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#28 Laurence Monnoyer-Smith | Repenser l’espace et le temps

28 avril 2023
39 mins de lecture

Laurence Monnoyer-Smith a occupé les fonctions de Commissaire générale au développement durable et Vice-présidente de la Commission nationale du débat public.

Plus récemment, elle a rejoint le Centre national d’études spatiales et assume aujourd’hui la responsabilité de directrice du développement durable.

Attirée par la perspective de protéger la Terre depuis l’espace, elle apprécie chaque jour la chance unique de travailler avec un outil de protection du vivant peu commun.

Dans l’échange à suivre, il sera justement question d’espace, et de temps, et de la nécessité de repenser notre rapport à l’innovation pour renouer avec le progrès, sorte d’étoile polaire dont la lueur semble faiblir depuis quelques décennies.

Entretien enregistré le 24 novembre 2022
Remerciements : agence Logarythm

Entretien enregistré le 24 novembre 2022
Remerciements : agence Logarythm

Transcript de l’entretien

(Réalisé automatiquement par Ausha, adapté et amélioré avec amour par un humain)

Thomas Gauthier

Bonjour Laurence.

Laurence Monnoyer-Smith

Bonjour Thomas.

Thomas Gauthier

Alors ça y est, tu es face à l’oracle, tu vas pouvoir lui poser trois questions au sujet de l’avenir. Par quelles questions est-ce que tu souhaites commencer ?

Laurence Monnoyer-Smith

Je vais commencer par des questions un peu triviales parce que comme beaucoup de gens, on a envie de savoir un petit peu comment on va vivre demain. Alors, surtout moi, par rapport à mes interrogations et ce sur… sur quoi je suis très sensible, en particulier sur les sujets de transition écologique et de changement climatique, et des questions un peu triviales du genre « Je voudrais savoir comment demain on va vivre en ville ? » Je suis très interrogative sur l’évolution des villes. Ça m’inquiète aussi un peu d’ailleurs.

L’augmentation de la population dans les villes est extrêmement importante. On sait que ça met un stress très important sur notre environnement.

La pression démographique sur les ressources est extrêmement forte. Et nous assistons à des phénomènes, depuis maintenant une bonne vingtaine d’années, des phénomènes croissants de propérisation dans des mégalopoles.

Et en fait, je voudrais savoir comment est-ce qu’on arrive à trouver un moyen de vivre au mieux en ville ? Comment est-ce qu’on y respire ?

Aujourd’hui, on sait que la ville de New Delhi… La moitié de l’année est soumise à des pollutions absolument extrêmes, que ça provoque des maladies et des morts.

Rien qu’en France, on a 40 000 morts par an à cause de la pollution dans les lignes. Et donc, voilà, je voudrais savoir comment on s’y déplace.

Est-ce qu’on a trouvé finalement des moyens de faire, de développer des électricités d’eau ? Est-ce qu’on a mis en place des systèmes de recyclage de l’eau beaucoup plus efficaces ? pour pouvoir éviter d’avoir des difficultés de maladie.

Est-ce qu’on a mis en place des villes résilientes, qu’on a désartificialisées, dans lesquelles on a fait rentrer la nature beaucoup plus ? J’aimerais bien savoir.

Thomas Gauthier

C’est très intéressant, Laurence, que tu démarres tes questions à l’oracle par une question extrêmement terrestre. Tu parles des villes, donc tu parles des lieux d’habitation qui gagnent de plus en plus en importance.

Tu l’as dit, une parcoursée. croissante de la population mondiale est désormais urbaine. Je vais te poser, si tu le veux bien, une question que je n’avais pas prévue en rapport avec tes fonctions au sein du Centre National d’Études Spatiales.

Est-ce que la question des villes, au-delà de toi, te la poser individuellement face à l’oracle, est une question qui peut surgir dans des discussions auxquelles tu es amené à participer dans tes fonctions professionnelles ? Est-ce que le lien entre ville et… espace existe ou pourrait exister ?

Qu’est-ce que tu peux nous en dire ?

Laurence Monnoyer-Smith

On va dire qu’il y a des travaux, peut-être pas de la manière dont je l’ai formulée là, mais en tout cas, il y a des réflexions de prospective, évidemment, sur des formes d’installation humaine sur la Lune. Et ça, c’est déjà, on va dire que c’est plus ou moins planifié.

Sur Mars, c’est beaucoup plus difficile, mais en tout cas, oui, on essaie de réfléchir. Pas la ville telle qu’on la connaît, c’est évident, mais en tout cas, des formes d’habitation sur d’autres planètes, oui, c’est une vraie réflexion.

Alors, vous dire que c’est de la science-fiction, oui, ça l’est, encore de la science-fiction, parce qu’en fait, le nombre de viraux qui se posent est innombrable pour pouvoir s’installer sur une autre planète totalement hostile. Là, on est vraiment…

Et en revanche, ce qui n’est pas inintéressant, c’est qu’en réfléchissant à comment est-ce qu’on peut… Résoudre tous les problèmes qui se posent si on veut imaginer d’avoir un…

Un minimum d’installation sur la Lune, sans aller vraiment très loin, avec des problèmes de ressources incommensurables avec ce qu’on connaît ici. Vraiment le milieu hostile au maximum, des problèmes également de rayonnement, dont il faut se protéger.

En fait, on réfléchit à certaines des spaceships qu’on est en train d’installer un petit peu dans différents pays du monde. Il y en a aux Etats-Unis, il y en a à Toulouse qu’on est en train de construire. des espaces où on essaie de penser à ce que ce serait une installation sur la Lune, et donc en reproduisant des conditions d’hostilité maximale.

Et alors, ce faisant, évidemment, on travaille sur un certain nombre de sujets qui potentiellement sont intéressants pour nous sur Terre, c’est-à-dire recyclage à 100%, c’est-à-dire mime, économie de matière au maximum, éco-conception totale, zéro déchet, etc. en se mettant des conditions de stress maximales, c’est une façon aussi de contribuer à la façon dont nous, on devrait gérer nos ressources sur Terre. Donc oui, un peu différemment, mais il y a quand même un peu un lien.

Thomas Gauthier

Alors, je te propose maintenant de refaire un tour devant l’oracle. Tu l’as déjà questionné sur l’avenir des villes, l’avenir des habitats sur Terre.

Qu’est-ce que tu veux lui demander maintenant ?

Laurence Monnoyer-Smith

Alors ça, c’est peut-être un peu plus personnel, mais c’est une très grande interrogation. Je voudrais savoir si on va encore voyager demain.

On n’est jamais complètement loin de mes préoccupations, mais le voyage dans l’histoire de l’humanité, c’est ce qui a permis que l’on retrouve des humains sur les quatre coins de la planète. Le voyage, la nécessité de se déplacer pour se nourrir, mais aussi de rencontrer l’autre, d’échanger, etc.

