée comme un outil de planification stratégique. Du coup, on cherche bien évidemment à atteindre l’objectif spécifique. Toujours aller plus en avant : on est « câblé » pour cela. Et puis les passionnés croient en leur roadmap ! Elon Musk a peut-être une vision du futur survalorisée, mais il est décidé à vendre.

Sauf qu’on se rend bien compte qu’à l’épreuve de la réalité des limites planétaires, si on met bout à bout toutes les roadmaps technologiques mondiales, cela ne tient pas

 

Décentrés par rapport aux feuilles de route, les prospectivistes naviguent dans cette incertitude ambiante. Ils y puisent inspiration et stimulation pour leur réflexion. Dans notre rapport de prospective par les imaginaires technologiques « Electronics Foresight », nous observons le développement de circuits intégrés spécifiques récents. Guidés par des drivers, comme des tendances lourdes dans le semi-conducteur et quelques ASICs remarquables et signifiants, nous allons chercher à mobiliser les imaginaires.

En priorité cette méthode a été conçue pour générer au cœur des organisations de nouvelles idées sur les futurs possibles. La démarche didactique doit permettre d’apporter un regard médian entre les scientifiques et le citoyen et ainsi embarquer les imaginaires de tout à chacun.

Les feuilles de route des industriels peuvent inclure des mécanismes de veille stratégique pour détecter rapidement les nouvelles tendances qui pourraient avoir un impact sur leurs activités. Cette publication  présente des modèles de roadmapping technologique, et offre une vue d’ensemble des différentes approches utilisées dans ce domaine. 

Les feuilles de route des industriels peuvent également prévoir des points de flexibilité pour s’adapter à ces tendances au fur et à mesure qu’elles émergent. De plus en plus d’entreprises intègrent une cellule de prospective au cœur de leur organisation pour travailler sur des horizons temporels plus long, et aborder des scénarios d’avenir moins lisse, avec des « accidents » dans la feuille de route. La dimension de l’imaginaire devient un facteur clef pour mobiliser des connaissances et s’ouvrir à d’autres explorations.

Dans leur dernière étude le collectif de prospectivistes Le Coup d’Après prend le contrepied de la pensée technophile. Avec « Le soldat Low-Tech » ils sortent de la trajectoire tendancielle et des imaginaires technologiques du soldat du futur. 

2.2 Des puces sur le devant de la scène

L’électronique permet, au moyen de divers éléments appelés « composants », de construire des appareils capables de gérer ces signaux électriques dans le but de transmettre ou de recevoir des informations. Ces composants microélectroniques constituent le « socle » physique (hardware) sur lequel fonctionnent toutes les applications informatiques (software). De la taille comparable à un grain de riz, un ongle ou un carreau de chocolat, la puce électronique est le support du circuit formé par l’intégration de composants microélectroniques.

Aujourd’hui les puces électroniques sont partout, présentes dans des millions de systèmes et de produits de pointe. Ainsi, s’intéresser à l’évolution des circuits électroniques, c’est un angle intéressant. 

« C’est une technologie de l’infiniment petit. Ils sont présents partout, dans les couches les plus fines de la société. De l’automobile, à la gestion des données, en passant par la communication, tout dépend des microprocesseurs. Ils sont plus importants que le pétrole. » Voici les phrases introductives du documentaire « La guerre des Puces » sortie en Juin 2023, pour parler des circuits électroniques.

Certaines puces remarquables ont des noms qui parviennent jusqu’au grand public averti : Nvidia H100, APPLE M1, Qualcomm Snapdragon 888, INTEL Xeon, IBM Telum

Elles sont largement reconnues pour leurs performances, leurs fonctionnalités et leur impact dans leurs domaines respectifs. Elles s’exhibent sur les réseaux sociaux, très souvent une main en avant, entre le pouce et l’index. Ces puces de circuits intégrés sont brandies comme des étendards de la modernité.

The 5th Gen Intel Xeon Scalable processor (code-named Emerald Rapids) is Intel's next Performance-core (P-core) product. At an investor webinar on March 29, 2023, Intel announced the 5th Gen Xeon, which is sampling to data center customers and going through volume validation. (Credit: Intel Corporation)

A l’ombre de ces géantes, bien d’autres puces sont largement diffusées dans divers systèmes et composants d’objets, comme le STM32 d’ST Microelectronics, pour améliorer les performances, la sécurité et les fonctionnalités.

