Fabrice Bonnifet a pour mission d’animer et de coordonner la démarche développement durable du Groupe Bouygues. Pour cela, il participe à l’évolution des modèles économiques des unités opérationnelles et pilote des projets transverses liés à l’énergie et à l’empreinte carbone, à la ville durable, aux achats responsables, ou encore à l’économie circulaire.
Il est également Président du Collège des Directeurs du développement durable, le C3D et administrateur du Shift Project.
L’an dernier, il a co-écrit avec Céline Puff Ardichvili “l’entreprise contributive”, un livre dans lequel ils proposent des chemins pour concilier monde des affaires et limites planétaires.
Dans l’échange à suivre, il sera justement question d’aligner les intérêts économiques des entreprises avec ceux de la société et de la planète.
Entretien enregistré le 15 novembre 2022
Entretien enregistré le 15 novembre 2022
Transcript de l’entretien
(Réalisé automatiquement par Ausha, adapté et amélioré avec amour par un humain)
Thomas Gauthier
Bonjour Fabrice.
Fabrice Bonnifet
Bonjour.
Thomas Gauthier
Alors ça y est, vous y voilà, vous êtes face à l’oracle. Vous allez pouvoir lui poser trois questions sur l’avenir.
Par quelles questions est-ce que vous souhaitez commencer ?
Fabrice Bonnifet
Je demanderais bien à l’oracle pourquoi, selon lui, l’humanité est… incapables de prendre en compte les limites planétaires dans leurs décisions, dans ces décisions de développement, de modèles de développement.
Thomas Gauthier
Alors là, vous partez tout de suite sur un sujet extrêmement vaste. Je vais me faire quelques secondes l’avocat du diable.
Certes, les scientifiques du GIEC et d’autres scientifiques nous disent que l’on n’est pas exactement embarqué sur une trajectoire vivable. Mais en même temps, la semaine passée, quasiment jour pour jour, le Parlement européen vote sur une directive. de reporting extra-financier, censément assez ambitieux, puisqu’il inclut la double matérialité.
Donc, d’un autre côté, les activités humaines, les activités législatives, les activités économiques, semblent essayer de s’aligner sur cette trajectoire vivable. Comment est-ce que l’on réconcilie, en fait, d’un côté, ce que nous disent les scientifiques de l’état de la planète, et de l’autre, ces différents messages d’espoir, quelque part, traduits par des actes législatifs, des actes économiques ?
Comment ça se fait qu’il y ait une déconnexion qu’on n’arrive pas à expliquer ?
Fabrice Bonnifet
Écoutez, j’en sais rien. En tout cas, une chose est sûre, c’est que la régulation arrive souvent un peu en retard.
Je dis souvent que c’est un peu comme l’armée de Grouchy à Waterloo. Elle arrive, mais le temps que tout ça se mette en place et continue le temps qu’il nous reste pour tenir les objectifs de l’accord de Paris, qui sont des objectifs de la science tout simplement, je crains que ça ne suffise pas.
Parce que la loi des hommes, c’est une convention. alors qu’on devrait, d’entrée de jeu, appliquer la loi de la science. Les limites physiques, on ne négocie pas avec les lois physiques.
Tout ça, c’est très bien, ça va dans le bon sens, la double matérialité, mais quand on voit l’inertie que ça va prendre de faire appliquer ça aux millions d’entreprises qui vont être concernées, d’abord en Europe, parce que ça ne va s’appliquer qu’en Europe. Et peut-être à terme dans le monde entier, lorsque l’ISSB et les FRAG arriveront à se mettre d’accord sur un standard commun, ce qui est loin d’être fait encore, parce qu’ils ne sont pas du tout d’accord les uns avec les autres.
Les premiers, les FRAG, proposent la double matérialité, les autres la simple matérialité. Et on voit que l’ISSB a plus d’influence internationale, compte tenu que c’est eux qui supportent l’ISFRS aujourd’hui, que les FRAG qui est un système nouveau.
Et forcément, il y a beaucoup de pays qui vont avoir du mal à sauter le pas, compte tenu qu’ils sont déjà habitués de travailler avec l’ISSB. Je ne suis pas très optimiste sur le fait que la double matérialité s’impose à l’échelle planétaire dans des horizons temporels qui sont compatibles avec le temps qui nous reste.
Tout ça, c’est très bien, mais je crois qu’on découvre un truc là juste avec 30 à 40 ans de retard.