Les formes de mobilité que l’humanité a inventées sont des formes aujourd’hui extrêmement prédatrices. L’avion, typiquement, je crois que les gens ne se rendent pas complètement compte, mais l’avion est né avec des énergies fossiles.

Et je pense, j’aimerais bien savoir si l’avion va mourir avec des énergies fossiles. Et si nous n’allons pas renouer avec des formes, on va dire, pionnières, des formes pèlerines de voyage.

Alors on a le train, etc. Et peut-être le train, c’est une autre forme de mobilité.

Est-ce qu’on ne va pas finalement avoir une autre relation au voyage ? Je pense que personne ne pleurera sur la disparition des voyages de prédation, quels qu’ils soient, qu’ils soient environnementaux ou qu’ils soient humains d’ailleurs, parce qu’il y a des formes de purisme qui sont prédateurs pour l’humanité.

Est-ce qu’on va continuer à voyager ? Est-ce qu’on va voyager autrement ?

Voilà, c’est une grande question que je me pose. Où est-ce que nous allons être ?

Nous allons avoir une forme de renfermement ? que nous avons pu connaître dans d’autres moments de notre histoire aussi, et qui n’est jamais complètement bonne. Se renfermer sur soi-même, ce n’est jamais bon.

Donc, j’aimerais bien que l’oracle me dise si nous allons transformer notre façon de voyager et de rencontrer l’autre.

Thomas Gauthier

Alors, ce qui est intéressant avec ta question autour du voyage, c’est que finalement, à travers les sous-questions que tu as posées à l’oracle, on découvre ou on redécouvre à quel point le voyage est devenu un élément qui nous caractérise en tant que société, qui nous caractérise peut-être même aujourd’hui en tant qu’espèce, puisque le voyage raccourcit les espaces, le voyage raccourcit les durées, le voyage nous met en lien, le voyage peut être à l’origine de paix, le voyage peut aussi être à l’origine de conflits. Le voyage est rendu possible par des sauts technologiques, par des découvertes telles que celles des énergies fossiles. dont tu as parlé, tu parles aussi de voyages prédateurs, donc je perçois entre les lignes l’idée qu’il y a des formes d’inégalités qui se jouent autour des voyages, on sait que finalement il n’y a qu’une partie assez limitée de la population mondiale qui s’est déjà déplacée en avion, ce n’est pas un moyen de locomotion accessible à toutes et tous.

Est-ce qu’on peut imaginer une sorte de concertation, je ne sais pas à quelle échelle celle-ci devrait avoir lieu, pour peut-être… redéfinir la modalité voyage, mais en fait, on parle là de redéfinir notre rapport au temps et à l’espace. On parle finalement de se poser une question profondément anthropologique.

Comment on peut finalement aborder la question du voyage en n’en faisant pas juste un sujet technique, puisqu’on parle de peut-être envisager des nouveaux modes de propulsion, des nouvelles formes de carburant pour les avions, mais comment est-ce que l’on dépasse la caractéristique uniquement technique de cette question pour en faire une question, je dirais, civilisationnelle.

Laurence Monnoyer-Smith

Je suis assez d’accord. Alors, on ne se la posera pas tant qu’on ne sera pas obligé de se la poser.

Je pense que l’homme est insufflé, qu’il ne va pas se poser ses questions métaphysiques tant qu’il n’aura pas trouvé, en tout cas qu’on ne sera pas devant un mur. Et effectivement, le fait qu’on va être obligé, il n’y a pas 50 façons de résoudre le problème climatique, et en particulier sur la question du voyage et du tourisme, c’est vraiment une question qui me préoccupe vraiment beaucoup, parce que je suis moi-même une grande voyageuse, donc aussi face à mes propres contradictions. et je me dis le jour où on pourra plus prendre l’avion parce qu’il y aura deux façons de réguler, soit on augmente les prix et on accroît les inégalités, soit on régule pour tout le monde.

Et auquel cas, il va bien falloir se poser la question de, est-ce que nous allons être, est-ce que nous allons collectivement savoir, décider que, dans sa vie par exemple, on pourrait faire que X voyages en avion par exemple, et pas plus, et que ce sera pour tout le monde pareil. avec des inégalités, je ne sais pas quoi, mais enfin, bon, ça peut toujours rêver, mais en tout cas, est-ce que cette réflexion va pouvoir avoir lieu et collectivement ? Après, je pense aussi que nécessairement, ce que tu disais tout à l’heure sur le rapport au temps, c’est-à-dire que nous avons exclu le voyage du tourisme.

Je m’explique. On a, dans ces 50 dernières années, parce que c’est assez récent, vraiment dans l’histoire de l’humanité, Le fait de ne pas penser le déplacement comme étant partie du voyage, parce que nous accélérons cette phase-là, que nous la rendons la plus limitée possible, que ce soit avec la voiture, mais même avec le train d’ailleurs.

Nous avons arrêté de penser le déplacement comme étant partie de notre forme de découverte. Ce qui est un grand dommage, quand on lit les chroniques de Marco Polo, le déplacement, c’est le voyage, ce n’est pas la destination.

Le déplacement fait partie de la découverte. Et ça veut dire aussi être capable de prendre le temps et de considérer que, voilà, moi quand j’étais toute petite, je suis toute jeune, mais quand j’étais petite, on prenait un mois de vacances l’été et on partait et c’était long.

Je me souviens d’un voyage en Grèce où nous avons mis quatre jours pour arriver en Grèce et on s’est arrêté en Yougoslavie. Aujourd’hui, plus personne ne prend un mois de voyage.

Sauf les étudiants qui ont la chance d’être en césure. Mais à part ça, plus personne.

On prend l’avion, on va en Grèce passer quatre jours. Et en fait, ça c’était déjà il y a 40 ans, puisque j’ai fait le premier voyage, j’étais toute jeune.

Et donc, on voit que même en 40 ans, ce qui n’est quand même pas énorme, on a complètement obéré cette phase-là du voyage. qui est dans l’histoire de voyage de l’humanité depuis que les pèlerins se déplacent, depuis l’Antiquité, où on avait en fait cette notion de traversée de temps. Alors on ne retournera pas à ça, mais ce qui est certain, c’est que, à mon avis, et on va le redécouvrir, et on le voit d’ailleurs déjà dans les réflexions touristiques sur ne pas prendre l’autoroute et arrêtez-vous dans les petits villages, il y a aujourd’hui aussi, parce qu’on a à cause du Covid, on a pu aller aussi loin, cette volonté de redécouvrir moins loin, dans un espace plus restreint, de prendre le temps de se déplacer, on redécouvre en fait des paysages et des sensations et des rencontres près de chez soi.