Dans une automobile, des puces peuvent être présentes dans des composants tels que le système de gestion du moteur, le système de freinage antiblocage (ABS), le système de divertissement, le système de navigation, les capteurs de sécurité, le système de climatisation, les systèmes d’aide à la conduite, les caméras et bien d’autres encore.

Avec l’évolution rapide de la technologie automobile, le nombre de puces dans les voitures est susceptible d’augmenter à l’avenir, avec l’intégration croissante de systèmes avancés tels que la conduite autonome et la connectivité intelligente.

2.3 Par les ASICs on soulève un angle mort

Pratiquer la prospective technologique, en étudiant les feuilles de route de l’industrie des semi-conducteurs est particulièrement intéressante. Comme nous venons de le voir précédemment, la barrière d’entrée pour concevoir puis fabriquer ces composants est telle, qu’ils s’inscrivent dans le paysage technologique pour quelques décennies.

L’électronique intégrée dans un produit utilise une combinaison de circuits déjà disponibles à haut volume (COTS – Circuits Off The Shelf ou ASSP – Application Specific Standard Product), soit avec des circuits entièrement personnalisés (ASIC – Application-Specific Integrated Circuit) optimisés pour l’application envisagée.

L’AgenceProton a fait le choix de se concentrer sur l’ASIC, cette micropuce conçue pour une application spécifique, dans son dernier rapport de prospective.

Les ASICs sont des « blocs de construction puissants » pour les appareils électroniques, et aujourd’hui encore, ils sont considérés comme un simple produit de base, une commodité. Ils offrent peu de possibilités de programmation, mais permettent d’obtenir des performances maximales pour un budget donné en termes de puissance et de coût.

Outre sa taille, sa puissance et ses performances, la puce ASIC offre une protection renforcée, contrairement à un produit standard. Avec un ASIC, le client, dispose d’une puce à laquelle personne d’autre n’aura accès.

IC’Alps comme Dolphin Design sont deux sociétés françaises spécialisées dans la conception de circuits intégrés de type ASIC (dédiés à une application spécifique) et SoC (Systèmes sur une puce) pour de nombreux appareils électroniques.

De nombreuses start-ups « fabless » (sans avoir leur propre usine de fabrication) se concentrent sur la conception et le développement de produits électroniques, à base de circuits spécifiques et d’architectures originales. Les verrous technologiques qu’elles arrivent à lever, sont de vraies sources d’inspiration.

Il existe différents types de puces qui répondent à des besoins spécifiques en termes de performance, de flexibilité et de coût, contribuant à la diversité des solutions en microélectronique.

ASICs (Circuits Intégrés Spécifiques à une Application) : Ce sont des puces conçues pour répondre à des besoins très spécifiques et sur mesure. Elles sont développées pour exécuter une tâche particulière ou un ensemble restreint de tâches. Les ASICs offrent souvent une meilleure performance, une efficacité énergétique et une compacité par rapport aux solutions génériques. Cependant, leur conception est complexe et coûteuse, ce qui les rend appropriés pour les applications nécessitant une grande quantité de puces et une optimisation précise.

ASSP (Produits Standard Spécifiques à une Application) : Ce sont des puces préconçues pour répondre à des applications spécifiques, mais elles sont plus génériques que les ASICs. Les ASSP sont conçus pour des tâches plus courantes et répandues, ce qui rend leur conception moins complexe et moins coûteuse. Les puces ASSP sont produites en masse et sont adaptées à un large éventail d’applications similaires. Elles sont plus flexibles que les ASICs, mais peuvent ne pas être aussi optimisées pour une tâche particulière.

FPGA (Field-Programmable Gate Array) : Il s’agit de puces configurables par l’utilisateur après leur fabrication. Les FPGA peuvent être reprogrammés pour exécuter différentes tâches, les rendant adaptés aux prototypes et aux applications où la flexibilité est essentielle.

Microcontrôleurs : Ce sont des puces qui intègrent un processeur, de la mémoire et des périphériques d’entrée/sortie. Ils sont utilisés dans des applications embarquées, comme les systèmes embarqués dans les appareils ménagers, les automobiles et les dispositifs médicaux.