Thomas Gauthier
Là, on vient de regarder un instant le côté normes comptables, le côté réglementaire. Si on regarde à nouveau cette fois-ci les entreprises, il semble que certaines soient prêtes à s’engager dans des… dans des formes stratégiques assez singulières, qui peut-être au moins pour partie échappent aux lois du marché actuel, mais sauf à s’appeler Yvon Chouinard et à avoir peut-être une marge de manœuvre très importante, comment est-ce qu’aujourd’hui une entreprise, qui doit d’un côté répondre à des injonctions propres au système économique dans lequel elle est, peut en même temps se mettre à commencer à jouer selon des règles d’un jeu qu’elle juge plus vivables ?
Comment est-ce que l’on gère cette phase ? tactique finalement de transition qui n’est juste pas expliquée dans les manuels que l’on fait lire à nos étudiants ?
Fabrice Bonnifet
Vous avez complètement résumé le problème des injonctions qui sont aujourd’hui, les injonctions contradictoires qui sont demandées aujourd’hui aux chefs d’entreprise, à qui on demande depuis des décennies de faire de la croissance, de la croissance de chiffre d’affaires, de marge, de développement en général. Et on sait que toute activité humaine qui est amenée à croître consomme toujours plus de matières premières. et d’énergie.
Même si vous êtes de plus en plus efficients pour ça. Peu importe, que vous gagnez en efficacité, vous le perdez systématiquement en volume lorsque vous êtes dans une logique de croissance.
C’est pas très compliqué à comprendre. Toute espérance de découplage, de dire qu’on va pouvoir continuer de faire du développement économique en abaissant toujours plus les pressions environnementales, c’est un leurre. Ça n’existe pas.
Le découplage relatif et encore moins le découplage absolu n’a jamais été enregistré. Il n’y a plus à voir dans l’histoire des phénomènes de découplage ponctuels. parce qu’une nouvelle technologie ultra-efficiente est venue remplacer une ancienne technologie qui l’était beaucoup moins.
Mais si vous êtes dans une logique de croissance infinie, vous finissez par reboucler ou par surcoupler même. Et ce que vous gagnez au début du découplage, vous finissez par le rattraper in fine.
Donc, ce n’est pas la solution. La solution, c’est pour les entreprises qui veulent vraiment agir, les plus sincères.
Il y en a extrêmement peu aujourd’hui sur la planète. C’est d’avoir dans la raison d’être un questionnement sur… à quoi je sers en fabriquant tel ou tel produit ?
Est-ce que ça répond vraiment à des besoins essentiels de la population ? Est-ce que si ça répond à des besoins essentiels, est-ce que la façon dont je les fabrique ne génère aucun impact négatif sur l’environnement ?
Et donc, ça veut dire que dans mon process de fabrication ou de commercialisation plus exactement, il y a une volonté d’intégrer dans les prix de vente les sommes qui vont être nécessaires pour protéger, restaurer les écosystèmes de manière à ce que le bilan net pour la planète soit zéro, voire soit régénératif. C’est-à-dire que si l’entreprise coupe un arbre parce qu’elle a besoin de biomasse, c’est bien assuré dans son modèle d’affaires qu’un arbre a été replanté ailleurs et qu’on va le protéger aussi longtemps que possible pour qu’il puisse se développer et rendre les mêmes services que celui qui a été coupé préalablement.
Personne ne fait ça aujourd’hui. Personne ne fait ça.
Personne n’a mis en place ce type d’approche parce que le système comptable, on y revient, n’intègrent pas l’obligation pour les entreprises de rembourser leurs dettes environnementales et leur capital social. Et c’est pour ça qu’elles gagnent beaucoup d’argent, parce que c’est facile de gagner de l’argent lorsque l’on compte ce que l’on gagne, mais qu’on ne compte pas ce que l’on doit.
Et c’est tout le dilemme de l’économie que l’on connaît aujourd’hui et qui n’est pas soutenable, parce que maintenant qu’on a atteint les limites planétaires et qu’on a atteint les limites de la résilience planétaire, si on continue comme ça et que c’est mal parti, eh bien, on… On va assister à des phénomènes d’emballement liés à des seuils qui, lorsqu’ils seront franchis, seront irréversibles et il n’y aura pas de retour en arrière possible.
Le climat en est un, on l’a déjà passé, hélas, parce que quoi qu’on fasse, même si on arrêtait d’émettre le moindre gramme de CO2 demain matin, le climat continuerait de dériver pendant au moins 20 ans et certains éléments de la dérive, notamment le réchauffement de l’eau, des mers, des océans, continueront de dériver pendant des centaines d’années avant de retrouver une stabilité. Donc on a déjà cassé la machine quelque part.
