« La prospective c’est fondamental, toutes les organisations sont concernées. » Cette remarque est tellement commune qu’elle en devient vraiment banale.
Prêtons l’oreille, car souvent le même interlocuteur poursuivra, d’un air entendu : « Bon, chez nous tout est déjà en place. Mais chez les autres … Vous devez avoir énormément de boulot !»
En tant que professionnel de la prospective, j’observe souvent ce très fort déni du besoin. Le réflexe est pavlovien, conditionné par la crainte d’ouvrir un robinet de dépenses difficiles à justifier. Qui dans l’organisation aurait identifié les besoins spécifiques en matière de prospective ?
Fermons la porte pour mieux occulter ce qui se passe derrière. Le quotidien peut reprendre son cours. Et puis après tout … est-ce que c’est vraiment dans mes objectifs ?
Et pourtant, les cas d’entreprises dominantes dans leur secteur qui sont passées de vie à trépas sont légion. L’analyse de cas révèle souvent une, ou des carences dans l’approche prospective du conseil d’administration.
Trop occupé à satisfaire les besoins de conformité, à traquer les optimisations économiques ou fiscales, il en a oublié de considérer les forces du changement. « On a toujours fait comme ça. » [*]
Il est toujours plus facile de détruire que de construire
Dans mon approche méthodologique, je préfère citer les organisations qui ont engagé et réussi leurs programmes de prospective. Ce sont celles qui ont eu le courage de couper une branche bien verte pour faire un ou plusieurs pas de côté.
Elles s’exposent sur des domaines où personne ne les attendait. L’exercice est hardi. Le dirigeant a eu la lucidité de mettre en regard ses couples produit-marché avec les moteurs du changement, au-delà du prévisionnel.[]
Projection ou Prospection ?
Si les projections d’évolutions sur les prochains trimestres et années sont capitales pour la bonne marche d’une organisation, l’exercice de prospective est indissociable d’une bonne gouvernance. Par où commencer, comment évaluer nos besoins spécifiques en matière de prospective ?
Il serait tentant de recourir au diagnostic, mais celui-ci suggère une maladie, non ? D’une part l’organisation dispose déjà de sa cartographie des risques. D’autre part elle connait déjà ses maladies dont les méthodes curatives sont déjà identifiées. C’est le rôle de l’organe de direction. Alors quelle est l’utilité de la prospective, pourquoi faudrait-il lui allouer des ressources ?
En fait, les forces du changement sont en marche, elles avancent à un rythme différent de celui de l’organisation, et toujours plus vite qu’attendues. Ces forces sont multiples et, à un certain point, vont se combiner pour provoquer des résultats vraiment imprévisibles. Ces combinaisons de forces exogènes peuvent être favorables, mais l’avenir est souvent beaucoup plus facétieux.
…
Je glisse une petite carte format A5 dans les mains de mon interlocuteur. Cette carte comporte un graphique au recto avec le titre «Position de mon organisation sur la courbe » et au verso, le radar du moteur de la prospective. Il me rappellera quelques semaines plus tard pour me demander comment je m’y prendrais si j’étais à sa place.
Extrait de nos échanges :
« Évaluer nos besoins en matière de prospective commence par l’analyse lucide de nos zones d’aveuglement stratégique. Concrètement, trois questions clés sont à l’ordre du jour :
- Sur quelles décisions actuelles reposent les engagements de notre organisation à long terme (financiers, technologiques, industriels) ?
- Quelles sont les forces des changements externes que nous ne maîtrisons pas, mais qui seraient de nature à invalider nos hypothèses de travail ?
- Où observons-nous une accumulation de signaux faibles, d’ambiguïtés ou de tensions émergentes sans réponse structurée ?
Ce questionnement nous aide à identifier nos points d’exposition à l’incertitude, et par la même, à identifier nos vulnérabilités. Supposons que dans notre secteur, cela puisse concerner, de façon non exhaustive, la disruption concurrentielle, l’autonomie stratégique, l’accès aux technologies duales, les vulnérabilités de la chaine logistique, l’évolution des menaces hybrides ou encore des arbitrages budgétaires ou normatifs étatiques.
L’occasion est appropriée pour faire le point en ce qui concerne la structure de veille en place dans l’organisation.
Si la matrice de risques dit “ Que devons-nous éviter ? ”, le radar dit “ Que pourrions-nous devenir ? ”
Chacun des axes est une direction qui désigne l’origine des forces du futur. L’échelle de 0 à 10 représente une échelle de temps, ou de maturité de ces axes. Elle reste volontairement imprécise.
Placer les signaux faibles perçus. Plus un signal est éloigné du centre, plus il est incertain, mais aussi plus il ouvre de possibilités.
Placer des points sur le radar pour faire émerger, par exemple, une tendance forte (ex. digitalisation du travail), un signal faible (ex. adoption d’IA cognitive pour décisions de management), une rupture possible (ex. convergence cerveau-machine, matériaux quantiques…). Tracer la résultante.
Reprendre l’exercice avec les tendances sectorielles. Comparer …
Ensuite, ces domaines où une démarche prospective pourrait renforcer la robustesse de nos choix sont cartographiés : conception de capacités futures, adaptation industrielle, positionnement sur les chaînes de valeurs critiques.
Il ne s’agit pas de faire de la prospective partout, mais là où elle apporte une meilleure agilité décisionnelle face à l’incertitude. Il ne s’agit pas non plus de comparer l’exercice de prospective avec la stratégie. A ce stade, le principe est de préparer l’organisation à se positionner sur ses relais de croissance potentiels.
En troisième position arrive la façon dont comment la culture et la maturité interne est alignée : Le conseil d’administration est-il concerné ? Avons-nous les compétences pour interpréter des analyses prospectives ? Les circuits de décision intègrent-ils ces réflexions ou les contournent-ils ? C’est souvent là que se joue la différence entre une veille passive et une vraie posture anticipative.
le principe est de préparer l’organisation à se positionner sur ses relais de croissance potentiels.
Evaluer les besoins en prospective, c’est moins une affaire de méthode universelle qu’un exercice de lucidité sur nos angles morts et sur notre capacité à traduire l’incertitude en options concrètes. Pierre Wack encourage une vision à long terme en aidant les entreprises à envisager plusieurs futurs possibles et à se préparer à ces scénarios. La boite à outils de la prospective ne s’ouvre pas de façon séquentielle et linéaire.
L’accompagnement externe stimule notre réflexion, réduit notre exposition aux angles morts et crée la dynamique sur des sujets trop faciles à enterrer. La prospective est un processus d’apprentissage continu, où les organisations apprennent à partir des scénarios afin d’ajuster leurs stratégies en conséquence.
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