DSP (Digital Signal Processor) : Les DSP sont conçus pour traiter des signaux numériques tels que le son, la vidéo et les signaux de capteurs. Ils sont largement utilisés dans les domaines de la communication, de l’audio et du traitement du signal.

GPU (Graphics Processing Unit) : Ces puces sont optimisées pour les opérations de calcul parallèle et sont essentielles pour les applications graphiques, les simulations scientifiques et l’apprentissage automatique.

SoC (System-on-Chip) : Les SoC intègrent plusieurs composants, tels que le processeur, la mémoire, les interfaces réseau et les périphériques, sur une seule puce. Ils sont courants dans les appareils mobiles et les systèmes embarqués.

Pour résumer la posture du prospectiviste vis-à-vis des feuilles de route, c’est une source d’inspiration importante.

Cela lui fournit un état des lieux de la recherche et des prévisions sur des volumes et des fonctionnalités.

S’appuyant sur la rigueur scientifique et les probabilités, le prospectiviste détient une base solide révélant un paysage technologique, avec des reliefs remarquables entre vastes étendues planes, vallées verdoyantes ou arides, petites et grandes élévations de terrain (collines, montagnes, sommet, …), etc.

Il va ainsi étayer ses travaux et scénarios.

3. Ellipse par l’imaginaire

3.1 La fiction comme source d’inspiration

Dans certaines thèses transhumanistes, on spécule sur la possibilité de numériser la conscience humaine et de la télécharger dans des ordinateurs ou des réseaux, créant ainsi une forme de vie après la mort physique. Dans l’ouvrage «MOI, OMEGA» de l’auteur et essayiste Erwan Barillot, le personnage central, un jeune garçon passionné de technologie, poursuit le projet de connecter tous les individus de la planète et d’en devenir leur dieu. Il déclenchera un matin de 2064 un coup d’Etat numérique en unifiant sur une seule plateforme le titanesque réseau mondial de l’Internet des Objets. Pour ce faire, il a pratiqué un body uploading. Avec la numérisation de ses cellules et synapses, il aura su créer un jumeau numérique immortel de lui-même, qui contrôlera désormais le réseau tout entier des objets connectés. C’est l’avènement de Christ-Oméga, l’Homme-Dieu.

Une idée germe, et une histoire se dessine. Les œuvres de science-fiction, les romans d’anticipation et les films futuristes peuvent stimuler l’imagination et offrir des visions créatives et inspirantes du futur. Comme le signifie l’écrivaine-prospectiviste Anne-Caroline Paucot, « Les histoires d’hier ne sont plus mobilisatrices. Il faut créer de nouveaux récits qui donnent du sens et incitent à agir ».

Le collectif emmené par Luc Legay (dit « le Propulseur de projets ») et Anne- Caroline Paucot, sont la référence dans ce domaine. Parmi leurs nombreuses productions on peut citer « La méthode à Jules ». Dans l’ouvrage, ils s’inspirent de Jules Verne, ce visionnaire de génie pour aider à inventer le futur. Jules Verne était curieux, mettait en scène les technologies émergentes, se nourrissait de l’actualité, s’inspirait de la nature. C’était un des tout premier prospectiviste à sa façon.

Dans son roman « Un feu sur l’abîme » (A Fire Upon the Deep) Vernor Vinge imagine des entités extraterrestres qui utilisent des interfaces cerveau- ordinateur pour augmenter leurs capacités de calcul et de communication. C’est le cas pour d’autres écrivains comme William Gibson dans sa trilogie « Neuromancien », « Comte Zéro » et « Mona Lisa s’éclate », où ses personnages utilisent des interfaces cerveau-ordinateur pour se connecter à des réseaux informatiques, manipuler des données et interagir avec la réalité virtuelle. Dans son roman Ilium, Dan Simmons fait que ses personnages utilisent des interfaces cerveau-ordinateur pour interagir avec des intelligences artificielles, transférer leurs esprits dans des corps robotiques et explorer des mondes virtuels.

Cela rejoint les avancées d’aujourd’hui sur les implants cérébraux connectés capables de communiquer avec un ordinateur. On voit poindre maintenant au niveau des innovations, une combinaison de courants technologiques amenant vers ces concepts fictionnels. La fiction a précédé la réalité.