La seule chose qu’on puisse faire maintenant, c’est éviter de la casser encore plus pour ne pas avoir à subir des dégâts qui, de toute manière, iront de pire en pire dans les années qui viennent.
Thomas Gauthier
Et pour parler alors de reconnecter, disons, les activités économiques, reconnecter quelque part l’anthroposphère avec la biosphère, où est-ce que se situent aujourd’hui les points de contact entre la science, celle qui nous dit au plus juste ce qu’il en est du climat, celle qui nous dit ce qu’il en est du climat, qui nous dit au plus juste ce qu’il en est de la biodiversité et d’autres écosystèmes ? Où est le point de contact entre cette science et les réglementations qui encadrent finalement le fonctionnement des entreprises ?
Ou alors, si ces points de contact n’existent pas, où est-ce qu’ils pourraient se situer selon vous ? De sorte que la science ne soit jamais mise à distance des conventions, pour reprendre un terme que vous avez employé plus tôt, des conventions qui ensuite s’appliquent au fonctionnement des entreprises, des marchés et de la société tout entière.
Fabrice Bonnifet
Vous avez tout compris, mon cher Thomas. en fait le le Le sujet, moi je voudrais bien qu’il y ait une complète corrélation entre les obligations réglementaires et les limites planétaires. Ça serait la situation idéale, mais dans l’état actuel des choses, il faut être réaliste. Je ne crois pas à cette… je ne crois pas à ce grand soir qui ferait que finalement les limites planétaires deviendraient en fait le cadre réglementaire des entreprises.
Parce qu’en fait, c’est de ça dont il s’agit. Parce que si c’était le cas, la réglementation interdirait aux entreprises d’émettre du carbone.
Tout simplement, ce serait interdit. Ce qui n’est pas le cas à ma connaissance, à moins que j’ai loupé quelque chose, mais ce n’est pas le cas.
Donc, à partir du moment où ce n’est pas le cas, il faut anticiper en fait ce que pourrait être une réglementation idéale qu’on finira peut-être par avoir un jour, mais trop tard. et ça Ça nécessite, je pense, de la part des acteurs économiques les plus conscients de l’affinitude du ressource et de l’impossibilité de la croissance infinie dans un monde fini en ressources, c’est de se resynchroniser au vivant en apprenant, en apprenant, en essayant de faire découvrir tout ce qu’il nous apporte. C’est-à-dire, il faut absolument, je pense, faire de la pédagogie sur la pédagogie du vivant, se resynchroniser avec la nature, la découvrir. apprendre à la connaître, parce que la connaître, ça sera le début du commencement de l’apprendre à l’aimer.
Et finalement, quand on va comprendre sa complexité et sa magie, on aura sans doute plus envie de la protéger. Tous ceux qui ont pris le temps de découvrir cette magie-là, et ça me concerne, parce que ça n’a pas toujours été le cas en ce qui me concerne, eh bien, on trouve que c’est juste extraordinaire, fantastique, et c’est tellement beau, c’est tellement fragile qu’on a vraiment envie de la protéger. Ça, il faut que ce soit, à mon avis, mis dans les contenus pédagogiques des écoles… le plus vite possible.
Et ça, c’est une décision qui n’appelle pas de loi particulière. Il faut juste le décider.
Et puis, au niveau des entreprises, pareil, il faut que les dirigeants, les actionnaires, les clients, considèrent la nature comme le principal actif de l’entreprise, le principal asset de l’entreprise et donc choisissent, dans leur raison d’être, de le sanctuariser, de le protéger par tous les moyens parce que c’est la première garantie de durabilité des entreprises. Une fois que les entreprises comprendront ça, il y a plus de chances qu’elles se mettent à protéger les écosystèmes et les ressources dont les entreprises dépendent en réalité.
Parce qu’on sait très bien qu’une activité commerciale, c’est ni plus ni moins, comme on le dit souvent, des matières premières transformées avec de l’énergie. Et ces matières premières, on va les chercher où ?
Dans la nature.
Thomas Gauthier
Avec la première question que vous avez posée à l’oracle, on a déjà balayé beaucoup de sujets. Néanmoins, je vous propose de refaire un tour devant l’oracle.
Donc à nouveau, vous pouvez lui poser une question concernant l’avenir. Cette oracle vous répondra juste.
Qu’est-ce que vous voulez lui demander maintenant ?
Fabrice Bonnifet
Je voudrais lui demander d’où pourrait venir le déclenchement de la vague. C’est-à-dire que je pense qu’il y a plusieurs acteurs maintenant qui ont vraiment envie que ça bouge, notamment la jeunesse, qui a conscience qu’au rythme actuel, les dégâts que l’on fait subir aux vivants, ça va quand même se passer assez mal pour la deuxième partie de leur vie.
