Q300 | Quel futur souhaitable des métiers de l’intelligence ?

14 octobre 2025
23 mins de lecture

L’intelligence et la performance économique ne peut être que collective

Dans un contexte où la gestion des données, de l’information et des connaissances revêt une dimension toujours plus stratégique pour les entreprises, les enjeux de l’intelligence économique se redéfinissent. Au-delà de l’éclairage des processus décisionnels et de l’optimisation des métiers, l’information devient le socle des nouveaux schémas de collaboration entre salariés et le levier d’une compétitivité renouvelée.

Historiquement, la veille et l’ensemble de ses composantes – surveillance, collecte, traitement, analyse et diffusion – ont constitué les piliers des démarches d’intelligence économique. Mais cette approche traditionnelle, souvent centralisée et cloisonnée, ne suffit plus. L’autonomisation des métiers, la responsabilisation des expertises, le partage, la capitalisation, l’échange et la délibération collective autour des informations et connaissances s’imposent désormais comme les véritables facteurs de performance d’une intelligence économique moderne.

Face à la surenchère des promesses du numérique et de l’intelligence artificielle, il devient urgent de développer notre intelligence collective si nous ne souhaitons pas voir les fonctions de décision, de stratégie et d’innovation se faire « uberiser » ou « ChatGPTiser » par des approches purement calculatoires. S’emparer véritablement des opportunités du numérique signifie rassembler un plus grand nombre d’acteurs autour de ces démarches d’optimisation et d’exploitation de l’information.

Cette transformation impose de repenser fondamentalement l’organisation des métiers de l’intelligence : dépasser les silos, mutualiser les expertises, démocratiser l’accès à l’information, accompagner les métiers et salariés à développer un usage stratégique de l’information. C’est cette évolution nécessaire – des dysfonctionnements actuels vers un futur souhaitable – que ce billet se propose d’explorer.

 

S’emparer véritablement des opportunités du numérique signifie rassembler un plus grand nombre d’acteurs autour de ces démarches d’optimisation et d’exploitation de l’information.

Quels sont les métiers de l’intelligence ?

 

Les métiers de l’intelligence regroupent l’ensemble des collaborateurs qui manipulent au quotidien de l’information stratégique et opérationnelle, la transforment en connaissances exploitables et la mettent à disposition des salariés pour améliorer la performance organisationnelle.

Ces métiers s’articulent autour du cycle complet de gestion de l’information : de l’identification des besoins informationnels à la diffusion et capitalisation des connaissances produites, en passant par la collecte, la qualification, l’analyse et la synthèse des données.

Ils constituent le système nerveux informationnel de l’organisation, permettant une prise de décision éclairée à tous les niveaux (opérationnel, tactique, stratégique) et dans tous les métiers.

Ces professionnels de l’intelligence économique transforment la matière première informationnelle en avantage concurrentiel, contribuant ainsi directement à la compétitivité et à l’agilité de leur organisation face aux évolutions de son écosystème.

 

KM (Knowledge Manager)

Collaborateur spécialisé dans la définition et l’accompagnement des membres d’une organisation pour mettre en place des processus de capitalisation des informations et des compétences qui seront utiles dans le futur.

Le Knowledge Manager identifie, structure et organise les connaissances tacites et explicites ainsi que les compétences critiques de l’organisation pour les rendre accessibles et exploitables par l’ensemble des collaborateurs.

Il conçoit et déploie des dispositifs de partage de connaissances et de compétences, anime des communautés de pratique et veille à la transmission des savoirs et savoir-faire critiques. Son rôle s’étend de la cartographie des expertises et compétences internes à la mise en place d’outils collaboratifs, en passant par la formalisation des retours d’expérience et la création de référentiels de bonnes pratiques. Il contribue ainsi à transformer le capital intellectuel et les compétences individuelles en un patrimoine organisationnel pérenne et mobilisable.

 

Documentaliste

Collaborateur expert dans l’accès, l’acquisition et l’organisation de ressources documentaires, le documentaliste gère les abonnements aux bases de données spécialisées, négocie l’achat de revues et publications sectorielles, et maîtrise les techniques de recherche dans les sources d’information complexes. Il développe et maintient des systèmes de classification et d’indexation permettant un accès efficace aux documents, tout en respectant les contraintes légales et les droits d’usage.

Son expertise porte sur la qualification des sources, l’évaluation de la pertinence documentaire et la mise à disposition d’informations structurées.