Il est fréquent que la fiction précède la réalité, notamment dans le domaine de la science et de la technologie. De nombreux concepts et idées novatrices sont d’abord explorés dans la littérature, le cinéma, la science-fiction et d’autres formes d’art avant de devenir une réalité tangible.

Les romanciers ont une grande liberté pour imaginer des scénarios, des technologies, et des mondes futuristes. Les personnes inspirées par la fiction peuvent chercher à rendre réelles les idées qu’elles ont rencontrées dans leurs lectures ou au cinéma.

Dans un très récent article « Why do we trust novelists with the future? » d’Andrew Dana Hudson, l’auteur présente trois arguments intéressants :

  1. L’écriture de science-fiction et le « future thinking » partagent des compétences clefs (et par conséquence ont un langage commun)
  2. La science-fiction crée des mythologies modernes qui nous permettent de donner un sens à l’évolution technologique,
  3. Les narrations nous permettent de porter des jugements sur les mondes dans lesquels nous pourrions vivre.

La technologie BCI ouvre la voie vers un nouveau type de clavier : finis de taper avec les doigts, ce sera « taper avec le cerveau ». Voilà encore un exemple de comment faire de la science-fiction une réalité. Le papier scientifique d’Angela Renton de décembre 2019, en fait même son titre : « Typing with the brain: How we made science fiction a reality ».

Il y a plus de 10 ans, Peter H. Diamandis, directeur de la fondation XPRIZE lance un concours avec un prix de 10 millions de dollars. Le challenge à relever est de recréer à partir d’un objet fictionnel de la série Start Trek, « le tricordeur », un objet réaliste. C’est un exemple médiatique typique d’une mobilisation d’imaginaires autour d’une idée fictionnelle. A l’époque le projet fut un échec, mais 10 ans plus tard, certaines fonctionnalités hardware liées notamment à la microfluidique et à l’IA, commencent à émerger.

Par le biais de la compétition mondialisée, des concepts issues de la science- fiction viennent percuter les équipes de recherche et de développement.

3.2 Au-delà des roadmaps technologiques

Les nouvelles technologies ont le pouvoir de bouleverser les industries, de développer les économies, avec la promesse d’améliorer les conditions de vie et de protéger le vivant – si elles sont conçues, mise à l’échelle et déployées de manière raisonnée. C’est pourquoi il convient d’être particulièrement attentif aux évolutions futures dans le domaine technologique.

Une idée germe, et l’architecture d’un circuit électronique se dessine. Que ce soient les start-ups, TPE-PME, ETI ou grands groupes, l’innovation est partout.

De quoi sera fait le futur dans 5 ans, 10 ans, 15 ans, personne ne détient la réponse. Ce n’est certainement pas la somme de ces innovations. Ce n’est pas non plus, le déroulé des feuilles de route qui resteraient figées en l’état.

La prospective technologique créative permet d’explorer des futurs technologiques alternatifs, d’imaginer des applications inattendues et de repousser les limites de l’imagination. Elle constitue un outil puissant pour la prise de décision quant à la conception de nouvelles technologies et l’anticipation des besoins émergents de la société.

Dans l’étude «Electronics Foresight», chaque technologie présentée est éclairée par un « What if ? » (Et si ?), pour lancer l’imaginaire au-delà de l’objet technologique, en s’affranchissant des roadmaps en vigueur. La méthode « Et si ? » est un outil de réflexion créative et prospective qui invite à sortir des sentiers battus et à explorer des futurs alternatifs. Elle stimule l’innovation et la réflexion sur l’avenir.

Extrait - page 44 - de "Electronics Foresight"
Extrait - page 39 - de "Electronics Foresight"

Les étapes d’après pour l’industriel, peuvent être déroulées avec tous les outils de conception et d’animation innovante possible.

La force de cette démarche est de créer des ponts entre le rationnel et le créatif.

Au cœur de l’organisation les silos deviennent poreux, les imaginaires communiquent entre eux et s’enrichissent mutuellement.

3.3 Horizons technologiques : entre émerveillement et préoccupation

Quelque part dans le Vercors, par une nuit noire de l’été 2023. Notre regard est soudain accroché à une chaîne de points lumineux qui fendent la voute céleste. Ce ne peut être des avions volant en grappe, ni un ballet ordonné d’étoiles filantes. Médusés, nous réalisons que ce « train de lumières » brillant, est celui formé par des satellites Starlink.