Donc je suis persuadée qu’on est face vraiment à un bouleversement civilisationnel très fort sur notre relation à l’étranger, à l’exotique. autisme, à tout ça, je pense rien.

Thomas Gauthier

Tu as parlé un petit peu plus tôt dans ta réponse à la notion de régulation. Peut-être qu’un jour, qui sait, nous allons être soumis à des contraintes strictes sur le nombre de voyages que nous allons pouvoir entreprendre dans une vie.

Soit, je reviens à ta fonction actuelle au Centre national d’études spatiales. Autour de l’espace…

Il y a des questions que le grand public dont je fais partie se pose concernant les formes de régulation qui pourraient émerger ou qui aujourd’hui d’ailleurs encadrent l’accès à l’espace, l’exploitation, même si je n’aime pas forcément trop ce mot de l’espace. Qu’est-ce que tu peux nous dire des sujets en cours, des rapports de force, des émergences autour de la question de la régulation ?

Est-ce que l’espace est voué à être un commun ou est-ce que l’espace est voué à être autre chose ?

Laurence Monnoyer-Smith

Oui, c’est vrai. Tu as raison Thomas.

C’est une question qui, pour des raisons techniques, technologiques diverses et variées, ne s’était pas posée avec cette acuité depuis le début de l’aventure spatiale. L’espace était perçu comme un bien commun et c’était assez facile parce que, pour le moment, on se disait que personne ne pouvait se l’accaparer.

Quand l’aventure spatiale a démarré, dans les années 50, où en fait, c’est la question de l’accès à l’espace qui s’est posée par la création d’un certain nombre d’infrastructures. Les premiers pays, les trois, quatre premiers pays qui ont eu cet accès à l’espace, les États-Unis, la Russie, la France, très rapidement d’ailleurs, et l’Union européenne, ont commencé à concevoir que, voilà, un temps où on a mis un pied sur la lune en 1949, bon, personne, on s’est mis d’accord entre nous, on n’était pas très nombreux, qu’on ne s’approprierait pas et que ce serait un bien commun.

Il y a un traité sur l’espace extra-atmosphérique, un traité au Muséum de 1967 qui organise cette réglementation. Depuis une dizaine d’années maintenant, avec les évolutions technologiques, la multiplication de l’accès à l’espace, on a maintenant pratiquement 90 agences spatiales dans le monde, c’est à vous dire, sur 190 pays.

Nous, on a des pays qui se mettent à avoir une activité spatiale, pas forcément en termes de lanceurs, parce que ça, il y a assez peu de pays qui sont capables de faire des lancements, mais il y a beaucoup de pays qui sont capables d’envoyer des satellites maintenant, qui les fabriquent, etc. Et donc, en fait, on assiste à une explosion absolument faramineuse d’objets spatiaux qui posent des problèmes bien connus, qui est celui du problème des débris spatiaux, qui a atteint un point…

Un point extrêmement préoccupant, à la fois pour les astronomes, pour les scientifiques, pour les spationautes, pour la défense aussi, c’est-à-dire pour tous les services qui sont fournis à l’humanité. Il y en a énormément qui viennent de l’espace, comme ce serait ce que nous, GPS, et services météorologiques, des tas de services de base qui sont fournis par les satellites.

Donc ça pose des problèmes extrêmement vifs et extrêmement préoccupants. Donc il y a une discussion aujourd’hui autour de ce sujet, une discussion internationale de monitoring puisqu’on a des centaines de millions, exactement le chiffre, des centaines de millions de débris qui sont inférieurs, si on compte les débris inférieurs à un centimètre, mais vu la vitesse à laquelle ils circulent, ils sont extrêmement dangereux.

Et donc il y a des discussions internationales pour le suivi en particulier des gros débris. pour faire en sorte que ça ne se traduce pas par des accidents. Et la limitation des débris.

Alors, l’Agence spatiale européenne a dit que, en ce qui la concernait en tout cas, l’Europe s’engageait à mettre en place un système de zéro débris supplémentaire à l’horizon 2030. C’est-à-dire que de faire en sorte que tout satellite envoyé soit ensuite ce qu’on appelle passivé, c’est-à-dire qu’on ne laisse pas de carburant. qu’il n’y ait pas de risque d’explosion, et qu’on organise le retour sur Terre, et donc brûler dans l’atmosphère, avec des intégrations intégrales, ou passivation complexe sur des orbites qui sont réservées à ça.

C’est plus compliqué d’avoir ce type d’engagement au niveau international. C’est vraiment très très compliqué.

La France, pour le coup, il faut le dire, est pionnière en la matière, puisque depuis 2008, nous avons une loi sur les opérations spatiales, exigent que tout satellite qui est fabriqué par les conseils, par les finances, mais enfin, on a quand même des gros constructeurs dans notre pays, soit totalement conçu pour répondre à cette exigence-là. Donc, on est quand même plutôt bien armés là-dessus.

Après, il y a l’autre sujet que tu évoquais tout à l’heure, qui est celui du bien commun, non seulement en termes de préservation, mais aussi en termes d’exploitation. Et là, les choses sont très ambivalentes.

Moi, ça me perturbe beaucoup et la position de la France là-dessus est assez claire, c’est-à-dire que l’utilisation de l’espace et l’accès à l’espace doit être réservé à des usages d’exploration et scientifiques. La position de la France là-dessus, y compris au sein des accords Artemis qui ont été proposés par les États-Unis et dans le cadre des missions Lune puis Martienne, qui sont prévues à des horizons normalement assez proches, on a dit 2025, mais ce ne sera pas 2025, mais bon, c’est vrai, ce sera probablement avant 2030. de commencer à retourner sur la Lune pour des fins scientifiques, mais en installant une base d’une ère avec, évidemment, dans la tête de certains industriels, le fait d’imaginer d’aller pouvoir exploiter certains types de ressources.

Sur la Lune, je vous cache pas, c’est un peu compliqué parce qu’il n’y a quand même pas d’autre chose, mais potentiellement sur des astéroïdes, voire sur Mars. Là, on est complet dans la science fictive, je ne vous cache pas.

C’est quand même dans la tête et dans le discours d’un Elon Musk. Et de se dire qu’il faut se préparer à pouvoir aller exploiter potentiellement des ressources de minerais que nous n’aurions pu.

Outre le fait que je… Nous n’avons pas cette position-là, moi je la trouve évidemment totalement incompatible avec tout ce en quoi je crois, et notamment la nécessité de ne pas reproduire sur des exoplanètes des comportements de prédation qui nous mènent à la situation actuellement catastrophique que nous connaissons sur Terre, que ça ne doit pas être un discours à tenir parce que ça laisse imaginer que l’on pourra trouver des solutions de cet ordre-là pour résoudre notre problème. nos problèmes, qui sont incommensurables.

