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Groupe familial - Heny Moore | Source : Davidson Gallery

Q275 | Être parent aujourd’hui, devenir parent demain

6 mai 2025
6 mins de lecture

Être parent, aujourd’hui, c’est avancer sur une crête étroite.

Le regard tourné vers l’enfant, l’oreille tendue vers le tumulte du monde. C’est cheminer dans une société qui change de peau à chaque saison, où les certitudes d’hier se sont effondrées comme des châteaux de sable, et où les fondations de demain ne sont encore que des esquisses fragiles.

C’est aussi, plus profondément, hériter d’un rôle ancien dans un monde nouveau. L’archétype parental, millénaire, se heurte aux lignes de fracture du XXIe siècle : crises écologiques, révolution numérique, mutations du travail, recomposition des liens sociaux. Et au cœur de tout cela, des enfants naissent. Des enfants qu’il ne suffit plus de nourrir, protéger ou instruire, mais qu’il faut accompagner à grandir dans un monde instable, incertain, multiple.

Une fonction sociale sous tension

La parentalité est un fait social total, pour reprendre les mots de Marcel Mauss. Elle traverse les sphères de l’intime, de l’économique, du politique, de l’éthique. Elle engage des normes, des récits collectifs, des représentations genrées, des attentes culturelles.

Mais aujourd’hui, cette fonction est sous tension. Les rôles sont éclatés, les modèles diversifiés, les communautés de transmission affaiblies. L’urbanisation, la mobilité géographique, l’isolement social des familles nucléaires, la marchandisation du temps éducatif… tout cela a laissé les parents dans une forme de vacuité institutionnelle. Ils sont les derniers remparts. Et l’épuisement est palpable.

Les parents sont devenus des porteurs de contradictions.

Ils doivent être à la fois présents et disponibles, mais performants dans leur vie professionnelle. Ancrés dans la réalité mais ouverts à l’altérité. Autoritaires sans être coercitifs. Bienveillants mais structurants. Et tout cela sans écosystème de soutien cohérent.

Les fragments d’une quête : éduquer sans mode d’emploi

Dans ce brouhaha de prescriptions et d’attentes sociales, quelque chose émerge : le besoin de sens.

On ne veut plus simplement reproduire ce qu’on a reçu. On veut comprendre ce qu’on transmet. On cherche à aligner sa parentalité avec ses convictions profondes, à faire de l’éducation un espace de cohérence éthique. On interroge ses automatismes, on s’expose à d’autres modèles, on se laisse toucher par les savoirs des neurosciences, les récits autochtones, les pédagogies alternatives, les récits queer de la famille.

La parentalité devient réflexive.

Elle n’est plus seulement fonctionnelle, elle devient chemin d’évolution. Elle nous renvoie à nos ombres, nos limites, nos vulnérabilités. Elle nous force à grandir en même temps que l’enfant. À désapprendre. À réhumaniser le lien.

C’est peut-être cela, aujourd’hui : être parent, c’est se tenir dans le paradoxe.

Être à la fois tuteur et explorateur. Pilier et funambule. Ce n’est pas incarner une autorité verticale, mais s’inscrire dans une présence vivante, souple, consciente.

Mère et enfant contre un mur ouvert - Heny Moore | Source : Davidson Gallery

Et demain ? Les lignes de force de la parentalité à venir

À l’horizon, se dessinent les contours d’une parentalité profondément renouvelée. Non pas un modèle figé, mais une constellation de possibles. Voici quelques lignes de force, encore floues mais puissantes, que l’on peut anticiper.

Une parentalité régénérative

L’anthropocène, ou l’âge de l’impact humain sur la planète, appelle une nouvelle grammaire éducative. L’enfant ne sera plus seulement élevé pour « réussir », mais pour prendre soin. Du vivant. Des autres. De la Terre.

Les futurs parents devront éduquer avec lucidité, sans cynisme, et avec une forme de radicalité douce : réapprendre l’interdépendance, la simplicité volontaire, l’émerveillement. La transmission ne portera plus sur la maîtrise du monde, mais sur l’art d’y habiter en poète et en artisan.

Une parentalité augmentée… de présence

L’irruption massive de l’intelligence artificielle, des objets connectés, de l’éducation algorithmique bouscule déjà les repères éducatifs. L’enfant est traçable, mesurable, prédictible. Mais il est aussi à risque d’être enfermé dans des modèles binaires.