Le spectacle est fugace, bientôt les panneaux des objets technologiques basculent et les satellites se dérobent à notre regard. Cette trentaine de mini-satellites rejoignent la constellation pour laquelle ils sont destinés. Ils vont fournir un accès à Internet depuis l’espace.

Après l’émerveillement arrivent les questions. Verra-t-on demain plus de satellites que d’étoiles à l’œil nu pendant une bonne partie de la nuit ? Les grands observatoires terrestres seront ils gênés par l’albedo des satellites ? Par la pollution lumineuse engendrée ? Qu’en sera-t-il du risque de collisions entre satellites concurrents ?

Les IA génératives sont actuellement source de fascination. Mais comme le postait récemment sur LinkedIn (le 25 Août 2023), la consultant web3  Félicie le Dragon :

La constellation de satellites Starlink, immortalisée en février 2021 depuis l'Uruguay. [© M.SUAREZ/AFP]

« Quand des bots auront fini de liker et de commenter des articles écrits par ChatGPT et illustrés par Midjourney et publiés automatiquement sur LinkedIn… que restera-t-il ? Ou plutôt qui ? Les gens écouteront des voix de synthèse résumer des livres générés par AI.
Ils en tireront 3 leçons de vie et de business qui finiront en vidéos automatiquement publiées sur les réseaux :
– se lever tôt
– prendre des douches froides
– boire 8 litres d’eau
Et les bots likeront.
Créant des vagues de vanity metrics artificielles.
Et cela deviendra une nouvelle norme inconsciente. Mais où est le sens critique ?
Ah oui. Il est fustigé. »

La technologie peut susciter des préoccupations et des inquiétudes dans de nombreux domaines, en raison de ses impacts potentiels sur la société, l’individu et l’environnement.

Derrière l’inspiration et la fascination, des questions fondamentales arrivent en rafale. Peut-être que demain la technologie ne sera pas aussi prépondérante qu’aujourd’hui, qu’il faudra répondre à une pyramide des besoins, lié aux limites planétaires.

En octobre 2023, la NASA prépare une mission pour aller sur l’astéroïde Psyché qui est constitué principalement de métaux précieux. Nickel, or, métaux rares, va-t-on parier sur de nouvelles ressources extra-planétaires ? Hollywood a déjà répondu de façon sarcastique à cette question, dans l’excellent film « Don’t look up » …

Conclusion

Le hardware, qui englobe les composants matériels des systèmes informatiques et électroniques, et la prospective, qui implique l’anticipation et la planification des évolutions futures, sont deux piliers interconnectés qui influencent profondément notre monde moderne. C’est une relation puissante et souterraine. 

Deux publications à citer [Technology Mapping] et [Corporate Foresight], sur ScienceDirect, le site web géré par l’éditeur Servier et [Foresight and Roadmapping] sur ResearchGate, le réseau social pour chercheurs et scientifiques, argumentent sur cette interconnexion.

L’imaginaire des concepteurs reste traversé par des signaux provenant des productions incessantes des fictions qui envahissent notre paysage médiatique et culturel. Elles-mêmes sont alimentées par le flux des nouvelles technologies, des déclarations des entrepreneurs et des firmes, des annonces d’avancées scientifiques incroyables et de tous messages qui s’écoulent par les canaux de diffusion de plus en plus nombreux.

Cette chambre d’écho est amplifiée par le phénomène de numérisation et les avancées technologiques liées à la communication de masse. On assiste à une chorale qui se joue à un rythme effréné… On reprend telle histoire et on en fait une série. Tel fait est mis en lumière par un auteur, tel autre on magnifie des entrepreneurs passés dans des biopics, on célèbre l’aventure technologique spatiale dans des histoires sur grand écran à grand renfort d’effets spéciaux… Cela crée une proximité, une culture commune.

Au milieu de tout ce bruit ambiant, « Comment le monde du hardware inspire le monde prospectif et vice-versa ? ». Place à une parabole autour d’un festin :

Tout le monde est invité à la table du Prospectiviste ! Que ce soient l’ingénieur hardware et/ou software, le physicien de physique fondamentale et/ou appliquée, l’écrivain de science-fiction, l’artiste numérique, le philosophe, le précaire (celui qui vit plus au présent parce qu’il se bat au présent), le linguiste, le sociologue, … Au menu, des plats qui alternent pensée rationnelle et pensée créative, arrosés d’une bonne dose d’inspiration.