Et c’est incommensurable, puisque par définition, nous sommes d’un côté de l’ordre de la science-fiction, et aujourd’hui, de l’ordre de la réalité du quotidien. Donc, c’est pas con.

C’est pas une solution. Il faut le rappeler, parce que je suis pas sûre que tout le monde n’imagine pas que dans 20 ans, on soit sur Mars et on n’y sera pas.

Donc, voilà, je suis très, très claire là-dessus.

Thomas Gauthier

Laurence ? Troisième et dernier passage devant l’oracle, troisième et dernière question que tu vas pouvoir lui poser, qu’est-ce que tu souhaites lui demander maintenant ?

Laurence Monnoyer-Smith

Alors, on va rester sur ces sujets, sur ces préoccupations écologiques. J’aimerais savoir, en fait, dans un futur un peu éloigné, parce que j’imagine que ça n’a pas changé du jour au lendemain, notre rapport au vivant va changer.

Alors, je vais être plus précise dans la question. C’est-à-dire, allons-nous toujours nous considérer comme étant une espèce spécifique en dehors du reste de notre nature ?

Ou allons-nous fondamentalement changer notre relation au reste du vivant ? Et est-ce qu’on va finalement mettre en place, dans notre culture, une autre relation avec les espèces vivantes ?

C’est une réflexion qui me vient à partir des travaux de Philippe Descola et qui nous montre que l’histoire de l’humanité n’a pas toujours été, ne s’inscrit pas dans une relation aussi claire que ça aux vivants et que nous avons des civilisations qui ont des relations avec les animaux et avec le reste du vieux extrêmement différentes. Et d’ailleurs, on aura l’occasion d’en parler tout à l’heure, mais j’aimerais bien savoir si finalement on va… continuer à concevoir que nous sommes si différents de ça, que ça, d’un loup, d’un arbre, alors différents dans notre biologie, certes, mais dans notre essence.

Est-ce que notre rapport au vivant, étant donné la crise climatique que nous vivons, va changer ? C’est vraiment quelque chose qui m’intéresse.

Thomas Gauthier

Alors, on va poursuivre sur ce sujet puisqu’il t’intéresse et je suis à peu près sûr aussi qu’il intéresse nos auditrices et auditeurs. Essayons peut-être ensemble d’imaginer une expérience de pensée.

Donc ce nouveau rapport au vivant, ce nouveau rapport au non-humain devrait pouvoir être, j’imagine, incarné dans des transformations institutionnelles, dans des transformations du monde organisé, c’est-à-dire du fonctionnement et des finalités des administrations publiques, du fonctionnement et des finalités des entreprises, du fonctionnement et des finalités peut-être d’une partie de la société civile, même si c’est pas le cas. probablement là qu’aujourd’hui on trouve déjà des acteurs avant-gardistes qui non seulement se posent la question mais aussi explorent et expérimentent des rapports inédits avec le non-humain. On peut penser à des organisations activistes qui militent pour doter de droits des instances non-humaines.

Comment selon toi, et bien sûr sera difficile d’avoir une réponse définitive à la question, comment selon toi peut-on… envisager qu’à l’échelle d’une société, ce rapport au non-humain se transforme, se reconfigure de manière relativement apaisée. C’est-à-dire, quels risques pourraient prendre certaines organisations, qui peuvent être des administrations publiques, qui peuvent être des entreprises, à réinventer leur rapport au non-humain, tandis que d’autres organisations, publiques, privées, sociétés civiles, continueraient quant à elles, à maintenir une séparation stricte entre ce qui relève de l’humain et ce qui relève du non-humain.

Quelle tactique transitionnelle pourrions-nous envisager pour réinventer ce rapport au non-humain sans pour autant mettre en difficulté les acteurs qui seraient les plus engagés sur cette voie du renouvellement de la relation au non-humain ?

Laurence Monnoyer-Smith

De toute façon, je pense que pour faire ça, c’est pour ça que j’ai été là pendant 8 ans, et je vois deux voix Il y a la voie du bottom-up et il y a la voie du top-down, ces deux-là doivent fonctionner un peu. Et il y a, je mettrais un petit peu de côté, le rôle de la culture, qui me paraît, je veux dire, d’industrie culturelle, ou en tout cas de ceux qui portent une forme de culture, ça je pense que c’est très très très important.

Le bottom-up, il y en a déjà beaucoup, c’est-à-dire… Des initiatives qui innovent, des gens qui innovent dans la gestion d’ailleurs assez quotidienne, pas forcément en faisant beaucoup de bruit, mais en mettant en place des types de gestion de forêt différentes.

Notamment, on l’a vu, Mathis de Morisot les décrit dans certains de ses ouvrages, en expliquant un écran comment… On négocie avec la forêt, la place que l’on peut occuper, qu’on peut y occuper en étant très très attentif.

Grâce aussi à la recherche, parce qu’il y a beaucoup de chercheurs qui ont travaillé, par exemple, de la forêt, parce que c’est très caricatural de notre arrogance incroyable, de notre incompréhension totale et de notre bêtise. C’est-à-dire en se croyant, parce que nous sommes mobiles, que nous étions plus forts que la forêt.

Les découvertes scientifiques qui ont été faites récemment et qui montrent en fait la vie extrêmement intense de la forêt, sa capacité à se régénérer, sa capacité à communiquer, absolument extraordinaire, sont des travaux qui ont moins d’une dizaine d’années. Et donc il y a un certain nombre d’initiatives de gestion de forêt, mais qu’on fait chez nous d’ailleurs, où on voit comment est-ce qu’on organise les espaces en étant extrêmement attentif aux besoins de la forêt, c’est-à-dire en négociant avec elle, au moins dans la diplomatie du vivant. inter-espèces.

Et ça, je sais que ça existe sur la façon… D’ailleurs, ça existe aujourd’hui, mais c’est quelque chose qu’on a sans doute un peu oublié, parce qu’on pense beaucoup dans les rapports difficiles qu’on a avec le loup, par exemple.

Et dans l’histoire de l’humanité, l’homme a négocié avec le loup toute sa vie. Enfin, depuis toujours.

Il y a des expériences incroyables. Baptiste Morézo raconte ça dans la diplomatie des loups à Anson Louquin.

Comment les Canadiens ont négocié avec nous à un modus vivendi en se rendant des services, en se respectant l’un l’autre. Là, on n’est pas tellement loin d’une conception qui est « tu me suis dans le même écosystème que toi, je suis un être vivant, tu es un être vivant, je te respecte, tu me respectes » .

Et comment est-ce qu’on fait en sorte de vivre en commun ? Et non pas « je suis un prédateur et je te traite comme… » « Je te considère comme un prédateur alors que fondamentalement c’est moi l’homme et je te traite comme un prédateur en t’éliminant d’une façon… » dans ce type de rapport.