Mais ça peut venir peut-être d’autres parties prenantes, j’en sais rien, des ONG, des scientifiques, je ne sais pas. Moi, ce qui m’intéresserait de savoir, c’est d’où va venir…
En fait, vous savez, dans le livre que j’ai co-écrit avec Céline Puffard-Digilly, on parle de la OLA. Et dans un stade, quand il y a une OLA qui démarre, c’est quelques individus au milieu du stade qui décident de faire lever tout le stade.
Mais pourquoi ces quelques individus-là et pas les autres ? Parce que c’est eux qui ont pris le premier, en fait, l’initiative. quelle sera la partie prenante suffisamment charismatique, entraînante, etc., qui va déclencher la vague, en fait ?
Je voudrais bien savoir, je voudrais bien que l’oracle me le dise, pour aller souffler à l’oreille de cette partie prenante, qu’il serait intéressant qu’il se dépêche d’agir.
Thomas Gauthier
Il me semble qu’en parlant de ces quelques acteurs qui pourraient se lever les premiers, vous faites aussi en creux référence à cette littérature sur la notion de points de bascule sociaux. Comme vous le dites, certains individus, même en petit nombre, s’ils agissent de manière déterminée, ils peuvent… entraîner derrière des changements radicaux.
La question que je me pose alors par rapport à ces points de bascule, ces individus ou ces petits collectifs, dans quelle mesure peuvent-ils d’une certaine façon imprimer des nouvelles règles du jeu et à nouveau naviguer à leur échelle, là on ne parle plus de l’échelle d’une entreprise, peut-être que ce sont des petits collectifs, naviguer dans ce clair obscur où ils sont encore soumis à des tensions et à des pressions qui sont actuellement à l’oeuvre. Pour reformuler ma question, avez-vous déjà vu, probablement pas avec l’ampleur espérée, mais néanmoins, ces points de bascule sociaux à l’œuvre ?
Est-ce que vous avez déjà autour de vous des signes d’espoir que vous avez pu repérer ? Ça peut être des activistes que vous avez rencontrés, des initiatives que vous avez découvertes. Où sont selon vous les quelques signes qui font espérer que ces bascules sociales sont tout à fait envisageables ?
Fabrice Bonnifet
Déjà, il faut être réaliste. On sait très bien qu’on ne pourra pas faire basculer l’ensemble des populations d’un seul coup, d’un seul.
Par contre, on sait que statistiquement, mathématiquement, il ne suffit pas d’avoir la majorité pour que ça bascule. Il y en a qui disent qu’il faut 6 %, d’autres 10 %, je n’ai pas de chiffre exact.
Mais ce serait intéressant d’ailleurs de se pencher sur les modélisations mathématiques qui montrent que quand il y a un petit nombre d’individus ultra motivés et qui ont su, en fait formaliser un discours attractif dans lequel le plus grand nombre se reconnaît. Parce que finalement, qu’est-ce qui fera que ça bascule ?
Ce qui fera que ça bascule, c’est quand il y aura des groupes de gens hyper, hyper conscients de ce qui est en train de se passer, qui sauront raconter un futur désirable dans lequel les autres ont envie de se projeter. C’est-à-dire le contraire de quelque chose qui irait de pire en pire, mais quelque chose qui irait de mieux en mieux.
Finalement, vivre Dans un monde où on se débarrassera complètement des énergies fossiles, c’est un monde qui n’aura pas du tout les mêmes repères en matière de loisirs, en matière d’épanouissement que le monde que l’on connaît aujourd’hui. Aujourd’hui, les gens travaillent comme des malades pour accumuler de plus en plus d’argent, pour se payer des loisirs d’argent.
Donc des voyages très loin, des grandes maisons, etc. Demain, on sait très bien que ce n’est pas ça qui va se passer pour des raisons physiques d’ailleurs, au-delà même de la conscience morale, de ce qu’il faut diminuer les empreintes carbone. pour des raisons climatiques.
Mais de toute façon, on sait très bien que les énergies fossiles sont en dépression. Donc, c’est quoi vivre heureux dans un monde totalement décarboné ?
On a connu, pendant des centaines et des milliers d’années, des gens qui ont certainement vécu heureux sans carbone. On dit toujours, oui, mais vous vous rendez compte, on ne veut pas revenir au Moyen Âge ou à l’Antiquité parce qu’on pense qu’à cette époque-là, les gens étaient très malheureux parce qu’ils n’avaient pas de smartphone, ils n’avaient pas de… de télévision, ils n’avaient pas de Netflix, ils n’avaient pas H&M, ils n’avaient pas YouPorn.