 

Une technologie froide par définition est réchauffée par une mise en récit.

La fiction vient interroger et éclairer le sens de découvertes et de développements difficiles à appréhender.

Le prospectiviste nous régale de ce banquet enjoué, d’où en sortira une pensée métisse, entre connu et inconnu.

Chapitre 1 – Sources

01. « Electronics Foresight: Innovation & Imagination » par l’AgenceProton – August, 2023

02.  Synchron et Neuralink

03. « Brain implants that enable speech pass performance milestones » par Nick Ramsey and Nathan Crone, publié dans NATURE – August, 2023

04. « Diffusion de la technologie et des innovations » par Pierre Doray, Jorge Niosi et Serge Proulx – 2017 aux Editions aux Presses de l’Université de Montréal 

05. « Chip War » de Chris Miller – 2023 aux éditions Simon & Schuster 

 

Chapitre 2 – Sources

01. « Les 6 tendances Tech à suivre en 2023, selon Deloitte » – Dec, 2022, par Ariane Beky pour Silicon

02. « MEGATRENDS 2023 – Understanding an era of surprises » par Mikko Dufva and Sanna Rekola de SITRA
Les mégatendances 2023 de Sitra décrivent le tableau général du changement à travers cinq thèmes : la nature, les personnes, le pouvoir, la technologie et l’économie.

03. « Future Opportunities Report: The Global 50 2023 » par Dubai Future Foundation – Février 2023
Le rapport Global 50 partage la vision de l’avenir de la fondation et 50 opportunités de croissance, de prospérité et de bien-être pour l’avenir. La vision partagée de l’avenir englobe des réflexions sur l’évolution de leur compréhension des incertitudes mondiales ainsi que sur les hypothèses et les mégatendances que la fondation considère comme pertinente pour la manière dont elle naviguera dans l’avenir. Certaines des opportunités présentées n’en sont peut- être qu’à leurs débuts, d’autres nécessitent une réflexion et d’autres encore semblent très éloignées.

04. « Global megatrends Shaping the future of societies, economies, and values » – 2023 par Timothy Shoup du Copenhagen Institute for Futures Studies
Cette publication explore 15 mégatendances qui façonneront le monde et illustre la manière dont les mégatendances peuvent être utilisées de manière pratique dans le contexte de la stratégie organisationnelle à l’épreuve du temps.

05. « Science & Technology Trends 2023-2043 Across the Physical, Biological, and Information Domains » par NATO Science & Technology Organization – Volume 1 Overview et Volume 2 Analysis
Le document Science & Technology Trends : 2023-2043 présente une évaluation des tendances en matière de science et de technologie (S&T) et de leur impact potentiel sur les opérations militaires de l’OTAN, les capacités de défense, les fonctions d’entreprise et l’espace de décision politique.

06. « NEREID Roadmap » coordonné par Dr Francis Balestra – December, 2018
Cette publication est la feuille de route du projet européen NEREID « NanoElectronics Roadmap for Europe : Identification and Dissemination».

07. « The next silicon frontier – EE Times 50th Anniversary Special Edition [1972-2022] » 
Ce livre anniversaire explore des questions clés, telles que : le GaN et le SiC alimenteront-ils l’avenir de l’électronique ? La photonique peut-elle ouvrir la voie à un traitement des données à grande vitesse et économe en énergie ? Les technologies neuromorphiques ouvriront-elles la voie à des ordinateurs ressemblant à des cerveaux ? L’électronique durable est-elle réalisable ?

08. « AI at the edge – a roadmap » par IMEC – 2020 
Ce livre blanc est le résultat direct d’un atelier de réflexion qui s’est tenu à Louvain le 17 septembre 2019 avec les auteurs et les contributeurs présents.

09. « Semiconductor technologies and system concepts to revolutionize genomics » par IMEC – 2021
Ce livre blanc examine en détail les possibilités offertes par le mariage très prometteur entre Watson et Moore et la manière dont il contribuera à construire la prochaine phase passionnante de la génomique humaine, conformément aux recommandations de la NHGRI.

