Les constats de départ
Au travers de divers projets, le programme de prospective du département suisse de la défense, connu sous le nom de deftech, a beaucoup œuvré à stimuler la réflexion prospective sur l’Armée et les conflits de demain. De nombreuses études et projections ont été produites pour ouvrir le champ des possibles. Pourtant, il est parfois compliqué de les mettre dans les mains de non-experts de la prospective, qui sont les premiers concernés par ces sujets, afin d’en faire un sujet de discussion.
Le programme deftech et 15marches se sont réunis autour d’un constat : il y a autour de l’innovation et de la prospective un déficit de compréhension structurée, de vocabulaire partagé et de compétences, ce qui représente un verrou à l’innovation et à la collaboration dans tous les métiers.
Comment proposer une manière de reposer les fondamentaux au sein d’un groupe de travail ou d’une communauté dans l’optique de lancer une réflexion d’innovation ou de prospective ?
Le concept : et si le futur de l’apprentissage se passait dans votre app de messagerie ?
Aujourd’hui, nous apprenons davantage en écoutant des podcasts, en regardant des vidéos sur Youtube ou en lisant des newsletters. A notre avis, dans cette sphère d’usage, apprendre est un acte d’exploration, de découverte et de plaisir.
Nous avons donc cherché à créer une expérience d’apprentissage qui s’insère dans ces usages qui s’apparentent davantage à l’univers privé que professionnel. En nous inspirant de cette manière d’apprendre informelle, nous voulions concevoir un parcours qui stimule la curiosité et la réflexion des apprenants, tout en s’appuyant sur leur volonté d’autonomie.
Nous avons donc conçu un format d’apprentissage couplant une interaction conversationnelle dans whatsapp, des vidéos courtes, et des questions pour ouvrir la réflexion. Chaque jour, nous avons envoyé une petite capsule comprenant ces éléments sur un point particulier. Cette expérience étant nouvelle et en décalage avec les formats classiques d’apprentissage, nous avons souhaité la tester pour mettre à l’épreuve nos convictions et hypothèses critiques.
Nos convictions :
- Nous nous adressons à ceux qui ont pris l’habitude d’apprendre par le biais des newsletters, podcasts, chaînes Youtube ou TikTok. Ils se “forment” en continu, partout et à toutes heures.
- La formation en ligne “classique” est un marché avec des standards contre-productifs pour l’apprentissage particulier de ces soft skills.
Nos hypothèses :
- Un contenu de qualité est important mais pas suffisant pour améliorer la transmission de la connaissance. Il faut une expérience nouvelle, plus en lien avec les usages et les possibilités offertes par le numérique
- Un traitement “média” de la formation permettra une meilleure rétention des utilisateurs et donc in fine une plus grande efficacité dans la transmission des connaissances
- Ce type de parcours et d’expériences sont un “chaînon manquant” dans des cycles plus longs d’apprentissage et/ou dans le cadre de projets nécessitant une forte convergence de vues sur les enjeux de l’innovation.
L’expérimentation
30 participants issus de différents secteurs se sont inscrits volontairement pour ce pilote. Vous trouvez le contenu présenté ici – https://deftech.ch/fr/academy .
Afin de recueillir des retours d’expérience, nous avons à la fois procédé de deux manières : nous avons proposé des sondages au cours de l’expérience pour noter la satisfaction des utilisateurs. Nous avons également mené des entretiens qualitatifs de 30 minutes avec chacune des personnes ayant terminé le parcours.
Voici les principaux enseignements de l’expérimentation :
1. Un format apprécié et créateur d’apprentissages
9 participants sont allés jusqu’au bout du parcours. Sans pour autant que ce soit significatif au vu de la taille et la composition de l’échantillon, c’est un score supérieur à ce qui est observé dans les formations en ligne, terminées par 10% des apprenants qui les commencent.
Tous ceux qui ont terminé ont eu l’impression d’avoir appris quelque chose, et sont capables de citer des idées/concepts qui les ont marquées. En revanche, ils n’ont pas acquis de compétences à proprement parler.
Ils ont regardé un nombre élevé de vidéos, très peu ont sauté des vidéos lorsque cela leur a été proposé.
2. Le format vidéo est un medium efficace
Nous avons fait le choix de produire des formats courts (entre 3 et 6 minutes), face caméra, mêlant visuels et motion design. Ce sont les experts des sujets qui prennent la parole.
3. Le format suscite l’envie d’aller plus loin sur certains sujets
Nous avons proposé des questions de réflexion, en prenant le contrepied du quizz du MOOC. Il n’y a pas de bonne ou mauvaise réponse. De même, nous avons systématiquement proposé une rubrique “pour aller plus loin”, reprenant des articles ou des livres à lire pour creuser certains points abordés dans les vidéos.
4. Le fait d’être “dans la poche” augmente le niveau d’attente sur la personnalisation
Les participants au test ont trouvé des interstices dans leur vie pour découvrir les partages quotidiens : un voyage en train, une pause déjeuner, ou attendre pour tout regarder le weekend. Mais certains auraient aimé davantage de personnalisation : pouvoir regarder plusieurs vidéos d’un coup notamment, fonctionnalité non proposée dans le béta-test.
5. Le fait d’être “dans la poche” n’empêche pas le besoin d’interactions pour certains
Si certains sont à l’aise et se motivent en apprentissage solo, le fait d’interagir avec les autres participants a manqué à plusieurs participants – dont ceux qui ont un profil professionnel issu de la formation. Il s’agit d’une piste d’évolution possible pour le format d’armasuisse : animer une communauté d’apprenants pour renforcer la cohésion.
Et après ?
Ce format semble adapté dans une approche d’acculturation et sur certains publics, très certainement en complément d’ateliers en présentiel ou en accompagnement à une formation.
La question principale qui demeure à l’issue de cette expérimentation dans l’optique d’une industrialisation est celle de l’utilisation d’une application de messagerie telle que Whatsapp : dans des contextes assez fermés, il faudra sûrement substituer l’application celle agréée par l’organisation – dans notre cas Threema – et envisager en parallèle également l’usage du contenu dans une approche plus classique et linéaire. Également, le sujet de la langue en Suisse a des implications fortes quand ce test n’a été mené qu’en langue française.
Nous avons opéré ce test sur le périmètre que nous connaissons, celui de l’innovation et de la prospective. Mais l’utilisation d’une application de messagerie pour proposer des expériences d’apprentissage pourrait s’appliquer à bien d’autres domaines. Former en continu les militaires de la milice suisse par ce canal sur des compétences plus techniques est une piste à creuser pour s’adapter aux usages classiques du grand public.
Il y a en tout cas fort à faire dans ce domaine. En comprenant mieux la manière dont les personnes apprennent dans notre époque numérique, on parviendra sûrement à concevoir des dispositifs pour renouer avec le plaisir de découvrir et progresser.