Donc, du bottom-up, bien regarder de l’anthropologie, ce qui s’est fait. Il y a beaucoup de chercheurs aujourd’hui qui expliquent comment d’autres civilisations, d’autres peuples mettent en place ce type de rapport avec le vivant et s’en inspirer.

Après, il y a le top-down, c’est-à-dire qu’à la fin de la journée, si vous voulez que les choses avancent, il faut des règles. L’évolution des règles, tu parlais des entreprises tout à l’heure, comment est-ce qu’une entreprise prend négocier avec le vivant ? en faisant une comptabilité qui relève de la double matérialité, c’est-à-dire qui prend en considération totalement son empreinte et la manière dont elle a besoin du vivant.

La double matérialité, ceux qui nous écoutent, qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire qu’on fait une comptabilité non seulement financière, de mes ressources, ce que j’utilise, des flux financiers de l’entreprise, ce que j’ai à mon actif, ce que j’ai à mon passif, et qu’est-ce qu’il en résulte en termes de profit. Voilà, c’est ce qu’on a inventé dans les deux derniers siècles.

La double matérialité, c’est de prendre en considération tout ce qui n’a pas été monétisé. Alors, il y a des moyens de le monétiser, c’est-à-dire j’ai besoin d’eau, j’ai besoin d’air, j’ai besoin de… je ne sais pas, je suis dans l’industrie pharmaceutique, je suis à 100% dépendant de la nature.

Dans l’industrie pharmaceutique, je suis ????, je fabrique des vêtements et des vêtements de luxe, je suis totalement dépendant de la nature. Comment est-ce que je fais rentrer ça dans ma propre comptabilité, que je lui accorde du coup toute l’attention nécessaire pour maintenir cette ressource et que nous soyons dans un équilibre entre ce que je prélève à la nature et ce que je dois lui rendre.

Et c’est ça la double matérialité. Donc c’est en discussion, alors c’est pas complètement…

C’est pas mort, parce que c’est en discussion. Je sais qu’il y a beaucoup de spécialistes, moi je ne suis pas spécialiste dans ces questions-là, mais qui réfléchissent à ça.

Comment est-ce que ça peut se mettre en œuvre ? Un certain nombre de règles de droit, on parlait tout à l’heure des droits, des fleuves, des droits, ça commence à exister.

Il y a des pays qui développent ça, au Costa Rica par exemple, mais ailleurs. On commence à dire que la nature est titulaire de droit via un certain nombre de porte-parole.

C’est une façon de faire rentrer la nature, de faire rentrer le vivant, je ne vais pas dire la nature, c’est complètement logique, la nature n’existe pas, de faire rentrer le vivant dans notre propre droit, de façon à ce qu’il y trouve toute sa place, puisque c’est ce que l’homme a inventé pour régir son organisation. Donc la seule façon, quand on ne va pas abandonner le droit, ça me paraît difficile, faire évoluer le droit pour lui donner un autre statut. pour donner un statut à ces êtres.

Donc je pense qu’il y a les deux. Et je rajoute la culture, parce que c’est extrêmement important.

Je pense aussi, effectivement, que le rôle des industries culturelles là-dedans est essentiel. Sans doute un point qui me tient assez à cœur est de se dire, il faut encore qu’on invente les festivals des moments de demain.

Et d’ailleurs, on avait un projet avec l’Université de la Pluralité. qui n’est pas du tout abandonné, mais qui était un peu en cours de créer ce festival qu’on a appelé Naratopia, qui est un festival culturel pour nous aider à penser le monde de demain. On est en train d’organiser ça, on espère mettre en mesure d’organiser l’année prochaine, justement pour nous permettre d’imaginer des choses qui, dans notre culture, sont inimaginables.

Et pour ça, il n’y a que l’imagination, il n’y a que la culture qui peut nous aider à faire ça. Parce que nous sommes très pris dans nos prismes naturalistes, très très… occidentaux, nous avons des visions de la nature qui sont très très compliquées à remettre en cause ou à réinterroger et pour ça l’art est un instrument complètement essentiel.

Je pense aussi qu’il faut beaucoup jouer là-dessus, on a de la chance, on est dans un pays de culture, on est dans un pays qui favorise la culture et donc de pouvoir inciter les artistes à explorer Et tes tendances non dystopiques, catastrophistes, de l’effondrement de ce qu’on pourrait être ce monde-là, est essentielle.

Thomas Gauthier

Alors je te propose maintenant, Laurence, de braquer notre regard ailleurs. On a bien exploré avec toi plusieurs futurs, plusieurs questions qui concernent le futur.

Je te propose maintenant qu’on regarde dans le rétroviseur. Est-ce que tu veux bien ramener, s’il te plaît, deux ou trois événements clés qui ont, selon toi, marqué l’histoire ?

Il peut s’agir d’une histoire récente, il peut s’agir d’une histoire… plus lointaines et qui peuvent nous servir aujourd’hui dans les temps turbulents que nous vivons à nous orienter, voire même à nous projeter vers des futurs désirables. Qu’est-ce que l’histoire peut nous raconter aujourd’hui ?

Laurence Monnoyer-Smith

J’ai pas mal hésité pour essayer de trouver ces moments-là. J’en ai trois.

Le premier, c’est la querelle entre Hobbes et Boyle sur la pompe à air au XVIIe siècle. Je ne sais pas si tu la connais, c’est une très jolie histoire.

Elle est assez connue parce qu’on a écrit un bouquin là-dessus, qui l’a rendu célèbre par Ausha et Ausha, sur l’histoire de Léviathan et la Pompère. Et alors pour moi, on la racontera rapidement, c’est une querelle, un moment clé dans l’histoire de la science, à une époque où la science contemporaine telle qu’on la connaît n’existe pas, et donc où on a, les philosophes sont aussi souvent des scientifiques. qui réfléchissent sur la matière.

C’était le cas de Hobbes et Poi au XVIIe siècle en Angleterre. Et il y a une question qui se posait à l’époque, c’était celle de l’existence du vide.

Est-ce que le vide, ça existe ? Qu’est-ce que c’est que le vide ?

Est-ce qu’on peut le caractériser ? C’est un problème à la fois métaphysique, c’est un problème religieux, et c’est un problème physique, dans le sens le plus strict du terme.

Et là, on a deux éminentes personnalités de l’époque qui vont se livrer à une discussion et une querelle qui va fonder l’histoire de la science moderne. Et je trouve ça extrêmement intéressant.

Cette querelle est à la source de la création de ce que va être la domination de la science moderne. La querelle est la suivante.

Est-on capable de démontrer que le vide existe ? Et face à ça, deux postures.