Je ne crois pas que ces gens-là étaient très malheureux. Je n’en sais rien, je n’y étais pas, mais je pense qu’à cette époque-là, il y avait aussi le plaisir de vivre, j’en suis même persuadé.
Sauf que, vous savez, il y a une notion qui s’appelle le shifting baseline, c’est-à-dire que c’est le décalage du point de référence. Aujourd’hui, le point de référence du bonheur, c’est un point de référence consumériste, parce qu’on ne connaît que ça.
Et en plus, on sait que ça marche moyennement. il faut le reconnaître, dans une génération, quand on va s’apercevoir qu’on ne pourra pas gaspiller autant la planète comme on le fait aujourd’hui, gaspiller les ressources de la planète, on va devoir se recréer des aminités, des plaisirs qui seront certainement plus sobres en matière de consommation de ressources. Est-ce que ça nous rendra plus malheureux pour autant ?
Je suis persuadé que non, bien au contraire, parce qu’on va précisément prendre le temps de vivre et retrouver des plaisirs de vie qui sont sans doute beaucoup plus sobres. basé sur la collaboration, la coopération entre individus, sur la redécouverte de la nature. Et finalement, je suis persuadé que ça nous rendra au moins aussi heureux que les plaisirs consuméristes d’aujourd’hui.
Thomas Gauthier
Derrière ce que vous dites, ce qui me vient aussi en tête, c’est qu’on est peut-être pris actuellement dans une forme d’échec des imaginaires. C’est comme si finalement, il était très difficile de faire émerger des narratifs qui ne soient pas simplement faits de technosolutions d’un côté ou alors d’effondrement de l’autre. il y a probablement toute une gamme de couleurs d’imaginaires que l’on pourrait imaginer justement, mais ceci semble tarder à advenir.
Vous avez aussi évoqué le fait que si on reprend finalement la vie de nos ancêtres, ils ont vécu très très longtemps sans énergie fossile et ils ne s’en portaient pas plus mal. Néanmoins, c’est une mémoire que l’on a du mal à faire vivre ou à ressentir.
La question que j’aimerais vous poser maintenant, je ne l’avais pas prévue au programme, est-ce que il est possible selon vous d’acquérir par contre des formes de mémoire des futurs ? Parce que comme ces imaginaires n’existent pas, nous n’avons peut-être pas l’envie de nous projeter dans autre chose qu’une simple accélération et amplification du présent.
Est-ce qu’on pourrait imaginer collectivement se projeter justement dans des futurs différents, dans des futurs vivables, dans des futurs compatibles avec les limites planétaires dont il a déjà été question dans notre discussion ? Est-ce qu’on pourrait tendre vers une mémoire des futurs quelque part pour s’arracher à cette mémoire du passé proche qui n’est faite que de grandes accélérations ?
Fabrice Bonnifet
En fait, vous mettez encore une fois le point là sur le… Bon sujet, c’est pour ça que j’ai compris récemment que si on voulait accélérer ce qu’on appelle la transition, la transformation, il fallait précisément rendre désirable ce futur et arrêter avec les dystopies que l’on connaît, mais fabriquer des utopies.
Des utopies qui permettront précisément aux gens de se projeter dans un monde où on aura le droit d’émettre 2 tonnes de carbone par an et par personne. ce qui est quand même fondamentalement une autre vie que celle que l’on connaît. aujourd’hui. Et donc, moi, j’en appelle aux artistes, en fait.
J’en appelle aux artistes à ceux qui savent imaginer des scénarios qui, certes, imaginaire, des fictions, mais on sait très bien que ces fictions, lorsqu’on arrive à les imaginer, il y a toujours du possible à l’intérieur de ces fictions. D’ailleurs, la preuve, c’est qu’on dit tout le temps que la réalité dépasse la fiction.
Donc, je pense que si on arrive à établir, formaliser des fictions d’utopie Merci. désirable, c’est un peu comme quand on est sur un vélo et qu’on doit aller quelque part, on a intérêt à mettre le regard là où on veut aller. Mettons l’effection là où on veut aller et on ira.
Thomas Gauthier
J’aime beaucoup cette image du cycliste, j’y penserai la prochaine fois que j’enfourcherai ma bécane. Troisième passage Fabrice, et dernier passage si vous le voulez bien devant l’oracle, il vous reste une ultime chance de cuisiner cet oracle, de lui poser une question sur l’avenir.
Vous savez que cet oracle pourrait avoir une réponse à vous donner, qu’est-ce que vous voulez lui demander maintenant ?
