La Suisse possède une diaspora qu’elle connaît et reconnaît si bien que sa Constitution fédérale, dans son article 40, définit et encadre les liens réciproques entre la Cinquième Suisse et la Confédération. Toutefois, la reconnaissance d’une diaspora n’a rien d’automatique: certains États peinent à la percevoir et, a fortiori, à l’intégrer dans des stratégies nationales.
Avec 3,5 millions de ressortissants établis hors de ses frontières, la France connaît aujourd’hui la plus grande dispersion de sa population à l’étranger de toute son histoire.
Si l’impératif régalien de gestion administrative – assurant la sécurité des citoyens et la continuité des services de l’État à l’étranger– est bien intégré par la République, la reconnaissance de cette diaspora qui s’installe demeure difficile car entravée par des considérations historiques, culturelles, idéologiques et même émotionnelles.
Au-delà de la reconnaissance, c’est la question de la valorisation et de la mobilisation de cette population qui se pose. La diaspora française souffre d’un vide stratégique manifeste et d’un déficit d’intelligence organisationnelle majeur de la part des décideurs politiques.
Dans ce contexte, le design fiction est non seulement un outil de prospective mais devient aussi un puissant levier de communication pour esquisser les possibilités qu’offre cette population, aujourd’hui stratégiquement oubliée, mais dont l’engagement pourrait constituer un atout majeur dans les défis auxquels la France est confrontée.
Dans cette perspective, les penseurs et auteurs français de l’intelligence économique, qui mentionnent volontiers le rôle stratégique des diasporas étrangères dans les politiques de leur pays d’origine, gagneraient à appliquer cette grille de lecture aux Français de l’Étranger.
Pourtant familiers des démarches prospectives qui font partie intégrante de leur boîte à outil, ils ne semblent pas plus entrevoir le potentiel de cette population si un rôle leur était attribué dans les ambitions nationales.
Dans ce domaine, nos voisins helvétiques offrent un exemple éclairant. Issu des travaux de prospective technologique d’armasuisse (l’équivalent suisse de la Direction Générale de l’Armement en France), le réseau fictif RESINT – Support International pour la Résilience de la Suisse – a été conçu pour stimuler la réflexion sur le rôle et l’apport des Suisses de l’Étranger dans la résilience nationale.
À travers un artefact du futur prenant la forme d’une page web, cette initiative de design fiction ouvre le champ des possibles et propose une mise en récit et en situation des missions, des responsabilités, des contributions potentielles et du support que cette communauté pourrait apporter depuis l’étranger.

L’idée originelle est simple: comment valoriser les connaissances et compétences d’une population qui, par défaut, est installée à l’étranger ? Question qu’on ne se pose pas pour les Français de l’étranger qui restent institutionnellement cantonnés aux affaires consulaires, sans structure centralisée capable d’exploiter leur valeur ajoutée dans des domaines transversaux et non limités.
Aucun réseau, notamment à l’étranger, n’a été pensé à une échelle adaptée – ni en taille, ni en compétences – pour inscrire cette diaspora dans le prolongement de stratégies nationales.
Pourtant, leur ancrage de plus en plus marqué hors de France génère autant de risques – tels que la perte de compétences ou la subvention involontaire de la compétitivité étrangère – que d’opportunités inexploitées, faute de vision stratégique.
Envisager la diaspora, dont l’organisation est reconnue pour maximiser son impact, revient à entreprendre un authentique exercice de design fiction. Si RESINT s’attache à la résilience de la Suisse en anticipant également les technologies du futur sous la forme de RESNET, un design fiction consacré à l’organisation stratégique de la diaspora française devra adopter une approche à la fois ancrée dans le présent et tournée vers l’avenir.
Cela pourra se faire en intégrant d’abord les spécificités actuelles de cette population, les défis de la France d’aujourd’hui, ses intérêts fondamentaux et la situation géopolitique et géostratégique du moment tout en prenant compte ensuite de l’évolution de ces mêmes paramètres dans l’espace et le temps.
Il s’agit de décrire des objectifs atteignables, qui répondent à des problématiques concrètes, intégrés dans un futur désirable par toutes les parties prenantes de l’organisation fictive dans le but de la voir peut-être un jour prendre vie.
L’initiative suisse RESINT illustre la manière dont une nation peut mobiliser sa diaspora dans une réflexion stratégique. Son accueil favorable par les premiers concernés, les Suisses de l’étranger eux-mêmes, ainsi que l’intérêt suscité auprès de parlementaires qui sollicitent désormais le Conseil fédéral pour évaluer la pertinence et la faisabilité d’un tel réseau, démontrent que ce type de démarche peut trouver un écho institutionnel.
La France pourrait utilement s’inspirer de cette approche pour penser le rôle de sa propre diaspora, difficilement reconnue et encore inexploitée dans une perspective stratégique.
Et si l’organisation résultant d’un design fiction de cette envergure ne voit jamais le jour, l’exercice pourrait, à tout le moins, contribuer à faire émerger la prise de conscience de l’existence d’une population appelée à ne jamais revenir, de la nécessité de garder le lien avec elle et de la valoriser.
Concevoir un artefact du futur pour donner corps à cette organisation fictive permettrait non seulement d’en esquisser les contours, mais aussi de combler un vide stratégique qui entoure les Français de l’Étranger et de déployer l’arbre des possibles pour concrétiser leur réintégration et leur apport au destin national.
Concevoir un artefact du futur pour donner corps à cette organisation fictive permettrait non seulement d’en esquisser les contours, mais aussi de combler un vide stratégique qui entoure les Français de l’Étranger
Note de la rédaction : à l’heure ou ce billet est publié, la réponse du conseil fédéral suisse est connue par rapport à l’interpellation déposée par Madame la conseillère nationale Isabelle Chappuis. L’avenir nous dira si une suite verra le jour… en Suisse ou ailleurs !
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Pour les plus curieux, ce billet a été rédigé suite à cet entretien en visio entre la Chine et la Suisse dont vous excuserez la qualité mais apprécierez la spontanéité.
Ensemble avec les différents acteurs, nous allons certainement proposer l’histoire et les coulisses de ce projet un peu fou, parti d’une simple idée et ayant abouti à une interpellation au parlement.