Le grand philosophe Hobbes, qu’on connaît par ailleurs pour ses écrits de sciences politiques, propose une réflexion, une démarche de réflexion. philosophique sur le vide peut-il exister ? Dans quelles conditions le vide peut-il exister ?

Quel type de démonstration est-on capable de faire sur cette existence-là ? Une réflexion assez traditionnelle des philosophes dans la suite de la Renaissance.

Face à ça, Boyle dit que ce n’est pas une question philosophique, il faut le démontrer. Pour le démontrer, il met en place une expérience où il va fabriquer une pompe à air un peu artisanale dans laquelle il va essayer de créer du vide à l’intérieur d’une bouteille en mettant des joints, etc. avec un système de piston.

Un truc qu’on connaît aujourd’hui très facilement quand vous voulez mettre de la nourriture dans un sac plastique et que vous la mettez sous vide. C’est à peu près le même système sauf qu’il ne marchait pas très bien.

Et cette démonstration, cette expérience et cette démonstration va être proposée par Boël. un certain nombre de ses confrères, et il va chercher à la faire valider par l’Académie des sciences sous les formes, on va dire, selon des formes un peu initiales, primaires, j’allais dire, archaïques, de ce qu’on considérait aujourd’hui comme étant la validation par l’HIPER dans un système de scientifiques de laboratoire, avec des notes. Donc, il rend des notes de son expérimentation qu’il recommence 50 fois parce qu’il n’arrive pas à faire le vide, etc.

Et en fait, la querelle de fond va toucher sur ce que l’on est capable de démontrer et est-ce que l’expérience va démontrer l’existence ? Et Hobbes va en faire une question de fond en disant, mais cette expérience scientifique-là n’est pas une expérience susceptible de démontrer une vérité.

Cette vérité, elle ne peut être atteinte que par une… Alors. sur la statue de la notion de vérité, qu’est-ce que l’expérience est capable de dire sur la vérité du vide ?

Est-ce que définir philosophiquement la notion de vide est plus importante que définir pragmatiquement, démontrer pragmatiquement, d’ailleurs pas dans de très bonnes conditions parce que ça ne marche pas très bien, les distances de vie ? Dans l’histoire, c’est Boyle qui gagne.

C’est Bolle qui gagne parce qu’il emporte la conviction et parce que finalement, dans cette querelle-là, Hobbes sera marginalisé sans doute aussi pour d’autres raisons, des raisons politiques notamment. Mais c’est en tout cas Bolle qui va montrer que le développement, que la réflexion, la discussion entre savants ne suffira pas, qu’il va falloir passer par l’instrumentalisation du laboratoire, de la discussion entre savants scientifiques devant une expérience avec tout un équipement et que c’est ça qui va être la vérité scientifique.

Et de ce fait, en fait, ce qui va se passer, ce qu’il va y avoir, et Chappard et Ausha me le décrivent bien, et Bruno Latour derrière aussi, qui a repris ce bouquin et qui en a fait une analyse, qui font de ce moment-là le moment dans lequel, en fait, la science va se séparer de la politique et la science va se séparer de la nature. d’ailleurs en tant que telle. La science va dire je détiens une forme de vérité qui n’est pas politiquement discutable.

Et donc… On va lancer ce courant-là, qui va se déployer ensuite et qui va connaître une fortune totalement exceptionnelle, puisque tout notre système scientifique est basé là-dessus.

Sur la démonstration, sur l’APREM, sur le réseau des savantes, sur le réseau des laboratoires, et de cette déconnexion, en fait, d’une forme d’interrogation sociale et d’une forme de questionnement au sein du monde vivant. Donc, pour moi, c’est un moment très, très, très important.

Reste, hop, c’est pourri.

Thomas Gauthier

Et c’est intéressant peut-être de voir qu’aujourd’hui, en 2022, et même d’ailleurs depuis plusieurs années, il y a des formes de réappropriation de la science par la société. On parle de science citoyenne, on parle de science participative, on crée des dispositifs au cœur desquels les individus regagnent une forme de légitimité, non pas à se substituer aux savants qui ont pour… la plupart d’entre eux de longues années d’études derrière eux, mais néanmoins on redécouvre le fait que société et science peuvent avoir des rôles croisés.

Donc tu nous parles de ce premier point de repère qui effectivement nous raconte et nous explique au moins en partie pourquoi on en est arrivé aujourd’hui à… Ces rapports multiples qu’entretiennent politique et science, est-ce que tu peux nous ramener à un deuxième événement historique maintenant, s’il te plaît ?

Laurence Monnoyer-Smith

Oui, l’autre événement historique qui m’intéresse beaucoup, c’est le mouvement des enclosures. Alors c’est un peu au même moment, parce qu’on est au 16e, 17e siècle, en Angleterre toujours, il faut croire que j’ai un petit prisme sur ce qui se passe là-bas.

Le mouvement des enclosures est un mouvement très important parce qu’il marque la fin. d’une expérience d’organisation sociale autour des communs. On parlait tout à l’heure de l’espace étant un commun.

L’organisation sociale en Grande-Bretagne à cette époque-là, c’est différent de la nôtre, mais qui était basée en fait sur l’utilisation commune des terres seigneuriales et qui était laissée aux paysans pour pouvoir aller y chasser, y pêcher, cultiver, s’approvisionner, etc. Et ce qui évitait que les paysans meurent de faim, donc les seigneurs prélevaient une taxe, non sur des taxes différentes sur les différents paysans, mais les paysans avaient accès à ce qu’on appelait les commons, dans la loi anglaise, c’est quelque chose qui n’est pas trop d’équivalent chez nous.

Ces commons qui, en fait, permettaient une relation de nourriture, échange, entretien. C’était ça, un genre de fautien de cette terre contre l’échange de nourriture ou de moyens de subsistance vis-à-vis de la classe paysanne.

Et puis, ce qui se passe au XVIIe siècle, c’est que pour des raisons diverses, les seigneurs, pour faire pression sur les paysans notamment, et pour pouvoir obtenir d’eux davantage et notamment les taxer davantage, ont commencé à mettre des clôtures autour de leurs terres. et à interdire ce qui était vraiment dans le droit anglais, qui est un droit coutumier, leur interdire l’accès aux terres sénioriales. Ce qui devait arriver à Rimbaud, c’est-à-dire que les paysans ont commencé à mourir de faim. À partir du moment où ils ne peuvent plus chasser, pêcher, etc. et se servir de ces terres communales, ça a suscité des révoltes extrêmement importantes.

Tout le XVIIe siècle en Angleterre, on a compris des mouvements de femmes aussi beaucoup. C’est les premiers mouvements féministes naissent au moment du moment des emploisures au XVIIe siècle.

