L’ArBRe cache la forêt

7 février 2025
5 mins de lecture

Alors que la Suisse suffoque sous des températures records, un nouveau parti politique bouleverse tous les codes. L’ArBRe séduit par ses propositions innovantes et ses candidats parfaits. Trop parfaits, découvrira-t-on plus tard. Cette mystification technologique deviendra le catalyseur d’une profonde mutation politique.

Été 2043, le pays suffoque, les glaciers agonisent, et le moral des Suisses est aussi bas que le niveau des lacs. Mathilde Rochat, les yeux rivés sur son jardin brûlé par la chaleur, se souvient : « C‘était le jour où mes derniers rosiers ont rendu l’âme. Avec 45°C à l’ombre, ils ne pouvaient pas résister. Je pleurais devant mes fleurs mortes quand j’ai vu Lisa Weber à la télévision. Elle parlait de transformer la Suisse en jardin vertical. Cela m’a redonné de l’espoir. »

C’est dans ce contexte apocalyptique que l’ArBRe (l’Alliance pour la renaissance Bio-Régionale écologique) fait son apparition.

« Au début, on les a pris pour une bande d’illuminés », raconte Kurt Zimmermann, patron du Café des Sports à Berne. « Inconnus quelques semaines plus tôt, ils débarquaient avec leurs costumes en fibres recyclées, leurs projets de téléphériques solaires et leur idée de transformer le tunnel du Gothard en potager géant. Quand ils ont proposé de convertir nos abris antiatomiques en fermes de champignons dépolluants, j’ai servi une tournée générale, tellement c’était fou. »

 

L’ArBRe aux mille promesses

Le scepticisme initial se transforme rapidement en fascination. Les candidats de l’ArBRe ne font rien comme les autres. Stefan Fischer, candidat pour Zurich, stupéfie une assemblée d’ingénieurs avec ses calculs sur la reconversion des remontées mécaniques en réseaux d’irrigation. « Il répondait aux questions les plus techniques sans même cligner des yeux », se souvient Hans Schmoutz, ingénieur à l’ETH.

Maria Bernasconi, agricultrice bio dans le Tessin, se rappelle sa rencontre avec Eva Schneider : « Elle connaissait le nom de chaque plante en quatre langues. Même mon grand-père était impressionné. »

« Des wagons de train transformés en jardins mobiles, un revenu climatique universel  pour toute activité écologique, des classes en pleine nature, des soins pratiqués dans des espaces verts… Les propositions de l’ArBRe dépassent l’imagination, » analyse le Professeur Jacques Dupont, spécialiste en sciences politiques. «  Chaque projet était accompagné d’études d’impact détaillées, de simulations 3D, de budgets précis au centime près. Même les plus sceptiques étaient soufflés. »

La stratégie électorale de l’ArBRe défie toutes les conventions. Fini les voitures autonomes et les drones-taxis : les candidats apparaissent sous forme d’hologrammes, démultipliant leur présence. « Leur bilan carbone quotidien ridiculisait celui d’autres partis », note Jacques Dupont. « Cette cohérence entre discours et actions était leur meilleure arme. »

En octobre, l’ArBRe remporte 75 sièges au Conseil national. Une performance historique qui ne surprend personne. « Ils sont en phase avec toutes les préoccupations, des jeunes aux seniors, des ouvriers aux cadres », observe-t-on dans la rue.

Dès son arrivée, l’ArBRe se met à l’ouvrage. En deux mois, ils font 147 propositions de loi, 1 500 pages d’analyses et assistent à 892 commissions. Enfin, ils y envoient leurs hologrammes : « Ils sont si performants, qu’on a fini par les traiter de machines », s’amuse une députée.

 

Panne de courant

Un mardi matin, il y a une panne de courant au Palais fédéral. Elle dure quelques minutes. Mais lorsque la lumière revient, tous les députés de l’ArBRe se mettent à  répéter : « Il n’y a pas de choses qui découlent plus de la bêtise que l’intelligence artificielle. » C’est tant plus étrange que la session traite de la régulation des ruches urbaines.

Un arbre avec 75 cadres. Les cadres représentent des visages de jeunes hommes et de jeunes femmes. C'est coloré.