Il assure également la formation des utilisateurs aux outils de recherche et accompagne les collaborateurs dans leurs démarches de sourcing informationnel spécialisé.

 

Veilleur

Professionnel ou collaborateur qui mène les activités de surveillance des évolutions de l’écosystème de l’organisation. Le veilleur peut exercer cette fonction à temps plein en tant que spécialiste, ou être un salarié intégrant cette mission en parallèle de son activité principale pour répondre à ses propres besoins informationnels ou à ceux de son service.

Ses missions s’articulent autour d’un cycle complet : écoute et identification des besoins de surveillance, mise en place de dispositifs de veille (artisanaux, semi-professionnels ou professionnels selon les ressources disponibles), prise de connaissance et qualification des nouvelles ressources informationnelles, sauvegarde et diffusion des informations à fort impact potentiel.

Le veilleur peut également endosser un rôle d’analyste, enrichissant ainsi la valeur ajoutée de son travail de surveillance par une dimension interprétative et prospective.

 

Analyste

Collaborateur spécialisé dans la création de nouvelles connaissances à partir des informations et études détectées.

Il produit des livrables analytiques facilitant la compréhension des mouvements de l’écosystème : documents référents évolutifs (fiches acteurs, fiches pays), analyses sur des sujets d’actualité, benchmarks, études approfondies de positionnement concurrentiel, études de dimensionnement de marché…

Des analyses peuvent être réalisées pour l’ensemble des métiers de l’organisation (stratégie, marketing, commercial, innovation, R&D, achats, ressources humaines) et doivent impérativement répondre aux questions stratégiques que se pose l’organisation.

L’analyste maîtrise le cycle complet de l’information : écoute et compréhension du besoin, récolte des informations internes et externes pertinentes, production analytique avec itérations auprès du commanditaire, présentation des résultats, diffusion et capitalisation des connaissances produites.

 

Business intelligence analyst 

Collaborateur spécialisé dans l’exploitation de données structurées et chiffrées pour offrir une vision quantifiée des évolutions de l’organisation.

Ce profil travaille principalement avec les données de ventes et autres données internes de l’entreprise, en s’appuyant sur des plateformes dédiées et des entrepôts de données pour produire des indicateurs clés de performance (KPI). Il met à disposition de l’organisation des tableaux de bord de suivi adaptés aux différents niveaux hiérarchiques (opérationnel, tactique, stratégique), permettant à la fois un monitoring en temps réel et une analyse des tendances historiques.

La Business Intelligence constitue le socle chiffré indispensable aux autres métiers de l’intelligence, fournissant la base quantitative que peuvent enrichir et contextualiser les analystes dans leurs productions.

 

Market intelligence analyst

Collaborateur spécialisé dans l’analyse et la compréhension des dynamiques de marché de l’organisation.

Le Market Intelligence Analyst développe une expertise approfondie sur les tendances sectorielles, l’évolution des comportements clients, l’identification des opportunités commerciales et l’évaluation du potentiel de développement.

Il s’appuie fondamentalement sur des activités de veille – qu’il mène souvent lui-même – car la market intelligence ne peut exister sans une surveillance continue de l’écosystème.

Il mobilise des sources variées (études sectorielles, données clients, signaux marché, innovations produits) et produit tous types de livrables de veille et d’analyse qui alimentent la connaissance marché : cartographies concurrentielles, analyses de positionnement, études de potentiel, veille réglementaire sectorielle.

 

Competitive intelligence analyste

Collaborateur spécialisé dans l’analyse concurrentielle tactique au service de la performance commerciale.

Le Competitive Intelligence Analyst se concentre principalement sur le support aux équipes de vente pour remporter les gros contrats et appels d’offres. Il analyse les stratégies de réponse des concurrents, décortique leurs propositions commerciales, leurs positionnements tarifaires et leurs arguments de vente pour anticiper leurs mouvements sur les prochaines opportunités.

Contrairement à une approche marché globale, il développe une intelligence tactique et opérationnelle, centrée sur des opportunités commerciales précises.

Il fournit des briefings en temps réel aux équipes commerciales avant les rendez-vous clients importants, identifiant les éléments différenciants face à la concurrence et les axes d’argumentation les plus pertinents. Son travail s’appuie sur une veille continue des acteurs concurrentiels et une analyse fine de leurs comportements sur le terrain commercial.

 

Prospectiviste 

Collaborateur spécialisé dans l’anticipation des évolutions à moyen et long terme, plaçant les activités de veille et d’analyse au cœur de son métier.