Donc, les femmes révoltaient parce qu’elles ne peuvent pas justement aller chercher de l’eau, aller chercher de quoi faire souvenir aux besoins de leur famille. Et il y avait une révolte tout rentable dans les Midlands au début du XVIIe siècle, qui ont fait des centaines de morts.

Mais à la fin, ce sont les seigneurs qui ont gagné. C’est-à-dire que la propriété qui était leur propriété, mais le droit coutumier, a été interrompue, on a passé une loi au début du XVIIIe siècle pour renforcer la notion de propriété.

Marx a fait de ce mouvement-là le début du capitalisme. Ce n’est pas complètement faux, c’est-à-dire que c’est vraiment un moment de réappropriation et de perte de l’utilisation des biens communs, parce que certains de ces terres, il y avait notamment de l’eau, des prêts, etc., mais qui étaient considérés comme des biens communs, au profit de certains. qui a causé en fait énormément de misère, c’est-à-dire que le système des communs permettait en fait une bien meilleure espérance de vie et vie de l’ensemble des habitants.

Et ça s’est traduit par énormément de morts, de faim, de migration dans les villes. Et c’est d’ailleurs en ça que ces suivis, ça a permis gentiment de faire migrer les paysans dans les villes pour les utiliser dans l’industrie naissante du XVIIIe, XIXe siècle.

La première révolution industrielle, ce sont les… les paysans les crèvent la faim, rejetés à cause du mouvement des enclosures, qui sont en laissant tasser dans les villes et qui ont servi de vins d’oeufs pas chers. Et c’est vraiment un mouvement qui a été extrêmement bien décrit par des historiens, par des sociologues comme Elinor Ostrom, qui explique comment on peut avoir une nouvelle forme d’organisation, une forme d’organisation et de partage de la ressource, et de préservation collective de la ressource, parce que le mouvement des communs c’était aussi une préservation de la ressource.

Quand tout le monde dépend d’une même ressource, tout le monde a intérêt à l’entretien de cette ressource. Et donc, alors à quelles conditions ?

Évidemment, parce qu’il peut y avoir aussi des freeriders, des gens qui viennent profiter de la ressource, etc. Mais en tout cas, ce mouvement-là a été, pour beaucoup de sociologues et d’économistes aussi, le lieu comme Gaëlle Giraud, typiquement, un moment de source de réflexion. sur comment on peut s’organiser différemment économiquement dans notre rapport à la ressource.

Voilà pourquoi je pense que c’est très important.

Thomas Gauthier

Alors avec ces deux repères historiques, tu nous fais réfléchir finalement à des fondements de la société moderne. On a parlé… politique et science, on vient de parler maintenant origine du capitalisme, rapport à la propriété, rapport de force aussi entre ceux qui peuvent imposer les enclosures dont tu parlais et ceux qui les subissent.

Donc à ce stade de l’entretien, on a exploré des futurs, on s’est remémoré l’histoire, donc futur est passé, nous y sommes passés, arrive maintenant le présent et le présent, celui qui nous intéresse, c’est le tien. c’est-à-dire Laurence, j’aimerais dans cette troisième et dernière partie de l’entretien, s’il te plaît, que tu nous racontes comment tu mets toi-même dans tes différents modes d’engagement, tes paroles en actes. Tu vas peut-être avoir l’occasion de revenir sur des étapes de ton parcours qui t’a amené dans le monde académique, qui t’a amené dans le monde de la fonction publique, qui t’amène aujourd’hui toujours dans un registre public. dans le monde de l’exploration et des questions spatiales.

Est-ce que tu peux nous raconter en fait comment toi tu t’efforces d’accorder tes paroles et tes actes ? Comment ça se passe finalement pour toi ?

Laurence Monnoyer-Smith

Alors, c’est pas toujours facile. Et je pense que c’est…

Je vis la même expérience que beaucoup, à savoir que la prise de conscience… Mon parcours est celui d’une… évidemment…

Une prise de conscience et un engagement public sur les questions de transition écologique. Donc je m’efforce de le faire dans mes choix personnels, professionnels.

Pour moi, c’est quand même très très important. Quand j’ai quitté l’université, j’ai quitté l’université pour aller à la commission nationale du débat public parce que les questions de participation citoyenne, en particulier sur des sujets environnementaux, me paraissaient absolument fondamentaux.

C’est mon sujet de thèse, comme beaucoup disent. Un sujet test, c’est quelque chose qui…

Vous ne travaillez pas pendant 4 ou 5 ans sur des sujets qui ne sont pas quelque chose qui vous titille fondamentalement, personnellement, très profondément. Un sujet test, c’était la légitimité de la décision.

Qu’est-ce qui fait qu’une décision est légitime ? Ça m’obsédait. Qu’est-ce qui fait que quelqu’un a le droit d’imposer à quelqu’un d’autre ?

Voilà, c’est une question qui me gâchit encore aujourd’hui fondamentalement. et en particulier sur des thématiques environnementales. Donc quand je suis rentrée à la Commission nationale des débats publics, j’ai quitté l’université, c’était vraiment pour ça.

Et je suis rentrée sur le premier débat public qui était celui des déchets radioactifs à Bure. Donc c’était chaud, en plein.

Sur un sujet, c’est de notoriété publique, je ne suis pas du tout en faveur du nucléaire, c’est quelque chose qui me pose un vrai problème. Et donc je suis rentrée là-dedans en me disant, ce que je vais essayer de faire, c’est de mettre toute mon énergie, à faire en sorte que, au moins, les décisions, les grandes décisions publiques sur des sujets aussi sont trop que ça.

Là, il s’agissait d’enfouissement des déchets radioactifs, mais tous les sujets sont très importants. Aujourd’hui, il y a un grand débat public sur l’avenir de la politique énergétique à France.

C’est complètement essentiel. J’ai vraiment fait en sorte que, professionnellement, de m’engager beaucoup là-dessus.

Et après, quand je rentre au ministère de la Transition écologique, c’était aussi pour moi une forme d’engagement, de dire je vais essayer de faire évoluer les textes de loi et notamment la première chose que j’ai faite en devenant commissaire générale après avoir quitté la Commission nationale des débats publics, c’est demander par Ségolène Royal qui m’avait confié notamment l’écriture d’un texte sur la participation citoyenne. Et j’ai mis une énergie colossale, on a fait évoluer le droit et j’ai vraiment essayé d’apporter ma pierre en ce sens-là.

On a sorti la première obligation ouverte française, Donc voilà, j’ai essayé de me mettre au service du public pour faire entendre sa voix sur des sujets de transition qui me paraissent aujourd’hui complètement essentiels. Alors qu’il n’y a pas des sujets complètement importants, mais en tout cas, pour moi, c’était ça que je devais faire et dans lequel je devais m’engager.