Comme cela ne dure qu’une minute, les députés présents se remettent à somnoler. En revanche, cela réveille Mikael Beraudeau. Ce journaliste, nommé le cochon truffier, commence à fouiner. « Ce bug confirmait mon intuition. Depuis le début, je trouvais suspects que les députés de l’ArBRe répondent aux e-mails à 3 heures du matin. Qu’ils pouvaient citer le règlement du Parlement par cœur. Et qu’ils ne transpiraient pas, même lorsque la climatisation était en panne. Ce n’était vraiment pas normal », explique-t-il.  

Son enquête révèle l’impensable : à part Lisa Weber, aucun député de l’ArBRe n’existe. Il a été frappé à toutes leurs portes : « À Genève, le domicile de Marc Lambert est une laverie automatique. À Bâle, Julia Schmidt est censée habiter dans un kebab. Et, à Lausanne, le grand écologiste Thomas Müller est domicilié dans un garage pour voitures autonomes. »

Lisa Weber avoue : ses 74 colistiers sont des avatars créés par l’IA. «  Nous avons exploité les biais cognitifs. Les algorithmes ont conçu des candidats parfaits : visages inspirant confiance, voix modulées pour l’empathie, discours adaptés en temps réel », explique-t-elle. Mais, le succès de l’opération repose sur la désillusion politique : « Tout le monde était si déçu par les politiciens traditionnels qu’ils étaient prêts à croire en quelque chose de nouveau. Les électeurs ont préféré des illusions bienveillantes à des promesses inconsistantes », ajoute-t-elle.

Visages en statues dissimulées dans une forêt verdoyante sur une plaine désertique

La gueule de bois

En l’entendant, la Suisse a la pire gueule de bois politique de son histoire : « Moi qui me moquais de ma petite-fille accro à ses amis virtuels, j’ai voté pour un algorithme », se lamente Heidi Müller, 82 ans.

Nombreux disent qu’ils n’étaient  pas dupes : « Ils étaient trop parfaits. Même nos meilleurs économistes n’arrivaient pas à trouver des failles dans leurs projections financières », explique la politique Hannah Hofman.

Au milieu du chaos, une réalité s’impose : les projets de l’ArBRe fonctionnent. Le Gothard Vertical produit des tonnes de légumes. Les téléphériques solaires désengorgent les villes. Les champignons dépolluants assainissent l’air : « C’est ça le plus rageant. Ces satanés avatars ont peut-être sauvé notre agriculture », grogne François Meunier, opposant des premières heures à l’ArBRe.

« On est devenus la risée de l’Europe. Mais au moins, nos tomates poussent dans le Gothard et nos vaches produisent de l’électricité », soupire Kurt Zimmermann, le patron du Café des Sports.

La Suisse, pragmatique jusqu’au bout des Alpes, décide de garder le meilleur et d’exorciser le pire. Le pays vote des lois pour éviter d’être de nouveau mystifié. On met en place un test d’humanité pour les députés qui inclut une résistance à la fondue et des détecteurs d’IA. Ils s’avèrent parfois trop efficaces. Lors des dernières élections, un candidat a été disqualifié pour avoir trop bien répondu aux questions : « C’était forcément une IA. Personne ne connaît aussi bien ses dossiers », a justifié la Commission électorale.

Dans les rues, l’humour reprend ses droits. La dernière blague est : « Comment reconnaître un vrai politique d’un avatar ? L’avatar tient ses promesses. »

Lisa Weber dirige une fondation pour la végétalisation innovante de la politique. Entre deux conférences, elle jardine en disant : « Planter un arbre aujourd’hui, c’est permettre à quelqu’un de s’assoir à l’ombre demain »,

La démocratie suisse tente de se remettre de la crise. Si les membres de l’ArBRe étaient virtuels, ils ont fait se poser une forêt de questions bien réelles aux politiciens. La professeure Sophie Blanchet de l’EPFL explique le phénomène : « Les avatars nous ont montré ce que pourrait être une politique vraiment focalisée sur les solutions. Quand on voit le travail qu’ils ont accompli, on peut envisager que le futur du politique n’est ni tout humain, ni tout artificiel, mais quelque part entre les deux, comme une bonne fondue qui mélange plusieurs fromages. »

 

Planter un arbre aujourd’hui, c’est permettre à quelqu’un de s’assoir à l’ombre demain 

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