La différence notable avec les autres métiers de l’intelligence réside dans l’horizon temporel des analyses et la production de scénarios qui constituent des extrapolations créatives de ce qui peut être observé aujourd’hui, avec une prise de recul notamment permise par les activités de Knowledge Management, de veille et d’analyse.

Le prospectiviste maîtrise les méthodes académiques historiques de construction de scénarios basées sur le suivi de variables, l’observation de l’évolution de ces variables et la construction de scénarios fondée sur une combinaison donnée d’évolution de variables.

Cependant, il intègre également des approches novatrices, plutôt basées sur la scénarisation de futurs souhaitables et une analyse de type rétro-engineering pour identifier le chemin à prendre et les décisions nécessaires pour atteindre le futur souhaitable décrit. Ses productions alimentent la réflexion stratégique et accompagnent l’organisation dans ses choix d’orientation à long terme.

 

Responsable Intelligence Economique

Collaborateur qui vise, au sein de l’organisation, à faire de l’exploitation de l’information un avantage compétitif pérenne.

Il vise à mettre en place, dans l’ensemble des métiers, des processus complets de traitement de l’information pour améliorer la performance des activités portées par les métiers, les décisions opérationnelles, tactiques et stratégiques de ces métiers ainsi qu’à l’échelle de l’organisation.

Le concept d’intelligence économique devrait englober l’ensemble des rôles et activités décrits précédemment. L’intelligence économique est une fonction transversale par nature mais qui doit avoir une déclinaison et une réalité au sein des métiers. Idéalement, ces activités sont rattachées au niveau du Comité Exécutif, hébergées au secrétariat général et gérées par une gouvernance globale.

En plus des activités de veille et d’analyse, l’intelligence économique englobe les activités d’influence et de sécurité.

Tableau de synthèse des métiers de l'intelligence.

L’intelligence au cœur de tous les métiers

Au-delà de ces métiers spécialisés, l’ensemble des fonctions organisationnelles portent intrinsèquement des besoins informationnels pour mener à bien leurs activités quotidiennes et développer leur expertise. Chaque collaborateur assume, à son niveau, des responsabilités quant au développement d’une connaissance spécifique à son domaine d’activité et au rayonnement externe et interne de son expertise métier.

L’analyse des fiches de postes référents d’un grand groupe de télécommunication illustre parfaitement cette réalité.

Dans ce groupe de plus de 150 000 salariés, les activités liées à la production d’intelligence et de connaissance – synthèse, benchmark, veille, étude, éléments de communication, animation de communautés, préparation de décision stratégique – s’inscrivent transversalement dans l’ensemble des familles de métiers : R&D, innovation, marketing, commercial, stratégie, relation client, juridique, RH, sécurité, et bien d’autres.

Liste de famille de métiers regroupés autour de l'intelligence.
Famille de métiers

Un Présent organisationnel regrettable

 

Silotage des démarches d’intelligence

Universelle, cette problématique affecte toutes les entreprises : leur croissance engendre mécaniquement des cloisonnements organisationnels.

Les entreprises investissent depuis plus de cinquante ans dans la numérisation, l’informatisation et la transformation de leurs activités, processus et organisations.

Si les premiers développements ont visé l’automatisation de certaines tâches répétitives, les éditeurs et les acheteurs se sont ensuite intéressés à l’optimisation des processus clés dans les métiers du marketing, de la vente, de la gestion de la relation client. Des réponses ont ensuite été apportées à des besoins plus transverses : plateformes de collaboration, plateformes de communication unifiées, intranet, knowledge management.

Une prolifération d’outils renforçant le silotage des activités d’intelligence.
Une prolifération d’outils renforçant le silotage des activités d’intelligence.

Paradoxalement, cette accumulation d’investissements technologiques n’a pas résolu la fragmentation organisationnelle. Une rapide analyse fonctionnelle des plateformes informationnelles et collaboratives de toute organisation démontre une expérience salarié non aboutie, répétitive et opérationnellement peu efficiente.

Les fonctions d’intelligence (knowledge management, veille, analyse, intelligence économique, prospective, Learning & Development) reproduisent cette fragmentation, portées par des directions distinctes qui se chevauchent parfois, s’opposent souvent.

 

La technologie, censée unifier, a finalement multiplié les silos numériques, chaque direction développant ses propres outils et processus en vase clos.