Quand j’ai quitté le ministère de la Transition écologique pour venir au CNES, je suis allée dans le public, ce n’est pas un hasard non plus, parce que je considérais qu’il fallait faire bouger les entreprises, que la CNES c’est une entreprise publique, et que je voulais passer du macro. au micro et de dire aujourd’hui, très concrètement, comment est-ce qu’on fait transitionner une entreprise ? Comment on s’organise ?

C’est effectivement très difficile. Après avoir fait des textes de loi, je voulais travailler très concrètement comment je verdis la base spatiale de courant.

Explique-moi. Voilà.

C’est hyper concret. Je fais en sorte que c’est 60% des émotions que vous avez faits, c’est un duke-ness.

La base spatiale, alors que c’est petit, il y a 200 personnes alors qu’on est 3000, et c’est 60% de nos émotions que vous avez faits. Comment on organise ça ?

On retravaille toutes les infrastructures, on met en place tous les… C’est ça mon engagement concret.

Aujourd’hui, de dire aux gens qu’il faut beaucoup moins voyager, d’où la question que j’ai posée sur les voyages, on peut beaucoup moins se déplacer, c’est compliqué à des scientifiques, vous dire, vous vous déplacerez où ? Vous n’irez plus dans les colloques, vous n’allez plus pouvoir rencontrer vos collègues avec lesquels vous travaillez, au Japon, en Chine, aux Etats-Unis, c’est très difficile.

Comment on met en place en fait ? Des modes de coopération scientifique, quand on sait qu’on peut beaucoup moins se déplacer.

Alors le Covid a aidé, mais voilà, donc comment réfléchir à ça collectivement ? Donc c’est un petit peu ça que j’essaie de faire au quotidien.

Thomas Gauthier

Alors dans l’expérience que tu viens de nous rappeler, il a été question d’abord de légitimation de la décision, tu nous as parlé ensuite de débats publics, tu nous as parlé de transition écologique, maintenant d’exploration spatiale. J’aimerais juste te poser une ultime question, puisque je sais que Tu as œuvré et continues de œuvrer aussi pour la réflexion et l’action autour de formes du numérique peut-être plus utiles et plus raccord avec les enjeux qui nous préoccupent aujourd’hui.

Qu’est-ce que tu peux nous dire, peut-être en mots de conclusion, de ton rapport au numérique, des questions que tu te poses à son sujet, voire peut-être aussi des espérances que tu places en de nouvelles formes de numérique qui pourraient nous être utiles collectivement ?

Laurence Monnoyer-Smith

Alors, la chose que je pourrais dire, d’abord, c’est que si on passait autant de temps de cerveau disponible à optimiser du low-tech qu’à faire du high-tech, à mon avis, on aurait beaucoup plus vite dans nos capacités de sobriété et d’efficacité énergétique. Être aujourd’hui en train de se poser la question du métavers, ça ne paraît ni résilient.

Alors, on va toujours… La réponse qu’on me fait, elle est sidérante.

Quand j’ai ça, on me dit oui, mais c’est l’avenir et un appel. L’homme est créatif.

Cette espèce de définition spéciste de l’homme, comme si on était les seuls à être créatifs. S’il y a bien quelqu’un qui est créatif, c’est le vivant.

Mais en général, depuis 3 milliards d’années, le vivant est créatif. Pourquoi est-ce qu’on se qualifie nous-mêmes de créatifs ?

Et comme si c’était quelque chose susceptible de justifier n’importe quelle errance enfantine que nous pourrions avoir. Je trouve ça assez hallucinant.

Donc, mon rapport au numérique est un rapport extrêmement suspicieux. Et je trouve qu’on devrait, aujourd’hui, passer énormément de temps.

Et il y en a, en effet. Alors, les jeunes ingénieurs, je vois bien, je le dis d’autant plus que ma fille aînée est étudiante à Télécom Paris, qui est complètement dans ces questions de rapport au numérique.

Je sais qu’il y a une vraie sensibilité sur comment on code moins consommateur, comment on fait en sorte qu’on puisse utiliser des technos du low-tech. pour travailler sur certains sujets, détecteurs, instruments, etc. Donc ça, c’est mon premier point.

C’est la course aux composants, la course à l’innovation. Je trouve qu’on devrait faire de l’innovation blottée.

Le deuxième point, ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas potentiellement encore des innovations à fort dans le domaine de l’intelligence artificielle, de l’utilisation de la donnée. Et pour moi, mon usage du numérique aujourd’hui, c’est de dire nous avons consacrer des sommes absolument effroyables à de la production de la donnée dont on utilise un centième, en particulier dans le spatial.

Je dis pétaoctets de données, des instruments satellitaires qui fournissent de la donnée en voiture, voilà, et cette donnée, elle n’est pas utilisée. Donc j’aimerais bien si je pouvais, pour avoir bien un souhait, j’aimerais bien qu’on consacre tous nos efforts à optimiser l’utilisation de la donnée plutôt qu’à créer des instruments supplémentaires pour en produire sans qu’elle soit utilisée.

C’est un peu radical ce que je dis, mais il y a quand même beaucoup de vrai. Je sais qu’aujourd’hui, c’est un sujet sur lequel on travaille beaucoup.

C’est ce qu’on appelle les applications avales et les services. Comment on peut utiliser de la donnée satellitaire combinée avec d’autres types de données pour fournir des tas de services aux citoyens, aux habitants et ne serait-ce qu’aux politiques publiques pour pouvoir surveiller.

Par exemple, la déforestation, etc. On peut faire de la surveillance de déforestation en temps réel.

Très utile. Par de la donnée qui existe.

Pas besoin d’envoyer des nouveaux satellites. Ça existe. Et ça, je trouve que si on se mobilisait collectivement autour de ça, non seulement on créerait de la valeur, parce que pour le coup, ça créerait beaucoup d’entreprises, et on n’en détruirait pas puisque la donnée, elle est là et que ça nécessite finalement un petit peu de capacité de calcul. pas tant que ça. Ça nécessite surtout qu’on se pose la question de savoir comment on pourrait l’utiliser, quels sont les utilisateurs finaux, intelligents et intéressants qu’on pourrait intéresser avec ce type de service.

Thomas Gauthier

Eh bien écoute, je te propose qu’on conclue cet entretien sur cette réflexion que tu nous proposes autour de l’utilisation, de la valorisation d’un patrimoine informationnel qui est déjà extrêmement abondant, qu’il n’est pas forcément nécessaire de faire croître. Peut-être que les formes d’imagination dont on sait faire preuve Merci. peuvent être justement braquées sur des envies et des capacités à faire parler ce patrimoine informationnel différemment et un peu plus.

Merci beaucoup Laurence pour ton temps, à bientôt.

Laurence Monnoyer-Smith

Merci beaucoup Thomas, au revoir.

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