La vraie question ne sera pas d’interdire ou d’adhérer, mais de négocier notre humanité face à l’automatisation. Les parents devront se battre non pour contrôler les outils, mais pour préserver l’expérience vivante du lien : le silence partagé, le doute assumé, la lenteur féconde.

Une parentalité recomposée, partagée, réinventée

La famille classique laisse place à une pluralité de configurations : monoparentales, queer, polyparentales, adoptives, choisies. Demain, la parentalité sera moins définie par le sang que par l’engagement.

On assistera peut-être à l’émergence de parentalités collectives, où plusieurs adultes — amis, membres de la communauté, éducateurs — co-éduquent un enfant dans un environnement fluide et solidaire. On parlera d’écosystèmes parentaux, et non plus de noyaux familiaux figés.

Une parentalité politique

Dans un monde fracturé, où les enfants sont exposés à la violence des images, aux inégalités criantes, à la peur de l’avenir, éduquer sera un acte politique. Non pas partisan, mais fondateur.

Working model : time / life screen - Heny Moore | Source : Davidson Gallery

Éduquer, c’est refuser l’indifférence.

C’est faire le choix d’une certaine idée du monde : inclusive, résiliente, émancipée.

C’est ne pas laisser le marché ou les algorithmes décider à notre place de ce qui compte.

 

Etre parent comme acte d’espérance

Finalement, être parent, c’est peut-être cela : accepter de ne pas savoir.

C’est renoncer au fantasme de l’enfant-projet, pour accueillir l’enfant-mystère.

C’est semer sans garantie de récolte.

C’est tenir debout dans l’incertitude, et y bâtir quand même du sens.

Et si la parentalité du futur n’était pas à chercher dans les recettes ou les modèles, mais dans le courage de créer un lien unique, vivant, évolutif.

Si elle devenait un laboratoire d’humanité ? Un lieu de réparation du monde ? Un geste d’amour lucide dans un monde chaotique ?

Alors, la parentalité ne serait plus un poids.

Elle deviendrait un art. Un art du lien, du soin, de la présence.

 

C’est ne pas laisser le marché ou les algorithmes décider à notre place de ce qui compte.

 

Et vous ?

Quel parent êtes-vous devenu ?

Sans doute pas celui que l’on projetait, ni même celui que vous aviez secrètement imaginé.

Mais celui façonné au fil des jours, des contextes imprévus, des élans de vos enfants, de leurs silences aussi.

Que reste-t-il de vos idéaux premiers, de ces promesses murmurées à l’aube de la parentalité ?

Qu’avez-vous su préserver, transformer, laisser s’effacer ? Qu’avez-vous découvert, enduré, appris ?

Et quelle empreinte espérez-vous laisser dans le cœur de votre enfant, lorsqu’un jour il se retournera sur ce que fut son enfance, et sur celui ou celle qui l’a accompagné·e ?

 

Et si, plutôt que de chercher à être des parents parfaits, nous acceptions d’être simplement humains, ensemble ?

 

Parfois très présents, parfois à distance, souvent en mouvement, nous faisons ce que nous pouvons et c’est déjà beaucoup.

Il n’y a pas une bonne manière d’être parent, mais une infinité de façons de tenir ce rôle vivant.

Des jours pleins d’élan, d’autres plus flous, des instants de joie intense et des temps de retraits nécessaires.

La parentalité n’est pas un parcours linéaire, mais un jeu d’équilibres, de reprises, d’essais renouvelés.

Ce n’est pas tant la constance qui compte que la capacité à revenir.

À se remettre en lien. À oser être là, même autrement. Parfois en se réinventant. Parfois en se taisant. Mais toujours avec cette intention profonde de faire place à l’autre, et de l’accompagner à devenir.

Et si c’était cela, la parentalité de demain ?

Un espace fluide, évolutif, délié des injonctions… où chaque parent serait invité à créer, plutôt qu’à correspondre.

Un terrain d’invention sociale, de reliance, de croissance partagée.

Un lieu pour explorer d’autres formes d’amour, plus libres, plus souples, plus justes.

Car ce que nous transmettons ne se mesure pas en perfection, mais en présence.

Et dans cette présence-là, faite d’imperfections, d’humour, d’élans authentiques et de silences habités, se dessine peut-être l’une des plus belles façons de réinventer le monde.

 

ce que nous transmettons ne se mesure pas en perfection, mais en présence.

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