 

Des tensions territoriales peuvent nuire aux performances organisationnelles

Ces cloisonnements organisationnels peuvent générer des conflits contre-productifs qui révèlent certains dysfonctionnements. Il arrive que des équipes évitent certaines terminologies pour préserver leurs périmètres d’intervention : une démarche de veille territoriale pourra éviter l’expression « intelligence économique territoriale » lorsqu’une fonction IE existe déjà au Secrétariat Général, même si cette dernière peine parfois à déployer un réseau de veilleurs opérationnels efficace.

Certaines initiatives visant à autonomiser les métiers dans leurs besoins informationnels se heurtent aux contrats existants : il devient difficile de lancer une démarche de veille collaborative quand plusieurs directions ont déjà souscrit des prestations spécialisées réservées à leurs équipes dirigeantes.

Cette situation peut conduire l’organisation à maintenir des redondances coûteuses plutôt qu’à explorer des solutions mutualisées.

 

Il arrive que des équipes évitent certaines terminologies pour préserver leurs périmètres d’intervention

 

On observe parfois que les équipes prospective travaillent de manière déconnectée, sans bénéficier pleinement des signaux détectés par la veille. Les analystes Market et Competitive Intelligence peuvent préférer maintenir leurs propres bases de données et circuits de diffusion, limitant les synergies possibles. Les équipes stratégiques adoptent parfois une approche distante vis-à-vis des activités de veille, risquant de produire des analyses moins ancrées dans les réalités opérationnelles.

De même, les complémentarités naturelles sont généralement sous-exploitées. Il arrive ainsi régulièrement qu’une démarche de veille d’envergure ne soit pas valorisée comme levier de développement des compétences, notamment lorsqu’elle n’émane pas directement des Ressources Humaines, privant potentiellement l’organisation d’une montée en puissance collective de son capital humain.

Ces questions de légitimité institutionnelle peuvent transformer ce qui pourrait être un écosystème collaboratif en une collection d’initiatives parallèles, chacune défendant sa spécificité au risque de limiter les bénéfices de la transversalité.

 

les complémentarités naturelles sont généralement sous-exploitées

 

Manque de sens, de vision partagée, de moyens : la spirale de l’inefficience budgétaire

Parmi les symptômes concrets de ce manque de vision partagée, on observe notamment la redondance des activités de veille et d’analyse au sein des organisations.

Au-delà de cette redondance, ce manque d’alignement conduit également à une absence de mutualisation des efforts et à un défaut de professionnalisation : chacun fait de son côté avec ses propres moyens.

Cette absence d’alignement stratégique génère des difficultés majeures à identifier ce qui existe déjà dans l’organisation et à cartographier les personnes disposant d’expertises qui pourraient être mobilisées efficacement. Cette méconnaissance du capital informationnel et des compétences internes conduit à une inefficacité économique flagrante des activités de veille, d’analyse et de soutien à la prise de décision. Les équipes travaillent en vase clos, reproduisent des analyses similaires sans le savoir, développent des pratiques artisanales faute de coordination, et n’exploitent pas les synergies potentielles. Cette fragmentation nuit non seulement à l’optimisation des ressources mais également à la qualité des productions, privées de la richesse que pourrait apporter une approche collaborative et transversale.

La fragmentation organisationnelle génère une double pénalité financière : restriction des budgets individuels et multiplication des coûts globaux. Chaque silo développe ses propres solutions techniques, conduisant à une inefficience flagrante de la dépense : l’organisation peut ainsi maintenir simultanément trois plateformes de veille différentes, deux outils de Business Intelligence et plusieurs abonnements redondants, chacun ne couvrant qu’une fraction des besoins réels et ne servant qu’à une minorité de collaborateurs. En complément, les coûts humains de formation, paramétrage s’additionnent ainsi que les coûts liés à leur utilisation sur des sujets redondants. 

les organisations peinent à investir dans ces activités faute de pouvoir en quantifier précisément les bénéfices

Cette dispersion facilite les arbitrages budgétaires défavorables. « Pourquoi maintenir ce budget veille quand une équipe d’analyse existe déjà dans une autre direction ? » devient l’argument récurrent lors des revues budgétaires. Les responsables se retrouvent dans l’obligation de justifier en permanence l’existence de leurs activités plutôt que de démontrer leur valeur ajoutée, créant une précarité budgétaire chronique qui nuit à la planification et aux investissements à moyen terme.