Fabrice Bonnifet
La dernière question que j’aurais envie de lui poser, c’est de dire, maintenant il y a un vrai vecteur d’accélération, donc monsieur l’oracle, dites-moi quelle serait l’étincelle ? qui pourraient nous aider à accélérer, à faire en sorte que les pionniers puissent nous guider, que les leaders de tout pays, de toutes entreprises puissent montrer l’exemple. Moi, j’aurais besoin de l’étincelle.
C’est quoi l’étincelle ? C’est quelle sera l’étincelle ?
D’où viendra-t-elle ?
Thomas Gauthier
Ce qui reboucle, je trouve, très bien avec la question précédente à l’oracle. On s’interroge sur ces trajectoires qui… pourrait nous permettre de basculer pleinement dans la transition dont il a déjà été question là depuis une vingtaine de minutes.
On s’est beaucoup parlé du futur forcément, puisque l’on est passé devant l’oracle à quelques reprises. Je vous propose maintenant qu’on tourne notre regard vers le passé, donc on regarde le rétroviseur.
Vous avez, s’il vous plaît, la possibilité de ramener de l’histoire, ça peut être de l’histoire proche, ça peut être de l’histoire lointaine. Trois événements qui, selon vous, ont marqué justement l’histoire et peuvent nous servir aujourd’hui de point de repère. pour nous orienter et peut-être nous donner l’envie de construire des futurs vivables.
Qu’est-ce que l’histoire peut nous amener aujourd’hui pour nous orienter ?
Fabrice Bonnifet
Si on prend l’histoire récente, parce que je ne suis pas un spécialiste de toutes les époques, mais autant je ne crois pas du tout au technosolutionnisme. On aura besoin de la technologie, c’est indéniable, mais de croire que la technologie va régler tous nos problèmes d’approvisionnement énergétique, de pression sur les ressources, etc., c’est complètement faux.
Et quand bien même d’ailleurs on aurait une énergie décarbonée illimitée, ce serait un drame pour la planète parce qu’on utiliserait cette énergie pour exploiter encore plus toutes les autres ressources, et notamment les ressources minérales, ce qui créerait des dégâts énormes sur les écosystèmes pour aller chercher les derniers métaux dont on aurait besoin pour faire fonctionner l’économie. Donc j’espère que ça n’arrivera jamais.
Néanmoins, s’il y a vraiment une énergie qui a permis, ne serait-ce que… d’améliorer le confort et donc d’allonger l’espérance de vie en bonne santé, c’est clairement l’électricité. Ça a changé nos vies, l’électricité. Donc, je pense que ça, ça a été quand même un shift majeur dans l’histoire de l’humanité.
Peut-être le principal, le deuxième, si on reste dans des époques récentes, c’est clairement Internet. Alors, vous allez me dire, vous n’avez pas besoin de faire la promotion, finalement, à la technologie.
Mais je pense que la face fossile nous a apporté ça. On n’aurait jamais eu ça s’il n’y avait pas eu la face fossile.
Et donc… bénissons la phase fossile pour ça. Mais maintenant, c’est comme le pharmacose, il y a dans tout système, il y a ce qui soigne et ce qui tue.
Donc, les fossiles nous ont apporté ça et donc ça, c’est à chérir. Mais maintenant qu’on a compris que l’excès de fossiles allait nous tuer et d’ailleurs avec des conséquences bien plus importantes encore que ce que nous ont apporté l’électricité et Internet, donc on a intérêt maintenant à le dernier renseignement. qu’il faut qu’on puisse tirer, et c’est pour moi l’enseignement principal, c’est de trouver des solutions fondées sur la nature.
C’est d’ailleurs le biomimétiste, la biomimécrie, c’est-à-dire de Saint-Sylvain de Vinci qui disait déjà en 1612, va prendre tes leçons dans la nature. Donc on a besoin, on a besoin maintenant d’aller voir comment fonctionne la nature, parce que la nature a tout à vendre, c’est 3,6 milliards d’années de R&D, donc on est content avec l’électricité, on est content avec Internet.
Mais la nature a inventé bien plus de choses qu’électricité et Internet. Donc, inspirons-nous de la nature pour développer des modes de vie ultra frugaux, ultra résilients, consommant très peu de matières premières et apportant un maximum de confort d’usage.
Eh bien, c’est ça, en fait, les trois enseignements du passé qu’il faudrait pouvoir plus utiliser dans le futur.