10. « Next-gen silicon microdevices: key technologies and fabrication processes » par IMEC – 2022

11. « L’industrie des semi-conducteurs et son futur », parution pilotée par Gérard Roucairol et issu des séances thématiques de l’académie des technologies – May 11, 2022

12. « More-than-Moore Devices and Integration for Semiconductors » de Francesca Iacopi et Francis Balestra édité chez SPRINGER – 2023
Ce livre fournit aux lecteurs une référence complète et à la pointe de la technologie pour les systèmes miniaturisés plus-que-Moore avec une large gamme de fonctionnalités qui peuvent être ajoutées aux microsystèmes 3D, y compris l’électronique flexible, les méta surfaces et les sources d’énergie. Le livre comprend également des exemples d’applications pour les interfaces cerveau-ordinateur et les systèmes d’imagerie pilotés par les événements.

13. « Annual Report 2022-2023 » par FRAUNHOFER Institute for Photonic Microsystems IPMS14. « Semiconductor industry association factbook 2023 » par SIA 

14. « 2023 semiconductor industry outlook » par DELOITTE 

15. « Emerging trends in roadmapping research: A bibliometric literature review » – Septembre 2021 par Sukrit Vinayavekhin, Robert Phaal, Thananunt Thanamaitreejit & Kimitaka Asatani
Cette revue systématique de la littérature se concentre sur les modèles de roadmapping technologique, et offre une vue d’ensemble des différentes approches utilisées dans ce domaine.

16. « Le soldat low-tech»  par Le Coup d’Après 
Collectif de prospectivistes, chercheurs, designers, innovateurs. Leursapproches transdisciplinaires combinent des méthodes prospectives, stratégiques et design.

17. « La Guerre des puces », un documentaire réalisé par Nicolas Vescovacci et produit par ARTE – Juin 2023 – 
Un décryptage des enjeux de cette nouvelle guerre politique et industrielle.

 

Chapitre 3 – Sources

01. « Moi, Oméga » – 2022 aux Editions Bouquins, par Erwan Barillot  
Passionné de prospective, Erwan Barillot signe là son premier roman.

02. « La méthode à Jules » par les Propulseurs 
Inspirée par Jules Verne, une méthode, un livre, des ateliers et une exposition pour (p)réparer le futur. Un livre écrit par Anne-Caroline Paucot et illustré par Sophie Brakha de l’écosystème Les Propulseurs.

03. « Why do we trust novelists with the future? » 3 Sept. 2023 par Andrew Dana Hudson
Article issu d’un séminaire animé par Julian Bleecker.

04. « Typing with the brain: How we made science fiction a reality »

05.  Starlink

06. « Psyché : l’astéroïde qui vaut des milliards de dollars », Dec 2022 par Geneviève Salmon pour L’Internaute

 

Conclusion – Sources

01. « Technology Roadmapping for Strategic Technology Management » par Phaal, R., Farrukh, C. J. P., & Probert, D. R. – January 2004
Cet article aborde l’utilisation de la prospective et de la planification stratégique, y compris la roadmapping technologique, pour aligner le développement du hardware avec les besoins futurs.

02. « Corporate foresight: A systematic literature review and future research trajectories » par Marinkovic M, Al-Tabbaa O, Khan Z, Wu J. dans Journal of Business Research Volume 144, May 2022, Pages 289-311 
Cette publication est une synthèse narrative de 73 articles publiée au cours des deux dernières décennies. Elle met notamment en évidence l’effet bidirectionnel de la technologie, en tant que concept distinct, sur les éléments de la prospective d’entreprise.

03 « Foresight and Roadmapping Methodology: Trends and Outlook » par Kishita Yusuke – June 2021
Cet article passe en revue certaines méthodes de prospective et d’anticipation, en se concentrant plus particulièrement sur les prévisions, les prévisions rétrospectives, les scénarios et les feuilles de route.

Crédit photo couverture @ Marko Simičić (IMEC)
Les résultats de cette puce ont été publiés dans :
M. Simicic et al., « A fully-integrated method for RTN parameter extraction » 2017 Symposium on VLSI Technology, Kyoto, Japan, 2017, pp. T132-T133, doi: 10.23919/VLSIT.2017.7998151.

Print Friendly, PDF & Email

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Dernières parutions