Cette précarité s’aggrave par la difficulté à démontrer le retour sur investissement des activités d’intelligence. Si le ROI peut être estimé, il reste impossible à mesurer exactement, donnant des arguments aux détracteurs de ces démarches. Paradoxe dommageable : alors que les coûts de la non-gestion de l’information sont parfaitement documentés – 1,1 million d’euros par tranche de 100 salariés par an -, et que des gains financiers réels peuvent être obtenus grâce à l’amélioration de la performance de chaque métier lorsqu’une démarche globale d’intelligence est mise en place, les organisations peinent à investir dans ces activités faute de pouvoir en quantifier précisément les bénéfices.

Cette situation paradoxale fait que l’organisation dépense plus tout en obtenant moins : multiplication des coûts fixes, sous-utilisation des investissements, et sous-performance généralisée des activités d’intelligence.

 

Manque de performance : le fossé entre ambitions et réalité

Alors que les activités d’intelligence devraient irriguer l’ensemble de l’organisation, la réalité révèle une couverture parcellaire. Une minorité de collaborateurs – souvent les dirigeants et quelques experts désignés – bénéficient des productions d’intelligence, laissant la majorité des salariés se débrouiller seule face à leurs besoins informationnels quotidiens. Cette situation crée un paradoxe : les métiers opérationnels, premiers concernés par l’évolution de leur écosystème, restent les moins bien informés.

les métiers opérationnels, premiers concernés par l’évolution de leur écosystème, restent les moins bien informés

En parallèle des processus institutionnalisés, prolifèrent des pratiques artisanales développées par nécessité : veille personnelle sur les réseaux sociaux, abonnements individuels à des newsletters sectorielles, constitution de bases de contacts informelles. Ces initiatives individuelles, bien qu’utiles, révèlent les lacunes du système officiel et génèrent des redondances avec les démarches professionnalisées existantes.

Même les processus les plus professionnalisés se révèlent sous-dimensionnés face à l’ampleur des besoins informationnels organisationnels. Cette disproportion pousse vers des solutions de facilité : automatisation excessive de la qualification des informations, multiplication des newsletters généralistes peu ciblées, diffusion massive et automatisée, personnalisée ou non.

Le résultat peut aller l’encontre de l’objectif initial : au lieu de réduire la surcharge informationnelle, ces pratiques l’amplifient, noyant les signaux pertinents dans un flot d’informations non qualifiées.

Cette situation génère un cercle vicieux : la faible utilisation des productions d’intelligence justifie leur sous-financement, qui à son tour limite leur qualité et leur diffusion, réduisant encore leur adoption. L’organisation se prive ainsi d’un levier de performance pourtant accessible, condamnant ses collaborateurs à naviguer à vue dans un environnement informationnel de plus en plus complexe.

 

la faible utilisation des productions d’intelligence justifie leur sous-financement, qui à son tour limite leur qualité et leur diffusion, réduisant encore leur adoption

 

Une expérience salarié de découverte et exploitation du capital cognitif de l’organisation en berne

Les salariés subissent directement les conséquences de cette fragmentation des activités d’intelligence, comme en témoignent des chiffres éloquents : 20% de leur temps de travail est dédié à l’activité de recherche d’informations, en hausse constante depuis cinq ans. Cette quête informationnelle chronophage révèle un dysfonctionnement majeur : 71% des répondants déclarent que le volume croissant des informations et des documents internes à gérer est problématique, avec pour conséquence une perte de temps liée à la recherche de cette même information. Plus préoccupant encore, 77% des répondants déclarent que l’enjeu principal, et de loin, est l’accès et le partage d’informations et des connaissances au sein de leur organisation. Cette situation génère une frustration tangible, d’autant que 86% plébiscitent un point d’accès unique aux données et documents de leur organisation.

Cette fragmentation aggrave encore fortement l’infobésité organisationnelle : aucune recommandation personnalisée des ressources informationnelles n’est proposée aux collaborateurs, aucun profil d’intérêt unifié n’est construit à l’échelle individuelle, rendant de facto impossible le développement efficace de l’intelligence artificielle au service des salariés.

Paradoxalement, alors que l’organisation accumule un capital cognitif considérable, celui-ci devient difficilement exploitable : il n’est pas possible d’accéder simplement aux cinq dernières études achetées ou produites par le groupe sur un mot-clé donné, transformant la richesse informationnelle potentielle en gisement définitivement inexploité. Paradoxalement, seul 1/4 des organisations ont mis en place une gouvernance globale de l’information, laissant les salariés livrés à eux-mêmes dans cette jungle informationnelle qui représente un coût de 1,1 M€ pour 100 employés par an.

 

Un socle commun sous-exploité

Malgré cette fragmentation dommageable, tous ces métiers partagent des fondamentaux qui plaident pour une approche intégrée. Cette convergence naturelle rend d’autant plus regrettable leur cloisonnement actuel.