Thomas Gauthier
Sur le sujet du recours et de la meilleure observation de la nature, j’ai changé récemment avec un… un chef d’entreprise qui m’expliquait que dans une usine, on trouvait essentiellement, selon ce que cette usine fabrique, des physiciens ou des chimistes, mais très très peu de biologistes. Finalement, les experts du vivant n’étaient pas présents au plus près des lieux d’innovation où la nature pourrait servir de source d’inspiration, pourrait guider des projets de R&D.
Il y a peut-être aussi un sujet autour de l’hybridation des savoirs. Ces expressions sont un peu tartes à la crème, mais il est vrai que si l’on franchit la porte d’une usine, on ne trouve pas de biologistes, sauf si nous sommes dans une usine qui peut… qui produit des médicaments, qui s’appuie sur des formes biologiques.
Fabrice Bonnifet
Je suis entièrement d’accord avec vous. Et c’est pour ça qu’il est important dans les entreprises de recruter ce type de personnes, de collaborer avec le CBIOS, de collaborer avec des organismes qui peuvent nous apporter ces savoirs et d’avoir des équipes pluridisciplinaires qui maîtrisent différents types de technologies biologiques et en techniques traditionnelles.
Parce que c’est bien la combinaison de ces compétences qui nous fera peut-être apparaître des nouvelles… des nouvelles solutions qui seront plus compatibles en fait avec la prise en compte des enjeux de long terme.
Thomas Gauthier
Là, je me permets du coup de vous emmener sur un autre sujet qui n’était lui non plus pas prévu au programme. Quand on parle d’hybridation des savoirs, de décloisonner les savoirs, de faire se rencontrer des experts, voyant cette perspective de mon point de vue, disons, académique, ce qui va me venir en tête, c’est que les systèmes d’incitation actuel de la recherche scientifique vont quasi toutes dans le sens de l’hybridation. spécialisation.
Si on regarde les revues les plus prestigieuses dans lesquelles tous les chercheurs souhaiteraient publier, ce sont des revues hyper spécialisées. Les passerelles disciplinaires ne sont pas au cœur des projets éditoriaux des revues.
La reconnaissance par les pairs des chercheurs, qu’il s’agisse d’ailleurs de chercheurs en sciences fondamentales ou bien de chercheurs en sciences humaines et sociales ou bien même de chercheurs en sciences de gestion, passe par la capacité à apporter une réponse incrémentale à un problème de plus en plus granulaire. La question que je me pose alors, c’est, en même temps que les transformations dont on a déjà parlé devraient être mises en place, n’y a-t-il pas un nouveau rapport à la connaissance qu’il faut établir, à la production de connaissances, et peut-être aussi à la hiérarchisation, d’une certaine manière, des connaissances dont on a besoin ?
Fabrice Bonnifet
Vous avez répondu à la question en la posant. Et moi, je me rappelle que les savants, ce qu’on appelait savants il y a quelques années, ils étaient savants en tout, en réalité.
Si on prend l’exemple de Vinci, c’était tout à fait le cas. Et c’est parce qu’ils étaient savants en tout qu’ils arrivaient à combiner les savoirs pour trouver des solutions.
Et donc, c’est vrai que tout s’est très notamment complexifié, qu’on a maintenant un peu plus On est capable, on l’a bien vu en médecine d’ailleurs, quelqu’un qui est orthopédiste, il aura des connaissances très différentes de celui qui va être ophtalmologiste. Et on a besoin d’avoir des spécialités.
Et c’est une bonne chose qu’il y ait des spécialités. Mais si on veut réinventer un futur désirable, l’un n’empêche pas l’autre.
Je pense qu’il faut qu’on continue de cultiver ces spécialités, mais dans beaucoup d’autres cas, notamment pour développer les villes de demain, pour développer les modes de vie de demain, on va avoir besoin, on aurait besoin d’avoir des équipes pluridisciplinaires parce que c’est la seule façon de prendre à la fois en compte la biologie, la biosphère, mais aussi la sociologie, la psychologie, si on veut arriver à cocher toutes les cases. Et ça, manager des équipes pluridisciplinaires, ça demande un vrai savoir-faire que l’on a beaucoup perdu aujourd’hui, parce qu’on est beaucoup trop en stylo, ça a été dit, mais ce n’est pas non plus quelque chose d’infaisable.
Et il y a quand même pas mal d’entreprises qui démontrent aujourd’hui qu’on arrive à faire ces mixtes au bénéfice finalement à la fois de l’entreprise et du bien commun.