Des compétences transversales identiques

Knowledge managers, veilleurs, analystes et prospectivistes mobilisent un socle méthodologique commun : techniques de gestion et de traitement analytique de l’information, maîtrise des outils de communication, capacité d’animation de réseaux internes et externes. Ces savoir-faire se déclinent différemment selon les métiers mais reposent sur des bases techniques et relationnelles similaires, facilitant les passerelles entre fonctions.

Une matière première partagée

Tous ces professionnels travaillent sur la même matière informationnelle : données internes, études sectorielles, signaux marché, innovations technologiques, évolutions réglementaires. Cette information, collectée et traitée en silos, gagnerait à être mutualisée, enrichie et qualifiée collectivement pour démultiplier sa valeur d’usage.

Des enjeux organisationnels convergents

Qu’il s’agisse de veille, d’analyse ou de prospective, tous ces métiers poursuivent des objectifs similaires : constituer des réseaux de collaboration efficaces, structurer une gouvernance de l’information, créer et démontrer une valeur ajoutée tangible, développer une capacité à interpeller et faire évoluer l’organisation. Cette communauté d’enjeux appelle naturellement une coordination stratégique.

Une interdépendance créatrice

Les exercices de prospective s’enrichissent considérablement de la pluridisciplinarité des profils et expertises mobilisés – veilleurs, analystes, knowledge managers apportant chacun leur regard spécialisé. Réciproquement, la définition de scénarios prospectifs repose nécessairement sur le socle de connaissances, données et études produites par les dynamiques de veille, de capitalisation et d’analyse continues. Cette complémentarité naturelle transforme la fragmentation actuelle en gâchis organisationnel.

Cette convergence manifeste des métiers de l’intelligence constitue le terreau d’une transformation vers un modèle intégré et performant.

Le futur souhaitable : une capacité d’intelligence organisationnelle intégrée

Face aux dysfonctionnements constatés, l’avenir réside dans la transformation des métiers de l’intelligence en une capacité organisationnelle unifiée, collaborative et accessible. Cette vision dépasse la simple coordination d’activités existantes pour créer un véritable système nerveux informationnel de l’organisation.

 

Une démarche fondamentalement collaborative et technologiquement augmentée

Cette capacité d’intelligence se caractérise par une démarche hautement sociable, soutenue par l’usage stratégique des outils numériques et de l’intelligence artificielle.

Elle permet d’engager durablement l’ensemble des parties prenantes organisationnelles – du terrain opérationnel au comité exécutif – dans une dynamique d’intelligence partagée et continue.

5 piliers sont nécessaires pour développer cette capacité d’intelligence organisationnelle intégrée :

  • Surveillance et analyse écosystémique permanente : Mise en place d’un dispositif de veille global qui couvre l’ensemble de l’écosystème élargi de l’organisation, alimenté par tous les métiers et bénéficiant à tous ;

  • Éclairage décisionnel multiniveau : Capacité à fournir un soutien informationnel adapté aux prises de décisions stratégiques, tactiques et opérationnelles, avec des productions spécifiquement calibrées pour chaque niveau ;

  • Support réactif à l’action : Mise à disposition d’un accompagnement on-demand qui répond aux besoins informationnels urgents et aux questions émergentes des équipes terrain

  • Capital informationnel démocratisé : Constitution et maintenance d’un patrimoine de connaissances structuré, accessible et exploitable par l’ensemble des membres de l’organisation, quel que soit leur niveau hiérarchique ;

  • Réseau d’expertises activable : Développement et animation d’un écosystème d’expertises internes et externes facilement mobilisable selon les besoins projets ou les enjeux sectoriels ;

Cette capacité intégrée se met au service de la performance et de la compétitivité organisationnelles avec une ambition claire : permettre à l’organisation de construire elle-même, de manière autonome et efficiente, ses futurs souhaitables. Il ne s’agit plus de subir les évolutions de l’environnement mais de les anticiper, les comprendre et les influencer pour façonner un avenir maîtrisé.

 

Une capacité exploitable à l’échelle individuelle

Dans une très grande majorité des métiers, une analyse des fiches de poste des salariés permet d’identifier le capital informationnel nécessaire pour la bonne réalisation des activités affectées au poste. Ainsi, à l’échelle individuelle, il faut permettre que chaque salarié puisse accéder à ce bagage informationnel, garant d’une meilleure performance et de meilleures décisions opérationnelles, tactiques ou stratégiques.

Ce meilleur accès à l’information peut être résolu grâce à une mise à disposition et un accès au capital informationnel déjà existant au sein de l’organisation, mais également par l’autonomisation possible du salarié dans la mise en place du cycle de gestion de l’information qui n’existerait pas encore (compréhension du besoin, mise sous surveillance des sources utiles, consultation des nouvelles ressources, qualification, sauvegarde, analyse, diffusion) à l’échelle individuelle.

Il faut également comprendre qu’au-delà de cette question d’autonomisation, il y a aussi l’enjeu de responsabilisation. Au sein de l’organisation, il peut exister de nombreux métiers où si la personne en charge de suivre les évolutions d’un domaine particulier, de faire des analyses et de diffuser ces informations utiles au reste de l’organisation, ne fait pas son travail, alors personne d’autre dans l’organisation ne le fera et l’organisation restera donc aveugle et sans connaissances partagées de ce domaine particulier.

 

si la personne en charge de suivre les évolutions d’un domaine particulier ne fait pas son travail, alors personne d’autre dans l’organisation ne le fera et l’organisation restera donc aveugle et sans connaissances partagées de ce domaine particulier.

 

 

Un Panel transverse de compétences à développer

Le socle de compétences à apporter à chaque individu correspond aux literacies informationnelles et numériques : savoir chercher l’information, savoir évaluer une information et une source, exercer un esprit critique par rapport aux informations auxquelles nous sommes exposés, synthétiser l’information, utiliser les outils et réseaux internes voire externes de gestion et diffusion de l’information.

Il est également essentiel de connaître le cycle de gestion de l’information dans son ensemble : identification d’un besoin, recherche et mise sous surveillance, traitement des informations détectées, qualification, analyse, diffusion et sauvegarde de l’information.

À noter que les ressources humaines ont un rôle clé à jouer pour atteindre un tel futur souhaitable, puisqu’il conviendrait que chaque salarié soit sensibilisé et formé autour de ces enjeux. Cette montée en compétences collective constitue un prérequis indispensable à la transformation des organisations vers une culture de l’intelligence partagée et collaborative.

il conviendrait que chaque salarié soit sensibilisé et formé autour de ces enjeux

 

 

Un panel d’outils à mettre à disposition

La mise en place d’un futur souhaitable des métiers de l’intelligence nécessite de mettre en œuvre un socle partagé d’outils, dont certains pourront être accessibles à l’ensemble des salariés et d’autres réservés à des groupes d’experts.

Parmi les outils qui peuvent être rendus accessibles à l’ensemble des salariés se trouvent notamment les plateformes de veille généralistes, les plateformes d’apprentissage de Learning et développement, les plateformes de capitalisation, ainsi que les plateformes et réseaux sociaux internes.

Parmi les autres activités dédiées, des plateformes métier très spécifiques peuvent également exister. Nous pouvons penser notamment à des plateformes de veille brevet, des outils Power BI pour l’analyse de données, ou encore des solutions spécialisées selon les besoins sectoriels.

L’enjeu clé réside dans l’interopérabilité de ces outils et leur capacité à s’inscrire dans un écosystème cohérent, favorisant les synergies entre les différents métiers de l’intelligence tout en respectant les niveaux d’expertise requis.

L’enjeu clé réside dans l’interopérabilité de ces outils

Différents outils complémentaires à une plateforme de veille
Différents outils complémentaires à une plateforme de veille.

Si l’autonomisation individuelle constitue la base de cette transformation, elle ne peut produire ses pleins effets qu’accompagnée d’une refonte organisationnelle d’ensemble.

 

Un modèle organisationnel à définir à l’échelle de la structure

La mise en place d’un futur souhaitable des métiers de l’intelligence à l’échelle organisation peut démarrer par un audit complet de l’existant pour analyser et comprendre l’ensemble des pratiques actuelles d’intelligence économique.

Cet exercice d’audit comprend des entretiens qualitatifs et quantitatifs auprès des équipes documentation, veille, analyse, business intelligence, market intelligence, competitive intelligence, prospective et knowledge management, ainsi qu’auprès de toutes les parties prenantes mobilisant ces activités.

L’audit étudie l’offre globale d’intelligence proposée aujourd’hui, analyse le positionnement des différentes activités (veille, analyse, BI, prospective, KM) au sein de l’entreprise, évalue l’environnement numérique et technologique existant, et identifie les redondances et synergies potentielles entre ces métiers.