Thomas Gauthier
Donc il y a en fait un double travail d’architecture à produire, un travail d’architecture des connaissances et un travail d’architecture sociale pour faire dialoguer, pour faire co-construire des nouvelles pistes d’action à des experts qui se rencontreraient quand bien même chacun vient d’un champ disciplinaire différent de celui de son voisin. On s’est beaucoup parlé ensemble Futur. on vient de se parler passé forcément il nous reste un temps à explorer ensemble c’est le présent j’aimerais bien maintenant Fabrice s’il vous plaît que vous nous racontiez simplement comment dans vos différents engagements et bien vous mettez en acte vos paroles et vous mettez en parole vos actes
Fabrice Bonnifet
L’exemplarité c’est il n’y a pas de façon d’influencer c’est d’être exemplaire c’est pas de moi mais je pense que c’est assez vrai et en m’appliquant déjà à moi-même ce que je vends toute la journée c’est-à-dire sur mes modes de déplacement mais mon alimentation, ma frugalité générale, je pense que ce n’est franchement pas un effort et ça permet d’être un peu plus crédible. Donc ça, c’est ma petite personne et ça n’a pas beaucoup d’importance, même si ça a de l’importance à mes yeux.
Puis après, c’est derrière comment j’influence mon écosystème ou ma sphère d’influence, si vous préférez, c’est-à-dire à la fois dans mon entreprise, mais aussi au niveau de mon association. au Collège des directeurs d’Aupoint Durable, où on a quand même des leviers d’action qui sont importants, parce qu’on est quand même 255 entreprises. Et puis au travers de ce que j’ai formalisé dans le livre qu’on a co-écrit avec Céline, parce qu’on voit bien les réactions des gens qui l’ont lu, beaucoup d’entre eux nous disent que ça a changé leur regard sur l’entreprise idéale, telle qu’elle pourrait être.
Et le fait d’avoir changé la perception de ces individus-là, d’une façon positive, c’est enthousiasmant, parce que ça donne envie de… de les aider, ça donne envie de continuer de rechercher les entrepreneurs qui ont compris l’essentiel, en réalité, de manière à les faire connaître, et faire connaître comment ils se sont pris pour faire évoluer leur modèle économique, leur raison d’être, pour tendre vers l’entreprise régénérative, l’entreprise contributive, parce que plus on aura d’exemples dans différents secteurs d’activité, plus on donnera envie à ceux qui n’ont pas commencé à agir de s’y mettre. Donc finalement, moi, mon action…
Aujourd’hui, c’est de faire de l’influence, de l’influence dans mes conférences, dans mes écrits, dans mes éditos, sur les réseaux sociaux, parce qu’aujourd’hui, c’est plus important d’avoir de l’influence que du pouvoir.
Thomas Gauthier
Et je rebondis sur ce que vous dites au sujet de multiplier les exemples. C’est peut-être aussi le plus sûr moyen, à mesure que des exemples s’accumulent, d’acquérir des connaissances très fines sur ce qui a fonctionné, ce qui a moins bien fonctionné, la façon dont l’action d’une entreprise peut-être a agi sur son écosystème.
Et à nouveau, c’est le plus sûr moyen peut-être pour produire des modèles qui peuvent ensuite inspirer l’action d’autres entreprises qui ne se sentiraient pas peut-être de franchir le pas en l’absence de guides, de repères, de frameworks pour concevoir une action.
Fabrice Bonnifet
Je suis complètement d’accord avec ce que vous venez de dire, c’est tout à fait vrai. Je pense qu’on aura du mal à être pas d’accord entre nous parce que j’ai l’impression qu’on est quand même pas mal alignés, donc c’est bien.
Thomas Gauthier
C’est bien et en même temps, il faut j’imagine se méfier d’être trop d’accord. Alors si on avait eu plus de temps, on aurait sûrement trouvé des points de désaccord, en même temps c’est pas l’objet du podcast.
Fabrice Bonnifet
Mais enfin bon, c’est quand même bien aussi de travailler avec des gens avec qui on s’entend bien, qui partagent les mêmes valeurs. On n’est pas obligé d’être d’accord sur tout.
Mais quand on est d’accord sur l’essentiel, c’est quand même ça le plus important, je pense.
Thomas Gauthier
Je vous remercie beaucoup Fabrice pour le temps que vous avez consacré à ce podcast. On a évoqué ensemble plusieurs questions relatives à l’avenir, on s’est rappelé quelques éléments de l’histoire que vous nous avez partagé et puis là on vient de découvrir vos manières de vous engager, d’agir dans les différents… cercles qui sont les vôtres et vous avez mis en rapport la notion d’influence par rapport à la notion de pouvoir et peut-être qu’effectivement cette notion d’influence prend de l’importance dans le monde qui vient.
Merci infiniment Fabrice.
Fabrice Bonnifet
Merci Thomas à bientôt, au revoir.