Etudier l’existant : un exercice d’audit pour analyser et comprendre les pratiques.
Etudier l’existant : un exercice d’audit pour analyser et comprendre les pratiques.

Suite à cette phase d’analyse, l’organisation doit définir son modèle organisationnel optimal intégrant l’ensemble des métiers de l’intelligence, oscillant entre des dynamiques centralisées (cellules d’experts produisant pour le COMEX), décentralisées (accompagnement et autonomisation des métiers) ou hybrides (combinant expertise centralisée et diffusion des compétences).

Définir le futur souhaitable de la gestion de l’information comme dernière étape d’un exercice d’audit afin d’analyser et comprendre les pratiques.
Définir le futur souhaitable de la gestion de l’information comme dernière étape d’un exercice d’audit afin d’analyser et comprendre les pratiques.

La gouvernance se structure autour d’une raison d’être transversale englobant tous les métiers de l’intelligence, identifie les acteurs clés (sponsors, responsables IE coordinateurs, veilleurs, analystes, BI analysts, prospectivistes, KM), définit un modèle économique mutualisé et établit des processus intégrés couvrant la surveillance, l’analyse, la capitalisation, la prospective et la diffusion.

Cette approche permet de transformer les silos d’intelligence en une capacité organisationnelle unifiée, collaborative et performante, soutenue par un écosystème d’outils interopérables et une gouvernance coordonnée.

Conclusion :
Vers une intelligence organisationnelle réinventée

Ce diagnostic révèle un paradoxe organisationnel majeur : alors que l’information n’a jamais été aussi stratégique, les entreprises subissent une fragmentation coûteuse de leurs capacités d’intelligence.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 20% du temps de travail consacré à la recherche d’informations, 1,1 million d’euros de coût annuel pour 100 salariés, multiplication des plateformes redondantes et sous-exploitation chronique du capital cognitif organisationnel.

Face à la surenchère technologique et aux promesses de l’intelligence artificielle, la solution ne réside pas dans l’accumulation d’outils supplémentaires mais dans la réinvention de l’approche organisationnelle. Les métiers de l’intelligence partagent un socle commun évident – compétences, méthodologies, matière informationnelle, enjeux organisationnels – qui appelle naturellement une coordination stratégique.

 

la solution ne réside pas dans l’accumulation d’outils supplémentaires mais dans la réinvention de l’approche organisationnelle

 

Cette transformation ne concerne pas uniquement les grands groupes. Dès qu’une organisation dépasse 10 à 15 salariés – taille critique au-delà de laquelle la circulation naturelle de l’information commence à se dégrader – il existe un ROI réel pour une approche structurée de l’intelligence organisationnelle [voir l’analyse détaillée du ROI].

La convergence observée chez les 150 000 collaborateurs d’un grand groupe de télécommunication illustre simplement l’ampleur du potentiel à grande échelle : de l’innovation aux ressources humaines, du marketing au juridique, tous développent des activités d’intelligence spécifiques. Cette dimension informationnelle universelle constitue le terreau d’une transformation vers un modèle d’intelligence organisationnelle intégrée, collaborative et performante.

 

Cette dimension informationnelle universelle constitue le terreau d’une transformation vers un modèle d’intelligence organisationnelle intégrée, collaborative et performante

 

L’objectif dépasse la simple optimisation des coûts. Il s’agit de permettre aux organisations de construire elles-mêmes, de manière autonome et efficiente, leurs futurs souhaitables. Non plus subir les évolutions de l’environnement, mais les anticiper, les comprendre et les influencer pour façonner un avenir maîtrisé.

Cette transformation des métiers de l’intelligence – du silotage actuel vers une capacité organisationnelle unifiée – constitue l’un des leviers les plus accessibles et les plus impactants pour renforcer la compétitivité et l’agilité des organisations du XXIe siècle, quelle que soit leur taille.

Et vous, qu’en pensez-vous ?
N’hésitez pas à :

1. partager votre avis ?
2. nous laisser un petit mot ?
3. rédiger un billet ?

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

Dernières parutions

Sénophobie

La sénophobie se manifeste par des attitudes, des comportements ou des politiques qui marginalisent, excluent ou désavantagent les seniors.…

Algoranto

L’algoranto est une langue universelle née de la traduction automatique généralisée sur les plateformes numériques. L’algoranto dispose d’un vocabulaire simplifié, standardisé et optimisé pour les…

Noctivue

La noctivue désigne une paire de lunettes qui permet de voir dans l’obscurité.…

Ne manquez pas